I - Une Rentrée Difficile.
À quoi bon courir si je suis déjà en retard ? Me demandai-je alors que je remontais la rue à vive allure en direction du large portail.
J'étais déjà en retard le premier jour de l'année... Cela dit, peu m'importait, au moins je n'aurais pas à esquiver les gens que je ne voulais pas voir.
Je filai dans les couloirs, et atteignis finalement ma salle, qui nous avait été communiquée par courrier à l'avance. Moins de dix minutes de retard, ça aurait pû être pire. Je pris une grande inspiration, et frappai à la porte, avant d'entrer. Toute l'attention se tourna vers moi, y compris celle du professeur, M. Horace.
« Excusez-moi pour le retard... » Lançai-je à l'intention de celui-ci, avant de regagner ma place habituelle en vitesse, au fond de la classe. J'avais passé mon année de première à cette place, et il n'y avait pas de raison que ça change lors cette année de terminale qui venait à peine de débuter.
Heureusement, le cours n'avait pas encore commencé, et les autres élèves discutaient joyeusement, visiblement heureux de se retrouver.
Mais alors que je commençais à sortir mes affaires, je remarquai qu'une personne se tenait debout sur l'estrade, à côte du professeur ; une jeune fille plutôt atypique, qui attira ma curiosité.
M. Horace demanda le silence, et lorsque tout fut enfin calme, il fit signe à cette mystérieuse fille de s'avancer, afin de se présenter.
« Salut, moi c'est Fey. » Lâcha-t-elle simplement, puis elle descendit de l'estrade le plus naturellement du monde, et alla finalement s'intaller au fond de la salle, à l'exact opposé de moi. Des chuchotements s'élevèrent dans la classe ; certains semblaient déjà la connaître.
Le professeur fit taire les bruits de fond, avant d'enchaîner, un peu déconcerté par la présentation plus que rapide de la dénommée Fey.
« Bon, voilà, donc Fey sera avec nous pour le reste de l'année, accueillez-la comme il se doit ! Maintenant, sortez vos cahiers... »
J'avais eu le temps l'observer un peu, et son allure était vraiment étrange. Elle avait les cheveux mauves, voire roses par endroits, ou encore presque bleus à d'autres, et ils n'étaient pas de la même longueur des deux côtés : l'un plutôt court, à peine sous les oreilles, l'autre assez long, presque au carré, le tout un peu en bataille et légèrement ondulés ; ses yeux étaient maquillés de noir, et ses lèvres également. Quant à ses vêtements, ils étaient tout aussi surprenants : une parka militaire trop grande pour elle, un jean "boyfriend" déchiré et des grosses Vans d'époque — le tout bien avant que cela ne revienne à la mode.
Qui pouvait bien être cette fille ? Elle avait définitivement piqué ma curiosité. Visiblement, même si des gens de ma classe la connaissaient, elle n'avait pas l'air d'avoir d'ami ici, puisqu'elle s'était installée à l'écart, et n'avait parlé à personne directement.
Je passai le reste de l'heure à l'observer, sans vraiment m'en rendre compte.
Les cours ne semblaient pas l'intéresser ; elle pianotait sur son téléphone, sous la table, relevant la tête de temps en temps pour voir si le professeur ne la regardait pas.
Lorsque la sonnerie retentit, elle prit son temps pour ranger ses affaires, laissant la classe se vider petit à petit. C'était assez gênant pour moi, d'ordinaire j'étais le dernier à sortir, mais là, sa présence était comme une intrusion dans mes petites habitudes, et dire qu'à cette époque j'étais timide ne serait qu'un euphémisme.
Elle quitta finalement la pièce, pour aller se ranger devant la salle suivante avec le reste de la classe. Je suivis d'assez loin, mais ils n'étaient pas encore entrés, et je me retrouvai presque à côté d'elle, étrangement intimidé.
Soudain, elle se tourna vers moi, et fit un pas dans ma direction. Elle resta silencieuse un instant, à m'observer. Un détail me frappa : ses deux yeux n'étaient pas de la même couleur, l'un vert, l'autre bleu ; asymétriques, à l'image du reste de sa personne.
— Pourquoi tu me regardais tout-à-l'heure ? T'es bizarre toi, à fixer les gens comme ça... Demanda-t-elle soudain.
Mon visage vira au rouge, puis au blanc.
— Euh, nan, je...
— T'as passé l'heure à me fixer, mec... C'est creepy... Lâcha-t-elle, l'air perplexe.
— Je... Je... J'aime bien tes cheveux... Je... Désolé, je ne voulais pas te... Balbutiai-je, tentant de me rattraper.
— Ok... Cool... Merci, je suppose...
C'est à ce moment-là que Jimmy Cook — sans doute la personne que je haïssais le plus à cette époque — décida d'intervenir pour faire le malin, comme toujours, et pour essayer de me ridiculiser encore une fois.
— Hey Jones, c'est pas la peine de la draguer, elle est bien trop cool pour toi, loser ! Lança le garçon en ricanant, avant de retourner se mêler à son groupe d'amis.
— Quel gros con... Désolé... Lançais-je à l'intention de la jeune fille, toujours cramoisi et encore plus mal à l'aise.
— Hmm... Alors ne t'excuse pas, si c'est lui le con... Lâcha-t-elle en haussant les épaules, avant de suivre le mouvement des autres élèves qui rentraient dans la salle.
Je n'ajoutai rien et entrai à mon tour, avant de gagner ma place.
Une fois de plus, ma place se trouvait au fond de la classe, et la dénommée Fey s'était installée à la table opposée.
Je me surpris à l'observer encore une fois, et je dus me faire violence pour détourner mon attention sur autre chose et ne pas me faire remarquer davantage. Je ne pensais pas qu'elle m'avait remarqué l'heure précédente, mais le plus perturbant restait le fait qu'elle soit venue me faire la remarque.
À sa place je me serais tu, essayant simplement d'éviter le regard inquisiteur de la personne, bien trop gêné ou timide pour affronter ce regard lointain en face ; mais elle, elle n'avait pas semblé hésiter une seconde, plantant son regard directement dans le mien avec un tel aplomb...
Je n'étais guère plus imposant mais toujours un peu plus grand qu'elle, mais c'était elle qui m'avait déstabilisé. Cela dit, ce n'était pas bien difficile... J'étais faible, et elle semblait si forte...
La sonnerie me tira soudain de ma rêverie, indiquant l'heure de la pause.
Comme une heure plus tôt, elle laissa les autres sortir, et je la laissai moi-même sortir, avant de quitter la salle. Je la vis de loin, se dirigeant vers la sortie ; quant à moi je pris le premier couloir sur ma droite et m'engouffrai dans les toilettes. Au moins, là, j'évitais les ennuis.
La seconde sonnerie retentit finalement, je me rendis donc à mon dernier cours de la matinée. Les autres attendaient devant la salle ; je restai en retrait jusqu'à ce qu'ils rentrent, et entrai à mon tour.
Je tentai de me concentrer sur le cours cette fois-ci, d'ordinaire bon élève. Je devais bien avouer que j'avais quelques facilités concernant les cours, mais ça ne devait pas être une raison pour me laisser aller ; à force de penser à cette fille, je commençais presque à trouver ça creepy, moi aussi...
Je devais juste agir normalement, aller lui parler, faire connaissance, comme les gens normaux. Mais là était tout le problème, à la limite de la timidité maladive, je n'osais qu'à peine parler à mes camarades masculins, alors parler à une fille qui m'intriguait, je ne m'en sentais absolument pas capable.
Je pris mon repas seul, comme habituellement, et tentai d'occuper mes pensées le reste de la journée.
« C'est juste une fille excentrique qui cherche à attirer l'attention... » Tentai-je de me persuader, ne voulant pas que ça tourne à l'obsession malsaine. Je ne comprenais pas vraiment cet intérêt démesuré pour la jeune fille, d'ordinaire j'étais plutôt effrayé par les gens, pas obnubilé.
Je réussis à peu près à m'intéresser à mes cours de l'après-midi, passant à nouveau la pause dans les toilettes, comme la plupart du temps. Finalement, lorsque la dernière sortie retentit, je me hâtai de sortir du lycée ; étant arrivé à l'internat la veille au soir, j'avais déjà eu l'occasion de monter ma valise et d'installer mes affaires dans ma chambre.
La vie en internat n'était pas simple, d'autant plus avec mon caractère. Mes parents pensaient que ça pourrait régler le problème, mais les deux années précédentes n'avaient pas changé grand-chose, alors je m'étais simplement habitué du mieux que je pouvais. Heureusement, la plupart des chambres étaient individuelles, dont la mienne.
Je me laissai finalement tomber sur mon lit à peine la porte refermée, la dénommée Fey étant revenue occuper mes pensées. En arrivant à l'internat, j'avais constaté qu'elle était en train de fumer devant le portail de celui-ci, sa valise à la main ; ça ne m'avait bien entendu pas aidé à penser à autre chose.
Après un moment de réflexion, je décidai de m'informer un peu à son propos, puisque visiblement certaines personnes semblaient la connaître, ne serait-ce que pour savoir pourquoi certains la connaissaient déjà. N'ayant pas d'amis à qui poser la question, j'optai d'abord pour le surveillant d'étage, il était sympathique et me connaissait un peu à force, lui saurait sans doute quelque chose.
— Fey ? Je ne la connais pas trop, on nous a seulement dit d'être prudents avec elle, et de ne pas chercher la confrontation... Répondit le jeune homme lorsque je lui posai la question.
Sa réponse me laissa un peu perplexe.
— Je vois... Dis-je simplement.
— Mais je crois que Myra la connaît un peu, elle était surveillante dans l'un des établissements qu'a fréquenté Fey, ou quelque chose comme ça... Elle saura mieux te répondre que moi, je pense !
Myra était une autre surveillante de notre lycée, elle serait sans doute présente à l'heure du repas, je tenterai de lui parler à ce moment-là.
— Merci ! Lançai-je, avant de retourner dans ma chambre en vitesse.
Bon, si discuter avec mon surveillant d'étage était devenu une formalité en l'espace de deux ans, parler à Myra allait être une toute autre paire de manches. Certes elle faisait également partie de l'équipe de surveillants, mais je n'aurai pas la même aisance à parler avec elle, pour tout un tas de raisons. Il me faudra attirer son attention et lui parler seul à seul, ce sera déjà bien moins gênant pour moi.
Après avoir pris une douche, je dus enfin descendre manger, constatant que Myra était effectivement là, surveillant la bonne distribution des plateaux aux jeunes qui s'entassaient en une file désordonnée. Je laissai passer quelques personnes devant moi afin de passer parmi les derniers. J'arrivai enfin devant la jeune femme ; prenant mon courage à deux mains, je lui demandai s'il serait possible de lui parler après le repas.
Je me doutais de la réponse, sachant que le fait d'écouter les élèves faisait partie intégrante de leur métier, mais j'attendis tout de même sa réponse, mal à l'aise.
— Sans problème, attends-moi dehors quand tu as terminé de manger.
Je filai m'asseoir à une table libre, et mangeai rapidement le contenu de mon assiette, un peu plus serein déjà. Je ne savais pas trop ce que j'allais demander à Myra, je ne voulais pas faire mauvaise impression, mais il était un peu trop tard pour reculer à présent.
Je déposai mon plateau et quittai le réfectoire, pour attendre la jeune femme à l'extérieur comme elle me l'avait demandé. À en juger par le peu de temps que je dus attendre, j'en déduisis que c'était elle qui surveillait la pause cigarette, ce qui avait du sens étant donné qu'elle était elle-même fumeuse. Mais alors qu'elle commençait à se diriger vers l'espace prévu à cet effet pour rejoindre un autre surveillant, je vis que Fey était déjà là-bas, et je n'eus pas envie d'avancer davantage.
— Ça ne prendra pas longtemps, je voulais juste te poser une question avant de remonter dans ma chambre... Lâchai-je alors, pour lui faire comprendre que je ne voulais pas aller plus loin.
Elle s'arrêta, et fit un petit signe de tête.
— Dis-moi tout, tu as des problèmes ?
— Je voulais... Euh... On m'a dit que tu connaissais Fey, la fille qui... Balbutiai-je, sans trop trouver mes mots.
— Fey ? Oui, c'est un sacré phénomène, cette fille ! Pourquoi ?
Sa question me prit un peu au dépourvu, je dus improviser une réponse rapidement.
— C'est pas facile d'arriver dans un nouveau lycée... J'espère qu'elle va bien... Elle était assise seule en classe...
— Oh tu ne devrais pas t'en faire pour elle, elle n'en est pas à son premier établissement ! S'exclama la surveillante, amusée.
— D'accord...
— Et ce n'est pas étonnant de la voir s'asseoir seule, elle est un peu... sauvage. Mais si tu veux, je lui parlerai de toi...
— Non ! Surtout pas ! Enfin... Je...
Elle se mit à rire, sans doute à cause de la couleur cramoisie de mon visage.
— Comme tu veux... Enfin, je dois y aller, reviens me voir plus tard si besoin ! Déclara-t-elle finalement.
Je me contentai de hocher la tête en guise d'acquiescement, avant de la regarder s'éloigner vers l'espace fumeur. Fey était toujours là-bas, assise contre le bâtiment. Mon cœur fit un petit bond lorsque je vis Myra s'approcher de la jeune fille et commencer à lui parler. De là où j'étais, je ne pouvais bien entendu pas entendre la discussion ; je fis volte-face rapidement et courus presque jusqu'à ma chambre.
Je regrettai déjà de lui avoir parlé. Elle n'allait peut-être pas le lui dire, après tout elle connaissait Fey, elle pouvait simplement discuter amicalement. Tout comme elle pouvait très bien lui parler de ce garçon étrange qui posait des questions à son sujet...
Pendant l'heure d'étude obligatoire, je pris sur moi pour me concentrer et faire mes devoirs pour le lendemain. Je me plongeai ensuite dans la suite du roman que j'avais commencé à lire peu de temps auparavant, en attendant d'aller dormir. De toute manière, je ne pouvais rien faire de plus pour le moment. Puis je n'étais pas certain que la situation puisse être pire qu'à ce moment-là...
Je m'endormis peu de temps après, sans trop m'en rendre compte.
Mon réveil sonna à 6h30, mais il me fallut un peu de temps pour sortir de la torpeur nocturne. Une fois prêt, je descendis prendre mon petit déjeuner, parmi les derniers élèves comme toujours.
Je ne vis Fey qu'une fois arrivé devant le lycée, à nouveau en train de fumer devant le portail. J'évitai le contact visuel et filai en direction des casiers, dans l'un des couloirs du bâtiment principal. Je pris un moment pour ranger quelques affaires dans mon casier, puis refermai la porte tranquillement.
Je pensais être seul dans ce couloir, mais entre temps, Jimmy et deux de ses amis étaient arrivés, et il sembla sourire en m'apercevant.
« Et merde ! » Soufflai-je, pour moi-même.
Le garçon s'approcha alors de moi et attrapa le col de ma veste, menaçant. Il me poussa contre les casiers, de sorte à ce que je ne bouge pas trop. Mais j'avais l'habitude, et j'avais trop peur pour me défendre. Avec mon corps de lâche, je ne pouvais rien faire face à ces trois brutes. Alors je restai silencieux, sachant que je serais tranquille plus rapidement si je ne m'opposais pas à eux.
— Salut, Jones ! Ta petite gueule de con m'avait presque manqué ! Je n'avais personne sur qui me défouler pendant les vacances... Lâcha finalement Jimmy, avec un petit sourire narquois.
— Qu'est-ce que tu veux ? Demandai-je simplement, pour en finir.
— Et bien, tu vois, j'ai pas encore pu acheter mes clopes... Alors tu va me filer les thunes que t'as sur toi, comme ça moi, je garde mon fric !
— Je n'ai rien... Mentis-je, bien que peu convainquant.
En tirant un coup sur mon col, il cogna ma tête dans les casiers avec force, produisant un bruit métallique qui résonna dans le couloir vide.
— Alors je vais me servir... Lâcha mon agresseur, ce qui amusa ses deux compagnons.
Il se mit à fouiller dans mes poches de sa main libre pendant un instant. Je fermai les yeux, sachant qui allait être énervé de ne rien trouver. Tout était dans mon casier, hors de sa portée, mais mon visage n'était pas hors d'atteinte, lui...
— Où est-ce que tu caches ton fric ? S'exclama alors le garçon en haussant le ton. Il leva le poing, prêt à me mettre un coup, et j'étais bien incapable de bouger.
Finalement, les choses n'avaient pas bien changé depuis le collège...
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