Tout lâcher
Je titube dans une ruelle sombre, uniquement éclairée par la lumière jaunâtre d'un lampadaire probablement plus âgé que moi. Le froid m'enserre plus fort que jamais entre ses griffes, mais mon intérieur est encore plus glacial que le vent qui souffle de toutes ses forces pour tenter de me faire faire demi tour. Il lacère mes joues de toutes ses forces et, m'oblige à fermer partiellement mes yeux. Ce n'est pas une grande perte... comme si le triste tableau de cette petite rue parisienne aussi vide et morne que mon existence pouvait manquer à ma vue. Les sacs poubelles s'y entassent devant quelques portes closes, des bruits de cris ou de télé résonnent entre les murs des maisons. La chaussée est large, et pourtant je me sens serrée dans cette ruelle, comme si elle se refermait sur moi pour m'empêcher d'avancer. J'accélère le rythme de mes pas... il me reste peu de temps.
Noël approche, mais à vrai dire, cela m'importe peu. Le sentiment de vide qui m'habite n'en est que plus fort, car de ma mémoire resurgissent des souvenirs qui auraient mieux fait d'y rester. Je n'ai aucun désir de fêter Noël, et ça n'a rien de nouveau. Je refuse d'entendre les railleries de ma mère, ou les conneries racistes de mon oncle... je n'ai pas envie de subir les blagues de Clément, ou de passer un réveillon silencieux avec une Noémie dont les yeux jamais ne se relève de son sacro-saint écran de téléphone, internet étant l'unique air qu'elle puisse respirer. Non. Les seules personnes que j'aimerai voir pour cette fête sont absents, inaccessibles, disparus... comment faire alors pour profiter de ce moment de bonheur?
Je souris malgré moi lorsque le mot « bonheur » traverse mon esprit. Un sourire bien ironique au vu des dernière 24h que je viens de passer. Sur ma gauche, les maisons laissent place à un muret haut d'un peu plus de 2 mètres que je connais bien, et dont la proximité est presque rassurante. J'arrive à la grille: elle est ouverte malgré l'heure tardive. Comme souvent en cette période, me fais-je la remarque. Sans une hésitation, je franchis les deux marches marquant l'entrée du cimetière, et avance dans la pénombre, entre les pierres dressées représentant autant d'âmes parties depuis longtemps déjà vers des horizons inconnus. La tombe devant laquelle je m'arrête est petite et discrète, et l'écriture gravée à jamais dans la pierre bas de gamme est illisible dans l'obscurité. Mais pas besoin de lire, je sais ce qu'il est écrit. Je m'assois en tailleur sur le chemin caillouteux, et la froideur du sol me gèle immédiatement l'arrière train.
-Salut Papa. Fais-je.
Seul le silence me répond, mais ce silence réussit à me calmer quelque peu. Étrangement, malgré le tournant chaotique que prend ma vie depuis moins de 24h, je me sens enfin apaisée, après des semaines de vide, d'ennui et de douleur.
-Je ne sais pas trop par où commencer... ah, oui. Je suis désolée de pas être venue plus souvent. Pour me faire pardonner, je t'ai amené des chocolats, mais puisque tu ne peux pas les manger... je vais le faire.
Je sors de mon sac le petit paquet de papillotes bas de gamme et en enfourne une dans ma bouche sans plus de réflexion.
-J'ai... craqué, Papa. J'ai fait une bêtise. Une grosse. J'ai... démissionné de mon boulot tout à l'heure, en faisant un bazar pas possible. Je sais pas ce qu'il m'a pris, je... en fait si, c'était sur un coup de tête lorsque ma patronne m'a dit de refaire le dossier que je venais de lui apporter. Tu te rend compte?? Cette connasse m'use jusqu'à l'os pour me traiter comme la dernière des chiennes, alors qu'elle ne fout jamais rien? C'est trop fort!
Je souris pour moi même en m'entendant parler.
-Il faut dire que déjà hier soir, mon manuscrit a encore été refusé. J'ai... pleuré quand j'ai lu le mail. Ça faisait longtemps que je n'avais plus pleuré. Je crois que ça m'a fait du bien. J'ai pu... réfléchir à beaucoup de choses, me sortir de cette torpeur qui m'étouffe depuis trop longtemps. Sans ça, je crois que j'aurai encore encaissé sans rien dire ce matin, avec cette histoire de dossier... tu aurais dû voir la tête de ma patronne!
Je ris franchement, et cela semble me libérer un peu plus de tout le poids qui pesait sur mes épaules.
-Elle pensait m'avoir brisée, puisque je ne répondais plus à toutes ses conneries ces derniers temps. J'en avais plus la force... et elle en a bien profité, cette salope. Eh bien son foutu dossier, elle peut se le foutre au cul!
Je prends une grande bouffée d'air frai, revigorée par le simple souvenir de cette poussée d'adrénaline lorsque je me suis emportée ce matin. Mais, très rapidement, je déchois.
-Qu'est ce que je vais faire, maintenant... fais-je dans un soupir. C'est bien beau de vouloir se rebeller, mais désormais, j'ai plus un rond en poche. Il me faut payer le loyer, mais je n'aurais pas assez avant le mois prochain, en supposant encore que je retrouve un travail d'ici là... oh, je sais ce que tu me dirais... que je devrais un peu ravaler ma fierté et aller demander de l'aide à Maman.
Mon regard se durcit.
-Jamais je ne m'abaisserai à ça. Pas tant que je ne lui aurai pas prouvé qu'elle a tort. Tu as toujours était trop doux, vis à vis d'elle, tu la laissais faire. Je ne ferais pas cette erreur. Je me suis toujours demandé pourquoi tu restais avec elle envers et contre tour, pourquoi tu t'accrochais à une femme comme elle. Je t'en ai beaucoup voulu, avant. Mais, maintenant... je crois que je comprends.
Je sors avec douceur de ma poche une carte magnétique. Celle de l'hôtel dans lequel Emilie avait l'habitude de descendre, et où sa chambre lui était réservée. J'y suis déjà retournée plusieurs fois, dans l'espoir de l'y retrouver, mais sa chambre avait été faite, et il ne restait plus rien qui puisse laisser à penser qu'elle y avait un jour séjourné - presque comme si elle n'avait jamais existé. Je n'ai pas pu me résoudre à rendre la carte pour autant.
-Je crois que je comprends comment on peut aimer quelqu'un qui, pourtant, ne fait que de nous faire souffrir... je crois qu'on se ressemble beaucoup, Papa. Je me demande... ce que tu ferais à ma place. J'aimerai vraiment que tu sois encore là... tu me manques... terriblement.
Je reste longtemps figée face à la pierre aussi froide que silencieuse, attendant une réponse qui ne viendra probablement jamais. Je me contente d'essuyer les quelques larmes qui roulent sur mes joues de temps à autre, et de renifler bruyamment. Je pleure beaucoup, en ce moment... mais c'est mille fois préférable à l'horrible sensation de vide que j'ai enfin réussi à effacer. Une idée folle fait peu à peu son chemin dans mon esprit. Puisque plus rien ne me retient encore ici, alors pourquoi ne pas partir? Tenter de tout recommencer ailleurs, dans un endroit moins marqué de souvenirs blessants, un endroit moins morne et dans lequel j'aurai peut être un unique espoir de le revoir... un espoir mince et stupide, je le sais, mais après tout, je n'ai plus grand chose à perdre.
Je soupire après avoir réfléchis pendant de longues minutes dans un silence total.
-Laisse moi corriger, Papa. J'ai dit que je ne ferais pas les mêmes erreurs que toi. Mais je crois que je m'apprête à faire bien pire...
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