Retrouvailles festives
-Solène?
Nos regards restent fixés pendant un instant qui me semble interminable. Son visage semble toujours aussi souriant et heureux qu'auparavant, ses fossettes marquant chaque coin de sa bouche bien qu'elle ne sourie pas. Cependant il y a quelque chose de changé de son apparence, un détail majeur qui a probablement joué dans le fait que je ne la reconnaisse pas: ses cheveux. Anciennement coupés au niveau des épaules et teints en une couleur rouge pâle, ils sont désormais si courts qu'on pourrait croire à l'une de ces coupes militaires masculines, coupe qui a eu pour effet de faire disparaître toute trace de coloration. La simple vue de ce changement majeur d'apparence me serre le coeur, et je ne peux m'empêcher de voir mes pensées se tourner vers Emilie... Solène est amoureuse d'elle, elle ne me l'a jamais caché, et je connais bien le dicton à propos des liens entre histoire d'amour et coupe de cheveux. Qu'a-t-il donc pu se passer ici au juste?
Nous regards finissent tout de même par se séparer, et le silence se prolonge quelque peu alors que chacune de nous cherche un moyen de continuer la conversation.
-Je... savais pas que tu étais sur Strasbourg maintenant... fait-elle avec son habituel air enjoué, dans lequel le malaise n'a tout de même pas totalement disparu.
-Oui, je suis arrivée récemment. Fais-je, passant sous silence le fait que cela ne fait que quelques jours. Je voulais un grand changement d'air.
-Un changement d'air, hein... fait-elle avec un regard presque attendri, comme celui d'une mère qui constaterait les tentatives maladroites de son enfant.
Et ce regard m'infantilise réellement, comme il le faisait quand nous avions encore l'habitude de nous voir presque tous les week end. Une bouffée de chaleur remonte dans mon torse alors que de nombreux souvenirs plus ou moins avouables me reviennent en tête. Je secoue légèrement la tête et surveille du coin de l'oeil que Manon n'arrive pas à la charge.
-J'imaginais pas que tu irai jusqu'à venir ici... soupire finalement Solène. La plupart des filles savent quand abandonner...
La chaleur se transforme instantanément en glace.
-Qui te dis que je suis venue à Strasbourg pour vous deux? Vous avez cessé de donner des nouvelles du jour au lendemain, vous auriez été mortes que ça aurait été pareil. Lui dis-je avec humeur.
Solène baisse le regard, apparemment gênée.
-J'en suis la première navrée, crois moi... tout s'est passé si vite, et je ne savais pas tellement comment réagir. J'imagine que j'espérai que... tu passerai à autre chose.
Le ton de sa voix me fait cependant comprendre une chose. Ce n'est pas de la gêne qui transparait actuellement. C'est de la tristesse. Un tristesse profonde, noire et implacable, qui parvient même à faire disparaître l'étincelle si caractéristique de l'image de Solène. Mon coeur remonte jusque dans ma gorge tant j'ai peur de la raison sous jacente à cette émotion chez mon interlocutrice, et, une nouvelle fois, la couardise reprend le dessus. La peur de devoir lui refaire face, de savoir ce qui lui est arrivé, car c'est également le risque de l'entendre dire d'elle même qu'elle ne veut plus jamais me voir.
-J-J'adorerai en discuter plus longuement, mais ma patronne va me trucider si je ne vais pas l'aider tout de suite.
Solène ouvre la bouche pour s'apprêter à répondre, mais semble renoncer au dernier instant et se relève.
-Je... comprends. Tu n'as pas forcément envie d'avoir affaire à nous à nouveau.
-Non, non, c'est juste que... que...
Le fait est que je ne sais pas vraiment pourquoi j'ai si peur d'aller de l'avant... peut être que j'ai trop pris l'habitude de me laisser porter par les évènements. Une nouvelle fois, je prends conscience que décider de refaire sa vie ne signifie pas pour autant faire une croix sur tout nos propre défauts.
-Kata, je t'attends! Lance Manon depuis la grande salle.
C'est avec un regard gêné et dans un silence pesant que je me lève et que je passe devant Solène, mon regard fuyant soigneusement le sien.
La soirée semble passer avec une le lenteur infinie. J'ai l'impression chaque seconde dure une minute, chaque minute une heure, chaque heure un jour. Je sers les boissons, encaisse les paiements, tente de traverser la foule pour apporter ou récupérer quelques verres, mais où que j'aille, j'ai l'impression de sentir le regard de Solène peser sur moi, et cela ne fait que renforcer le sentiment de malaise et de culpabilité qui bouillonne au creux de ma poitrine.
« Arrête de me fixer comme ça... dis-je en mon for intérieur. Je ne sais pas plus que toi pourquoi j'ai si peur d'aller de l'avant »
Elle est assise au fond de la salle au milieu d'un groupe d'étudiants portant tous les même pull bleu qu'elle, et que Manon m'a présentés comme les organisateurs de la soirée - le BDE, évidemment, Solène en fait partie si mes souvenirs sont corrects. Adossée au mur, elle peut à loisir suivre le moindre de mes mouvements, et je sens qu'elle le fait sans la voir. Pour autant, chaque fois que je me tourne dans sa direction, elle semble plongée dans une discussion à sa table et ne pas me prêter la moindre attention.
-Je suis parano... fais-je entre mes dents.
-À propos de cette fille à qui tu parlais dans le couloir? Chuchote une voix à mon oreille.
-WAH! Ne me fais pas peur comme ça alors que je tiens un verre! Fais-je à Manon avec un regard noir, qu'elle ignore royalement avec son habituel air détaché.
-Si tu te pose la question, elle te fixe bien depuis tout à l'heure. C'est comme si elle hésitait à venir te parler, mais n'arrivait pas à se décider... une prétendante?
-Quoi? Non! C'est... juste une connaissance.
-Avec qui tu discute à l'arrière pendant ta pause, oui...
Je tente de me justifier, mais avec Manon, c'est bien inutile. Elle s'est mise une idée en tête, difficile de lui ôter.
-Peu importe! Finis-je par dire. Si elle ne compte pas venir me voir, tant pis.
-Comme tu le sens. Me répond la patronne en haussant les épaules. J'espère simplement que tu ne le regretteras pas...
Son sourire énigmatique m'envoie dans une énième spirale de doute. Je suis venue jusqu'à Strasbourg pour reprendre ma vie à zéro, pas seulement pour la revoir! Du moins... c'est ce dont j'essaie de me convaincre, mais cette fausse vérité que je tente de m'imposer s'erode au fil du fleuve de mes pensées. En réalité, ne suis je pas venue dans cette ville justement pour la poursuivre? N'ai je pas ressenti tant de libération en laissant tout derrière moi justement car je caressais l'espoir de la serrer à nouveau dans mes bras, et de combler le creux qu'avait laissé son absence dans ma vie? Suis-je couarde au point de laisser passer la seule occasion que j'aurai peut être de la revoir par peur?
-Manon... comment vous avez fini ensemble, Eva et toi? Fais-je soudain, tout en servant une bière à un assoiffé accoudé au bar.
-Mmm... elle m'a poursuivi pendant presque un an, à me réitérer son amour à chaque fois que je la voyais. Elle était... franchement pénible.
-V-Vraiment? Eva??
-Difficile à imaginer, pas vrai?
-Oui, c'est... le moins qu'on puisse dire. Tu n'étais pas intéressée?
-J'avais décidé de ne pas sortir avec quelqu'un avant... d'avoir accompli quelque chose. Je pensais qu'elle me quitterait rapidement en en apprenant plus sur moi, alors un jour je l'ai confrontée.
-Et?
-Et au lieu de fuir face à mes révélations, elle m'a juste dit qu'elle s'en fichait. Qu'elle m'aimait de toute façon. Quand on se sent seul et si différend des autres... il suffit parfois juste de ça pour aller mieux.
L'image du dos scarifié d'Emilie m'apparait clair comme le soleil au milieu d'un ciel d'été, et je tourne le regard vers Solène. Cette fois ci, elle est bien en train de me fixer et maintient mon regard pendant un long moment. J'ai le sentiment que ce regard est lourd de sous entendu et de compréhension mutuelle. J'ai fait mon choix, elle a fait le sien: nous le savons toutes les deux désormais.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro