Porte Entrouverte
-Un cadeau?
Manon m'observe avec un regard franchement surpris, toute en faisant tournoyer une sucette dans sa bouche avec des bruits de succion parfaitement désagréables. La grande salle de l'Académie est vide, se préparant à l'arrivée massive des fêtards en fin de soirée. En attendant, les doux rayons du soleil matinal transpercent les grandes fenêtres de la vitrine, se réfléchissant sur la couche de neige encore épaisse qui recouvre la petite place. Une délicieuse odeur de viande baigne l'atmosphère, et l'on devine qu'Eva met tout en oeuvre pour le repas d'aujourd'hui, le premier où sera proposée la carte « spéciale Noël ». C'est dans cette optique que j'ai été engagée pour refaire toute la décoration de la salle malgré l'heure matinale, sous le regard paresseux de Manon qui, bien évidemment, ne fit absolument rien pour m'aider.
-Oui, un cadeau. Fais-je en accrochant une énième guirlande sur le bar. Et j'aimerai aussi l'inviter quelque part pour Noël. La faire sortir un peu, en quelque sorte.
-Et en profiter pour avoir un date. Pas con, Kata. Mais un peu visible.
-Ça n'a rien d'un date! Fais-je en haussant la voix. Rha, es-tu obligée de toujours tout ramener à ça?
-C'est assez amusant, je dois l'avouer. Répond-t-elle avec un sourire espiègle. Mais si elle n'a pas envie de voir des gens, je ne pense pas qu'il faille l'y forcer, tu sais? D'autant que ce soir là, on aura bien besoin de ton aide...
-Quoi? Mais...
-Un job est un job, Kata, et on ouvre le 24 au soir pour le repas de Noël. On ferme plus tôt que d'habitude, certes. Mais ça te fais quand même jusqu'à 23h.
-C'est pas vrai...
-Tu pourrais, bien évidemment, choisir de ne pas travailler ce jour là! Mais au vu des pertes engrangées, si l'on prend en compte ton salaire auquel je déduis déjà le prix de ton logement, de l'eau, de l'electricité, alors ça nous fera...
-Je peux savoir ce que tu manigances encore? Claque la voix d'Eva, faisant sursauter Manon.
-Ooh, rien, haha... tu ne prépare pas la dinde, ma chouquette?
-J'ai une alarme qui sonne dès que je sens que tu t'apprêtes à faire un mauvais coup. Et ne t'avise pas de me rappeler « chouquette ». Kata?
-Je... voulais sortir manger avec Emilie le 24 au soir, mais apparemment... vous avez besoin d'aide, ce soir là.
-Ah... c'est vrai que c'est un soir un peu chargé, mais rien d'insurmontable, je pense.
-Quoi? S'exclame théâtralement Manon. Rappelles toi il y a deux ans, Eva... rappelle toi cette terrible soirée venteuse, où la neige s'infiltrait par les carreaux cassés, et...
-Oui, oui, je m'en souviens, pas besoin de romancer la chose.
-Que c'est-il passé? Fais-je.
-Une conspiration divine à décidé de s'abattre sur nous, quand...
-Ça a été un fiasco. Coupe Eva. Trop de monde pour juste nous deux, et les plats de Noël doivent être préparés à l'avance. On en avait... juste pas assez fait. Quand à 20h30 il n'y avait déjà plus de dinde, je n'avais pas le temps d'en refaire cuir. On avait plus de foie gras à mettre sur le pin d'épice, ni de confiture de Noël. Et c'est sans parler de la buche...
-Et l'an dernier? Dis-je alors, supposant que cela avait du mieux se passer.
-On a fermé ce jour là. Dit Manon en haussant les épaules. Je voulais plus revoir Eva dans l'état de l'année précédente. Mais elle insiste cette année...
-Je me suis beaucoup mieux préparée! Tranche Eva. Et je compte prendre la main les jours précédents Noël.
-Ça ne laisse qu'aujourd'hui et demain. Fais-je remarquer. Le 24 est mardi.
-Je sais. Et ce sera suffisant.
Elle dégouline de confiance en elle, et de fierté. Un simple regard vers Manon m'indique que la patronne est un peu moins optimiste que sa compagne, bien que ses yeux dégoulinent eux aussi, mais d'amour suave en fixant les fesses de la cuisinière retournant à ses fourneaux.
-Elle est tellement mignonne quand elle se fixe des défis, comme ça. Mais elle a toujours les yeux plus gros que le ventre. Déclare Manon avec un air amusé.
-Et... ça ne risque pas de finir en fiasco à nouveau?
-Si. Mais si elle a décidé quelque chose, impossible de l'en dévier. C'est pour ça que... enfin bon, j'avais espéré compter sur ton aide.
-En me menaçant de diminuer mon salaire.
-Oui. Bon. Certes. J'ai simplement pensé à un moyen qui me ferait douter. Mais Eva fera passer ton désir avant la réussite de son projet, parce qu'elle est persuadée qu'elle peut y arriver seule. Moi, je fais passer son bien être avant le tiens, désolée si ça peut te sembler dur.
-Je pense que je comprends. Fais-je simplement, en parvenant enfin à attacher la guirlande. Je vais y réfléchir. Il y a peut être un moyen de satisfaire tour le monde?
-Qui sait... répond vaguement Manon en craquant sa sucette dans sa bouche.
***
Il est très tard lorsque je pousse la porte du petit appartement d'Emilie. Je m'attendais à le trouver plongé dans la pénombre, avec ma belle déjà endormie, mais j'ai vu les lumières des fenêtres éclairées depuis la rue - je ne suis donc pas étonnée de la trouver, vêtue d'un short très court et d'un débardeur lâche, pensive, assise sur son lit devant la fenêtre ouverte.
-Tu ne dors pas? Dis-je en hésitant un instant.
Il gèle dans la petite pièce. La fenêtre doit être ouverte depuis longtemps...
-Je me demandais si tu allais venir ce soir. Répond-t-elle simplement, sans détourner son visage de la fenêtre.
Mon coeur se serre en comprenant ce qu'elle passe sous silence - la peur d'aller au lit seule.
-Bien sûr que je viens! Dis-je en commençant à enlever mes chaussures. Je t'ai dit que je t'aiderai, et je compte le faire. Et cela commence par te couvrir! Il gèle ici, tu vas attraper froid!
J'attrape le plaid étalé négligemment sur le clavier du piano électrique pour le jeter sur ses épaules. Elle en saisit les bords et enroule la couverture autour d'elle, mais ne ferme pas la fenêtre pour autant, les yeux perdus dans le lointain.
-Tu regardes quoi? Les étoiles?
-On ne les voit pas d'ici. Fait-elle remarquer. La maison d'en face cache le ciel.
Je m'approche et monte sur le lit à ses côtés pour le confirmer... mais surtout pour être proche d'elle. Son corps à l'air brûlant, je sens sa chaleur toute proche malgré la fenêtre grande ouverte sur le froid de l'hiver.
-Je regardes la neige. Finit-elle cependant par dire.
En effet, dans la petite cour séparant l'arrière de sa maison et la suivante, personne n'est venu déneiger. Une épaisse couche de neige blanche et immaculée brille sous la lumière du lampadaire. C'est un spectacle féérique, magique, car le moindre mouvement fait varier les couleurs des dizaines de cristaux glacés, offrant une mosaïque de variations à notre vue.
-Wah... c'est beau. Dis-je. C'est magnifique.
Elle ne répond pas, mais je vois du coin de l'oeil un léger sourire amusé se poser délicatement sur des lèvres sucrées. Nous restons là, immobiles, à regarder le spectacle de lumières offert à nous yeux par la neige encore fraiche.
-Tu sens le chocolat. Finit par dire Emilie, rompant le silence.
-Ah... oui. Eva n'avait pas préparé assez de dessert, alors Manon a eut l'idée de mettre une fontaine à chocolat sur le bar. J'ai été chargée de m'en occuper quand elle s'en est lassée - au bout de dix minutes.
Emilie pouffe légèrement. Elle a l'air plus joyeuse et plus apaisée, ce soir. Elle resplendit, elle brille plus que le tous les diamants aqueux en contrebas. Une envie folle de la serrer contre moi s'empare de moi, mais je la repousse avec violence. Je sais que je ne peux pas faire ça. Et que je ne le dois pas.
-Un plaid tout chaud... murmure-t-elle. Une légère odeur de chocolat. La fraicheur et le silence de la nuit. Les lumières de l'hiver. Et une amie à qui parler... c'est dans ces moments là que, parfois, je me dis que... que ça vaut la peine de vivre. Dommage que ces instants doivent inévitablement prendre fin...
Elle ferme avec lenteur les battants de la fenêtre, son visage ayant retrouvé son habituelle expression fermée. Le rêve s'est enfui aussi vite qu'il m'est apparu. La porte qui semblait s'entrouvrir à soudain été claquée. Et, avec lenteur, Emilie se glisse jusqu'à son oreiller, délaissant le plais, et se glisse en silence sous la couette. Je reste un moment indécise, puis je soulève mon côté de la couette pour me faufiler dans son dos.
-Tu as gardé tes habits. Me fait-elle remarquer.
-Oui.
Je me relève légèrement pour allumer le radiateur, dont la douce chaleur vient peu à peu compenser le froid glacial qui règne dans la pièce.
-Comme ça, tu pourras profiter de l'odeur de chocolat un peu plus longtemps.
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