Manque
Deux semaines passent, et pas un instant l'image de la jeune femme ne quitte mon esprit, au point que j'en ai du mal à dormir. Au travail, l'enfer de mes collègues me semble encore plus insupportable que d'habitude, et j'en reste bloquée sur mon roman, incapable d'aligner la moindre phrase qui ait un minimum de sens sans dérailler pour replonger dans mes pensées. Deux semaines durant lesquelles je ne sors pas une fois, durant lesquelles je ne vois personne, et ne baise encore moins - il faut dire que le coup de Wil m'a fait un drôle d'effet. Mes amis me pensent dans cet état à cause de lui, justement, mais ils sont bien loin de se douter de la réalité, contrairement à moi. Je ne suis pas stupide - ou pas totalement, en tout cas, et j'ai eu assez de temps pour ressasser tout ce qu'il s'est passé, toutes mes émotions, et en arriver à la conclusion dure mais inéluctable, celle que je voulais absolument fuir: le fait qu'en à peine une soirée, une femme que je ne connaissais pas le moins du monde a réussi à voler mon coeur.
Moi qui m'étais promise de ne plus jamais faire l'erreur de m'attacher à quelqu'un... voilà que je m'entiche de la première venue! Après avoir sorti Wil de chez moi, j'ai l'air bien stupide. Lui, au moins, me connaissait bien et a eu tout son temps pour tomber amoureux, son cas est bien moins insensé que le mien. Mais les faits sont là, et plus j'y repense, plus je m'y enfonce et comprends que je ne peux y échapper. En prenant conscience de ces sentiments, je me suis félicitée de ne pas avoir pris le numéro.
« De cette manière, je ne serais pas tentée de la revoir... »
Ah. Quelle naïveté... à peine 12h après l'avoir quittée, j'étais déjà en manque d'elle, alors comment décrire mon état après deux semaines? J'ai l'impression de me dessécher. Ne pas aller la voir le week end dernier, alors que je la savais de retour sur Paris, a été une torture insoutenable, et je ne suis pas de pouvoir réitérer cet exploit une seconde fois... la tentation est trop grande, tout comme mon manque et mes regrets de l'avoir laissée partir ainsi.
Alors, comme toute amoureuse stupide, je me suis mise à chercher la moindre de ses apparitions. Toutes les émissions télévisées auxquelles elle a participé, toutes ses interviews en ligne, et, surtout, tous ses clips et ses musiques. Je m'abreuve de ses visuels soignés, de ses mises en scènes aussi oppressantes et noires que son absence, de ses textes profond et sans espoirs, portant en eux toute la frustration d'une femme désabusée par un monde dont elle ne veut plus reconnaître les aspects positifs. Si la musique est un reflet de l'âme, alors celle d'Emilie est sombre, tourmentée, et ennuyée. Comme si elle savait toute la cruauté du monde, mais n'en avait plus rien à faire et se contentait de l'observer et de la subir avec un air morne, et trouvait ses seuls échappatoires dans la musique et le sexe.
Je me suis nourrie de ces messages comme s'ils m'étaient destinés, sans pour autant avoir le courage de tenter de la recontacter via le seul endroit où je le peux encore: twitter, l'endroit où tout a débuté. Mais la peur me serre le coeur à chaque fois que j'y pense... je n'ai pas pris son numéro, alors pourquoi accepterait-elle de me reparler à présent? Et surtout... que faire, maintenant que je suis certaine de mes sentiments? Comment réagirai-je si, une nouvelle fois, je ne suis considérée par elle que comme un simple plan cul, une fille parmi tant d'autres, qui ne vaut pas la peine qu'on y porte la moindre attention?
C'est la plus grande frayeur qui me possède actuellement, une du genre que je n'ai jamais connue auparavant. Mais je ne peux pas continuer à me morfondre indéfiniment non plus... je sais ce qu'il me reste à faire, et je sais également qu'il y a de grandes chances que ça ne marche pas - mais je n'ai pas trop le choix. Ce week end, Emilie va revenir une énième fois à Paris pour sa promo, quand elle n'est pas prise par les études. Cette fois-ci, je ne l'attends pas à la sortie du studio, car je sais que si elle n'a pas envie de me revoir, cela jouera vraiment en ma défaveur de l'y forcer ainsi. La reprise de contact est simple et sans envergure: un simple message privé twitter, que je prie pour qu'elle lise, et surtout qu'elle y réponde.
Un simple « Salut, ça te dit qu'on se revoie ce week end? » qui révèle au passage que je n'ai pas pris son numéro de téléphone, au cas où elle ne l'avait pas remarqué. Je suis grillée et je adossée au mur, alors autant tenter le tout pour le tout. Je n'ai aucune idée de ce que je ferais quand je me retrouverai face à elle... une autre nuit de sexe sans lendemain me semble impensable, mais peut être ne me laissera-t-elle pas d'autre choix... encore faut-il qu'elle ne choisisse pas simplement de me laisser en vu, ce qu'elle pourrait parfaitement faire. L'attente est insupportable, mais je m'y attelle du mieux que je peux en tentant de continuer à écrire mon livre. Les idées fusent, mais elles sont toutes plus des reflets de mes peurs et espoirs vis à vis d'Emilie que du roman en lui même. Cela fait tellement longtemps que je n'ai plus réussi à avancer significativement sur ce bouquin que je ne m'en inquiète pas plus que ça. Au départ, je m'énervais sur mon clavier, je maudissais mon manque d'inspiration, mais j'ai rapidement réalisé à quel point c'était contre productif face à la page blanche.
J'efface à nouveau ma dernière phrase, et me prends la tête entre les mains. Lasse, je jette un coup d'oeil morne à mes notifications, avant de me relever brusquement. Elle a répondu.
Une simple phrase, sans précision, sans moyen de connaître son état d'esprit vis à vis de moi.
« Samedi, 18h, devant l'hotel »
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