Croyance
Lorsque mes yeux s'entrouvrent, la lumière du soleil se déverse déjà à grands seaux dans la petite pièce au travers des stores vénitiens, bien incapables d'en empêcher la grande clarté d'abimer mes pauvres pupilles endormies. Une atmosphère douce et reposante règne dans l'unique pièce du studio, alors que les rayons bienfaiteurs viennent frapper les instruments qui dorment au coin du lit, les ustensiles en train de sécher sur le minuscule égouttoir, et la longue chevelure neige endormie à mes côtés. Elle est si proche de moi que j'ai peur de bouger, craignant de la réveiller... mais l'idée de lui préparer un petit déjeuner surprise m'emplit d'une joie étrange et presque malsaine. J'oeuvre donc avec lenteur et délicatesse afin de m'extirper de ses bras autant que des draps, avant d'enjamber son corps endormi le plus discrètement possible. Elle se met soudain à bouger, mais seulement pour s'enfoncer plus profondément sous la couette, son corps cherchant probablement à compenser la perte de chaleur causée par mon départ. Rapidement cependant, le doute s'insinue en moi face aux possibilités de petit déjeuner... qu'est ce qu'elle mange, au juste? J'imagine que la plupart des choses qu'elle a dans ses placards sont des choses qu'elle aime, mais quand à la composition précise de ses repas matinaux, je ne suis pas devin...
-Bah, du classique suffira... me dis-je en saisissant une casserole, un sourire au lèvre, tandis que ma belle au bois dormant dort paisiblement au fond de la pièce.
***
-Alors comme ça on commence déjà à découcher?
-D-Découcher?? Fais-je avec surprise.
-Laisse la tranquille, Manon. Grogne Eva, absorbée par la composition d'un nouveau plat à ajouter à la carte.
-C'était la fille de l'autre soir? Continue Manon sans s'occuper outre mesure des commentaires de sa compagne. Comment elle s'appelait déjà... Elodie, je crois?
-Emilie!
-Ah, donc tu es bien allée chez Emilie... enchérit-elle avec un sourire amusé.
Je reste bloquée un instant, avant d'abandonner.
-Oui, oui, j'ai dormi chez elle cette nuit, c'est bon... mais rien de plus ne s'est passé!
-Ah? Dommage... je pensais que tu serai plus audacieuse, Kata.
-Occupe toi de tes affaires... fais-je en détournant les yeux, gênée par la tournure de la conversation.
-Manon, au lieu de l'ennuyer avec tes questions va me chercher tout ce qu'il y a sur cette liste dans la réserve, et dis moi ce qui nous reste de chaque ingrédient.
-Heeeein? Pourquoi moi? On a enfin une sous fifre, alors pourquoi je dois encore être ta souffre-douleur...
-Kata est une employée, pas une sous-fifre, et tu resteras ma souffre douleur aussi longtemps que je le voudrai.
Manon souffle, grogne, se plaint, mais finit par se lever et, après avoir posé un baiser surprise sur les lèvres d'Eva, retrouve son expression habituelle, comme si toute cette scène n'était qu'une opposition de principe.
-Celle là alors... laisse tomber Eva lorsque la patronne est sortie de la pièce.
-Elle est marrante. Fais-je pour tenter de l'excuser.
-Mm. Bon, maintenant que nous sommes entre adultes, parlons franchement: quels sont tes projets avec cette Emilie au juste.
Je suis prise de court par la demande directe d'Eva.
-C-Comment ça, projet?
-Kata... Manon donne peut être l'impression de sortir de maternelle, mais elle n'est pas stupide. Il est évident que tu ressens pour elle plus que de l'amitié ou qu'une petite amourette passagère, et je fais pleinement confiance à son jugement. Alors ma question est simplement: qu'est ce que tu compte faire?
-T-tu l'as vue l'autre soir avant d'aller te coucher?
-Je l'ai plus entrevue que vue, je ne vais pas beaucoup dans la salle des clients. Pour sur, c'est une beauté, mais elle avait une expression... triste? Je ne sais pas si c'est le bon mot.
Je secoue la tête pour lui signifier que son emploi du mot est correct. Après tout, c'est en partie ce qui cause l'état actuel d'Emilie... cette tristesse sans fin que rien n'arrive à éponger entièrement.
-Elle traverse une passe difficile. Dis-je simplement. Je... veux juste être là pour l'aider à s'en sortir.
-Dit comme ça, on pourrait croire que tu profite de son état pour tenter de la pécho.
-Quoi?? Fais-je en me levant d'un coup.
-Calmes tes hormones, je n'ai pas dit que c'était ton intention. Simplement... une fille comme ça attire des convoitises. Tu dois t'attendre à ce qu'on t'accuse de ça.
-J'essaie pas de la pécho.
-Difficile à croire quand tu viens de passer une nuit chez elle.
-C'est vrai! Je suis là pour qu'elle aille mieux, rien de plus. De toute façon, Emilie n'est pas le genre à croire en l'amour.
Eva me fixe un instant, l'air de déterminer si je blague ou non. Puis, elle éclate de rire. Ses éclats se répercutent longuement dans la grande salle vide de l'Académie, alors que je la fixe, médusée et un peu perdue, sans trop savoir comment réagir. Quand elle réussit enfin à se calmer, elle est encore fébrile.
-Croire en l'amour... haha... pfiou, pas mal celle là.
Elle reprend une grande respiration, avant de continuer.
-L'amour est pas une sorte de dieu auquel on rend un culte. Il est pas question de croire ou pas en l'amour, juste de le trouver, et surtout de le reconnaître lorsqu'il apparait. Ton amie a peut être juste beaucoup plus de mal à reconnaître l'amour, au point d'être persuadée qu'il existe pas, mais c'est pas quelque chose qui durera éternellement. Et... tu pourrai changer ça, tu sais.
Je fais la moue, pas très convaincue.
-Fais ce que tu veux, écoute. Conclut Eca avec un soupire. Mais oublie pas une chose: ce n'est pas parce que tu fais quelque chose sans mauvaise intention que les gens le verront ainsi. Fais très attention à toi...
Je hoche la tête. C'est quelque chose à quoi je n'avais pas beaucoup pensé... Solène me l'a pourtant bien dit, il n'y a pas grand monde qui ne puisse résister à son charme, ses prétendants et prétendantes doivent être nombreux... pourtant, je suis la seule qui vienne lui rendre visite chez elle. Je suis la seule qui la pousse à sortir quand bien même elle insiste pour rester chez elle. Et je suis une des seules à qui elle s'ouvre autant - du moins, j'aime à le croire. Peu importe comment on voit les choses, je n'ai rien fait de mal, j'ai au contraire tendu la main. Si d'autres me tiennent rigueur de cela, alors ce sont des hypocrites finis.
Je crois...
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