Je n'en reviens pas qu'il l'ait dit. Grana le fixe, bouche bée, tout aussi choquée que moi. Il a toujours été du genre à ne pas prendre part à ce genre de discussions, et quand il le fait, c'est qu'il la considère comme vraiment importante. Et voilà qu'il tape directement là où ça fait mal, puisqu'il parle d'Ezra, alors même que tout le monde prend bien soin de ne jamais parler de lui. C'est un sujet que j'arrive toujours pas à aborder. Mon cœur s'emballe instantanément. Je baisse les yeux, et attends qu'il continue, sans dire un mot. Ma main gauche tiens fermement mon poignet, je ne dois pas me laisser submerger par mes émotions, quelles qu'elles soient.

-Tu sais que j'ai raison, n'est-ce pas ? Je me rends bien compte que ta mère, tes frères et ton père ne sont pas beaucoup mieux que toi, ils auraient dû faire le premier pas depuis bien longtemps (bien que je soupçonne Jonah d'avoir tenté de le faire lorsqu'il est venu ici). Même Camille à raison de te rabâcher les oreilles sans arrêt avec cela, bien que je ne pense pas qu'elle s'y prenne de la bonne façon. continue-t-il, en lançant un regard à sa femme.

Je sens ses yeux plantés sur moi, alors même que je ne le regarde pas. Il pose de nouveau la main sur mon genou, comme il a toujours eu l'habitude de le faire. Mais là, c'est clairement pas suffisant pour me calmer.

-Oui, je sais tout ça. Mais vous étiez là après l'accident, vous savez comme moi qu'elle m'a jamais pardonné d'avoir... Enfin d'être toujours là et pas lui. répondis-je la voix un peu tremblante.

-Elle t'a pardonné, sinon elle nous demanderait pas de tes nouvelles à chaque fois qu'on va la voir. intervient Grana en levant les yeux au ciel.

Elle n'a pas l'air de comprendre que c'est justement ça, le vrai problème. Pourquoi est-ce qu'elle est obligée de passer par eux pour avoir des nouvelles de moi ? Et c'est quoi, leurs excuses à Jonah, Evan et papa ? Parce que je vois pas très bien, là.

-Oui, mais peut-être qu'au lieu d'en demander à vous, elle devrait m'en demander à moi ! dis-je en élevant un peu la voix, et en croisant son regard, un peu dur.

-Elle n'a pas dit le contraire, Alata. Mais c'est simplement que vous êtes toutes les deux extrêmement blessées par ce qu'il s'est passé. Elle s'en veut certainement d'avoir réagi de cette façon, tu sais. dit Papy, toujours avec une voix douce.

Je vois à ses yeux brillants, qu'il est très touché par tout ce qu'il ce passe entre maman et moi. Cette embrouille lui fait vraiment du mal. Et le voir ainsi bouleversé à cause de moi - parce quelque part, c'est de ma faute à moi aussi- c'est vraiment douloureux. Je sens mon cœur se serrer, et les mots sortent franchement, comme si mon cœur parlait à ma place.

-Mais... C'est juste que tout ça c'est trop pour moi ! Ça me bouffe ! Je comprends pas pourquoi elle vient pas me demander pardon tout simplement ! C'est elle qui m'a fait du mal avec ses paroles, c'est elle qui m'a traité comme de la merde (ne me regarde pas comme ça Grana, tu sais très bien que c'est ce qu'il s'est passé), je... J'ai eue besoin d'elle après l'accident. Je veux dire, c'est ma mère, et j'avais éperdument besoin d'elle, de ses bras et de son amour, j'étais totalement dévastée et perdue... Et finalement c'est pas elle que j'ai trouvé au fond du couloir, qui est venu m'aider à me relever. Les seuls que j'ai eu, c'est vous. C'est vous deux qui êtes venu vous occuper de moi, vous trouvez ça normal ? dis-je, profondément énervée et blessée, bien que ma voix ne soit rien de plus qu'un murmure à la fin de ma phrase.

Un nouveau silence occupe l'espace de la pièce, pendant que je fixe toujours mes chaussures. Je sais que si je regarde l'un d'entre eux je vais pleurer, et je n'ai pas envie de pleurer devant eux. En tout cas, pas après tous les sacrifices qu'ils ont fait pour moi pendant toutes ces années. Je dois être forte pour eux.

-Non, je suis d'accord, ce n'est pas normal. Mais ça commence à devenir dangereux cette histoire, et ce autant pour Marie que pour toi. Et je ne parle même pas de tes frères et de Boris. Je sais bien que ce n'est pas à toi de faire le premier pas, et que ta mère devrait s'en occuper... Mais c'est évident qu'elle ne le fera pas, alors il faut que tu fasses quelque chose. me répond Papy, la voix pleine d'émotions, pendant que Grana attrape mes mains et les serre tendrement.

-Oui, oui, je sais, mais c'est juste que je sais pas quoi faire... Je suis perdue. dis-je en sentant mes yeux se remplir de larmes, mais toujours fixés sur le sol.

-Bien sûr, et c'est normal. Il faut que tu y réfléchisses vraiment, et pas que tu fasses juste comme si rien n'était arrivé. Parce que c'est arrivé.

Vraiment, c'est trop, la douleur que je sens dans sa voix est trop dure à entendre, et je sens une larme m'échapper, et dévaler lentement ma joue. Ma lèvre inférieure tremble très légèrement, et je mords l'intérieur de ma joue pour tenter de me contrôler. Grana essuie la larme qui s'est échouée sur ma pommette, avant de serrer plus fort mes mains.

-Il a raison, rien ne changera la tristesse qu'on a tous vécu lorsque Ezra est mort, et il faut que tu arrêtes d'essayer de l'oublier. Ce n'est pas en oubliant qu'on avance, il faut que tu essais de passer à autre chose. La douleur sera toujours là, quelque part dans un coin de ton cœur, mais beau matin tu te lèveras, et ce sont de beaux souvenirs qui te viendrons en mémoire, de la joie, et pas seulement de la douleur. dit doucement Grana.

Je sais qu'ils ont tous les deux raison. Toute cette histoire est absurde. Faire la morte est absurde. Et après tout, peut-être que Jonah est vraiment venu dans le but de renouer avec moi cette fois-là ? Peut-être est-ce moi qui n'avait pas vu ses appels au secours, et non lui ? Je prend une grande inspiration, et souffle doucement, pour me calmer. J'essuie rapidement mes joues, et les larmes qui ont perlés au coin de mes yeux, avant de murmurer ''merci'', et de prendre Grana puis Papy dans les bras. J'ai été odieuse, et ils ont été parfaits.

-Tu n'as pas besoin de décider tout de suite ce que tu vas faire, prends bien le temps d'y penser, et je pense même que tu devrais prendre conseil auprès de tes amies. dit Grana quand je me sépare de Papy.

-Oui, je pense que je vais faire ça. lui répondis-je en lui souriant.

-Et bien, maintenant que cette conversation est close, que dirais-tu de commencer cet apéritif que Camille nous a préparé avec amour ?

-Haha, écoute ce sera avec joie ! dis-je en riant.

Comme d'habitude, tout ce que Grana a préparé est délicieux. J'avale sa ratatouille avec un plaisir infini, me disant qu'il faut absolument que je lui demande ses recettes. Parce que mon niveau de cuisine, même après ces deux ans loin des repas de maman, n'est vraiment pas très élevé. Tout ce que je cuisine a le même goût, à croire que ma créativité est tellement banale qu'elle se ressent même dans mes plats ! Grana me tape doucement la main en rigolant lorsque je lui dit ça, et lève les yeux au ciel, l'air de dire que je dis n'importe quoi.

Papy s'intéresse à mes études, comme à chaque fois que je viens manger chez eux. Il me demande gentiment ce que j'apprends en cours, et comment se sont passés mes partiels. Je tente tant bien que mal de lui expliquer les leçons que je suis depuis le début du semestre, mais j'ai l'impression d'être un peu floue.

Grana, d'un air sournois, finit par me demander comme à chaque fois que je viens, si j'ai un petit copain. Et pour la centième fois, je rigole en lui disant que je n'en ai pas. J'ai pas vraiment la tête à ça, même si de temps en temps l'idée saugrenue d'avoir un copain me traverse l'esprit.

Il est 22 h 30 lorsque je décide de partir, parce qu'il commence à être un peu tard. Je prend pour la troisième fois de la soirée mes grands-parents dans mes bras, et les embrasse tendrement.

-Tu reviendra vite nous voir, hein ? Et préviens-nous de ta décision quant à ce qu'on a parlé tout à l'heure. me dit Grana lorsqu'elle m'accompagna au portail, Papy sur ses talons.

-Oui, je ne sais pas exactement quand je pourrais mais je vous appellerais la semaine prochaine sûrement ! promis-je, en leur souriant.

-Et fait bien attention à toi en rentrant, ma chérie !

-Oui, oui Grana, je ferais attention. Prenez-soin de vous !

-Toi aussi Alata. dit Papy en souriant.

-Bonne nuit ! dis-je en mettant Hime dans mon sac, et en sortant du jardin.

***

Une fois à la maison, dans mon lit, et Hime roulé en boule à mes pieds, je réfléchis à tout ce dont on a parlé au cours de la soirée. Je ne sais pas quoi faire à propos de cette histoire. Je sais qu'il faut que je parle avec ma mère, mais en même temps, je ne pense pas que ce soit à moi d'aller vers elle. C'est elle qui m'a jeté, pas l'inverse.

L'image de Jonah tout gêné me revient en mémoire. Le fait qu'il ait pu tenter un rapprochement, lorsqu'il est venu l'autre fois, n'arrête pas de tourner en boucle dans mes pensées. Ça m'était même pas venu à l'esprit. Pourtant, ça parait évident que la raison de sa venu. Enfin, ça parait évident mais c'est quand même pas forcément le cas. Tout s'embrouille dans mon esprit.

Je pense qu'il faut que j'en parle avec les filles, elles connaissaient toute l'histoire dans les moindres détails. Mais je sais ce qu'elles vont me dire. Il faut que je renoue avec ma famille, bien sûr, parce que si je ne le fais pas personne ne le fera. Mais quand même, je comprends pas pourquoi ça devrait être moi. Enfin si, mais pas totalement.

Mon horloge numérique affiche 3 h 36 du matin, et je passe mes mains sur mon visage. C'est habituel pour moi de faire des insomnies, mais là, il va vraiment falloir que je m'endorme. En plus, j'ai parfaitement conscience que réfléchir alors que je suis crevé ne mène à rien, je m'emmêle simplement les pinceaux.

Je prend mon portable, et plisse les yeux devant la trop forte lumière de l'écran. Il faut que je demande aux filles leur avis, et au pire des cas s'il ne me plaît pas, j'aurais qu'à demander à quelqu'un d'autre... Mais à qui ? Je finirai bien par trouver,c'est pas l'important, pour le moment. Je rédige rapidement un message, pour leur expliquer ce qu'il s'est passé, et l'envoie sans même l'avoir relu. Je souffle en le verrouillant et en le reposant sur ma table de chevet, avant de me mettre en boule et de me tourner face au mur.

Il faut vraiment que je dorme maintenant. J'ai plus qu'à attendre les réponses des filles, qui pourront, ou non, me plaire. Enfin, elles n'arriveront de toute façon que demain matin. N'empêche, à qui je vais bien pouvoir demander conseil si leur réponse me plaît pas ? Je doute d'arriver à en parler à Melissa ou Anaïs, ainsi qu'à Cole, Luke ou Isaac. J'arriverais pas non plus à en parler à mes ''anciens'' amis, bien que ce soit pas la plus mauvaise solution.

Me sortant de mes pensées, mon portable vibre légèrement, et quand je me retourne, la LED rouge clignote. Ça doit être Siquy ou YouTube à tous les coups, la LED clignote de la même couleur pour ses deux applications. Je me remet face au mur, et fais le vide dans mon esprit. Je dois dormir.

Je dois dormir oui, mais regarder la notification que j'ai reçu ne va pas m'empêcher de dormir non plus. J'attrape mon portable, et glisse mon doigt sur la bannière qui s'affiche sur l'écran. C'est bien Siquy qui m'avertit d'une notification à la con.

Cette notification me fait penser à Music66. Je connais rien de lui, mais lui non plus... Et justement, le fait qu'il n'ait absolument rien à voir avec moi, fait de lui un candidat parfait pour ma petite histoire ! Il ne me connaît pas, et aura un regard extérieur sur cette situation. Ça m'arrange totalement. Je vais quand même attendre la réponse des filles pour lui demander, mais je suis fière de ma solution. Comme ça, je vais n'aurait pas à raconter mes histoires à un ami en face à face, mais bien à l'écrit, la façon dont j'ai toujours préféré communiquer. Parce que oui, c'est bien ça qui m'angoisse le plus.

Un sourire s'étend désormais sur mes lèvres, et je sais que je vais arriver à dormir maintenant que ce problème est résolu.