« Je suis votre nouveau supérieur à partir d'aujourd'hui, déclara une voix sèche, merci de vous adresser à moi en tant que monsieur Thompson. »

Evaline n'en revenait pas. Bien qu'elle resta stoïque face à cette annonce plutôt impromptue, la jeune femme était tout simplement stupéfaite. Le matin en arrivant, personne ne l'avait prévenue qu'elle changeait de chef. Et encore moins qu'il s'agissait d'un homme ayant visiblement un balai coincé dans le fessier...

La brunette n'aimait pas les gens qui se pensaient au-dessus de tout le monde au prétexte qu'ils possédaient un grade supérieur à tous. Évidemment qu'il fallait des chefs pour cadrer et organiser des entreprises, mais il valait mieux une bonne ambiance de travail avec un chef peu présent plutôt que l'inverse. Evaline espérait simplement que monsieur Thompson jouait simplement un rôle et qu'il serait plus aimable une fois qu'il connaîtrait un peu plus la maison d'édition et ses employés.

« Bonjour monsieur Thompson, le salua-t-elle respectueusement avec une voix calme, souhaitez-vous que je vous fasse visiter les locaux ?

-Vous n'avez pas du travail à faire ?cingla aussitôt l'homme qui était plus âgé que la jeune femme.

-Si monsieur, admit Evaline sans mentir une seconde, mais je pensais que vous voudriez peut-être...

-Occupez vous de vos affaires, la coupa-t-il froidement, je m'occuperai des miennes. Bonne journée mademoiselle Mac Dougle.

-Bonne journée monsieur Thompson, le salua poliment la jeune femme avant de se détourner. »

Evaline retourna donc à son bureau avec un sentiment d'angoisse mal contenu. Cette situation lui paraissait plus qu'anormale. Ses supérieurs hiérarchiques auraient dû la prévenir qu'elle aurait un nouveau chef avant que celui-ci n'arrive. L'idée qu'ils veuillent la licencier lui traversa un instant l'esprit, mais elle se reprit bien vite. Il n'y avait pas de raison à son licenciement. Elle obtenait de bons résultats avec l'équipe qu'elle avait réussi à former et le journal était, chaque mois, publié dans les temps. Mais si cet homme n'était pas venu pour elle, pourquoi avait-on changé son supérieur ?

La rédactrice en chef se remit donc au travail comme le lui avait demandé son chef, sans parler de ce mystérieux nouveau supérieur aux employés présents dans l'open space. Au bout d'un moment, elle vit, du coin de l'œil, Erwan s'approcher de son bureau d'un air presque gêné. Elle releva finalement la tête vers lui et l'interrogea du regard.

« Il paraît qu'on a un nouveau chef ?questionna à moitié le jeune homme d'un air intrigué mais prudent.

-En effet, confirma Evaline d'une voix qui n'appelait pas de réponse, son nom est monsieur Thompson. Cela ne devrait pas vous empêcher de travailler...Du moins je l'espère. »

Erwan acquiesça avec raideur et retourna auprès des employés avec lesquels il travaillait. Ceux-ci attendirent qu'Evaline repose les yeux sur son travail pour bombarder de questions le second de leur supérieure. Le malheureux ne put répondre à aucunes d'entre elles ou presque. Pendant ce temps, Evaline sentait une anxiété monter en elle sans qu'elle ne puisse se l'expliquer. Le regard qu'avait poser Thompson sur elle ne lui disait rien qui vaille et cet homme semblait plus raide qu'un tronc d'arbre. Elle se prit à espérer que Chelsy, son ancienne supérieure plus souple, revienne en hâte et arrête toute cette mascarade.

La jeune femme chassa bien vite cet espoir de son esprit, car Thompson venait d'entrer dans la pièce. Elle regarda sa montre. Il était à peine 15h30 et la journée de travail se finissait vers 19h... Alors pourquoi le nouveau supérieur de la brune portait-il déjà son manteau ? Cesse de te faire des films, Evaline. Il est probablement simplement aller fumer. De toutes façons, ça ne change rien du travail que tu as à faire.

La brunette continua donc ce qu'elle était en train de faire sans se préoccuper de Thompson qui s'approchait pourtant dangereusement de son bureau. Il s'arrêta devant celui-ci et attendit. La jeune femme finit par relever les yeux vers cet homme qu'elle n'appréciait déjà pas après une seule discussion échangée.

« Vous ne me présentez pas ?interrogea brusquement l'homme aux cheveux grisonnants et plaqués en arrière.

-Vous m'avez dit de m'occuper de mes affaires, rétorqua calmement Evaline en réussissant à retenir un rictus moqueur à la dernière seconde, monsieur Thompson. »

La jeune femme vit alors passer une lueur de colère dans les yeux de l'homme qui se trouvait face à elle et se demanda un instant si elle n'avait pas poussé le bouchon un peu trop loin, mais après tout, elle n'allait pas se forcer à être sympathique avec quelqu'un qui ne le méritait pas. Aussi resta-t-elle parfaitement imperturbable face à la rage qui transparaissait dans le regard de son supérieur. Ce dernier la fixa encore quelques secondes avant de se retourner.

« Écoutez moi je vous prie, déclara-t-il d'une voix forte face aux salariés qui le regardaient d'un air interloqué, je suis le nouveau directeur de cette maison d'édition. Mon nom est Nolan Thompson. J'espère que nous ferons du bon travail ensemble. Merci de votre attention, vous pouvez reprendre le travail. »

Puis Thompson se retourna à nouveau vers Evaline et la regarda quelques instants en semblant la juger. La jeune femme ne bougea pas d'un cil et ne plia aucunement face au regard de son chef.

« Vous viendrez me voir dans mon bureau à 19h, déclara l'homme grisonnant avant de sûrement retourner dans son bureau. »

La jeune femme n'eut même pas le temps de demander la raison de cette convocation que son chef s'en allait déjà. Cela rajouta encore une pression supplémentaire dans l'esprit d'Evaline, mais elle se persuada qu'elle n'avait rien à craindre...durant toutes les heures précédent ce rendez-vous si inquiétant.

Lorsque la brunette entra dans le bureau de son chef, elle fut tout de suite étonnée de voir que rien n'avait bougé depuis le départ de Chelsy. Toutes ses affaires étaient encore là, aux mêmes places. Chelsy avait toujours été très discrète comme supérieure et avait toujours plus ou moins laissé Evaline faire comme elle l'entendait. Une sorte de confiance muette s'était nouée entre les deux femmes et l'une n'intervenait que peu dans ce que faisait l'autre. Elles avaient très peu discuté, mais notre rédactrice en chef avait rapidement vu que sa directrice était une bonne personne. Elle ne s'était jamais énervée avec qui que ce soit dans quelque service que ce fut, mais avait toujours réussi à maintenir la maison d'édition en état de marche.

« Veuillez vous asseoir, enjoignit la voix maintenant bien connue de Thompson, mademoiselle Mac Dougle. »

Evaline s'assit donc sur la chaise en face du bureau de la pièce et attendit que Thompson s'explique sur la ou les raisons de cette convocation pour le moins surprenante. L'homme prit tout son temps pour s'asseoir et l'observa encore quelques instants avant de commencer un interrogatoire digne d'un inspecteur de police en chasse d'un criminel. La jeune brune répondit sans sourciller à chaque question que lui posait son supérieur, même si cela la faisait intérieurement beaucoup angoisser qu'il lui pose autant de questions tout autant personnelles que professionnelles.

« Bien. Je crois que nous en avons terminé, déclara enfin Thompson en regardant une feuille sur sa table. J'aurais quelques demandes à vous soumettre. »

Jetant un coup d'œil à la jeune femme, celle-ci acquiesça, bien qu'intérieurement assez chamboulée, et l'homme se racla la gorge.

« Vous devrez me rendre chaque jour un compte-rendu du travail qui a été fait durant la journée autant par les employés que par vous, sembla énumérer l'homme en lisant à moitié la feuille qu'il avait sous les yeux, je veux savoir tout ce qu'il se passe dans votre service. Est-ce-que c'est clair ? »

Evaline, totalement éberluée par ce qu'il lui demandait, ne répondit pas immédiatement. Pourquoi lui demander cela alors qu'il savait très probablement qu'ils n'avaient déjà pas le temps de s'occuper de tous les articles du journal ? Cherchait-il à couler l'entreprise ? Voyant le regard insistant de son supérieur, la jeune femme se reprit excessivement rapidement et posa une question qui lui brûlait naturellement les lèvres.

« Pourquoi m'avoir posé toutes ces questions ?demanda-t-elle donc d'un air parfaitement calme en regardant son interlocuteur dans les yeux.

-Pour voir si votre passé n'influence pas votre travail, répondit aussitôt Thompson en lui jetant un coup d'œil comme pour voir si elle avait une quelconque réaction.

-Comment savez-vous que...

-Les journaux, mademoiselle, la coupa-t-il sans attendre en baissant à nouveau les yeux sur ses papiers, j'ai lu les journaux bien sûr. »

Evaline était étourdie par la nouvelle. Cet homme savait exactement qui elle était et ce qu'elle avait vécu. Et en plus de cela, il ne croyait pas en son travail. Du moins, par pour le moment. Elle allait devoir lui prouver que son passé n'avait aucun impact sur le journal et pour cela, elle devrait être encore plus irréprochable que d'habitude.

« Vous pouvez disposer, la congédia-t-il avec un vague regard désintéressé. Merci, mademoiselle Mac Dougle. »

La jeune femme se leva mécaniquement et ne prit même pas la peine de saluer son chef avant de sortir de la pièce. Elle était totalement sous le choc et alla directement prendre ses affaires à son bureau pour rentrer chez elle. Après tout, il était l'heure de rentrer.

Elle roula jusqu'à chez elle comme un zombie sans vraiment réaliser ce qui venait de se passer. Bien qu'ayant un masque d'indifférence sur le visage pour ne pas montrer que tout cela l'avait atteint, elle laissa une larme couler sur sa joue tandis qu'elle ouvrait son garage. Heureusement que le lendemain, nous étions samedi...