Bayhill
Le sable humide était horriblement froid. Jungkook recroquevillait ses orteils nus d'inconfort mais ne parvenait pas à quitter la plage. Le soleil s'était couché sous ses yeux ravis et il avait eu un sentiment de plénitude qui ne l'avait pas habité depuis longtemps. Depuis la fuite de Jimin. Et peut-être même avant, s'il voulait être honnête.
Les gestes anodins et les petites attentions quotidiennes étaient sa manière la plus sincère de montrer son amour. Mais Jimin n'était plus parvenu à s'en satisfaire. Il s'était mis à douter. Jusqu'à exploser de chagrin et de colère devant le fameux poulet rôti.
"L'épisode du poulet rôti", Jungkook n'était arrivé à s'en ouvrir que deux fois. Une première avec ses copains Eun Woo et Mingyu, mais ils avaient ri en ne comprenant pas de suite que Jungkook était sérieux. La seconde fois, il avait été plus laconique, blessé par le manque de compréhension de ses amis. Et puis, de toute façon, il détestait parler au téléphone. Namjoon l'avait d'abord écouté longuement avant de distiller des paroles réconfortantes.
Mais tout cela avait été bien insuffisant ! Il avait donc traîné son chagrin et l'avait parfois extériorisé en louant un box de karaoké, seul. Ou bien en dégainant sa guitare. La musique parlait alors pour lui.
Il détestait parler tout court ! Jimin aurait dû comprendre que les mots ne pesaient rien en comparaison de ses actions.
Ce jour-là, Jimin était rentré de son shooting photo vraiment d'une humeur exécrable. Il se trouvait bouffi et disait qu'il allait perdre tous ses contrats et que sa carrière de modèle était déjà finie. Jungkook avait passé la matinée à cuisiner pour lui faire plaisir. Il n'avait rien mangé depuis cinq jours pour ce contrat-ci, justement. De mauvaise grâce, il avait quand même accepté de s'asseoir à table. En découpant le poulet, Jungkook avait soigneusement mis de côté la furcula ; il avait envie qu'ils y accrochent leurs auriculaires, qu'ils tirent dessus et fassent un voeu. Sans s'en apercevoir, il avait parlé à haute voix. Jimin avait explosé à ce moment précis.
— Tu me vois au fond du trou et tu me parles d'os de poulet ! Qu'est-ce qui ne va pas chez toi ?
— Jiminie...
— NON ! Ne me regarde pas avec cet air de chien battu ! C'est quand la dernière fois que tu m'as pris dans tes bras pour me consoler et me dire des mots tendres ? Hein, dis-moi ! avait-il pleuré de rage en faisant tomber sa chaise derrière lui.
— Jiminie, écoute-moi, avait tenté Jungkook dévasté sans savoir ce qu'il aurait bien pu dire.
— T'écouter ? J'ai l'oreille tendue depuis des mois, figure-toi. Je scrute mon portable à longueur de journée en espérant comme un con recevoir un message de ta part ! Mais rien, jamais rien. On n'est plus que des putains de colocataires qui baisent par habitude !
Ce poulet qui devait être le signe d'une complicité renouvelée, pour Jungkook, était devenu le vase de Soissons de leur rupture.
Après la douleur et la colère, il s'était promis de changer avant de réaliser que, non, il ne le pourrait jamais. Yoongi lui avait dit, depuis l'autre bout du monde :
"Quelque part, sur cette terre, il y a certainement quelqu'un d'aussi rêveur et d'aussi barré que toi qui s'accommodera de tes silences."
Jungkook avait raccroché rageusement le téléphone.
Mais, ce soir, sur cette plage, il avait envie d'y croire. Au moins un peu.
Maintenant que les derniers promeneurs avaient quitté la plage, que les mouettes s'étaient tues, le bruit des vagues et de leur ressac était assourdissant. Mais, étrangement, cela avait un effet apaisant sur lui, prequ'envoûtant.
Il ne l'entendit pas venir et ne remarqua pas tout de suite sa présence.
— Il ne fait pas un peu froid pour un bain de minuit ?
Jungkook sursauta et se retourna surpris. Taehyung se tenait là, ses mocassins et une cigarette à la main. Le regard de l'acteur ramena Jungkook au moment présent et il frémit.
— Si. Je m' les pèle.
— Tu parles toujours comme ça ?
Jungkook le regarda de nouveau, cherchant la lueur de moquerie qui était si fréquente lorsqu'ils se voyaient au café. Mais rien de tout ça. Juste une question sincère, semblait-il.
Depuis leur arrivée, ils n'avaient pas eu l'occasion de se parler ou de se voir vraiment. Ils étaient affairés, surbookés, débordés. Taehyung plus encore que Jungkook. Se retrouver ainsi était donc surprenant et inattendu. Tout deux se sentaient nerveux et contents à la fois. Comme lors d'un premier rendez-vous.
— Quoi, comme ça ?
— Par monosyllabes, de manière super familière.
Voilà ce que redoutait Jungkook. L'insupportable acteur était de retour ? Il le rabaissait à sa condition de travailleur de la classe moyenne ? Il lui lança un regard qu'il voulait froid et se laissa tomber sur le sable pour épousseter rageusement les grains qui collaient à ses pieds.
Taehyung s'assit près de lui. Il sentait qu'il avait dit quelque chose de blessant mais ne le comprenait pas. La fumée qu'il expira doucement se mêla à la vapeur de son souffle dans l'air froid.
— Je t'ai vexé, fit-il en posant sa main glacée sur l'avant-bras de Jungkook qui se battait avec sa chaussette tabi.
— J'vois pas pourquoi !
— Tant mieux. Je suis content de te voir.
Le cœur de Jungkook loupa un battement. Il suspendit son geste et regarda fixement l'écume sur la crête des vagues.
"Je dois dire quelque chose. Bon sang, parle, idiot ! Il va partir !"
Comme répondant à ses craintes, Taehyung enfouit son mégot dans le sable, se releva, soupira et frotta l'arrière de son pantalon. Jungkook était pétrifié. Il sentait bon. Il était tout près de lui. Ils auraient pu passer un peu de temps ensemble. Mais il ne put pas bouger.
— Bon, et bien, bonne nuit. À demain sur le plateau.
Taehyung remonta la plage vers la promenade. Jungkook se secoua, attrapa sa chaussette et ses deux baskets et se mit à courir en boitillant. Il ne fallait plus penser. Du tout !
— Attends !
— Oh ! s'exclama Taehyung en se baissant et ramassant un objet dans le sable alors que Jungkook arrivait à sa hauteur.
Il tendit une clef sous son nez.
— Une clef ? ne put que souffler Jungkook qui s'en voulut aussitôt de n'avoir rien trouvé mieux à dire.
— Oui ! Tu sais quoi ? demanda Taehung les yeux pétillants de joie. Ma grand-mère m'a toujours dit que ça portait bonheur, de trouver une clef. Tu vas te moquer de moi, ajouta-t-il dépité.
— Pourquoi ?
— Parce que c'est une superstition... répondit Taehyung se sentant pitoyable et incapable d'intéresser un garçon aussi volontaire et talentueux que Jungkook.
— Hein ? Non ! assura Jungkook qui entendait de nouveau Yoongi. "Quelque part, sur cette terre, il y a certainement quelqu'un d'aussi rêveur et d'aussi barré que toi qui s'accommodera de tes silences." Je t'assure. Je... Il fait froid... j'allais... je vais...
Jungkook était subjugué. Là, tout de suite, maintenant, il l'attraperait bien par la taille pour le coller à lui et terminer ce qu'ils avaient à peine commencé dans les toilettes du restaurant.
— Tu as emmené ta guitare ? rougit Taehyung tout en avançant d'un pas.
Il avait envie de faire durer la parenthèse. Il avait entendu Jungkook jouer, le soir, dans sa chambre. Alors, si discuter avec lui était si complexe, peut-être que de s'asseoir, de simplement le regarder et l'écouter faire glisser ses doigts sur les cordes de l'instrument tout en fredonnant lui suffirait. Ce serait même mieux qu'une compensation...
— Ma gratte ? Ouais, pourquoi ? questionna Jungkook pour la forme.
Il avait tendu la main vers la clef que tenait Taehyung. De la pulpe du doigt, il effleura le métal froid et légèrement rouillé, laissa glisser son index le long des dentelures émoussées.
— A ton avis, elle ouvrait quoi ? ajouta-t-il sans attendre la réponse à sa précédente question.
Taehyung frissonnait. Il frissonnait de froid. Il frissonnait de désir. Il avait besoin que Jungkook referme ses bras autour de lui. Il voulait entendre sa voix tout près de son oreille. Il voulait le mordre ! Il referma brusquement ses doigts autour de l'index de Jungkook qui ne bougea pas.
— On s'en fout, non ? gronda Jungkook relevant très lentement les yeux. On n'a qu'à trouver une chaîne et tu la porteras sur toi pour te porter chance.
— Je ne la quitterai jamais, murmura Taehyung en plantant ses yeux dans ceux de Jungkook.
— Jamais ? répéta Jungkook en soulevant un sourcil.
— Jamais, affirma de nouveau Taehyung qui n'avait pas relâché l'index prisonnier dans sa paume. D'un pas timide, il réduisit l'espace entre eux à néant. Pas même sous la douche, ajouta-t-il effrontément.
— J'voudrais bien voi...
— Oppppppppppaaaaaaaaaaaaaaa !!!! hurla une voix de crécelle.
Jungkook fit un bon en arrière. Elle était là, à quelques pas d'eux seulement. Il n'en pouvait plus. Elle le suivait absolument partout depuis leur arrivée, s'installait à table près de lui, venait même toquer à sa porte le soir.
— Je ne l'aime pas cette fille ! fit Taehyung d'une moue boudeuse, la regardant s'approcher en trottinant.
Jungkook s'empressa de se rechausser et se prépara à prendre la fuite.
— Ah ?
— Elle te colle de trop près et n'a que ton nom à la bouche.
— J'l'aime pas trop non plus !
— Vraiment ?
— Elle laisse traîner ses sales pattes sur toi quand elle te maquille !
Jungkook eut l'impression qu'il n'avait jamais autant parlé depuis des mois. Taehyung lui souriait béatement. Cela lui donna des ailes.
— Viens ! J'vais jouer de la gratte pour toi.
Il rougit. Il venait de lui dire : "Tu me plais. J'ai envie de toi." Taehyung l'entendit. Il était certain de l'avoir entendu. Tout était si facile avec Jungkook. Il lui attrapa la main.
— On court !
La fille appela Jungkook un temps avant de s'arrêter, contrariée. Elle les regarda s'enfuir comme deux enfants qui s'amusaient follement.
Taehyung s'arrêta brutalement. Il avait toujours ses mocassins à la main. Il avait mal aux pieds.
— Porte-moi ! ordonna-t-il.
Interloqué, Jungkook le dévisagea un bref moment avant de lui demander :
— Si j'te cuisine un poulet rôti, tu casses la furcula avec moi ?
N'importe qui d'autre les aurait regardés comme deux extraterrestres. Leur conversation n'avait ni queue ni tête. Mais, pour eux, elle était limpide comme de l'eau de roche.
— Je gagne toujours ! Tu n'as aucune chance contre moi !
Jungkook se retourna plus vite que son ombre, se baissa et embarqua Taehyung.
Léger. Il se sentait léger. Et le rire chaud et les boucles de Taehyung tout contre sa nuque remplit sa poitrine d'un sentiment de bien-être qu'il voulut faire durer.
Et c'est ce qu'ils firent.
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