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Je fixais avec insistance le lustre accroché au plafond de mon salon, à la base, j'étais censée faire mes devoirs, et puis je me suis rendue compte que réfléchir à ma vie serait une meilleure idée. De toute façon je déteste les cours, je suis mauvaise dans n'importe quelle matière et mes professeurs disent tous que je n'ai aucun avenir. Au moins moi je ne finirai pas prof de musique dans un collège.
Il était dix-neuf heures et je ne faisais absolument rien depuis deux heures, le bout de mon stylo bille mâchouillé dans la bouche, c'était une habitude que j'avais depuis que je savais tenir un crayon.
J'en étais même venue à me demander pourquoi une cuillère ne s'appelait pas lampadaire ou encore table basse, c'était toujours plus intéressant que mon cours de physique ouvert à la même page depuis le début de la soirée.
En parlant du lycée, quelqu'un pourrait me dire pourquoi les cours de sport sont obligatoires ? Déjà que venir pour travailler c'est énervant mais en plus devoir mettre un jogging dans un vestiaire qui pue le sanglier à huit heures du matin c'est insultant.
Le pire dans tout ça c'est les professeurs qui n'ont pas couru une seule fois depuis le début de leur carrière qui osent nous demander de montrer l'exemple de volley-ball devant toute la classe alors qu'on ne sait même pas faire une passe à dix doigts.
Au moins, point positif, je n'utilisais pas mon téléphone et mes parents pensaient que je bossais dur étant donné le bazar que j'avais mis sur la table. Les génies ont besoin d'espace pour exercer, sachez-le.
Alors que j'allais monter dans ma chambre, la sonnette retentissait, en temps normal j'aurais laissé quelqu'un d'autre aller voir, mais prise d'un élan de courage, j'ouvrais la porte.
Je mis dix secondes à me rendre compte de ce que je voyais. Yoongi se tenait devant moi, l'arcade sourcilière en sang, les yeux trempés et les lèvres tremblantes.
Il me regardait sans rien dire, ses épaules se soulevaient de façon irrégulière pendant qu'il se frottait la main contre son tee-shirt grisé.
-J'ai...
Au son de sa voix, je m'approchais et le pris dans mes bras, ça avait été intuitif et sûrement la meilleure chose à faire étant donné l'état dans lequel il se trouvait. Yoongi me serrait contre son torse comme si sa vie en dépendait, je l'entendais renifler et répéter sans arrêt des mots que je ne comprenais même pas.
-Yoongi ?
Je le lâchais finalement et tentais de savoir ce qu'il se passait, je ne l'avais jamais vu pleurer, et honnêtement, j'aurais aimé que ça n'arrive pas. Le voir comme ça sans même savoir ce qui lui arrivait me faisait mal au cœur, il me fixait désespérément dans l'espoir que je comprenne.
-Qu'est-ce qu'il t'arrive ?
-C'est l-lui il m'a d-dit que... Que j-je...
-Calme-toi, doucement.
Je voyais bien qu'il tentait de se détendre et que ça ne marchait pas, je n'avais pas d'autre choix que de le faire entrer. Je lui attrapais la main et l'entraînais dans mon haul d'entrée.
-Je reviens dans trente secondes.
Je me précipitais dans la cuisine où se trouvait ma mère et fermais la porte derrière moi, elle me regardait étrangement.
-Un problème ?
-Il y a... J'ai un ami qui a un problème et... Il est en train d'attendre dans l'entrée, s'il te plaît pendant que je fais ce que je peux pour l'aider ne viens pas me demander je ne sais quoi, ça a l'air... J'en sais rien.
-Qui c'est ?
-Le voisin de Nam, tu sais celui j'ai rencontré au début de l'année. Enfin, tu peux faire ça ?
Ma mère hochait la tête et retournait à ses activités. Je sortais de la pièce et d'un signe de tête, Yoongi me suivait jusqu'à ma chambre. Il entrait et automatiquement, s'asseyais sur le lit. Je lui tendais la boîte de mouchoirs posée sur ma table de nuit et attendais qu'il reprenne ses esprits.
Il ne me regardait plus, fixant ses pieds avec insistance. J'attrapais une de ses mains et vis qu'elle était pleine d'égratignures.
-Parle-moi Yoongi, s'il te plaît.
Je le sentais frissonner, je ne saurais dire s'il était effrayé par la situation dans laquelle il se trouvait ou simplement s'il avait froid.
-Je ne voulais pas... Je suis désolé...
-Désolé pour quoi ?
-D'être venu à l'improviste alors qu'il y a tes parents... Pardon...
-He, Yoongi, la seule chose qui m'importe en ce moment c'est de savoir comment tu vas.
-Je pète la forme...
Après plusieurs secondes, il relevait la tête et attrapait la peluche posée sur le matelas qu'il serrait contre lui.
-Tu veux m'en parler ?
-C'est mon père.
-Quoi ?
-Ça fait deux mois qu'il s'est barré de taule et il n'ose se pointer que maintenant, je pensais qu'il aurait plus de couilles que ça. Pathétique.
-Attends, pause. Qu'est-ce que tu viens de dire ?
-Tu as très bien compris.
J'ouvrais grand les yeux, comment était-ce possible ? Que s'était-il passé en l'espace d'une soirée ?
-Oui mais... Comment ça ?
-J'étais à l'étage quand j'ai entendu qu'on forçait ma porte d'entrée, je n'y ai pas fait attention parce que ça arrive souvent et jamais personne n'arrive à entrer, sauf que... Il y a eu un grand silence donc je suis descendu voir si tout allait bien et... Et j'ai... Il était... Là dans ma...
Il n'arrivait pas à s'exprimer correctement, je le voyais prendre sur lui-même pour ne pas exploser dans les secondes qui suivaient.
-Il était là, dans ma cuisine. Il était assis dans ma putain de cuisine.
C'était exactement ce à quoi je m'attendais. Ce type était un malade et même si mon copain n'avait jamais accepté de me dire pourquoi il était -à la base- en prison, j'avais quelques idées en tête.
-Mon téléphone est tombé sur le carrelage et c'est à ce moment qu'il m'a vu. Il m'a regardé dans les yeux et le seul truc qu'il a trouvé à dire c'est que j'avais grandi depuis la dernière fois.
Yoongi s'essuyait rageusement les yeux avant de reprendre la parole.
-Ça fait des années que je ne l'avais pas vu, je découvre qu'il s'est évadé de prison et il se pointe chez moi ? J'ai cru que je n'en ressortirai pas vivant.
-Et... Après ?
-Il a essayé de s'approcher, et puis il me parlait, c'était... Glauque. Il disait que j'étais devenu comme lui. J'ai compris qu'il était sous drogue, et je ne te parle pas des conneries qu'on prend en soirée, c'était le même genre que celles de ma mère.
Il pris une grande respiration avant de continuer, je voyais bien qu'il était tendu.
-Mon instinct me répétait de me casser mais... J'en sais rien, j'étais comme paralysé.
-C'est souvent comme ça pendant un moment de choc, ça se comprend.
-Sauf qu'en face de moi se trouvait un évadé de taule et j'ai eu plus que peur pour ma vie si tu vois ce que je veux dire. Et puis il s'est mis à parler de Tifanny et il a disjoncté, comme ça, d'un coup.
-Tifanny ?
Aussitôt, Yoongi détournait le regard et se décalait légèrement, comme si je n'allais pas le remarquer.
-Non rien, laisse tomber.
-Yoongi, dis-moi qui est Tifanny.
-Il a commencé à parler d'elle et il a complètement vrillé, je n'ai rien vu venir et je me suis pris une droite. Sur le coup, je n'ai pas réalisé, et quand j'ai compris je...
Il avait repris la parole en prenant soin d'éviter ma question, mais sur le moment, quelque chose me semblait plus important.
-Ne me dis pas que tu l'as frappé en retour.
-J'ai essayé, mais contre un taulard de cent kilos je suis loin d'être du même niveau donc j'ai juste... Je ne me rappelle plus trop... Il m'a dit que c'était pour moi qu'il l'avait fait, que de toute façon Tifanny n'était pas importante à ses yeux et qu'il ferait n'importe quoi pour me récupérer. Il était tellement proche qu'il aurait pu faire tout ce qu'il voulait mais il m'a juste... Frappé ? Je n'ai rien fait, j'étais juste là, en face de lui à le regarder comme un con.
Qui était Tifanny ? C'est la question qui se répétait en boucle à chaque paroles qu'il prononçait.
-J'ai commencé à reculer pour sortir mais il s'est mis pile devant moi, je n'avais plus accès à la porte. J'ai paniqué et je suis parti à l'étage pour descendre par ceux du balcon mais il me suivait et j'ai... Je me suis planqué, il a continué sa course le long du couloir, c'était horrible. À un moment il n'y avait plus aucun bruit alors aussi débile que je puisse être, je suis sorti du placard et j'ai marché en silence pour retourner dans l'entrée. C'est là qu'il est réapparu en courant vers moi et... Il avait un bout de miroir dans la main et je te jure qu'à ce moment là je me suis dit que c'était fini pour moi.
Yoongi reniflait bruyamment et rejetait la tête en arrière, sûrement pour éviter que je vois qu'il pleurait, j'étais sûre que c'était ça.
-Quand il s'est retrouvé à un mètre de moi, j'ai pensé à toi, je t'entendais me crier de faire quelque chose, tu me regardais en me disant que je ne pouvais pas laisser cette ordure gagner. J'ai tracé comme je n'ai jamais couru dans ma vie, en dix secondes je me suis retrouvé dehors. J'ai couru comme si ma vie en dépendait, ce qui était un peu le cas en fait, et je l'ai semé. Et tu sais ce que j'ai fait après ? Je me suis mis à chialer. J'ai pleuré pendant dix minutes pendant que je m'efforçais de sprinter par peur de voir mon taré de père derrière moi. Je suis arrivé chez toi par hasard, enfin je veux dire que je n'avais absolument pas calculé d'arriver jusqu'ici, ça doit être mon instinct ou un truc comme ça.
Finalement, Yoongi lâchait l'ours et attrapait mes deux mains, il mélangeait nos doigts en reprenant une respiration correcte pour continuer son récit.
-Je ne voulais pas que... Je n'ai pas voulu te faire peur en débarquant comme ça, je sais que j'aurais pu aller chez Namjoon mais...
-Je rêve où tu es en train de t'excuser d'être venu chez moi alors que vingt minutes avant tu étais en face de ton père qui te coursait pour te trancher la gorge avec un bout de miroir ?
-Je n'aurais pas expliqué ça d'une façon aussi naturelle mais... C'est à peu près ça.
-Je suis là pour ça Yoongi, tu sais très bien que quoi qu'il arrive, tu peux compter sur moi et je t'assure que mes parents sont le dernier de mes soucis. Ça semble contradictoire mais comprends que je serais toujours là pour toi, peu importe l'heure, l'endroit ou encore le problème.
-Je sais bien mais... Tu m'as récupéré alors que je chialais devant ta porte d'entrée, c'était ridicule. Tu n'aurais jamais dû voir ça et encore moins entendre cette histoire.
-Ne dis pas ça, si quelqu'un ici doit t'écouter raconter ce genre de choses c'est moi, personne d'autre. Tu es mon copain et je veux que tu ailles bien, peut-être que tu ne me parles très peu de tout ce qui touche à ta famille mais jamais je ne te forcerai à le faire et tu le sais. Tu peux me raconter n'importe quoi, tant que tu me parles c'est le principal, j'espère que tu saisis bien ce que je te dis.
Il hochait la tête mais rapidement, repris la parole, semblant avoir oublié quelque chose.
-Je ne t'ai jamais dit pourquoi mon père était en prison n'est-ce pas ?
-Non.
-Homicide volontaire.
Les pièces du puzzle s'assemblaient enfin, ses mots se répétaient dans mon esprit.
-Et... Est-ce que la fille dont tu parlais a un rapport avec ça ?
-C'est elle qu'il a tué.
Il n'avait aucune expression au visage lorsqu'il prononçait ces mots.
-À l'époque où mes parents étaient encore ensemble il avait une maîtresse, elle s'appelait Tifanny. Elle était enceinte et ne voulant absolument pas qu'on le sache, il l'a assassinée, une nuit, dans sa chambre. Les flics l'ont retrouvée sur son lit, il l'avait plantée dans le ventre et apparemment sa gorge était coupée sur tout le long. Mon père a été arrêté, ma mère a demandé le divorce, elle a plongée dans la drogue et je me suis retrouvé tout seul. Il en avait pour trente ans, légèrement raccourci en ce moment même.
Voilà pourquoi il n'avait jamais voulu m'expliquer tout ça avant, je comprenais mieux maintenant.
-C'était il y a quatre ans, j'avais quatorze ans et je peux te dire que depuis ce jour, je vérifie que ma porte est bien verrouillée tous les soirs, je regarde bien chaque fenêtre et principalement la baie vitrée du salon tellement j'ai peur qu'il me retrouve.
-C'est pour ça que quand on dort chez toi tu pars aux toilettes à la même heure à chaque fois ?
-Mardi j'étais vraiment aux chiottes.
J'étais peinée pour lui, c'était bien pire que tout ce que j'avais pu imaginer jusqu'ici.
-Arrête de me regarder comme ça, tu n'as pas intérêt à me dire que tu es désolée.
-Je n'allais pas le faire, je me préparais juste à dire que j'espérais qu'il pourrira en enfer.
Yoongi haussait un sourcil et enfin, un rictus apparaissait sur ses lèvres.
-Je pense que maintenant tu comprends pourquoi je n'ai jamais voulu t'en parler, et n'essaye pas de dire que tu t'en fichais parce que je sais très bien que tu voulais absolument savoir.
-Tu devrais devenir auteur de thrillers, sérieux ça ferait un carton.
-Je viens de t'expliquer que mon père a tué une femme enceinte, qu'il s'est introduit chez moi il n'y a même pas une heure et toi tu me dis d'écrire des romans d'horreur parce que ça marcherait très bien, putain qu'est-ce que je t'aime.
Aussitôt, Yoongi me tirait vers lui, passait ses bras autour de ma taille et écrasait ses lèvres contre les miennes.
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