14 - Au-Dessus des Flammes
~ Ezilly ~
— C'est étrange. Parmi tous les humains que j'ai rencontrés, qu'ils soient Orhs ou non, j'ai pu percevoir la distinction nette entre les différentes énergies vitales. Certaines sont physiques, d'autres spirituelles. C'est ainsi qu'on distingue les Orhs esprits des guerriers... Mais toi, tu es différente. Ton énergie vitale est une boule de fils de toutes les couleurs. À croire que tu n'es rien... Et pourtant tout à la fois.
J'esquissai un sourire amusé en observant la fillette qui me serrait les mains depuis une dizaine de minute froncer les sourcils d'un air profondément concentré. La petite Mimm, plus jeune fille d'Ad'makta, s'était mis en tête de faire de moi une Orh. Et cela commençait par trouver mon énergie vitale, disait-elle. Tâche qui semblait s'avérer plus ardue qu'elle ne l'avait prévue.
— C'est peut-être parce que je n'ai pas eu une vie ordinaire, lui répondis-je en retirant mes mains avec douceur. J'ai sûrement été trop de choses pour qu'on puisse m'attribuer une étiquette...
Elle secoua la tête.
— Chacun nait avec sa propre énergie vitale. Il ne s'agit pas simplement de compétences, mais aussi d'état d'esprit. Havin et le jeune étranger sont des Esprits. Ta cousine et le Patriarche traître sont des Guerriers. J'ai pu le deviner pour eux, alors pourquoi cela ne marche-t-il pas avec toi ?
— Ne te tracasses pas avec ça, souris-je en lui ébouriffant les cheveux.
Je jetai un œil à la dérobée au campement qui s'endormait lentement. Les pères et les mères regroupaient leurs enfants pour que chacun rentre dormir dans sa tente avec sa famille. Les plus âgés des adolescents s'étaient retrouvés sur un pic rocheux surplombant les habitations de fortune, fumant l'encens interdit par les plus anciens et divaguant entre amis. Tandis que d'autres adultes rangeaient les dernières traces du festin de la soirée, les membres les plus importants du clan tels que les trois patriarches, Mama Erma et d'autres anciens entraient un à un dans la grande tente où ils menaient chaque soir leurs discussions. Le soleil était déjà tombé, et les Guerriers chargés de la ronde des premières heures de la nuit étaient déjà à leur poste, sabres et arbalètes en main.
Une femme dans la vingtaine émergea d'une des plus grandes tentes et cria d'une voix puissante le nom de la petite fille assise à côté de moi.
— Je crois que ta maman te cherche.
— Madame la Reine.
Je tournai la tête vers elle.
— Pour un Orh, les cicatrices sont une fierté, car elles sont le symbole des épreuves surmontées. À l'origine, c'est pour cela que nous dessinons sur nos visages et nos corps : nous mettons en valeur nos cicatrices en les entourant d'arabesques et de boucles. Les vôtres, sur votre dos... Elles sont magnifiques, vous savez.
La fillette se leva et s'évanouit dans la nuit avant que je n'aie pu dire quoi que ce soit. Je baissai les yeux vers la terre rouge et sèche, et refermai les paupières sur des larmes naissantes. J'avais toujours haï ces balafres rougeâtres parce qu'elles représentaient ma plus grande honte. Au Palais, une cicatrice sur un corps de femme n'était qu'une impureté. Elles étaient la trace de ce jour où mon enfance heureuse avait pris fin, ce jour où l'Ezilly brisée était née dans le sang. Elles représentaient la déchirure avec tout ce que j'aimais et étais, et la confrontation avec mon terrifiant père, la mort, et l'enfer de la Cour. Les stigmates physiques de cette torture n'étaient que le reflet de celles qui brulaient mon cœur, et c'était de cela, plus que tout, que j'avais honte.
Pourtant, ici... De telles cicatrices étaient symbole de beauté et de puissance ?
Je rouvris les yeux et caressai mes jambes entourées de bandages.
Il était peut-être tant que je transforme cette honte en force, moi aussi.
Cela faisait plusieurs jours que Sho, Yasmine, Eck, Havin et moi vivions au sein de ce clan. Depuis ce soir, où, devant tous, j'avais révélé mon dos à nu, plus aucun Orh n'avait osé me jeter de mauvais regard ou même mettre en doute mon autorité. Si tous n'approuvaient pas notre demande, ils s'ouvraient néanmoins et tentaient d'instaurer une certaine entente entre nous et eux, ceux qu'ils appelaient « les étrangers ». Alors que Yasmine se passionnait pour la broderie et la peinture orh que lui apprenait une certaine Karas, Eck suivait Sho partout, tentant de comprendre et d'assimiler le plus de mots en Weldrissien qu'il pouvait. Quant à Havin, il n'était jamais bien loin de moi – peut-être parce qu'il n'arrivait pas à appréhender cet environnement inconnu. La seule personne, en dehors de notre petite troupe, qu'il fréquentait était Mimm : le lien qui se développait entre eux était fascinant. Sa simple présence semblait apaiser le garçon, dont l'humeur était continuellement maussade. Certaines fois, je le surprenais même à partir se balader seul avec elle en forêt ; ce qui, avec son handicap, requérait une grande confiance en sa petite compagne.
Enfin, moi, je m'étais donné cinq jours pour convaincre les trois patriarches d'accéder à ma requête : former une résistance et attaquer le pouvoir illégitime de mon père.
Mais pour cela, les négociations s'avéraient longues et complexes.
Je me levai difficilement du rocher sur lequel je m'étais assise, appuyée sur le long bâton sculpté que m'avait offert Mama Erma, et je me dirigeai vers la plus grande tente du campement. Quand je glissai mon corps à l'intérieur, les discussions se turent et toutes les têtes se tournèrent vers moi.
— Tiens, notre invitée a daigné se joindre à nous, siffla Forst depuis l'autre bout de l'habitacle, un brûle-gueule fumant au bout des doigts.
— Continuez. Je viens juste écouter.
Comme personne n'avait laissé de chaises pour moi, je me plaçai derrière Ad'makta, dans le renfoncement de la tente, droite et sans rien laisser paraître de la douleur que me provoquais le fait de rester debout. Les Orhs se recentrèrent sur la carte qu'ils étaient précédemment en train d'étudier. Esme, la femme de Forst, une jeune femme tout en calme et délicatesse, désigna un lieu sur le papier :
— Le conseil des esprits s'est réuni la nuit dernière, et après avoir sondé les ancêtres, nous en avons conclus qu'il vaudrait mieux redescendre sur les Terres Rouges au lieu de poursuivre notre chemin vers les Îles.
Le grand Ad'makta hocha la tête, tandis que ses deux compères, Onn-matteï et Forst prirent chacun des notes, l'air sérieux et concentré. Je n'arrivais toujours pas à comprendre comment des guerriers si terre-à-terre tels qu'eux pouvaient être autant superstitieux et croire si fermement dans les prétendus pouvoirs de leurs congénères. J'avais beau avoir beaucoup de respect pour ce peuple que je découvrais peu à peu, cette partie de leur fonctionnement me sidérais toujours autant. Moi qui n'avais jamais cru en rien si ce n'était la force de ma témérité, j'avais du mal à saisir l'importance de leurs croyances.
— Et comment comptes-tu trouver les peaux nécessaires pour survivre à l'hiver prochain, sans commercer avec la tribu des Eretiye, Esprit Esme ? questionna Toma, un grand barbu aux longues tresses noires. Nous avons passé l'été à souffler le verre, et nous n'avons pas chassé assez de bêtes pour confectionner suffisamment de vêtements pour tout le clan.
Souffler le verre ? Je fronçai les sourcils, ayant du mal à comprendre tous les enjeux de la conversation. Les Orhs semblaient débattre à propos de leur migration annuelle, qu'ils effectuaient du sud au nord à la venue de l'été. Est-ce que la guerre à Weldriss était susceptible de changer leur trajet habituel ?
— Je n'ai pas dit que nous devrions passer l'été dans les Terres Rouges. Peut-être pourrions-nous établir de nouveaux échanges avec d'autres tribus du nord ?
— Nous risquons de perdre tout contact avec les Eretiye si nous faisons un tel choix.
— C'est vrai. Nous perdons beaucoup si nous renonçons aux Îles, ajouta Forst avec un regard appuyé à son épouse.
Un toussotement interrompit tous les murmures, et chacun se tourna vers le bout de la table, où siégeait Mama Erma dans un fauteuil paré des plus belles peaux.
— Mes enfants, si nous, Esprits, avons pris une telle décision, c'est avec raison. Si vous peinez à vous convaincre, questionnez vous-même celle qui l'a motivée.
Et sur de telles paroles, elle leva sa canne, qui ressemblait drôlement à celle que l'on m'avait offert, vers mon visage.
Je sentis mes joues rougir.
— Nous avons déjà eu du mal à accepter la présence d'une étrangère dans notre réunion, grogna Ad'makta en se redressant, et il faudrait maintenant qu'on l'écoute ?
— Le sourd est plus idiot que celui qui a tort, mon garçon. Laisse donc parler cette enfant. Elle seule sait à quel point il est dangereux de rester dans ce pays, puisque c'est le sien.
Le colosse fronça ses épais sourcils, plissant son visage couvert d'arabesques noires. Forst siffla du bout des lèvres, me dépeçant du regard, tandis qu'Onn'matteï me dévisageait avec une certaine curiosité. J'avais l'attention des trois patriarches.
Une boule se forma dans ma gorge.
— Que voulez-vous savoir exactement ? questionnai d'une voix posée, masquant ma nervosité.
— S'il est dangereux, possible ou inconscient de se rendre dans le nord de Weldriss pour l'été, répondit aussitôt le plus jeune des trois.
Je m'avançai lentement de ma démarche claudicante jusqu'à la table, afin d'observer la carte en silence. Il s'agissait d'une représentation du contient lunaire assez particulière, puisqu'au lieu de mettre en avant les frontières des différents pays qui le composaient, les territoires étaient nommés selon les noms que leur donnaient les nomades, tels que les fameuses « Terre Rouges », qui couvraient en réalité les royaumes de Marra-con, Arr et Zerim. Je pris quelques secondes pour intégrer tous ces nouveaux noms.
— Quand vous parlez du Nord, vous parlez des Îles ?
Il s'agissait des petites îles qu'on retrouvait au centre de l'immense lac de Weldriss, qui étaient connues pour être des terres isolées et dangereuses et où peu de Weldrissiens osaient s'aventurer, à l'exception de ses rares habitants.
— Ce territoire n'est d'ordinaire que très peu pénétré par la garde royale. Être sur les Îles ne représente en réalité aucun danger. Seulement, pour vous y rendre depuis les Plaines où nous sommes actuellement, il vous faudra traverser tout le sud du pays, sud que les De Carminn ne vont pas tarder à conquérir, puisque ces territoires contiennent les plus grands dissidents que compte le royaume. S'il veut imposer son autorité, mon père devra d'abord mater les insurrections. Et cette zone est connue pour se soulever à chaque changement de tête couronnée. Ils ont beau être antimonarchiques, l'avènement d'un De Carminn ne manquera pas de provoquer des rebellions. Alors si j'étais mon père, je me presserais d'envoyer des unités militaires réprimer le peuple. C'est pourquoi si vous décidez de vous rendre tout de même aux Îles, vous devez vous préparer à affronter les soldats des De Carminn.
Un lourd silence suivit mon explication. Mama Erma sourit, son regard blanc plongé dans le vide, tandis que les Patriarches se raidissaient, contrariés. Mais personne ne me contredit. Ils avaient beau fanfaronner et se moquer de la guerre qui venait d'éclater dans le pays lorsque Sho et moi avions demandé l'asile, il y avait quelques jours, ils semblaient tous désormais avoir pris conscience des conséquences que les troubles du royaume allaient avoir sur eux.
— Nous devrions écouter le Conseil des Esprit, déclara Onn'matteï. Le conseil des Esprits, et la petite reine. Notre priorité est avant tout la sécurité de notre peuple.
Ses deux homologues le dévisagèrent avec consternation. Le troisième patriarche avait beau être le plus jeune, il semblait être tout aussi respecté que Forst et Ad'makta. Je souris en observant leur délibération muette. Voilà bien un système directionnel qui ne pourrait jamais exister à la Cour. Là-bas, les ministres et hauts fonctionnaires étaient bien trop soucieux de leur propre ascension sociale pour écouter les plus jeunes et prendre en compte leur opinion.
— Votons, finit par proposer le grand Ad'makta à la petite assemblée. Toi, ta voix ne compte pas, assena-t-il en me fusillant du regard. Nous t'avons écouté, c'est bien assez.
Je levai les yeux au ciel, avant de me concentrer sur le vote.
La plupart des Esprits suivirent la décision de Mama Erma, tandis qu'une bonne moitié des guerriers présents suivirent Forst lorsqu'il déclara que le clan devait poursuivre sa route peu importe les obstacles. Quelques hommes et femmes, qui n'avaient toujours pas levé la main, reportèrent leur regard sur Ad'makta, qui ne s'était toujours pas prononcé.
— À quoi penses-tu, mon frère ? lui demanda Forst d'un ton moins acéré que d'habitude, étonné face à l'air soucieux de son ami.
— Je pense que... si nous battons en retraite aujourd'hui, nous ne ferons que répéter les erreurs du passé.
— Que suggères-tu ?
L'humeur du grand gaillard avait brusquement changé. Il y avait quelque chose, je ne savais pas quoi – était-ce mes arguments qui faisaient lentement chemin dans son esprit ? – qui avait changé, et il paraissait étrangement perdu et en colère. Reculée dans son ombre, je pus voir les muscles de ses bras de buffle se contracter, alors qu'il creusait la tête meuble en repoussant sa chaise derrière lui.
— Je ne suggère rien. Et vous, merde alors, cracha-t-il en désignant les quelques personnes qui s'abstenaient toujours en attendant sa voix, vous êtes capable de faire vos propres choix. Votez sans moi. Quoi que vous décidiez, nous partons après-demain. Bonne nuit à tous.
Et lorsque le pan de la tente retomba derrière lui, pour une raison inconnue, tous les regards étaient rivés vers moi. Je soupirai.
Mon titre ne m'avait jamais semblé aussi lourd.
*°*°*°*°*
— Alors, qu'ont-ils décidé ?
Sho ne me regardait pas dans les yeux, et c'était tant mieux. Pour une raison que je ne voulais pas m'avouer, je n'osais plus le faire non plus.
— Ils veulent partir vers un autre royaume, et établir de nouvelles relations commerciales pour remplacer celles qu'ils entretenaient aux Îles, si j'ai bien compris. Ils sembleraient qu'ils aient plus peur de Radley que je ne le pensais, ironisai-je.
— Tu n'aurais pas dû les décourager de monter au sud. S'ils s'étaient confrontés à ton père, ils auraient saisi l'ampleur du danger qu'il représente, et nous aurions peut-être eu une chance de les rallier à notre cause. Au lieu de ça, tu leur as fait abandonner tout intérêt à Weldriss.
Sho ricana, mais il n'y avait ni joie ni humour dans ce rire. Il arrangeait le feu depuis cinq minutes avec son épée, sans réaliser que cette dernière était devenue brûlante. Je le dévisageai quelques instants. Il n'avait pas dû tailler sa barbe depuis des jours, il avait l'air d'avoir pris dix ans. Ses cheveux longs pendaient misérablement le long de son visage durci par l'inquiétude et la colère, sentiments qui, mêlés aux reflets du feu sur ses iris, lui donnaient un air terriblement effrayant. J'arrachai une fine branche au tronc mort sur lequel nous étions assis et j'en coupai l'extrémité avec mon poignard.
— Je ne me serais jamais pardonné de leur avoir menti pour servir mes propres intérêts.
— La vie de ton mari en dépend pourtant.
J'accusai le coup. Ça, venant de Sho, c'était particulièrement douloureux.
— Oui. Mais je n'ai pas le droit d'envoyer sciemment à la mort des enfants, des femmes et leur mari pour sauver le mien.
— Sainte Sia, quelle grandeur d'âme.
— Ferme-là.
Il cilla mais ne releva toujours pas les yeux pour autant. J'étais épuisée par ma journée à affronter des inconnus qui me détestaient, nerveuse à cause de la réunion à laquelle je venais de participer, angoissée par ma proximité avec ces flammes qui rougeoyaient devant moi, désemparée face à l'attitude de Sho et désespérée de revoir un jour l'homme que j'aimais vivant. Je retirai toute l'écorce de mon morceau de bois, avant d'y tailler des encoches. Sho ne répliqua rien. Et son silence sonna comme un millier d'excuses à mes oreilles.
Lui aussi, il allait mal.
Après de longues minutes, je finis par lâcher mon couteau. J'avais fini de tailler mon morceau de bois, qui avait pile la largeur de ma main. Sans pouvoir retenir un gémissement de douleur quand je me mis debout, je clopinai jusqu'à faire face aux épaules courbées de mon ami et attrapai d'une main la pauvre masse de ses cheveux. Il se raidit, surprit, mais n'ajouta rien, et je commençai à glisser mon peigne improvisé dans les nœuds de sa chevelure.
— Aïe, grogna-t-il quand je tirai un peu trop fort sur son crâne chevelu.
— Si tu veux pas que je le fasse, trouve-toi une femme pour ça, répliquai-je avec humeur. Ou apprend à te coiffer.
— Au cas où tu l'aurais oublié, je suis déjà fiancé.
— Ah oui ? me moquai-je. Tu me fais des leçons de morale, mais tu es celui qui abandonne sa fiancée depuis des mois sans aucune explication.
— Ça, c'est bas, siffla-t-il. Tu sais très bien pour qui je reste.
— Exactement.
Je donnai un coup sec dans ses cheveux, enfin relativement démêlés, ce qui ne l'empêcha pas de pousser un cri de souffrance.
— Tu restes pour moi, alors ne me rends pas plus malheureuse que je ne le suis déjà. Je fais de mon mieux, Shovaïam. Mais ces gens-là nous détestent, et je commence à croire que ton plan ne marchera jamais. Et pendant ce temps-là, Wyer est je-ne-sais-où, en train de perdre les pédales ou de se faire égorger par mon diable de père, tandis que le royaume qui est censé être le mien se désintègre sur lui-même sous les mains de ce monstre. Alors, dis-moi, que devrais-je faire ? Y a-t-il seulement une solution pour sortir en vie de cet enfer ?
— Ah ! Si je le savais, je ne resterais pas ici à tourner en rond dans un campement où je ne suis qu'un traitre aux yeux de tous.
— Pour ça, tu ne peux t'en prendre qu'à toi-même.
La voix qui venait de surgir derrière nous m'étais désormais désagréablement familière, et je soupirai avant même d'apercevoir son propriétaire. Sho lâcha un drôle de rire, et je sentis ses épaules, sur lesquelles mes mains étaient toujours posées, se tendre brusquement.
— Ad. Quel honneur, tu m'adresses enfin la parole.
Le colosse s'avança devant nous, avant de s'asseoir lourdement de l'autre côté du feu, à même la terre. Les flammes rendaient ses peintures faciales encore plus effrayantes que d'ordinaire, et je frissonnai quand il posa son regard sur moi. Puis il pencha la tête, comme un enfant curieux.
— J'ai du mal à comprendre votre relation. Si tu n'es pas son amante, alors qui es-tu pour lui, étrangère ?
Je lâchai ses épaules. Sho tourna la tête, vers moi, semblant me dire : « Alors, répond. Je me le demande, moi aussi, comment tu me considères. »
— Sho... Shovaïam était l'ami de mon mari.
Une lueur de déception passa dans le regard sombre de ce dernier.
— Puis nous avons vécu tous les deux en tant que frère et sœur. Et ça, c'est une autre histoire, que je le laisserai te raconter. Je te laisse toi-même juger d'à quoi notre relation ressemble, et y mettre un nom si cela te perturbe tant que cela.
Ad'makta nous fixa durant quelques secondes avant d'éclater d'un grand rire guttural.
— Définitivement, si tu n'étais pas aristo, tu m'aurais plu, gamine.
Je grimaçai un sourire. En voilà un qui s'entendrait bien avec mon époux.
— Tu veux nous dire quelque chose, n'est-ce pas, Ad ? lança l'ancien maître d'armes en se redressant. Arrête de bavarder et crache le morceau.
Et au travers du regard qu'ils échangèrent, je perçus alors, au-delà de leur hostilité mutuelle, les profondes traces d'une vieille amitié. Après tout, selon l'histoire que m'avait conté Sho, ils avaient formé autrefois, avec Forst et Onn'matteï, un groupe d'amis soudés qui avaient pris la tête du clan ensemble, devenant les Quatre Patriarches.
— Je... Je me demande si l'on ne devrait pas vous aider.
J'écarquillai les yeux, et ce fut comme si mon corps entier reprenait vie.
— Attention, ça ne veut rien dire. Si jamais c'était une option que l'on venait à envisager, ce serait une décision à laquelle le clan entier devrait adhérer. Mais... Mais cela fait des dizaines d'années que les peuples nomades se font massacrer par les Rois de ce pays. Et encore aujourd'hui, des éclaireurs sont arrivés et m'ont parlé de la situation au sud. Des villages entiers se font piller par les soldats du nouveau Roi. Alors nous concernant... Je crains qu'il ne soit plus que question de jour avec qu'une guerre ne se déclenche à nouveau entre eux et nous. Peut-être qu'il serait plus avantageux de profiter de cette instabilité pour renverser définitivement la monarchie.
En un instant, mille pensées se bousculèrent dans ma tête. Je savais que ce moment, et que ma réponse à ce chef Orh déterminerait tout mon avenir, et celui de Weldriss. Pendant quelques secondes, je fixai les flammes qui dansaient devant moi.
Et soudain, je pris ma décision.
— Je suis prête à abandonner la couronne. Si vos guerriers s'allient à nous et que nous renversons les De Carminn, je vous promets qu'une fois mon mari sauvé, nous supprimerons cette monarchie. Et alors, peut-être pourrons-nous créer tous ensemble, un gouvernement juste, qui ne massacrera ni le peuple de Weldriss, ni les nomades, et fera régner la paix. Qu'en penses-tu, Patriarche ?
Il me tendit la main, et cette main-là était suspendue juste au-dessus du brasier. Je pris une grande respiration. Si je voulais avancer, je devais oublier à quelque point le feu me terrifiait.
Alors je me levai et avançai mon bras sans trembler, au-dessus de ces flammes rougeoyantes. Et je sus à cet instant que cette poignée de main marquait notre salut.
— J'en pense que c'est le début d'une grande alliance, Poulette.
*°*°*°*°*
Bonsoir à tous, j'espère que vous passez une merveilleuse journée !
Je suis en ce moment en train de taper dans mes réserves pour vous publier la suite, j'ai bientôt peur d'arriver à court avant les grandes vacances... MAIS ne vous inquiétez pas trop, chers lecteurs fidèles - je suis en ce moment attelée à la partie la moins agréable (en tout cas pour moi) de l'écriture : construire le plan de la suite et fin du tome. Car en effet, le 3 sera le dernier de cette saga !
En attendant la fin, j'espère que vous savourez tout autant que moi chacun de ces chapitres. Je m'excuse encore pour le temps d'attente entre chaque publication TT.
Que pensez-vous de cette plongée dans le clan des Orhs ? Et surtout de la véritable identité de Sho ?
À titre personnel, c'est un régal de pouvoir vous sortir un peu du paysage du Palais et de pouvoir travailler sur une nouvelle culture ^^
On se retrouve très bientôt pour la suite avec Wyer, prenez soin de vous !
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