Il y a longtemps... (BONUS)
— Ezi, dépêche-toi un peu !
Une toute petite fille aux joues roses accourut vers la berline, avant de grimper dedans tant bien que mal, tout essoufflée. Elle lâcha un long soupir dramatique, faisant rire sa cousine.
— Arrête de te moquer ! grogna la fillette. Cette robe est trop grosse, je vais étouffer.
— Allons, ma chérie, s'exclama sa tante en montant élégamment dans la voiture, ce sera ta première fois à la capitale. Tu te dois de te montrer dans ta plus belle toilette !
— Des toilettes, on en a déjà à la maison.
Yasmine pouffa, et sa mère leva les yeux au ciel. La voiture démarra et il ne fallut pas beaucoup de temps à la petite Ezilly pour s'assoupir contre sa cousine.
Délia Tavarez se rendait une fois par an à la capitale, pour aller faire quelques achats impossibles à la campagne. C'était la première fois qu'elle y amenait sa deuxième fille, cette petite nièce qu'elle élevait depuis maintenant cinq ans. Elle avait voulu la préserver au maximum de la brutalité du monde extérieur... Mais cette tête de mule insistait, prétextant qu'elle voulait voir « le Palais du Roi ». Alors Délia avait cédé ; il était temps qu'Ezilly rencontre le grand monde.
La diligence s'arrêta à l'entrée de la capitale, et Délia et ses filles descendirent, suivies des quelques autres passagers. Ezilly, encore tout assoupie, se frotta les yeux, avant de les écarquiller en découvrant l'agitation et les grands bâtiments de la ville.
- Ouah, s'ébahit la fillette. Ces maisons sont immenses !
Yasmine éclata de rire et entraîna sa cousine avec elle. La petite fille lui prit la main, à la fois effrayée et fascinée par ce monde inconnu qui s'offrait devant elle. À ses yeux d'enfant, tout était merveille – les vêtements chics des passants, les dorures des boutiques, les vitrines magnifiques, les différentes langues et accents qui s'entremêlaient dans la foule...
Chose rare, l'enfant était tellement ébahie qu'elle resta muette durant de longues minutes. Elle suivit sa tante dans une petite épicerie, qu'elle découvrit avec de grands yeux émerveillés. Tous ces paquets colorés, toutes ces senteurs délicieuses et inconnues l'éblouissaient et lui faisaient palpiter les narines.
— C'est quoi, ça ? s'exclama-t-elle en attrapant la manche de sa cousine.
— Des bananes... Ce sont des fruits rares qui viennent du royaume d'Arh.
— On peut en acheter, Tata ? supplia la petite fille.
Délia éclata de rire.
— Quand tu seras riche, évidemment !
— Dix de ces fruits coutent autant qu'un cheval, lui souffla à l'oreille sa cousine. C'est de la nourriture pour les bourgeois, ça...
La petite fille écarquilla les yeux.
— Y a vraiment des gens qui payent autant pour des fruits ?
— Y a des gens qui en mangent tous les jours.
La petite Ezilly fronça les sourcils et fit la moue.
— Ils sont méchants. S'ils ont autant d'argent, ils devraient partager avec tout le monde. Tout le monde devrait manger des nananes.
— Ba-na-ne, pouffa Yasmine.
Soudain moins enjouée, l'enfant baissa la tête. Elle aurait bien aimé pouvoir goûter à ces fruits si magnifiquement dorés.
Délia continua de passer de boutique en boutique, et à la troisième épicerie, Ezilly commença sérieusement à s'ennuyer. Tout était si brillant et propre qu'on lui interdisait de toucher – c'était à peine si elle avait le droit de poser les yeux sur le contenu des vitrines !
À la quatrième boutique, tandis que sa cousine essayait une robe, la petite fille aperçut une fillette de son âge, le visage sale et rachitique, qui posait ses deux doigts noirs sur la porte en verre. Elle la fixait avec la faim dans les yeux. Ezilly jeta un regard à sa tante, puis regarda à nouveau la petite mendiante. Personne ne faisait attention à elle... Elle pouvait bien s'éclipser dans la rue, non ?
Elle passa la porte et se retrouva nez à nez avec la mendiante. Elle semblait avoir exactement son âge. Elle avait les mêmes yeux bleus.
— Pourquoi tu n'es pas avec ta maman ? demanda Ezilly
— J'ai pas d'maman.
— Oh...
Ezilly l'observa longuement. Soudain, elle entendit un grand gargouillement de ventre. Elle éclata de rire. Ce bruit la faisait rire depuis petite. La mendiante, elle, ne riait pas.
Ezilly perdit son sourire, et baissa les yeux, coupable. Alors, lentement, elle sortit de sa poche un croissant tout doré que sa tante lui avait acheté plus tôt. C'était la première fois qu'elle en avait un, alors elle avait décidé de la garder pour le déguster plus tard... Mais cette petite fille toute sale qui lui ressemblait tant paraissait en avoir plus besoin qu'elle.
— Je te passe la moitié, si tu veux.
À cet instant, un éclair affamé passa dans les yeux bleus de la fillette, et elle lui arracha la pâtisserie des mains, avant de détaler.
— Eh ! hurla Ezilly.
Ni une ni deux, elle se précipita à ses trousses. Sa tante avait payé cher son croissant, elle voulait au moins goûter une petite bouchée !
Dans sa course effrénée, Ezilly manqua de se faire renverser à deux reprises par une carriole, faillit tomber sous les sabots d'un cheval de trait, et se fit asperger de boue par la roue d'une berline qui roula dans une flaque. Bientôt, elle avait perdu la petite mendiante voleuse de pâtisserie, et elle se retrouva seule, perdue au milieu de la route, et terrifiée. Elle se replia au coin d'une rue, et tandis qu'elle réalisait sa bêtise, les larmes lui montèrent aux yeux.
— Oh non, je suis trop bête... pleurnicha-t-elle.
Les rues de la capitale étaient en réalité de véritables labyrinthes truffés de pièges et de dangers. À présent, Ezilly ne trouvait plus rien de joli. Les gens parlaient fort, les diligences et chariots passaient à toute allure sur la route, les habitants courraient dans tous les sens, bousculant les autres sans prendre garde, jetant les plus faibles au sol, dans la boue et la saleté. La petite fille, pétrifiée, ne put qu'observer les gens passer devant elle et ignorer sa détresse.
Parmi ce tumulte, un cri la fit sursauter.
— Dégage d'là, sale morveux !
Quelque chose lui tomba alors dessus, et elle gémit lorsque sa tête se cogna à la vitre de la boutique contre laquelle elle était recroquevillée.
— Aïe...
Quand elle ouvrit les paupières, elle tomba alors sur deux yeux gris injectés de sang qui la fixaient désespérément. Ezilly battit des paupières, interdite. Elle n'avait jamais vu un regard pareil.
Le garçon qui avait été poussé sur elle se releva maladroitement, avant de tituber, sans cesser de braquer son regard sur elle. Il semblait avoir son âge, et il paraissait mal en point. Ses cheveux bruns étaient complètement ébouriffés, ses beaux vêtements étaient tachés et déchirés. Il devait être malade, car ses yeux étaient vitreux et rouges.
— Tu t'appelles comment ? murmura Ezilly, un peu rassurée de trouver quelqu'un de son âge.
— Mon nom ?
Il secoua la tête et chancela, comme s'il avait du mal à rester debout.
— Son... Son Altesse Royale. Tout le monde m'appelle comme ça...
La fillette renifla et essuya ses larmes.
— C'est un drôle de nom.
Il décocha son regard d'elle et le replongea dans le vide, avant de s'avancer vers une étroite et sombre ruelle. Interloquée, Ezilly le suivit.
— Toi aussi, tu es perdu ?
Il marchait bizarrement, et ne semblait pas l'entendre.
— Attention !
Il se cogna la tête au mur et lâcha un cri de douleur, avant de se laisser glisser jusqu'au sol. La fillette se précipita vers lui, inquiète.
Un peu de sang coulait de son front. Aussitôt, Ezilly dénoua le foulard blanc qui ornait son cou, et le compressa sur la plaie du garçon.
— Tu as le même regard que les travailleurs de la ferme quand ils boivent du vin. Tu as bu du vin, toi ? fit-elle d'un ton moralisateur.
— Un serpent m'a mordu, souffla-t-il. Tout est flou, maintenant.
— Un serpent ? Oh, ça doit être les effets du poison... Tata dit toujours qu'il ne faut pas jouer dans les herbes hautes parce qu'il y a des méchantes bêtes et qu'il faut faire attention. Ça fait très mal ?
De grosses larmes coulèrent des yeux rougis du garçon perdu, et Ezilly eut soudain de la peine. Il la regarda comme si elle venait de dire quelque chose de terrible.
— Personne ne m'a jamais demandé si j'avais mal, sanglota-t-il.
Il ressemblait à un pauvre animal blessé. Ezilly se mordit la lèvre, l'observant pleurer tout doucement. Alors, elle le prit dans ses bras. Elle le berça doucement, de la même manière que faisait tante Délia quand elle avait un gros chagrin ou qu'elle n'arrivait pas à dormir. Elle le sentit hoqueter et trembler contre elle. Alors elle resta comme ça, longtemps, et tandis que les sanglots du garçon se calmaient, sa peur à elle disparut aussi, comme si cette étreinte d'enfant avait soigné toutes leurs blessures.
Elle ne songeait même plus à sa tante et sa cousine qui devaient s'inquiéter. Ce garçon délirait, et elle avait le sentiment qu'elle en était responsable, lui qui n'avait plus toute sa tête.
— On devrait aller chercher un médicament. Le poison pourrait être dangereux.
Il la fixa un instant de son regard injecté de sang. Un brin troublée, elle faillit se perdre dans la brume de ses yeux. Elle l'aida à se mettre debout, et lui saisissant le bras, l'entraîna avec elle.
Ils sortirent tous les deux dans la rue passante, et le bruit leur sauta aussitôt aux oreilles. Le pauvre garçon tremblait de tout son corps, et Ezilly ne sut s'il était effrayé ou si c'étaient les effets de la morsure de serpent.
— Viens, viens, murmura-t-elle en serrant fort sa main.
Au loin, elle vit une grande boutique toute dorée. Elle songea alors aux vêtements chics du garçon : il devait avoir des parents riches... Peut-être qu'un marchand tout aussi fortuné le reconnaîtrait et leur viendrait en aide.
Elle poussa la porte battante, et une petite cloche résonna dans la grande pièce. Émerveillée par le luxe de l'immense magasin, elle avança sans trop réfléchir, le regard rivé au plafond orné de grandes fresques colorées. Perdue dans sa contemplation, elle sentit alors quelqu'un tirer sur sa manche. C'était le garçon malade. Il avait un regard terrifié. Plus seulement vitreux, mais véritablement terrifié... Comme si l'effroi lui avait redonné un élan de lucidité.
En tournant la tête vers le fond de la pièce, Ezilly comprit alors la réaction de son compagnon.
Bien alignées contre le mur, de minuscules cages dorées se succédaient. Et dedans, il n'y avait pas d'animaux, non... Il y avait des enfants.
Des enfants comme Ezilly.
— Vous êtes bien jeunes pour acheter des esclaves, ricana une voix rauque derrière eux.
Un grand monsieur bien gras surgit alors de l'ombre, et adressa un drôle de sourire tordu aux petits visiteurs. Ezilly recula, son instinct lui murmurant que cet homme et cet endroit étaient dangereux. Elle qui cherchait de l'aide pour le garçon, elle s'était bien trompée...
— C'est quoi, des esclaves ? trouva-t-elle tout de même le courage de demander.
— Des enfants pas sages.
Le monsieur rigola, et Ezilly eut la chair de poule. De grands yeux globuleux et rouges la fixaient depuis les visages chétifs cachés derrière les barreaux. La fillette sentit les larmes lui monter aux yeux. Ces enfants lui ressemblaient. Alors pourquoi étaient-ils dans des cages, comme de vulgaires volailles ? Pourquoi le monsieur les laissait-il dedans ? Pourquoi parlait-il « d'acheter » les enfants, comme on achèterait des robes ou des fruits ?
— Ce ne sont pas des nanimaux, souffla Ezilly avec un regard noir.
Elle lâcha alors la main du garçon, et se précipita au fond de la pièce. Dans la première cage, une petite fille aux longs cheveux roux la dévisageait avec un mélange de terreur et d'espoir. Elle ressemblait à un squelette. Elle murmura faiblement quelque chose, dans une langue qu'Ezilly ne comprit pas. Mais elle savait ce qu'elle voulait.
— Je vais te sortir de là !
D'un geste rageur, elle retira le verrou et ouvrit grand la cage. Le monsieur se mit à crier, et courut vers les fillettes. Mais Ezilly refusa de s'arrêter. Elle ouvrit la cage suivante, puis se précipita sur la troisième. Mais alors qu'elle faisait coulisser le verrou, une main l'attrapa violemment au col de sa robe, et elle se sentit soulevée de terre. Étranglée par son propre vêtement, elle vit approcher avec horreur le visage enragé du marchand d'esclaves. Une lourde claque fondit sur son visage, et son corps se balança dans le vide. L'enfant ne voyait plus rien. Elle ne ressentait plus que son désespoir et la peur qui battait dans ses veines.
— À l'ai...
— Lâche-la !
Le cri de rage se fondit avec l'exclamation de douleur du marchand. Ezilly retomba violemment au sol, mais n'eut pas le temps de recouvrer ses esprits qu'une main l'attrapa et l'entraîna hors du magasin. C'était le garçon qui l'avait sauvé. Clopinant comme elle pouvait, la jeune paysanne fixa le derrière de sa tête avec un regard larmoyant, mais reconnaissant. Alors qu'ils avaient déjà passé plusieurs échoppes, il trébucha et s'écroula à nouveau dans la boue. Sa lucidité n'avait pas tenu longtemps.
— Merci de m'avoir aidé...
— Les gens... Les gens ici sont dangereux, murmura le garçon d'une voix rauque et vacillante.
La petite déglutit, le cœur battant encore à toute allure.
— Comment peuvent-ils faire ça à des humains ? Les riches sont tellement méchants. Ils enferment les enfants dans des cages, mangent des fruits si chers qu'on pourrait nourrir des familles entières avec cet argent... Je les déteste, cracha-t-elle.
Plongé dans les yeux bleus de la fillette, le garçon réalisa alors combien elle avait raison. Il songea à tous ces gens qui vivaient chez lui, dans ce grand château. Eux étaient pareils que ce méchant marchand.
Une profonde rage grossit dans son cœur. À cet instant, malgré la transe dans laquelle il était plongé, un éclair de lucidité le traversa, et il se jura alors quelque chose, qui – il ne le savait pas encore – bouleverserait sa vie à jamais.
Jamais il ne serait comme tous ces aristocrates.
Pour toujours... Il les haïrait.
De longues heures après, dans la calèche qui les ramenait à la ferme, Tante Délia faisait la leçon à Ezilly. Elle ne devait pas s'éloigner de sa famille, et surtout pas courir au loin dans la rue. Le monde de la ville était trop dangereux pour une petite fille seule comme elle.
La fillette n'écoutait pas. Elle songeait à ces grands chevaux blancs et ces soldats qui avaient emporté le petit garçon aux yeux gris. Elle revoyait les regards terrifiés et affamés des enfants dans les cages dorées. Elle sentait encore sur sa joue la brûlure de la gifle du marchand d'esclaves.
— Tata... C'est qui, « Son Altesse Royale » ?
Un silence surpris interrompit la colère de Délia.
— Quelqu'un que tu ne rencontreras jamais. Pourquoi ?
La jeune Ezilly esquissa un léger sourire, et tourna sa tête vers la fenêtre, le regard perdu à l'horizon.
— Pour rien.
*°*°*°*°*
1) Je suis très heureuse de vous retrouver.
2) J'espère que la rentrée s'est bien passé pour ceux dont c'était le grand jour... Les autres, je vous souhaite un bon retour à la dure vie ^^
3) Pour ceux que ma petite vie intéresse et qui veulent papoter avec moi, rendez-vous sur mon insta : fleur_deslys (envoyez- moi un IloveUSho ou un teamsadique pour que je vous accepte)
4)
...
COME BACK DANS DEUX SEMAINES.
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