6 - Chantage Royal
Rappel des premiers chapitres...
Ezilly, persuadée de la mort de Wyer, vit désormais avec Shovaï sous une fausse identité dans un petit village Malaïen. Elle noie son chagrin dans son travail de lavandière et son temps passé auprès des enfants d'un orphelinat, tandis qu'elle fuit toute relation par peur de souffrir à nouveau. Après avoir failli perdre la vie dans une rivière glacée, ses amis de l'orphelinat découvrent alors qu'elle n'est peut-être pas ce qu'elle prétend être.
Depuis le départ d'Ezilly du Palais, Wyer s'est entièrement refermé sur lui-même ; et quand son père décède brusquement, il se retrouve assiégé de toutes parts dans cette guerre sans fin pour le trône. Peu après la mort du Roi, la Reine, folle de chagrin, s'en prend à lui...
~ Wyer ~
J'avais toujours su que ma mère ne me m'aimait pas.
Quand j'étais tout petit, je pensais que c'était parce qu'elle ne supportait pas les enfants. Puis en grandissant, je m'étais dit qu'elle était trop occupée pour s'intéresser à moi. Alors j'avais enchaîné toutes les bêtises qu'il était possible de faire dans un château, dans l'espoir qu'exaspérée, elle vienne se fâcher contre moi une bonne fois pour toutes. J'avais tellement prié pour recevoir une gifle, ce qui aurait été un immense geste de considération de sa part... Cela m'aurait prouvé qu'elle savait que je me comportais mal, que je l'énervais et surtout, qu'elle se souvenait qu'elle avait un fils. J'en avais longtemps rêvé.
Et bien qu'au fil des années qui passaient, mes espérances s'étaient effritées et que j'avais peu à peu réalisé que la Reine ne se souciait définitivement pas de moi, j'avais néanmoins toujours gardé un stupide germe d'espoir.
Ce ne fut que lorsque j'ouvris les yeux, ce matin-là, que la vérité me frappa de plein fouet.
Ce n'était pas que ma mère ne m'aimait pas. Non.
C'était bien pire.
Elle me haïssait.
Je montai lentement les mains à mon cou. Je grimaçai. Ma peau était enflée et douloureuse. Et il y avait sans doute une trace. Cela prendrait des semaines à disparaître.
Je fixai le plafond, songeant à quel point les peintures y étaient belles. Je sentis un irrépressible sourire s'étirer sur mes lèvres. Et une larme coula sur ma joue.
Qui aurait cru que celle qui m'avait donné la vie chercherait un jour à me la reprendre ?
Les rideaux étaient tirés, et malgré la lumière qui provenait de derrière, une certaine pénombre régnait dans la pièce. Tant mieux. Je ne me sentais pas prêt à affronter le jour, aujourd'hui. Je continuais de sourire, comme j'avais toujours appris à faire pour sauver les apparences, dans un dernier déni de ce qui s'était passé, mais mes lèvres tremblaient. Je revoyais ma mère resserrant ses mains autour de mon cou, son regard empli de haine me transperçant le cœur. Je glissai ma main sur mon visage pour cacher les larmes qui y coulaient.
« Je ne suis pas ta mère. Je ne le serais jamais, espèce d'assassin. »
La Reine avait voulu me tuer.
Ma propre mère.
Je ne savais même pas ce qui me surprenait le plus. Qu'elle ait officiellement nié le lien maternel qui la liait à moi ? Qu'elle m'ait accusé d'avoir tué mon père ? Ou qu'elle ait passé ses mains autour de mon cou ?
Je restai de longues minutes ainsi, à moins que ce ne soit des heures. J'avais perdu la notion du temps. Lorsque je retirai la main de mon visage, il était sec. Je n'avais même plus de larmes. Ma douleur était silencieuse et invisible.
Je me redressai péniblement. Mon corps me semblait lourd, plus qu'il ne l'avait jamais été. Je courbai le dos, épuisé. Mes mains se crispèrent sur les draps, je carrai ma mâchoire, je plissai les paupières jusqu'à en avoir mal.
Relève-toi, Wyer. Tu as déjà vécu mille et une douleurs. Ce n'est pas celle-ci qui t'achèvera...
Sans que je ne puisse les contrôler, mes mains se mirent à trembler. J'écarquillai brusquement les yeux. Mon cœur s'affola. Je n'arrivai plus à respirer. Je sentais encore les mains de ma mère autour de mon cou, je la voyais encore tenter de m'étrangler, et je ressentais cette terrible pression qui me faisait ouvrir la bouche pour rechercher l'air... En vain.
Ma vision se brouilla.
Non, je ne dois pas me laisser avoir par la panique... Je dois garder mon sang-froid... Ce n'est pas le moment de lâcher prise... Il ne faut pas...
Je plaquai mon alliance contre mes lèvres.
Aussitôt, une vague de douceur me calma. Je l'imaginai à côté de moi, me tenant la main, me souriant avec tendresse, mon regard plongé dans ses si magnifiques yeux bleus. Mon cœur ralentit doucement, mes mains cessèrent de trembler et ma crise de panique sembla s'évaporer dans l'air.
- C'est vrai, murmurai-je à moi-même. C'est pour elle que je me bats. Alors il est temps de se relever.
J'esquissai un triste sourire, et chassai ma mère de mes pensées.
Je ne pouvais pas me permettre la moindre faiblesse. J'avais un Palais à tenir debout.
Lorsque je fis irruption dans l'immense salle du Trône, les seigneurs s'agenouillèrent tous en un grand bruissement d'étoffes et de taffetas. Puis le silence se fit. Seuls mes pas secs résonnaient sur le marbre. Quand j'eus atteint les marches qui surélevaient le siège royal, je me retournai, le dos raide et le regard dur. Je retins un rictus en découvrant qu'il n'y avait là que la moitié de l'habituelle Cour. Les plus puissants avaient tous fui. Et ceux qui étaient restés tremblaient de peur.
- Le Roi est mort ! Vive le Roi !
Qu'ils sont ridicules, pensai-je en retenant une grimace de dégoût. Pas un seul d'entre eux ne pense un traître mot de ce qu'il me souhaite.
La couronne pesait lourd sur ma tête. Ce n'était pas encore celle qui me hisserait définitivement au rang de Roi, mais elle était déjà bien trop imposante à mon goût. On m'avait forcé à enfiler des gants noirs en velours, engoncé dans un pourpoint – qui pourrait payer à lui seul une année entière de provisions pour un petit village – et enfin, on m'avait aspergé de parfum écœurant, habillé de blanc et d'or, les couleurs de Weldriss, et on avait lustré jusqu'au bout de mes souliers. Moi qui passais mon temps en tenue discrète et sombre de cavalier, j'avais l'impression d'être devenu une autre personne. J'avais bien honte de toute cette mascarade...
Commença alors le défilé des condoléances et des félicitations. Chacun venait s'incliner à mes pieds, déversant toute la peine que leur faisait la mort de mon père, et l'instant d'après, me félicitant de monter sur le Trône. Étrangement, alors même que le couronnement n'était pas passé, ils semblaient tous reconnaître ma légitimité. Ce fut en surprenant des chuchotements parmi la foule que je compris qu'il n'en était rien. Bien sûr. Qui oserait protester au nez du Prince qui les terrifiait ? Non, les rumeurs et complots étaient bien plus efficaces...
Je serrai les poings, réalisant à quel point leurs sourires étaient faux. Ils me haïssaient tous, sans exception. Et je compris à leurs regards froids qu'ils ne comptaient pas faire de moi le Roi.
Après une ou deux heures assis à regarder défiler les aristocrates, enfin, cette comédie prit fin. J'allais me lever pour mettre un terme à la séance, lorsqu'un des plus importants ministres s'avança devant le trône.
- Votre Altesse, déclara-t-il en s'inclinant. La Princesse a-t-elle été mise au courant de la mort du Roi ?
Je me figeai, et parcourus la foule des yeux. Alors c'était ça.
Il allait utiliser Ezilly pour me destituer.
- La Princesse est en voyage. Il n'est pas nécessaire de la déranger avec de mauvaises nouvelles, mentis-je en le foudroyant du regard.
- Elle préférerait sans doute être à vos côtés pour affronter ce dur moment, ne pensez-vous pas ?
Je cillai. Il touchait là où cela faisait le plus mal.
- Je préfère éviter à mon épouse une telle peine.
Personne dans l'assistance n'était dupe.
Quatre ans auparavant, lorsqu'Ezilly avait brusquement disparu, j'avais prétexté que sa famille l'avait appelé d'urgence. Puis quand mon mensonge était devenu trop évident, j'avais officiellement déclaré qu'elle était partie dans un grand voyage, pour nouer des amitiés avec d'autres royaumes. Tous avaient fait semblant de me croire, mais je savais qu'en réalité, les pires rumeurs parcouraient le Palais.
Cela faisait plus de quatre ans que la Princesse n'avait pas donné de signe de vie : certains pensaient qu'elle s'était enfuie pour ne me pas avoir à subir ma méchanceté, d'autres racontaient que je l'avais exilée après avoir découvert qu'elle me trompait – ce qui était tout de même tiré par les cheveux au vu de l'âge que nous avions – et enfin, les pires murmuraient qu'elle était morte sous mes coups. S'ils savaient...
- Je crains malheureusement qu'un couronnement ne puisse avoir lieu en l'absence de la future Reine, Votre Altesse Royale.
Une sourde colère enflamma mes veines, se répandant dans tout mon corps. Je me redressai lentement du trône, et l'assemblée se tassa. Ils baissèrent la tête sous mon regard noir de rage.
- Qui a décidé d'une telle chose ?
- Moi-même, mon cher beau-fils.
L'homme qui surgit alors de la foule s'inclina devant moi. Et lorsqu'il releva la tête, j'écarquillai les yeux :
Radley De Carminn.
L'homme qui avait brisé la vie de celle que j'aimais.
Il me fallut un immense contrôle pour me retenir de lui sauter au cou.
- Un Prince n'a point d'ordre à recevoir d'un simple seigneur.
- Il n'y a rien de tel, Votre Altesse, répliqua-t-il en imitant mon sifflement. Seulement, en tant que principal conseiller et allié de Son Altesse, je vous prie de faire chercher ma fille. Pour le père que je suis, rien ne saurait me rendre plus heureux que de voir mon précieux enfant monter sur le trône.
Son petit discours transpirait l'hypocrisie. Mon précieux enfant ? Je réprimai un rire ironique. Je sentais le poids de mon épée, contre ma jambe ; je dus enfoncer mes ongles dans mes paumes pour m'empêcher de la saisir et le l'enfoncer dans le ventre du monstre qui me faisait face.
- Depuis que je suis né, ma seule volonté est de servir la couronne et d'être loyal à Weldriss... Mais l'affront que serait l'absence de ma fille à votre couronnement ne me retiendra plus, Votre Altesse. Mon armée et moi-même rejoindrons Hosloward.
Son chantage était si direct qu'un murmure de stupéfaction traversa l'assemblée. Les De Carminn étaient pratiquement plus riches et puissants que le Roi : les grands alliés de la couronne ayant déserté, Weldriss ne pouvait pas se permettre de perdre son plus précieux partisan. Notre territoire se ferait aussitôt envahir par nos voisins, des guerres éclateraient aux quatre coins du royaume, et il sombrerait dans le sang et le chaos.
Je ne pouvais faire ça à mon pays.
Je n'avais pas le choix ; et Radley le savait.
- Menacez-vous le Prince, De Carminn ? grondai-je en omettant volontairement les honorifiques.
- Il s'agit seulement de vous prévenir, De Welborn.
Cette fois, la foule ne fut pas la seule à être choquée par son attitude. Je me levai du trône, bouillonnant de colère. Je me fichais que l'on parle ainsi à un Prince – je n'avais cure de l'étiquette – mais un tel manque de respect était une menace ouverte. Le regard perçant de l'homme face à moi semblait dire : « si tu n'offres pas la couronne à ma famille, je me range du côté de ton ennemi, compris, sale gosse prétentieux ? ».
Non. Je ne pouvais pas faire revenir Ezilly à la Cour. Le complot qui pesait sur sa vie pouvait très bien être toujours d'actualité ; et la situation ici n'avait jamais été aussi dangereuse. Moi-même, je ne pouvais plus me permettre de manger la nourriture du Palais – j'en étais rendu à envoyer la seule personne en qui j'avais confiance me chercher de quoi me nourrir au marché de la capitale. Alors, faire venir un agneau dans une grotte emplie de loups... Non, c'était impossible. Et Ezilly avait une nouvelle vie, des gens qui l'aimaient, comme me le témoignaient ses lettres. Même si elle était triste, elle était libre et en sécurité.
Elle avait déjà trop souffert : elle méritait de vivre une vie calme et heureuse.
- Elle ne reviendra pas.
- Je me doute que vous avez besoin de temps pour y réfléchir, annonça mon beau-père avec un faux sourire qui me donna envie de l'étriper. Je partirai après-demain – à moins que vous ne preniez la bonne décision... Votre Altesse.
Il s'inclina en une profonde révérence, puis l'assemblée l'imita. Et chacun se retira.
Quand je fus seul dans cette immense salle, je me laissai choir sur le trône et me pris la tête entre les mains. La solitude pesait plus que jamais sur mes épaules. Que devais-je faire ? Céder au chantage de Radley De Carminn et mettre la vie de mon épouse en danger, pour sauver mon pays ; ou résister et livrer des milliers d'innocents à la guerre ?
Bien que la décision soit dure à avouer, je savais déjà quel serait mon choix final.
Je ferais venir Ezilly pour le couronnement.
Puis elle repartirait aussitôt, comme si elle n'était jamais revenue.
*°*°*°*°*
Bonjour à tous !
Cela fait des mois maintenant que je n'ai pas publié... Mais j'ai profité de cette pause pour travailler plus dur sur cette histoire. Et oui ! Je suis loin d'avoir abandonné WE... Au contraire, j'ai continué d'écrire, et j'ai à présent de nooombreux chapitres d'avance.
C'est donc avec joie que je reviens de plus belle sur Wattpad, pour poursuivre l'histoire d'Ezilly et Wyer, qui, à votre grand dam, je le sais, ne se sont toujours pas retrouvé 😂 Mais cela va venir, patience ! (dit celle qui vous fait attendre depuis des mois 😅)
Je suis de retour avec un rythme de publication précis, que je tâcherais de tenir du mieux que je peux. WE sortira désormais tous les dimanches après-midi, et ce pendant au moins deux mois ! J'espère que vous serez au rendez-vous.
Sur ce, je vous souhaite tout le meilleur, en espérant que cette histoire vous tienne en haleine pour longtemps encore !
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro