35 - Impardonnable
~ Wyer ~
Cela faisait trois jours que j'avais manqué de tuer mon meilleur ami.
Sho s'était réveillé. Il avait rapidement été pris en charge par le médecin royal, et avait repris connaissance quelques heures seulement après le drame. Par miracle, sa blessure au ventre n'avait touché aucun organe vital, et il avait insisté pour rentrer au Palais avec Ezilly. La situation à la Cour était trop critique pour que nous nous permettions de rester trop longtemps loin du château. Comme Ezilly l'avait apparemment conclu avec la Duchesse De Sewu, Havin était resté chez elle, puisqu'il n'était toujours pas sorti de son coma. C'est ainsi que mon épouse, Shovaï et le professeur Gévindor étaient retournés à la capitale de Weldriss. Et quant à moi, et bien... Ezilly avait refusé que je rentre avec eux. Elle avait refusé que je l'approche, elle et Sho.
J'étais donc rentré seul, sur mon cheval.
Sitôt arrivé au Palais, la Cour m'était tombée dessus comme une vague destructrice. « Les De Carminn se retirent, Votre Majesté. Ils ont annoncé rejoindre dès demain d'Empire de Hosloward. Que va devenir notre royaume, sans eux ? Nous sommes perdus ! ». Devant la terreur des ministres et derniers petits aristocrates qui siégeaient toujours au Palais, j'avais éclaté d'un rire noir, le même qui m'avait possédé alors que j'enfonçais mon poignard dans le corps de Hew De Carminn. Il n'y avait plus qu'un avenir qui s'offrait à nous.
La guerre.
Weldriss n'était plus que les ruines d'une puissance d'antan, celle du règne de mon père. J'avais achevé de détruire ce qu'il restait d'elle. Désormais, il n'était plus que question de jours avant que les pays voisins nous déclarent la guerre et nous envahissent.
Et tout était de ma faute.
Je m'étais enfermé dans mon bureau, dans ma noirceur, dans ma folie, et ce durant trois jours. Plongé dans l'obscurité, avachis sur mon bureau, le vin et la fièvre m'emportaient dans mes plus vifs souvenirs. Les mélodies de ma mère dansant devant son piano, qui me berçaient en secret, enfant. Le dernier souffle de mon père : « J'avais peur que tu n'aies perdu ton cœur, Wyer ». Le sourire reconnaissant d'une enfant des rues à qui j'avais offert une rose. La chaleur du feu d'un chalet de montagne. La douleur sans fin d'un poison qui me rongeait le corps et le cœur. Ses larmes. La douceur de sa peau, de ses lèvres. Le rire d'un ami. La sensation des mains de ma mère se refermant autour de mon cou. Les cicatrices rougeâtres qui parcouraient son dos comme des chaines à son âme. Le feu, dévastateur, qui engloutissait tous ceux que j'aimais.
Et mon rire.
Le rire d'un meurtrier fou.
Je voulais mourir.
Tandis que les souvenirs me faisaient tourner la tête, m'enfonçaient dans ma folie, je me haïssais comme je n'avais jamais haï auparavant. Il ne me restait plus rien. Mon père était décédé. Ma mère voulait me tuer. Comme tous, d'ailleurs, songeai-je avec un rictus. Combien de fois avait-on attenté à ma vie ? Je ne comptais plus ceux qui préfèreraient me voir sous un marbre mortuaire. Peut-être que chercher si désespérément à vivre était vain ? Je devais être maudit. J'avais tout détruit tout ce que j'avais : mon royaume, la seule amitié que j'avais eue, et mon unique amour. J'avais poignardé Sho. J'avais tué le frère aîné d'Ezilly.
Et désormais, elle me haïssait.
Je levai ma dague face à mes yeux. Le sang séché qui la recouvrait toujours était le témoin de mon meurtre. Je fixai cette larme écarlate si longtemps que mes yeux épuisés me brûlèrent. Puis, lentement, je la glissai contre ma chemise, à l'endroit où résonnaient faiblement les battements de mon cœur. Je souris, observai le vide, et ma vision floue causée par la fièvre et l'alcool se troubla encore un peu plus.
Je ne pouvais être pardonné. Je ne pouvais me pardonner.
Je fermai les yeux, et une dernière larme glissa sur ma joue.
*°*°*°*°*
Au même moment...
— Si tu savais comme assister à la fin de ce royaume me délecte...
Dans la buée fumante qui s'échappait du bain, une silhouette élancée se dressait. L'ombre tendit sa main et attrapa un grain de raisin. Il avait la couleur du sang.
— Ils refusent de mourir, grogna une autre voix. Je ne remets pas en cause les talents de tueurs des Woors, mais je crains que notre couple royal ait une chance qui nous soit défavorable. Ma chère, je crois qu'il est tant que nous passions à notre dernier plan.
La femme dans le bain se leva, ses longs cheveux goûtant dans son dos.
— Suggères-tu que nous nous emparions du Roi ?
- Rien ne nous résiste, tu le sais, sourit l'autre. Quoi qu'il en coûte, Weldriss sera à nous. Ils se déchirent, et nous triomphons.
— Depuis le départ, leur relation est vouée à l'échec. Une paysanne et un Prince ? Ah, feu le Roi s'est bien moqué de tous en les mariant ainsi. Jamais cette impostrice de Reine ne sera à la hauteur du trône. Finalement, toi et moi travaillons à la grâce de Weldriss, ricana la femme d'un ton mielleux.
— Sommes-nous certains que les De Carminn se rallieront à nous ?
— Après la trahison qu'ils ont commise, ils n'ont d'autres choix que rejoindre notre cause. Le Duc m'a garanti que son armée sera à notre service.
— Parfait. Cet attentat échoué nous sourit finalement. Tu as bien fait de te jouer de cet idiot de Hew De Carminn – toute l'attention du Roi n'est portée plus qu'à lui. Nous allons pouvoir agir.
La femme sourit, et l'autre ombre s'avança pour lui poser un peignoir de soie sur les épaules. À cet instant, on frappa à la porte et un homme pénétra dans la pièce baignée de cette pénombre rougie par les bougies. En découvrant la nudité de son interlocutrice, il se retourna derechef, le rouge aux joues.
— Allons, n'agis pas ainsi en grand prude. Je suis loin d'être la première femme que tu vois. As-tu donc de bonnes nouvelles pour moi ?
Il toussota, embarrassé.
— En effet, la situation tourne à notre avantage. Je les observe depuis quelques jours et la discorde détériore grandement leur relation.
— Diviser pour mieux régner. Un amour profond peut se transformer en quelques instants, si facilement, en une profonde haine... Et pendant ce temps-là, nous allons avoir le loisir de les détruire.
*°*°*°*°*°*
— Wyer De Welborn, si tu n'ouvres pas tout de suite cette putain de porte, je te jure que je vais l'enfoncer.
Une violente quinte de toux me saisit alors, et le poignard dérapa sur ma poitrine, traçant une fine ligne rouge sur ma chemise. Un immense fracas retentit, et d'un effort surpuissant, je levai les yeux vers l'homme qui venait de pénétrer dans mon bureau.
Il ressemblait vaguement à l'image d'un ami que j'avais eu autrefois, dans une autre vie.
Un cri de rage résonna dans la pièce et mon poignard me fut brutalement retiré. Pour la deuxième fois en trois jours, on m'assena une violente claque. Mais cette fois, même cela ne réussit pas à me faire revenir à moi.
Je devais m'être perdu quelque part sur la route de la folie.
— Bon sang, regarde-moi, gamin ! Je suis en vie, tu vois ? Je sais que tu ne te contrôlais pas, que tout ça était une grosse erreur. Tant qu'Ezi et toi êtes en vie et heureux, je ne pourrais jamais t'en vouloir, tu m'entends ? Je vais bien ! hurla Shovaï.
Incapable de faire autre chose que de fixer son visage inquiet, je le laissais me secouer comme un corps que la vie aurait déserté.
— Pour ce que j'en sais, Hew De Carminn a survécu, lui aussi. Oui, tu as foutu un sacré bordel diplomatique, mais tu n'as tué personne ! Alors, cesse de te comporter comme un enfoiré suicidaire, ou cette dague, ce sera moi qui te l'enfoncerai dans le cœur !
Ma tête me faisait si mal que j'avais l'impression qu'un troupeau de buffles faisait des aller-retour dans mon cerveau. Mes oreilles sifflaient et j'avais chaud, à tel point que je me revis dans les flammes qui avaient mordu et déchiqueté ma peau et que je crus qu'elles étaient de retour, qu'elles étaient revenues pour me dévorer enfin.
— J'ai peur de moi-même, murmurai-je à Shovaï dans un ultime effort. À ce moment... Quand... Quand j'enfonçais ma lame en lui...
Ma toux me plia en deux.
— Je me suis vu devenir fou.
— Tu n'es pas fou mais bel et bien malade, gronda mon ami. Gardes ! Portez Sa Majesté jusqu'à sa chambre et faites appeler le médecin royal. Et veillez à ce qu'il ne fasse pas de bêtise, finit-il dans un souffle, tandis que je sentais vaguement mon corps être soulevé et emporté loin de mon ami que j'avais cru tuer.
*°*°*°*°*
Bonsoir à tous...
Excusez-moi pour ce retard de 24h, je n'ai pas pu poster hier, histoire de chat 🙄 Anyways, comment allez-vous ? Je vous fais pas trop souffrir en ce moment ? 😅 Bien que j'ai toujours eu un penchant pour la douleur, je pense que je bats mes records, ces derniers chapitres. Que pensez-vous de la détresse de Wyer ? Et de l'attitude d'Ezilly envers lui ?
Mes bébés me font de la peine, mais bon, je ne peux m'en prendre qu'à moi-même XD Un des messages que j'essaye le plus de faire passer dans ce tome-ci, c'est que l'amour n'excuse pas tout. Comme je l'ai expliqué dans mon précédent coup de gueule, Wyer a été trop autoritaire et a joué avec la vie d'Ezilly. Et bien que c'est le type de romance que j'ai mis en scène, je suis contre ce genre de relation que je trouve toxique. C'est pour cela qu'à travers les erreurs de nos deux protagonistes, j'essaye de faire grandir les personnages. Une relation se cultive, sinon elle fane ^^
WE Tome 2 est bientôt fini... Dans quelques chapitres se clôturera ce tome. J'espère que j'arriverai à tenir le rythme jusque là, mais soyez indulgents ! L'écriture requiert du temps et de l'énergie... Que je n'ai pas toujours (snif).
Merci encore d'être toujours là, vous êtes les rayons de soleil de mon inspiration.
À dimanche prochain ❤
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