5 - Contrat
~ Ezilly ~
Une blessure est douloureuse... Mais causée par un être cher, elle est meurtrière.
Je tournai sur moi-même, émerveillée par la beauté de la robe volumineuse que je portais. Elle était rouge écarlate, et sur les rabats de la jupe étaient brodés des roses aux fils d'or. Le tissu était doux, et me tenait bien chaud, ce qui était très utile en cet automne sec et froid.
Je n'aurais jamais imaginé porter une si belle tenue un jour. Ce n'était pas la seule, d'ailleurs : depuis ce matin, Apolline et moi écumions tous les magasins de la capitale pour me constituer une garde-robe digne d'une princesse. Dès que nous avions quitté le manoir, j'avais vu tant de splendeurs que mes yeux en étaient presque douloureux. De la soie au velours, tous les tissus étaient présents. Il avait aussi fallu acheter toutes sortes d'accessoires ; chaussures de ville, chaussures d'intérieur, bijoux, chapeaux, gants, ombrelles, et encore de nombreux détails qu'une noble se devait de posséder...
Je secouai la tête, revenant dans le présent. Je ne pouvais pas être heureuse de porter ces belles robes ! Ils profitaient du fait que j'avais vécu dans une ferme et que j'avais toujours rêvé de porter ce genre de parures. Ils cherchaient tous à m'amadouer avec ces bijoux et jolies tenues, mais je devais résister. Pour bien m'ancrer ma détermination dans le crâne, je répondis à la vendeuse qui attendait mon verdict :
- Je déteste les robes. Et celle-ci est particulièrement affreuse.
Un soupir de déception s'échappa de ses lèvres, et ma belle-mère perdit son sourire.
- Enfin, ma chère Ezilly, il faut bien vous acheter des robes... Essayez de me dire ce que vous voulez ou au moins ce que vous ne voulez pas !
- Je ne veux pas me marier, répliquai-je d'une voix implacable.
Je ne voulais pas faire de peine à Apolline, mais il ne fallait pas que je me laisse faire. En désespoir de cause, celle-ci acheta tout de même la robe que je portais, et tenta de me sourire encore une fois.
Je trouvais ces débauches de luxe ridicules. Dans la rue, j'avais croisé de nombreux mendiants, des va-nu-pieds, comme me l'avait chuchoté ma belle-mère. S'il y avait tant de pauvreté, pourquoi ceux qui avaient assez d'argent pour se permettre de faire autant d'excès n'en donnaient-ils pas un peu à ces malheureux ? En me rendant compte de cela, j'avais soudainement eu honte de faire partie de la plus riche famille du royaume. Si je n'y prenais pas garde, je finirais comme tous ces aristocrates égoïstes qui s'engraissaient sur le dos des pauvres...
Nous finîmes nos achats dans la grande boutique où nous nous trouvions, puis Apolline, tentant d'ignorer mon visage fermé, m'entraîna sur la terrasse d'un café distingué. On nous servit deux thés accompagnés de délicieux petits gâteaux. J'avais très envie de les goûter, mais cela aurait été un début de reddition, alors je me forçai à refuser lorsque ma compagne m'en proposa gentiment. Elle dut faire la conversation pour deux afin d'éviter qu'un silence gênant ne s'installe entre nous.
J'avais compris d'où venait la gentillesse de mon demi-frère. C'était de sa mère, la belle et charmante Apolline. Depuis que j'étais arrivée au manoir, elle avait été d'une rare bienveillance à mon égard, contrairement à mes sœurs et à mon grand frère qui m'avaient royalement ignoré lorsque je les avais croisés dans les couloirs. Quant à Radley, je ne l'avais tout simplement pas vu depuis le dîner d'hier. C'était triste, mais vrai : les seules personnes gentilles de ma famille n'étaient pas du même sang que moi.
Lorsque Apolline eut fini de manger, nous remontâmes dans la belle calèche qui nous suivait depuis le début de la journée, et repartîmes en direction du manoir. Tous les achats d'aujourd'hui arriveront là-bas après nous, et des serviteurs s'occuperont de rentrer toutes ces belles robes dans des coffres, en prévision de mon départ pour la demeure de mon futur époux. Cela aussi me faisait peur : je ne savais toujours pas qui j'allais épouser. Je n'avais pas osé poser la question à ma belle-mère. Mon humeur massacrante et mon attitude devait déjà être bien difficile à supporter pour elle : je ne voulais pas empirer les choses en abordant ce sujet sensible. Je comptais attendre de revoir mon père pour lui demander, mais s'il continuait de jouer au fantôme, cela risquerait d'être compliqué.
La calèche était arrivée. Je descendis lentement les marches, aidée par le cocher, et attendis qu'Apolline me rejoigne pour m'engager dans l'entrée. J'avais l'impression de me jeter dans la gueule de loup, après en être enfin sortie. Je détestais tellement cet endroit...
Je passai le couloir aux portraits, le petit salon dans lequel je m'étais disputée avec Radley, et ma belle-mère me quitta après m'avoir déclaré qu'elle avait passé un superbe après-midi en ma compagnie. Bien que je ne lui avouai pas, j'étais reconnaissante de tous les efforts qu'elle faisait pour moi. Je remontai alors dans ma chambre, fatiguée et légèrement morose. Je m'étalai sur le lit, fixant les voiles du baldaquin.
La boule dans ma gorge me faisait mal. J'étais à la fois inquiète, triste et désespérée. J'avais passé toute la nuit à chercher des manières de m'enfuir du manoir, mais je savais que des gardes le protégeaient, et de toute façon, j'étais sous perpétuelle surveillance... Je n'avais aucune échappatoire, et chaque seconde qui passait me rapprochait de la date fatidique de mon mariage. J'avais bien peur de ne pouvoir l'éviter...
Je serrai les dents pour retenir les larmes qui menaçaient de s'échapper de mes yeux. J'avais assez pleuré hier, il était temps de faire preuve de courage.
Je me redressai. J'ouvris la porte de ma chambre, et me retrouvai nez à nez avec un serviteur qui s'apprêtait à frapper.
- Mademoiselle De Carminn... Votre père veut vous voir, balbutia-t-il.
Je souris amèrement. Ainsi, Radley n'avait pas oublié mon existence... C'était l'occasion de lui demander qui était mon fiancé.
Je suivis donc l'homme dans les couloirs du manoir. Étrangement, il descendit plusieurs escaliers avant de me montrer une porte lourde qui paraissait renfermer une cave.
- C'est ici, Mademoiselle.
- Vous êtes sûre ? demandai-je, inquiète.
- Certain. Entrez, s'il vous plaît.
J'obéis, légèrement anxieuse. Aussitôt, une odeur de moisi me saisit à la gorge. Je plaquai la main sur mon nez, mais avançai tout de même. La porte claqua derrière moi et je me retournai. C'était un piège ! Je tentai de la rouvrir, mais elle était fermée à clé.
- Ouvrez-moi tout de suite ! C'est un ordre, vous m'entendez ? Ouvrez cette porte ! hurlai-je, paniquée.
- Mais enfin, Ezilly, pourquoi criez-vous de la sorte ? se moqua derrière moi une voix grave que je reconnus aussitôt.
Je me retournai, outrée. Radley était assis sur un fauteuil qui avait l'air bien confortable, et m'observait avec une lueur méchante dans le regard.
- Pourquoi m'avez-vous enfermée ?
- Mais vous n'êtes pas enfermée, puisque je suis avec vous. Veuillez venir ici, j'ai à vous parler.
Je fis l'effort de contenir mon irritation, et avançai face à lui.
- Je voudrais savoir...
- Vous saurez après, me coupa-t-il. Pour l'instant, j'ai une chose importante à vous faire signer. Marquez votre nom ici, cela suffira.
Il me tendait une feuille dont le haut était masqué par d'autres papiers. Méfiante, je le lui arrachai des mains.
- Vous vous moquez de moi ? m'exclamai-je, profondément en colère. Je ne signerai jamais ça !
C'était un contrat de mariage. Je roulai en boule le papier, et le déchirai.
- Vous êtes mois sotte que je ne le pensais, grimaça Radley. Enfin, j'ai été prévoyant : ce n'était qu'une copie, ajouta-t-il en sortant un autre papier.
- Je refuse de signer ! criai-je en me précipitant vers la sortie. Je ne veux pas me marier !
J'essayai encore d'ouvrir la porte. J'avais peur, et j'étais très en colère et vexée. Il avait tenté de me duper avec une ruse aussi bête ! Il me prenait vraiment pour une idiote...
- Reviens ici, Ezilly, m'ordonna-t-il de sa voix grave.
- Je vous hais ! hurlai-je, au bord des larmes.
Il soupira, et je compris qu'il ne comptait pas renoncer si facilement.
- Farrow, joins-toi donc à nous.
De lourds pas dans mon dos me firent me retourner, et ce que je vis me terrifia : un colosse au cou de taureau et au regard de bête venait de sortir de l'ombre. Il était si grand et épais que j'étais certaine ne n'avoir jamais rencontré un homme aussi imposant, même parmi tous les paysans que j'avais côtoyé. Il était terriblement intimidant ; mais je compris que son apparence n'était rien face à ce qu'il tenait dans ses mains. Un fouet.
- Que faites-vous...
- Bonjour, fillette, fit-il de sa voix rauque. Alors, il paraît qu'on fait un caprice à Papa ?
Il me saisit le bras, et mon cœur se mit à battre à cent à l'heure.
! DÉBUT DE SCÈNE VIOLENTE !
Âmes sensibles, veuillez descendre en bas du chapitre, une alternative vous sera proposée.
- Laissez-moi !
- C'est pas bien, ça...
Son méchant sourire dévoila ses dents jaunes et noircies. Je fermai les yeux, dégoûtée. Il me tira devant le fauteuil de Radley, et me jeta violemment au sol, telle une poupée de chiffon. Je levai mes yeux baignés de larmes vers mon père.
- Ezilly, ma fille. Je ne veux pas te faire de mal, tu le sais.
- Sale hypocrite...
Un coup de pied dans mon dos me fit regretter ce que je venais de dire, et je gémis de douleur.
- Il faut juste que tu signes ce papier, et tout ira bien, continua-t-il comme si rien ne s'était passé.
- Jamais ! Plutôt mourir !
Il planta son regard noir dans mes yeux. D'un coup de botte parfaitement cirée, il m'envoya m'étaler par terre loin de lui.
- Alors, meurs.
Un claquement sec résonna dans la cave, et une douloureuse brûlure me déchira le dos. L'homme venait de me fouetter.
- Vous... aurez beau me faire du mal, je... je ne céderai pas... fis-je difficilement.
Mon bourreau ricana, et répondit joyeusement :
- T'inquiète, gamine, j'en ai déjà mâté des plus coriaces que toi. Tu ne dureras pas plus d'un quart d'heure !
Comme pour appuyer ce qu'il venait de dire, il me frappa encore de son fouet. Je serrai très fort les yeux, retenant mes larmes.
- Je ne signerai pas...
Il me fouetta encore, et encore. Je finis par me mettre à pleurer, mais je ne cédai pas. Je ne voulais pas me marier ! Je préférais souffrir mille morts plutôt que passer ma vie au côté d'un garçon que je n'aimais pas.
- Ezilly, soupira mon père, ne fais pas ta tête de mule, et signe donc ce papier.
- Non !
Un autre coup me punit de ce que je venais de dire. À présent, mon dos me brûlait comme si un volcan avait fait éruption sur ma peau. Je sentais vaguement du sang chaud couler le long de ma belle robe maintenant déchirée, mais j'avais si mal que je n'avais plus vraiment conscience de ce qui se passait. Je me bornais simplement à répéter "non", à ne pas céder malgré la douleur...
Il me sembla que cela dura des jours entiers, pendant lesquels j'étais frappée à chaque seconde, tel le rythme d'une horloge à balancier. Je sanglotais, recroquevillée sur moi-même, mais je ne voulais pas signer. Je ne signerai pas...
Mon dos était de la charpie. Je baignais dans un mélange de sueur, de larme et de sang. J'aurais voulu me relever, me battre, demander à celui qu'employait mon père d'arrêter de me faire si mal, mais je n'en avais plus la force. J'avais l'impression d'être déjà morte.
Je finis par arrêter de broncher aux coups. J'entendis vaguement Radley donner l'ordre de stopper le fouet, et un lourd soulagement s'abattit sur moi.
- Laisse tomber, Farrow, elle s'est évanouie. On va la laisser ici pour la nuit, on reviendra demain.
- Et mon argent, m'sieur ?
- Prends ça. Personne ne doit savoir ce qui s'est passé dans cette cave, me suis-je bien fait comprendre ?
- Parfaitement, m'sieur. Vous pouvez avoir confiance en moi, ma bouche est cousue.
- J'espère bien, grogna Radley avant de refermer la porte à clé derrière eux.
Je n'entendais plus rien, ils devaient être remontés. J'ouvris péniblement les yeux, et essayai de bouger mes membres, ce qui m'arracha un long gémissement. Prenant sur moi, je me glissai sur le sol en direction du fauteuil. Il faisait froid ici, je ne pouvais pas rester étalée par terre toute la nuit. Après une dizaine de minutes pendant lesquelles je me débrouillai pour atteindre le fauteuil, je finis par m'effondrer dessus, retenant les sanglots qui me brûlaient les yeux pour ne pas secouer mes côtes sans doute brisées.
Mon dos me faisait horriblement souffrir, et je me couchai en travers du fauteuil pour éviter qu'il ne soit en contact avec le tissu. Je fermai les yeux, essayant d'ignorer la douleur. Il fallait que je dorme.
Demain serait encore plus long.
La nuit fut rythmée par mes réveils, dès que je bougeais et que mon dos frottait contre le fauteuil. Je dus cauchemarder, aussi, mais je n'en gardais aucun souvenir. Ce fut le bruit d'une clé tournant dans une serrure qui me réveilla en sursaut. Non... C'était reparti pour la souffrance.
Je serrai le tissu du fauteuil le plus fort possible entre mes doigts, mais l'on m'y arracha brutalement aussi facilement que si je n'avais été qu'une poupée. Si seulement la haine qui brûlait dans mes veines avait pu redresser mon corps en lambeau, alors j'aurais tué mon père de mes propres mains. Je n'avais même pas la force de souffrir la tête haute. Je ne pouvais que braquer mon regard ensanglanté sur celui qui m'avait donné la vie, et qui était en train de la reprendre. J'imaginais mes mains se resserrer autour de son cou, et me venger alors de tout ce qu'il me faisait endurer. Pour être si cruel, pour être pire qu'un animal, je voulais le tuer.
Comme hier, on me jeta au sol, et cela l'enfer recommença. Radley s'assit sur une chaise, puisque j'avais taché le fauteuil de mon sang, et m'observa me faire frapper avec une expression indifférente. Des gens qui ne le connaissaient pas auraient pu trouver cela horrible, mais de sa part, cela ne m'étonnait pas. Il n'était qu'une abomination de la nature, un méchant, comme dans tous ces contes que me racontait Délia avant que je ne m'endorme. Ce n'était pas un père, et encore moins le mien, c'était juste un monstre.
Je ne sus pas pendant combien de temps je fus frappée. Parfois, pour varier, mon bourreau me donnait des coups de pied, comme si je n'étais qu'un vulgaire sac à patates. En tout cas, je ne faisais plus attention à la douleur. J'avais presque l'impression d'être habituée. C'était à me demander comment mon cœur faisait pour battre encore malgré le sang qui s'écoulait de mon corps. Moi qui tenais tant à la vie ; je voulais qu'on m'achève. Aucune survie justifiait une telle douleur.
Toutes les minutes environ, Radley me demandait si je voulais signer le contrat, il prenait mon silence pour un non, et ordonnait à l'homme de continuer à me battre.
Peut-être que cela dura toute la journée, à moins que je ne m'évanouisse avant. Enfin, lorsque je repris connaissance, j'étais seule et mon corps était une bouillie de chair et de sang. J'avais tellement mal que je me mis à hurler toute seule, et Radley finit par apparaître, en tenue de nuit.
- Mais tu vas te taire, oui ? Tu vas réveiller toute la maison à brailler ainsi !
Il me frappa de son pied, faisant redoubler mes hurlements. Il plaqua alors sa main sur ma bouche, et murmura à mon oreille :
- Veux-tu signer ce contrat ? Juste une petite signature, et tu n'auras plus mal...
Peut-être était-ce le sommeil, la douleur qui déchirait mon corps, ou bien sa voix hypnotiseuse, toujours était-il que je relevai mes yeux injectés de sang et baignés de larmes vers lui. Je n'en pouvais plus. J'allais finir par mourir s'il l'on ne stoppait pas cette souffrance. Sans réfléchir, je lâchai d'une voix faible, usant mes dernières forces pour parler :
- Oui...
Avec un sourire victorieux, il me tendit la feuille et une plume d'oie.
Je fis alors ce que je m'étais promis de ne jamais faire.
Je signai le contrat de mariage.
La dernière chose que je vis avant de m'évanouir fut le nom de mon fiancé :
Le prince héritier Wyer De Welborn.
Version âmes sensibles épargnées :
Notre courageuse Ezilly résiste à la torture durant plusieurs heures avant de s'évanouir. Elle refuse catégoriquement de signer le contrat de mariage. Les horreurs reprennent au petit matin. Après une deuxième perte de connaissance, la jeune fille se réveille en hurlant. Folle de douleur, elle accepte de signer pour faire cesser sa souffrance. Avant de s'évanouir, elle découvre le nom de son fiancé : Wyer De Welborn, le Prince Héritier de Weldriss.
(Mais bon ça vous le saviez déjà hein 😏)
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