21 - Menace
~ Wyer ~
Peut-être cet amour était-il un trop grand cadeau, car le destin s'est empressé de le briser.
Le soldat fondit sur moi avant que je ne puisse faire le moindre geste, et j'eus tout juste le temps de rouler sur le sol pour l'esquiver. Je repris mes esprits : je ne pouvais pas me permettre de perdre ce combat.
S'il y avait bien une chose que je maîtrisais à merveille, c'était le combat au corps à corps. Mon adversaire pouvait bien faire deux fois ma taille et me surpasser en force, ma souplesse et ma rapidité me donnaient l'avantage. Je m'amusais à surprendre mon ennemi en surgissant dans son dos, ou l'esquivais pour l'épuiser lorsqu'il était trop puissant pour moi. Depuis mon plus jeune âge, à force de me battre contre des soldats tout en muscles, j'avais appris à tirer profit de ma jeunesse. Et par la même occasion, je m'étais particulièrement endurci...
Un violent coup dans le ventre m'envoya rouler au sol. Je soufflai de douleur, les mains repliées sur l'abdomen, mais mon adversaire revenait déjà vers moi pour m'achever. Lorsqu'il lança son pied pour me frapper, je le saisis et l'entraînai à terre. Malgré ma blessure, je bondis sur mes pieds et l'immobilisai aussitôt. Concentré sur mon ennemi, mon cœur battant follement, j'entendis à peine le « victoire à Wyer ! » qui résonna dans l'amphithéâtre.
Un cri de joie suivit aussitôt cette annonce, et je levai un visage souriant, bien que fatigué, vers la jeune fille qui dévalait les marches pour me rejoindre. Ezilly rayonnait de joie, si bien que toute ma douleur sembla s'évaporer lorsque je la vis se précipiter vers moi.
- Bravo, Wyer ! Tu as gagné ! s'écria-t-elle en me sautant dans les bras.
Je grimaçai de douleur lorsqu'elle me serra contre elle, mais j'étais si heureux à cet instant que je n'osai rien dire, de peur qu'elle ne s'éloigne. Cependant, mon visage devait être blafard et Ezilly réalisa son erreur. Elle se fondit aussitôt en excuses, sous mon regard amusé.
- Je vois que la malheureuse élue ne l'est pas tant que ça, remarqua une voix familière derrière moi.
Je me retournai et mon regard tomba sur le maître d'armes, qui me fit un clin d'œil. Je détournai la tête, un brin gêné.
- Malheureuse élue ? questionna innocemment Ezilly, un peu perdue.
Alors que Shovaï éclatait de rire, je me frottai la nuque en masquant mon embarras.
- Lorsque ce gamin est venu m'annoncer qu'il allait se marier, je lui ai demandé qui était la malheureuse élue qui devrait passer le reste de ses jours aux côtés de Son Altesse le grincheux. Finalement, je suis surpris de voir à quel point vous êtes proches !
- Eh, toi ! Je vais te faire couper la tête !
Je me jetai sur mon ami avec un rugissement digne d'un lion, tandis que le si magnifique rire d'Ezilly se mêlait à mes grognements. Le soleil qui se couchait projetait ses derniers rayons sur nous, dernière chaleur avant la nuit.
Nous n'étions que le lendemain de notre retour au Palais, et j'étais déjà épuisé d'y vivre. J'avais repris les cours, avec des professeurs sélectionnés par mon père pour leur rigueur, que je détestais tous les uns plus que les autres. J'avais passé ma journée à avaler des dizaines de leçons de morale, et la règle en fer avait tant frappé mes doigts que j'en avais saigné. J'avais beau être le Prince, face à mon mauvais comportement, le Roi avait permis à mes professeurs d'utiliser les manières qu'ils souhaitaient, et ils s'en donnaient à cœur joie. À croire que mon rang n'était valable que pour ses pires côtés.
Dès la fin du dîner, je m'étais échappé vers la salle d'entraînement, où j'allais lorsque j'avais besoin de décompresser. Et une petite silhouette m'avait suivi... Ce qui ne me déplaisait pas du tout. La compagnie d'Ezilly était encore plus apaisante que les combats.
Je saluai Shovaï, et les grandes portes de l'amphithéâtre se refermèrent derrière nous. Ezilly et moi marchâmes quelques minutes en silence dans le parc, en direction du palais, quand, poussé par l'envie de prolonger ce moment avec elle, je m'arrêtai et lançai sans réfléchir :
- Veux-tu que je te montre un endroit spécial ?
Elle me sourit avec tendresse, et hocha la tête. La douce lumière orangée de fin du jour se reflétait dans les mèches de cheveux qui encadraient son visage, leur donnant un aspect cuivré, et les étincelles qui pétillaient dans ses yeux bleus la faisaient paraître plus belle que jamais. Depuis son arrivée à la Cour, elle avait beau avoir appris à maîtriser la prestance qui faisait d'un noble ce qu'il était, être parée de magnifiques robes, bijoux et coiffures, elle gardait toujours une apparence un peu sauvage, comme une fleur au naturel, sans aucune retouche. J'aurais aimé la connaître lorsqu'elle ignorait encore tout de la vie de Palais, lorsqu'elle était encore une simple fermière... J'aurais aimé connaître chacune des facettes qui la composaient.
Je lui pris la main, et me dirigeai à l'opposé du Palais. Après plusieurs minutes de marche, nous atteignîmes enfin mon « endroit spécial » : mon petit étang, surplombé du beau saule pleureur. Les derniers rayons de soleil jouaient entre les feuilles tombantes, se reflétaient sur l'eau calme, et ajoutaient une douceur paisible au tableau. Sous la légère brise, l'herbe frémissait, les feuilles du saule se balançaient, donnant l'intime impression que l'endroit était vivant.
- C'est magnifique, déclara Ezilly, toute souriante, en me lâchant la main pour aller s'accroupir au bord de l'eau.
Je m'assis silencieusement à côté d'elle, les bras sur les genoux, admirant le coucher du soleil. Nous étions loin de tout, ici. Comme quoi, même dans le malheur, enfermés dans un endroit détesté, nous pouvions trouver des instants de bonheur, tel que celui-ci. Il suffisait de peu de choses : de la nature, du calme, de la beauté et... Une personne aimée. Mon regard se riva sur la jeune fille qui traçait avec son doigt des cercles dans l'eau, une expression émerveillée sur le visage en admirant le reflet du soleil dans l'étang.
En fin de compte, tout le malheur de ma vie n'existait-il pas juste pour contrebalancer le bonheur que m'apportait Ezilly ? Moi qui, quelques mois plus tôt, voyais cela comme une punition, l'ultime souffrance, je constatais à présent à quel point j'étais chanceux d'être son mari... L'avenir était peut-être incertain, peut-être noir, mais... S'il y avait une chose dont j'étais sûr, c'était que je ferais tout pour rester toute ma vie à ses côtés.
Je me laissai tomber en arrière dans l'herbe, et fermai les yeux, apaisé par la seule sensation du doux vent qui jouait dans mes cheveux.
- Ezilly, fis-je soudain, les paupières toujours baissées.
- Oui ?
- Tu sais... Je voulais te remercier.
- De quoi donc ? demanda-t-elle d'un ton surpris.
- Et bien... Tu vas peut-être trouver ça totalement ridicule, mais... Depuis que je te connais, je suis de plus en plus heureux. Avant, mes seules sources de joie étaient mes sorties avec Onyx... Je passais ma vie à supporter les nobles, leurs mensonges, l'hypocrisie de tous. De toute manière, et je ne l'ignore pas, les gens me détestent et ont peur de moi. Si, parfois, ça m'est utile, je dois avouer que la plupart du temps, je me sens... Seul. Très seul.
J'étais rassuré que la pénombre cache mes expressions. Je n'avais pas pour habitude de parler de mes sentiments... Enfin, je n'avais pas l'habitude de parler tout court.
Je me figeai lorsque je sentis autre chose que le vent jouer avec mes cheveux. Je n'ouvris pas les yeux pour autant, pour préserver l'instant, à moins que ça ne soit simplement pour masquer mon trouble. Je ne pus retenir un sourire en savourant la douceur des doigts d'Ezilly sur mon front et ma tête, ses caresses faisant battre mon cœur à un rythme délicieusement déchaîné.
- Je te comprends, Wyer. J'ai ressenti la même chose en arrivant ici... Ce vide douloureux, cette écrasante solitude... Plus on se rapproche du trône, plus on est seul, n'est-ce pas ?
J'ouvris enfin les yeux, doucement, et les écarquillai aussitôt en découvrant Ezilly penchée sur moi, plus proche que jamais. Elle me dévisageait, son magnifique regard bleu brillant de larmes.
Interdit, je laissai délicatement ma main monter jusqu'à son visage, mes yeux perdus dans les siens, avant d'effleurer la larme qui coulait lentement sur sa joue. Pleurait-elle pour moi, pour sa propre souffrance, ou les deux à la fois ? Je me tus, par égard pour ses sanglots silencieux, et me contentai de passer les bras derrière ses épaules et sa taille, évitant soigneusement son dos, puis enfin, je l'attirai contre moi.
- Oui, soufflai-je à son oreille, tu as raison. Le trône fascine, fait devenir avide, terrifie, mais avant toute chose... Le trône éloigne. Alors... Il faut s'accrocher de toutes ses forces aux choses qu'on aime. Pour ne pas les perdre.
Je la sentais hoqueter en silence, ses larmes tombant une à une contre mon cou, tandis qu'elle m'agrippait de toutes ses forces. Le visage tourné vers le ciel, j'admirais les dernières braises du soleil, tandis qu'elle blottissait son visage contre mon épaule.
- C'est beau, murmurai-je, tout en caressant à mon tour ses cheveux. Le coucher de soleil est vraiment beau.
Elle resta quelques instants immobile, calmant ses larmes, puis elle finit par se retourner, la tête toujours posée sur moi. Je tournai imperceptiblement le regard vers elle, et découvris alors son visage souriant, malgré ses yeux humides, tourné vers le ciel orangé. Elle était si proche de moi, à quelques centimètres... Je resserrai délicatement mon bras autour d'elle, comme pour l'empêcher de s'envoler.
- Oui, répondit-elle en posant la main sur mon bras. Le ciel est... magnifique.
*°*°*°*°*
Je jetai ma veste sur le lit, et m'écroulai aussitôt par-dessus, un irrépressible sourire aux lèvres. Décidément, ma journée avait été épuisante... Mais en contrepartie, ma soirée avait été plus que sublime.
Magique.
Extraordinaire.
Je me mis à rire tout seul, moqueur de mon propre cœur encore tout chamboulé. Si un jour on m'avait dit que je tomberais amoureux ainsi... Je ne l'aurais sûrement jamais cru. Enfin, qui l'eut cru ? J'étais celui que tous détestaient, un « monstre hideux » pour certains, le « garçon sans-cœur » pour d'autres, ou tout simplement le « Prince sombre » ... À croire que même les monstres et les sans-cœur pouvaient tomber amoureux, en ce monde.
Je me retournai, enfouissant mon visage dans les couvertures, quand un bruit de froissement m'interpella. Étonné, je roulai sur le côté avant de me redresser. Bien en évidence sur le lit, se trouvait une petite lettre, que je n'avais pas dû remarquer lors de mon entrée fracassante dans la chambre.
Je la saisis et l'ouvris, méfiant. Comment s'était-elle retrouvée ici ? Était-on entré dans ma chambre durant mon absence ? Était-ce encore un coup de mon père ?
Je m'approchai de la fenêtre pour pouvoir lire à la lumière de la lune.
Et ce fut comme si, soudain, le monde s'écroulait.
« Votre Altesse,
J'ai en ma possession un secret très important. Qui sait s'il pourrait s'échapper de mes lèvres ? Prenez garde... Je connais la véritable identité de votre femme. »
La lettre s'enfuit d'entre mes mains tremblantes, et se déposa doucement au sol. Je passai nerveusement les doigts dans mes cheveux, les yeux grand ouverts de panique. Ce message...
C'était une menace.
*°*°*°*°*
La veille,
Au Palais,
Dans les appartements privés « Clair de Lune » ...
Un grand homme à la démarche légèrement boiteuse, la tête encapuchée, traversait d'un pas pressé le petit salon. Il y avait longtemps qu'il n'avait pas été appelé... La dernière fois, sa récompense avait été si grosse qu'il n'avait pas eu besoin de travailler pendant une longue année. Il avait décidé d'arrêter ses activités, pour sa femme. Mais il avait besoin d'argent... Et il savait qu''il avait là une grosse affaire qui lui permettrait de s'emplir les poches une fois pour toutes.
C'était la dernière fois : il lui avait promis.
Arrivé à la grande porte du fond de la pièce, il frappa plusieurs coups ; c'était le code qu'on lui avait donné. Il dut attendre une petite minute, avant qu'une voix familière lui ordonne d'entrer. Il poussa la porte, un peu intimidé de se retrouver après tant de temps devant ces si prestigieuses et dangereuses personnes. Dès qu'il eut fait un pas dans la pièce obscure, il se laissa aussitôt tomber à genoux et s'inclina, le front touchant presque le sol.
- C'est moi. Mes hommages, Vos Altesses...
- Cela faisait longtemps, Gray, déclara très doucement la voix. Comment vas-tu, depuis ?
- Très... Très bien... Je suis en pleine forme, fit-il précipitamment, cachant tant bien que mal sa nervosité.
- Allons...
Un petit rire résonna dans l'étroite pièce, ce qui n'eut que pour effet d'inquiéter le pauvre homme.
- Et comment va donc ta femme ? En pleine forme, aussi ? Oh... Il me semble qu'on nous a dit qu'elle était enceinte, poursuivit l'autre voix, tout aussi amusée. Tous nos vœux de... Bonheur ?
L'homme pâlit, à présent terrifié, tandis que les deux voix continuaient de rire.
- Il est certain que tout se passera bien si le futur Papa fait du bon travail. Enfin... Ce n'est pas pour parler de ton enfant à venir que nous t'avons invité ici ! Tu as dû entendre parler de la jeune femme du Prince, non ?
Gray hocha fiévreusement la tête, son regard plaqué au sol.
- Comment dire... Disons qu'elle semble... Différente. Penses-tu qu'il serait possible que tu fasses quelques recherches sur elle ? Trouver quelque chose qui pourrait être... Compromettant, peut-être ?
Les rires résonnèrent encore, plus terrifiants que jamais.
- Bien... Bien sûr, Vos... Altesses, bégaya l'homme. Je suis sûr... Que certains secrets attendent d'être déterrés.
- Parfait ! Va donc nous déterrer ces secrets !
Et les rires continuèrent, tandis que Gray saluait ses deux employeurs, reculait à tâtons et refermait la porte derrière lui. Lorsqu'enfin, il fut seul, il poussa un long soupir de soulagement, avant de relever la tête et de jeter son plus féroce regard devant lui.
- Maintenant... À nous deux, Ezilly De Welborn.
*°*°*°*°*
Bonsoir à tous ! 😘
Pour ce chapitre, je trouve que j'ai vraiment joué avec deux contrastes : de l'eau de rose face à une partie plus sombre, inquiétante et intrigante !
Je suis vraiment heureuse aujourd'hui... Nous entrons enfin dans l'ambiance du complot et de l'action. J'ai beau être une fan inconditionnelle de la romance, je commençais à m'ennuyer dans ma propre histoire ! 😂
Avez-vous déjà vos petites théories quant à tout ce qui se trame dans l'ombre ? Car oui, mes amis, je suis heureuse de vous annoncer que vous êtes loin de tout savoir... Tant de secrets attendent d'être déterrés, comme le dit si bien ce mystérieux Gray !
Oh, et dernière petite chose...
MEEERCI ❤
WE a désormais atteint les plus de mille vues, et je vous dois cela, mes chers lecteurs ❤ Cela n'est peut-être rien aux yeux du monde, mais pour moi, c'est ma première victoire ! Je me rappelle encore quand, il y a moins d'un an, lors de la sortie du tout premier chapitre, je comptais les vues et les votes, en priant pour que mon histoire apporte de la joie et beaucoup d'émotions à ses lecteurs... Je ne sais toujours pas si j'ai vraiment réussi, mais si je suis bien sûre d'une chose, c'est que chacun de vous, les (très 😂) présents comme les invisibles lecteurs, m'avez permis de partager pour la première fois une de mes histoires. Merci pour le temps que vos yeux passent sur WE, merci pour vos votes, merci à ceux (celles 😂) qui me font tant sourire avec vos commentaires... Je vous aime tous trèèèèès fort ❤ (Oui, même vous, les lecteurs invisibles ! )
Sur ce, je vous fais de grooooos bisous, et à la prochaine... 😘
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