Chapitre 8- Nostalgie
Le soir même, Pattie s'en va rejoindre sa famille.
Elle a accepté que John, Paul et Ringo passent de temps en temps chez elle. Car même si c'est sa maison, elle a également été celle de George, et elle sait que les trois jeunes hommes ont besoin de sentir la présence de leur défunt ami à travers les choses qu'il affectionnait. La jeune femme souffre énormément de la perte de son conjoint, mais elle est sûre que ce que ressentent les trois Beatles est tout autre. Ils l'ont connu bien avant elle et ont passé des heures, des journées voire même des mois en sa compagnie, en faisant de nombreuses répétitions, en voyageant dans le monde entier, en gérant la pression plus que présente autour d'eux...
En étant inséparables, tout simplement.
Et Pattie s'est rendue compte que c'était ça, la force des Beatles. Ce n'était pas seulement des chansons à l'eau de rose qui font tourner la tête aux jeunes demoiselles entrant à peine dans l'adolescence. Ce n'était pas seulement des interviews où l'on a le loisir de les voir se moquer des questions qu'on leur pose jusqu'à faire des réponses totalement absurdes qui font fendre la poire. Ce n'était pas uniquement la coiffure coupe au bol, les costards et les cravates. C'était aussi et surtout la solidarité qui les unissait. Si l'on en retirait un, le groupe ne serait plus pareil, et George l'a compris mieux que personne lorsque l'on a souhaité remplacer Ringo alors que ce dernier était malade. Ce remplacement a été temporaire, bien sûr. Jimmy Nicol a fait du bon boulot en remplaçant Ringo à la batterie. Mais son absence s'est fait ressentir. Ses gaffes habituelles ont manqué aux trois Beatles restants.
Aujourd'hui, ils ressentent ce même manque avec George. Même s'il a été le plus réticent vis-à-vis de cette Beatlemania dont ils faisaient l'objet, il a été plus terre-à-terre que les autres. Il a été le plus lucide. Il a su mieux que les autres que cet engouement allait être de plus en plus difficile à gérer. Il n'y avait qu'à voir les policiers qui tentaient par tous les moyens possibles de retenir les fans, lors des concerts. Il savait aussi que cette aventure prendrait fin un jour ou un autre. Et cela ne lui a pas semblé comme une fatalité, bien au contraire. C'est même dans le cours des choses que celles-ci se terminent à un moment donné. Malgré son jeune âge, George faisait preuve d'une réflexion plus avancée que ses compères. Et ce n'est que maintenant qu'ils en prennent conscience. John est le leader qui n'a pas froid aux yeux, Paul est le plus créatif du groupe, Ringo est le ciment qui les unit tous, mais George était celui qui savait les ramener à la réalité. Il était celui qui parvenait à faire redescendre John et Paul sur Terre lorsque leur ego devenait aussi grand que l'océan Pacifique, et il faut dire que c'était souvent le cas. Il était aussi celui qui voyait plus loin que ce que les autres pouvaient voir. Voilà pourquoi il a su d'emblée que Ringo était le batteur dont les Beatles avaient besoin.
Et pour cela, pour tout cela, ses trois amis lui en seront éternellement reconnaissants.
Et c'est ce que Paul, qui a le plus de facilité à trouver les mots justes dans n'importe quelle situation, a pu dire devant la presse entière, quelques heures avant, au nom du groupe. Il a évoqué sa clairvoyance, son sens de l'amitié et de la loyauté, ainsi que son humour quelquefois sardonique. Le musicien a réussi à débiter toutes ses phrases, malgré la boule qui se formait dans sa gorge, tandis qu'il retenait ses larmes avec une telle force qu'il a eu l'impression que ses yeux brûlaient.
A présent qu'ils se trouvent chez lui, Paul et Ringo sont sur le canapé et contemplent encore et encore les photos où leur jeune ami prend la pose. John, lui, est resté seul de son côté.
-Regarde ça, dit Ringo en montrant une photo à Paul. C'était lors de notre première rencontre, à Hambourg. Il était encore petit, à l'époque.
-Ah bon? Tu trouves?
-Oui, on aurait dit qu'il avait la même taille que moi à ce moment-là.
Paul laisse échapper un petit rire.
-Qui aurait pu deviner qu'il serait le plus grand d'entre nous?
-Personne, à mon avis.
Le bassiste désigne ensuite une autre photo du doigt.
-Je m'en souviens, dit-il avec nostalgie. C'était la fois où l'on avait fait de l'auto-stop, quand on était encore ados.
-Vous aviez quel âge?
-C'était en 1959, donc je devais avoir dix-sept ans, et George en avait seize.
-Tu en es sûr? Parce que si on en croit ton niveau médiocre en maths...
-Oh ça va hein! Qu'est-ce qui te fait dire ça?
-Bah déjà le fait que tu aies dit que vous aviez un an et demie de différence alors que tu n'avais que neuf mois de plus que lui...
-Personne n'est parfait, d'accord?
Ce à quoi le batteur se met à rire, et Paul ne tarde pas à le rejoindre. Leur rire ne dure que quelques secondes, cependant.
-Regarde celle-là, dit le bassiste en montrant une autre photo. C'était quand George venait d'être accepté parmi les Quarrymen, l'ancien groupe dont John était le chef. Je m'en souviens, j'y suis entré quelques semaines avant lui.
-Vous me l'aviez déjà raconté. Tu tenais absolument à ce que George fasse également partie du groupe, malgré son jeune âge.
-Oui, c'est ça. Il n'avait pas encore quatorze ans. Il faut dire que John n'était pas très inspiré par lui, mais quand il a vu à quel point il était doué...
Il soupire en repensant à cette période. Ils étaient si jeunes à l'époque. Qui aurait pu prédire ce qui allait suivre, quelques années plus tard?
Paul jette un rapide coup d'œil derrière lui pour voir si John est encore là.
-Tiens, il n'est plus dans le salon...
-Qui ça?
-John.
-Il est peut-être allé dans la chambre.
Ils se lèvent pour vérifier si leur ami se trouve dans la chambre, et l'image à laquelle ils assistent les bouleverse fortement. John est à genoux, entre l'espace séparant le lit et le mur. La tête posée sur le matelas, il dort profondément en serrant l'ours en peluche géant que George avait ramené d'une de leur tournée. Sur les joues du guitariste, des traces de larmes y sont visibles.
-Oh, John, murmure Paul, ému.
Voir leur ami d'habitude si impétueux et sûr de lui dans un tel état de vulnérabilité les attendrissent au plus haut point. Et d'après ce que leur a dit sa femme Cynthia, il fait de plus en plus de nuits blanches et passe le plus clair de son temps à boire jusqu'à en devenir soûl.
Paul et Ringo décident d'installer le guitariste dans une position plus confortable pour dormir. Ils parviennent ainsi à l'allonger le plus délicatement possible sur le lit. Ringo prend également la peine de poser la peluche de George juste à côté de John. Une fois cela fait, ils sont restés dans la chambre de leur ami, dans un long silence. La respiration de leur ami est régulière, et le voir si paisible leur donne presque envie de le serrer dans leurs bras.
C'est alors qu'ils entendent quelqu'un frapper doucement à la porte, les sortant tous deux de leur transe. Ils sursautent, mais sont rassurés lorsqu'ils entendent une voix qu'ils connaissent bien:
-Rassurez-vous, ce n'est que moi.
Les deux amis soupirent de soulagement.
-Tu aurais pu prévenir que tu passerais, Brian, le gronde gentiment Ringo.
Le manager passe une main gênée derrière la tête avant de se justifier:
-Je voulais m'assurer que tout allait bien pour vous...
Cette attention va droit au cœur des deux Beatles. Dans cette période si particulière où ils ont tous besoin de soutien, ce genre de geste, même simple, leur fait le plus grand bien.
-Vous devriez rentrer chez vous, reprend Brian. Il fait déjà nuit noire et vous avez besoin de reprendre des forces. J'ai réussi à convaincre la police de mener une enquête sur... sur ce qui s'est passé, et il se pourrait que vous ayez des choses à leur raconter.
Les deux jeunes hommes prennent le temps d'enregistrer l'information avant d'acquiescer d'un hochement de tête. Au moment de quitter la pièce, Ringo prend la peine de serrer leur manager dans ses bras. Bien que ce dernier en soit surpris dans un premier temps, il ne tarde pas à lui rendre son étreinte.
-Merci pour tout ce que tu fais, Brian, murmure le batteur.
-C'est vrai, renchérit Paul qui en profite pour poser une main sur l'épaule du manager. On ne te le dit pas assez, mais on apprécie beaucoup ce que tu fais pour nous.
-Oh, allons, répond Brian qui sent ses yeux devenir humides. C'est normal...
Et tandis que les deux musiciens quittent la chambre, le manager prend le temps d'observer John, qui dort à poings fermés. Il ne peut empêcher un pincement au cœur de faire surface. Non, les Beatles, ses Beatles ne méritent pas qu'une telle chose leur arrive. Brian se jure d'employer tous les moyens possibles pour les protéger contre ce que dira cette presse, envahissante et impitoyable.
Il entend au loin la porte d'entrée se refermer, et il devine que Paul et Ringo ont quitté la maison. Dehors, il parvient à distinguer le bruit d'une voiture, signe indubitable que les deux musiciens vont rentrer chez eux. Le manager sort de la chambre en douce, en prenant le soin de fermer la porte le plus silencieusement possible. Il se dirige ensuite en direction du salon, qui est dans un beau désordre. Des photos sont éparpillées sur le canapé, tandis qu'une pile de journaux se tient à côté du fauteuil. Brian s'approche du buffet sur lequel un cadre a été dressé, et dans ce cadre, il parvient à distinguer les traits de George Harrison à travers une photo. Il s'agit de la photo qu'il a prise devant sa voiture, alors qu'il venait d'avoir son permis. Il éclatait de rire devant l'objectif, et le manager sent son cœur s'alourdir. Comment la vie peut-elle avoir pris un jeune homme si talentueux et qui avait encore tant d'années à vivre?
Le manager prend le cadre entre ses mains et continue de fixer la photo. Il soupire.
-Oh George, dit-il comme si le musicien pouvait l'entendre à travers la photo. Si tu voyais à quel point ton absence a créé un vide. Tout le monde est dévasté. Les fans, ta famille, Pattie, John, Paul, Ringo...
Il déglutit puis ajoute:
-Et moi aussi, George. Tu me manques à moi aussi.
Se sentant soudainement fatigué, le manager s'assied sur le fauteuil. Le sommeil ne tarde pas à l'emporter. Il faut dire que depuis quelques jours, le brave homme a été sur tous les fronts et ne s'est pratiquement pas accordé de moments de repos.
Les heures s'écoulent et la nuit passe. Et alors que l'aube pointe petit à petit le bout de son nez, la porte d'entrée s'ouvre pour non seulement faire pénétrer la faible lumière du jour, mais également la personne qui fait parler d'elle depuis plusieurs jours, pour qui l'on déverse des torrents d'encre dans les journaux et qui a reçu une pluie d'hommages en un temps record.
Il s'agit de George Harrison, qui est bel et bien vivant.
Ta-daaaaaam! Devinez qui n'est pas mort, finalement!
Alors, qu'avez-vous pensé de ce chapitre? ^^
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