Dernières heures avant d'arriver à destination.

Je n'arrive pas à savoir si je suis soulagée ou dépitée. A vrai dire, ni l'un ni l'autre : l'heure est venue d'opérer en adulte. Trouver un emploi stable pour permettre à mon félin de vivre convenablement.

Je tire le volant sur la droite, étouffe un bâillement tout en plissant les yeux sous la rafale de pluie qui s'abat sur mon pare-brise. A croire que même la météo veut me nuir.

Un panneau passe à ma gauche, indiquant en pauvres lettres noires et délavées "NothingCity". Je me penche légèrement pour mieux décerner le paysage, et mes entrailles se serrent à la vue de ce dernier. Une infinité de buildings noirs et ternes s'étend sur des kilomètres. Je freine doucement pour m'arrêter au péage : le gardien en anorak jaune fluorescent ouvre la fenêtre de sa loge et me tend la main :

-Pièce d'identité, je vous prie.

J'ouvre ma vitre à mon tour, fouille un instant dans ma poche et y tire mon passeport. Quelques secondes s'écoulent, puis je récupère mes papiers et la barrière s'ouvre devant la voiture :

-Allez-y, c'est bon, lâche le gardien. Bon retour à NothingCity, m'dame.

Il feigne un sourire narquois, et je dépêche de refermer la vitre. Ma gorge s'est soudain serrée, et je ne veux pas qu'il me voit pleurer. Je presse la pédale et le moteur gronde, nous portant sur l'allée grise et maussade qui mène à la ville la plus déprimante qu'il existe.

Après avoir dépassé le péage d'une centaine de mètres environ, je ralentis à nouveau pour glisser sous une imposante arche couleur nacre, à la suite de plusieurs voitures. La rue se dévoile alors, révélant une grande route noire et une épaisse chaussée délavée. Les arbres nus défilent sur les côtés, tressaillant sous la brise glaciale qui zigzague entre les allées. Je lève à peine la tête vers les grands buildings, sachant pertinemment qu'ils ne feront que de me répugner davantage.

Je circule un instant, sans vraiment chercher à comprendre où je vais. Finalement, je déniche un petit immeuble encadré d'un café discret et humble, et d'une laverie à l'enseigne dépeinte. Je gare la voiture, enfile mon manteau et rabat la capuche sur ma tête. Je me précipite dehors et file à l'intérieur de l'immeuble en verrouillant la voiture.

Je pousse vivement la porte, à nouveau trempée, et essuie mes pieds sur le vieux paillasson tout en balayant l'endroit du regard. Un immeuble classique. La loge du gardien à droite, qui face à la cage de l'escalator et le perron d'un escalier sale.

Je m'approche face à la loge et la gardienne, une vieille femme au dos courbé, lève des yeux surpris dans ma direction :

-Que fais-tu ici, ma belle ?

-Bonjour madame. Je viens louer un appartement, répondis-je simplement, esquissant un sourire forcé pour lui rendre sa gentillesse. Le moins cher que vous avez, si possible.

Elle penche la tête légèrement sur le côté, stupéfaite. Après quelques secondes de réflexion, elle tapote sur le clavier de son ordinateur, se retourne pour attraper un trousseau de clef sur le tableau de liège et le pose devant moi :

-Etage deux, appartement 6. Il est à 200 le mois. C'est le moins cher que nous ayons, désolé.

-C'est très bien, merci, fis-je en attrapant le trousseau. Pas de taxes de loyer ? Ou de dédommagement ou d'assurances particulières en cas d'accident ?

Elle secoue négativement la tête :

-Non, rien de tout cela.

Je réprime un soupire et lui adresse plutôt un sourire :

-D'accord, merci.

Je tourne les talons, et mon sourire fond aussitôt. Je ne suis pas certaine d'être prête pour une vie telle que celle-ci et pourtant, je n'ai pas le choix.