Lui
[02-03/05/2022]
-je ne répondrai à aucun commentaire sur ce chapitre. Merci. Je suis désolé-
Tu sais, parfois, tu me manques. Plus exactement, l'idée de toi me manque. Les souvenirs, illusoires comme des mirages. Je me suis souvent demandé ce qu'on faisait ensemble. Parfois, je me pose encore la question. Un mélange de sentiments, plus ou moins sincères, et de narcissisme, je suppose. Il me semble qu'on éprouvait de l'attirance et de l'admiration l'un pour l'autre. Je crois. La mémoire me joue peut-être des tours.
Baignés dans les hormones et les disputes puériles, nous avions certainement perdu de vue le plus important. D'ailleurs, qu'est-ce que c'était, le plus important pour toi ? Certainement pas moi. Ou le désastre était-il causé seulement par la vision que j'avais de la situation ? M'as-tu, comme tant d'autres, reproché de ne pas vivre le moment ? D'angoisser pour de bêtes probabilités, de te stresser "pour rien" ? Je ne sais plus. Les occurrences se confondent.
J'ai tellement voulu t'oublier. Maintenant, je ne parviens plus à me souvenir de certains aspects de nous, même lorsque je le voudrais. Seuls les traumatismes et ma dépendance me reviennent. Plongé dans le ciel de tes yeux, j'étais emporté dans la tempête quand ils s'assombrissaient de désir. Quel flatteur dangereux, ce regard que tu portais vers moi en certaines circonstances ! Être reflété dans un lac qui me fixait. Notre seconde d'éternité fixée dans ce reflet. Cette sensation me manque encore. Faire semblant d'être la personne aimée. Cette peur de décevoir m'étreint encore. Être regardé sans jamais être vu. Entendre qu'on est aimé plus que tout, et avoir les preuves du contraire. Ce sentiment m'énerve toujours.
Tu m'avais dit qu'il était amusant de faire semblant d'être un autre. Avais-tu perçu ma perplexité et ma colère quand je te répondais sur ce point ? Faire de l'humour en tournant en dérision, je le sais, c'est facile. Cynique. Blessant. Si pratique ! J'aurais voulu qu'on arrête de faire semblant. Au moins entre nous. Au moins en privé. Mais tu ne comprenais pas. Tu refusais de comprendre. Tu jouais à faire semblant. Tu ne comprenais pas à quel point je l'avais fait, à quel point j'essayais d'arrêter. Pour toi. J'essayais puis fuyais, trop effrayé par mes propres paroles.
Ne jamais mentir dans un océan d'indifférence, ce n'est pas dire la vérité. Car à quoi bon aborder des sujets dont personne n'a idée, que nul ne veut entendre ? Ne le voyez-vous donc pas ? Je ne suis pas le costume qu'on perçoit, dont on m'a vêtu. Parfois, je confonds les habits alors je suis pris alternativement pour un original et un soldat rigide. On explique pour mieux l'ignorer : ce ne sont que des lubies passagères. Alors je me perd dans la mer. Face à la foule, ouvrir la bouche, pour du silence lourd de sens, pour des paroles creuses. Avaler l'eau amère, pour se noyer seul. L'ironie !
Face à toi, quand les mots se bloquaient dans ma gorge, je les ravalais avec de l'alcool. Maintenant, ils me restent dans le gosier, et j'essaye de les enfumer avec de la chimie toxique. L'extrémité de la clope clignote comme un phare dans ma nuit. Chaleur temporaire. Une sirène illusoire, pour mieux faire couler le bateau. Tu étais le phare qui révélait mes aspérités, qui m'attirait vers les rochers. J'ai blâmé le phare. J'ai blâmé le bateau. J'ai rejeté les rochers. J'ai voulu changer la coque de ma barque. Alors qu'il suffisait de ne pas foncer vers les rochers, les contourner, ne pas s'y briser.
Couler. Quand on me regarde, refaire quelques pas, au hasard, comme si tout était normal. Puis sombrer loin du phare de la société. Glisser vers l'abysse à nouveau. Répondre des mensonges acceptables, d'une voix qui ne m'appartient pas. Pour combien de temps encore, flotter entre deux eaux en feignant la brasse coulée ? Nager est trop fatigant. Préférer être submergé par l'océan plutôt que faire semblant de surnager. Croire qu'on a touché le fond pour mieux remonter. Cruelle désillusion ! Se laisser emporter par le typhon, les oreilles bourdonnantes et les mains tremblantes. Laissez-moi dans la fosse ! L'obscurité est confortable.
Situation de déjà vu. Enfer éternel, en boucle. Vingt plus tard, me revoici. Tu n'es plus là, mais je m'adresse encore à mon illusion de toi. L'oubli serait préférable. Pourtant, les mêmes thèmes reviennent, que j'ai voulu nier et transformer en fiction. Ils sont toujours là, renforcés car trop ignorés. J'aurais dû faire l'économie de cette existence, plutôt que me relever puis retomber, sans cesse. Se lever et marcher, me dit-on. On a oublié de préciser la direction. Et dans quel but ? Le but de mes mots s'est perdu dans la brume du temps. Mon objectif s'est perdu, peut-être aussi la raison.
J'aurais dû m'assumer au lieu d'endosser le rôle qu'on prévoyait pour moi. J'aurais dû répéter de façon plus acharnée, pour parfaire la comédie. J'aurais dû faire et dire tellement de choses différentes. J'aurais dû vivre comme si ma vie m'appartenait. Je devrais arrêter de regretter. Regretter d'hésiter. Regretter de foncer. Regretter de regretter. J'ai tellement envie de jeter l'éponge !
Tu m'as convaincu : comme toi, les autres écoutent sans m'entendre. J'aurais dû l'accepter à l'époque, au lieu de me vexer. J'aurais dû rendre grâce de pouvoir me noyer dans ton ciel d'été, m'étouffer dans tes jolis semblants, et accepter avec joie la mort de mon âme. Avec toi, aurait-elle été douce plutôt qu'effrayante ? J'ai cru te fuir pour me préserver. Je n'ai fait que nous blesser, et me fuir davantage. Pour me retrouver maintenant, flottant dans un océan de semi-vérités, cette étendue de larmes salie par la fatigue et les désillusions !
Ouvrir la bouche, c'est risquer de se noyer encore dans les mots muets. Hurler ne meublera pas ce silence imposé. Briser des objets ne brisera pas mes chaînes. Créer le chaos dans mon environnement ne permettra à personne de voir celui en moi. Rendre réel mon désordre intérieur ne rangera pas mes priorités dans le bon sens.
Tu n'es pas fautif, mon soleil. Ton souvenir ne l'était pas non plus. Maintenant, je le reconnais. Tu représentais le point focal de mes dysfonctionnements aux yeux de la société. Si je n'avais pas autant nié, j'aurais pu demander de l'aide. Ou lancer des signaux moins subtiles... Et au final pour quelle raison ? Puisque personne ne s'y intéresse, à quoi bon ? Il est un peu tard pour se préoccuper des sentiments du squelette dans le placard. Je ne l'oublie pas pour autant, puisqu'il refuse de me laisser en paix.
Alors je le sors de temps en temps, pour vivre la fiction. Je le laisse prendre l'air, prononcer quelques répliques, acquérir un rôle plus important que prévu. Parfois, il sort tout seul et décide de la scène à jouer, du nom qu'il aimerait porter. Il crie au public : voyez-moi ! Et je répète au monde : regardez-le, il est plus intéressant que moi. Il est celui que j'aimerais être, avoir été. Même si vous ne l'aimez pas, j'aurais voulu être lui, plutôt que la version que vous trouvez plus acceptable, sans vraiment m'accepter. Il est un guignol qui refuse d'être manipulé. Je ne suis que la marionnette sans substance. Qui tire les ficelles ? Personne ? Cette réponse me terrifierait et expliquerait tout également. Il n'y a aucune raison. Est-ce pour cela que j'ai l'impression de la perdre ?
Regardez-le, j'espère qu'il vous divertira. J'espère que ses plaisanteries toucheront vos émotions. J'espère qu'un jour vous l'accepterez. Et alors, quand vous verrez qu'il est moi, peut-être m'accepterez-vous. Je n'ai pas besoin de votre compréhension, je ne recherche pas votre validation. Je veux juste que vous acceptiez cette réalité, même si, souvent, je la qualifie de fiction.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro