Lettre ouverte à quelqu'un qui n'en prendra pas connaissance
[27/11/2021]
Les plus jeunes ne comprendront pas, les disques sont devenus si rares. Comme un refrain entêtant, un disque rayé qui refuse de passer à la plage suivante, ton fantôme me hante. Avec la conscience que je n'ai aucune envie de revenir en arrière, je dois supporter ce poids des regrets. Et si ? Que serait-il arrivé ? Notre séparation aurait pu tellement mieux se passer ! Mais dans ce cas, je ne serais pas ici. Ma vie est en miettes, dans cette alternative-ci. Mais dans une autre possibilité, je pense que je n'aurais pas été heureux non plus. Dans ce champ de ruines, je me suis enfin accepté. Au bord du précipice, j'ai accepté mes faiblesses. Tout mon être. Pour éviter le dernier pas dans le vide, j'ai semé de nouvelles graines d'histoires. Vont-elles germer ? On verra bien. Ici, j'ai créé de la vérité, construit de l'imaginaire. Jeté au hasard des bouts de moi-même, éclaboussé de mon âme les pages vierges.
Tu aimais me lire, à l'époque. Mon style a changé à présent, mais certains récits ont perduré. Si tu me lisais maintenant, tu retrouverais peut-être des thèmes que ta mémoire n'aurait pas totalement enterrés. Et peut-être, comme à l'époque, tu refuserais d'écouter ma voix pendant que tu t'immergerais avec joie dans mes mots. Tu verrais le divertissement, tu ignorerais la vérité. Tu lirais mes sentiments, tu tournerais le dos à mon être. À nouveau. Je suis incapable d'affronter ça à nouveau. Alors j'essaye de me cacher de toi, mon soleil.
Je t'ai laissé me dépouiller de moi-même, trop heureux de faire partie de toi. Je t'ai laissé me brûler, trop effrayé par mon obscurité. Je t'ai poussé à m'abandonner, trop peureux pour m'éloigner. Et maintenant, je continue à laisser ton souvenir miner mes fondations, car elles n'étaient que du sable. Après avoir couru sans reprendre mon souffle, je rampe. Car je n'ai jamais su marcher. Tu es ma plus belle raison d'aller mal. Si j'acceptais que nous deux n'étions pas la cause de ma dégradation... je ne sais pas si je pourrais me relever, grappiller des miettes de moi-même pour réassembler un être fonctionnel.
Alors, dans cette alternative-ci, loin de toi, plus proche de moi-même, je suis malheureux. Dans l'autre possibilité, je suis dans tes bras, et tout aussi malheureux. Alors je préfère être misérable sans toi. Je ne me pose même pas la question : es-tu heureux, toi ? Car ça m'est bien égal. J'embrasse cet égoïsme si longtemps honteusement caché. Pendant tant d'années, le regard que tu portais vers moi ne me voyait pas. J'ai ressenti de la colère, de la haine, de l'humiliation, du désespoir... Je croyais mourir. Peut-être le suis-je déjà ? Je t'aimais à en mourir, et je ne ressens plus cet amour. La mort, encore un peu. Peut-être doit-on avoir l'impression de se désintégrer, avant de pouvoir se reconstruire ? Est-ce une avancée vers l'avenir ou la nuit ?
Mon soleil, te souviens-tu que tu aimais mes récits d'aventure, d'humour et d'amour ? Sais-tu la raison pour laquelle, à l'époque, toutes mes histoires d'amour se finissaient mal ? Car il est facile de parler de ce qu'on connaît bien. À présent, j'ai toujours autant de difficultés. Ma seule happy ending est une mascarade bâclée pour introduire un deuxième tome. Je n'ai toujours pas produit cette fin heureuse promise aux tourtereaux.
Peu importe que l'intrigue soit planifiée. Peu importe de savoir que mes protagonistes auront une fin heureuse dans cinq chapitres ou dans cent mille mots. Les lettres ne s'assemblent pas. Les phrases refusent de s'écrire. Il est compliqué de faire vibrer le public avec un amour sain et heureux, quand on n'en connaît que la théorie. Il est difficile de décrire ce qu'on ne connaît pas. Mon barrage bloque les sentiments afin de structurer au maximum mes textes. Alors mes récits manquent peut-être d'émotions et je refuse encore d'ouvrir l'écluse. Lorsque le barrage cèdera, je crains d'être emporté par les flots. Certaines scènes plaisantes pour le lectorat me rendent physiquement malade. Je suppose que c'est de la jalousie de ma part.
Voilà la raison pour laquelle aujourd'hui, je n'ai pas pu avancer sur une histoire dont la fin heureuse est si proche. Peut-être est-ce bien de la jalousie de ma part ? Envers des personnages de fiction, de ma propre création. Ma mesquinerie est pathétique. Ils me ressemblent trop, je ne peux pas les aimer et bien les traiter.
À nouveau, aujourd'hui, comme une proie tétanisée devant la tâche insurmontable, je me mets dos au mur. Mais adossé à un mur, on a moins la tentation de faire le dernier pas pour basculer dans le vide.
À toi qui refusais de me comprendre quand tu me lisais à l'époque, j'adresse cette lettre ouverte. Finalement, elle est bien plus destinée à moi-même qu'à toi.
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