38.
Le soleil était déjà à la fin de sa course lorsque je me dirigeais vers la petite maison en bois. Traverser le jardin fut d'une souffrance qui commençait à m'être familière, mais si celle-ci se trouvait être bien plus mentale que physique. Une odeur de cannelle s'introduisit dans mes narines lorsque j'arrivai au seuil de la porte et je soufflai de plaisir et d'apaisement face à cet arôme familier.
Je ne toquai pas et entrai sans prononcer le moindre mot. Je refermai la porte derrière moi et restai un instant sur le perron à observer les autres, qui parlaient péniblement autour du feu. À peine avais-je posé mes yeux sur mes compagnons que la tension électrique qui emplissait l'air m'emplit les narines. Je compris alors que cette situation n'était en fait facile pour personne. Je tournai rapidement les yeux du feu, de peur de croiser ceux d'une certaine personne, et les posai sur Ariana qui s'était levée d'un bond à ma vue pour me servir une tasse de sa précieuse boisson chaude.
— Je suis désolée que tu l'aies appris dans une situation aussi... délicate.
Évidemment, elle avait été mise au courant que très tard du fait que je m'étais prise d'amitié pour le meurtrier de maman.
— Mais également heureuse que tu sois enfin au courant pour notre histoire.
J'acceptai la tasse qu'elle me tendait et en bus une gorgée avant de la poser sur la table juste à côté de moi. Je me retournai ensuite vers ma sœur pour la cueillir dans mes bras et la serrer contre mon cœur. Ce geste me calma légèrement, et je pus faire disparaître les quelques émotions négatives que j'avais pu laisser passer en entrant. Elle me rendit mon étreinte, et je ne pus m'empêcher de sourire en sentant le bonheur de sa présence recouvrir lentement la haine envers Nese. Je m'obligeai pourtant à m'éloigner d'elle le moment après, et en profitai ensuite pour lui répondre :
— Je n'avais jamais imaginé avoir une sœur...
Elle me sourit chaleureusement alors que je reprenais ma tasse pour en boire une gorgée.
— C'est tout à fait normal. La façon dont je suis née est... comment dire... des plus spéciales ?
Je souris à mon tour. On était d'accord sur ce point. Elle avait eu une chance inouïe que les cieux aient eu pitié d'elle alors qu'elle n'avait pas encore respiré l'air de ce monde.
— Je ne peux certainement pas te dire le contraire. Mais, dis-moi, si c'est lui...
Le nommé et Line avaient arrêté de parler pour écouter notre conversation, mais je m'en foutais bien. Tout ce qui m'intéressait pour l'instant c'était d'avoir l'entièreté des réponses à mes questions.
— ... qui a eu le malheur de commettre le deuxième crime ? L'a-t-il fait également la première fois ?
Elle comprit le sens de ma question. Je voulais savoir qui avait commis l'impair de tuer ma mère avant qu'elle ne devienne une Kusinthas.
— Si tu veux tout savoir, les cieux ont passé plusieurs jours à me faire comprendre cet épisode dans tous ces détails. Cela m'a demandé une énergie que je ne croyais pas avoir.
J'acquiesçai. Son séjour aux cieux n'avait sûrement pas dû être des plus aisés. Lorsqu'elle se lança dans son récit, sa voix était toujours aussi calme et concentrée. Je me demandai alors si elle n'avait pas eu un entraînement spécial pour le contrôle de ses émotions.
— Je suis morte quatre ans avant ta naissance. Comme tu le sais, je suis morte à neuf mois dans le ventre de notre mère. Si la seconde fois, maman n'a pas eu le temps de regarder son meurtrier en face, la première a été extrêmement différente...
Cette fin de phrase me fit frissonner de la tête aux pieds.
— Cela s'est passé de la même manière que toi tu as eu la marque.
Ma tasse me glissa des mains alors que j'écarquillais les yeux d'horreur face à cette révélation.
— Tu veux dire que maman a reçu la même souffrance que ce que j'ai dû endurer ?
Je m'étais à moitié jetée sur elle, la voix remplie d'une profonde colère. N'avait-elle donc pas survécu à cette souffrance ?
— C'est pour cela que j'ai été profondément étonnée de te voir débarquer dans ma demeure avec cette marque sur le dos, sans la moindre connaissance de ma personne. Tu avais réussi à survivre à cet enfer.
La raison de ce miracle était simple. Je n'avais pas été seule. On m'avait sauvé des griffes de ces monstres, voilà la raison de ma survie.
— Mais pourquoi elle ? Pourquoi maman ?
C'était tout bonnement impensable. J'avais eu une chance inouïe d'être sortie de cette montagne et en vengeant ma mère en prime. Ce n'était donc pas un hasard si mon père en savait déjà sur les guerriers noirs, s'il avait déjà eu affaire à eux avant sa mort. Il ne m'avait jamais parlé de cela. S'il avait réussi à me préparer au monde extérieur, il n'avait pas eu la force de m'expliquer l'entière vérité. Mais le passé était le passé, et aujourd'hui, il fallait que je mette fin à cette malédiction qui poursuivait notre famille depuis une génération déjà. Si précédemment, mon but était de survivre dans ce monde de lutte, tuer tous ceux qui voulaient la mort de ma famille et mes proches était maintenant une priorité après un tel aveu.
Je repris mes esprits et m'éloignai de ma sœur qui me regardait toujours avec ce même regard. Je m'abaissai ensuite pour ramasser les verres cassés de ma tasse et allai les poser dans un bol sur la table dans un silence de mort. Je m'appuyai sur la table en remarquant mes mains trembler dans des gestes imprécis, et restai un instant dans cette position à m'apitoyer sur mon sort.
Je tournai ensuite mon regard vers le feu où les deux membres qui avaient fait partie des deux assassinats de ma mère se trouvaient.
Ma sœur se rapprocha de moi alors que les regards de mes amis se plantaient dans le mien. Elle s'interposa entre la source de chaleur de la maison et moi afin de prendre mon visage entre ses mains. C'est de cette manière qu'elle me força à la regarder droit dans les yeux tout comme elle put me parler sans être coupée :
— Ce qui s'est passé dans cette montagne est horrible, j'en suis bien consciente. Mais ils recevaient tous les deux leurs ordres de Dieugo, l'un comme l'autre. Tu n'as pas le droit de leur en vouloir pour leur passé, pour avoir obéi aux ordres.
Je savais très bien tout ça. J'aurais, moi la première, obéi aux ordres qu'on me donnait sans rechigner. Alors, comment aurais-je pu leur en vouloir pour une chose que j'aurais également été capable de faire ? Mais le taux de chance que je ne regarde plus Nese de la même manière qu'avant était grand. Je savais que même si je lui pardonnais, nous ne pourrions plus jamais avoir la même relation qu'avant.
Je hochai la tête face à ses paroles sages, même si la rage qui bouillonnait en moi ne refroidirait pas avant un certain temps.
— Bien. Buvez un coup et réchauffez-vous. Reprenez des forces dans une des deux chambres à l'étage pour cette nuit. Pour ceux qui y arrivent, ajouta-t-elle en me jetant un coup d'œil.
— Merci, lui répondis-je. Pour tout.
La nuit promettait d'être longue et rester ici sans rien faire me paraissait être des plus impossible. Dès que Ariana monta à l'étage, je sortis à nouveau et fus heureuse de constater que ni Nese ni Line ne me suivaient.
L'étais-je vraiment ?
Je pris une profonde inspiration de cet air apaisant et me détendis face à cette légère brise du soir. Je traversai le jardin de ma sœur à grande enjambée, trop en colère pour rester près de cette demeure pleine de vie. J'atteignis rapidement le peuple de cette immense forêt et m'y enfonçai de plus en plus profondément. Ce fut un profond soulagement lorsque je remarquai que plus je m'éloignais de ceux qui m'avaient enlevé ce que je possédais de meilleur dans ma vie, plus la haine qui me transperçait le corps laissait place à de l'apaisement et de la tristesse. Beaucoup de tristesse. Lorsque je compris que je ne pouvais pas être en colère contre eux éternellement, je m'arrêtai et m'assis au pied d'un arbre. Je soupirai, trouvant une paix intérieure réconfortante au bas de cet immense être vivant. Je me mis en boule, et enfouis ma tête dans mes bras en réfléchissant à tout ce qui était en train de m'arriver. De nous arriver... Je pensai à Dieugo, à Nese, aux amants tombés tous les deux aux combats ainsi qu'à ma sœur retrouvée.
Mais une voix s'éleva au loin. Ce son inhabituel me fit frissonner et je relevai vivement la tête de ma bulle pour tomber nez à nez avec une panthère. Une panthère aux yeux verts, de la même couleur que des émeraudes en plein soleil. Je regardai ce dangereux animal alors que l'impossibilité de me relever me laissait de marbre.
J'avais déjà rencontré cette panthère au pelage d'un noir jet, et ce n'était pas vraiment dans de bonnes circonstances. C'était la marque de fabrique de quelqu'un qui se trouvait être la dernière personne que je voulais voir en ce moment. Il vous suffisait de traverser ces yeux d'un vert palpitant pour savoir que votre mort était proche. La voix qui suivit me le confirma.
— Excuse-moi d'utiliser ta stupidité, chérie. Mais là, c'est vraiment trop tentant.
Je jetai un coup d'œil derrière la panthère. Un homme s'avançait vers moi avec un petit sourire aux lèvres. Je lui rendis son sourire, ce qui le déstabilisa légèrement. Évidemment il rentrait pile d'une des missions données par les cieux aujourd'hui. Cela n'était pas pour me déplaire, que du contraire. Je ne regrettais nullement cette escapade en forêt seule et sans défense. Car, je savais que Dieugo attendait, dans les parages le bon moment pour en finir une bonne fois pour toutes. Mais à partir d'aujourd'hui, je m'étais promis de ne plus jamais passer un seul jour en pleine proie à un ennemi. Si je devais survivre, il fallait que je regarde la vérité en face. Oublier et fuir ne faisaient pas partie de ce court panel de solutions. Si j'avais choisi de m'isoler profondément dans ces bois, ce n'était pas par haine ou colère, mais simplement pour le trouver. Pour qu'il me trouve. Mon plan avait marché. J'étais heureuse. Toute cette haine qui s'était entassée ces dernières heures allait pouvoir être totalement libérée face à cet ingrat. Face au seul responsable de toutes ces vies inutilement éliminées. Le seul responsable de toutes ces années sans mère et sans sœur.
Dieugo.
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