33.
— Bon. Avant les détails, tu as besoin d'une définition de « prophétie » ?
Je m'en foutais totalement et elle le savait très bien. Elle se moquait tout simplement de moi et c'est pour cela que je me forçai à sourire malgré la situation tendue dans laquelle nous étions. Elle leva les yeux au ciel en voyant mon talent d'acteur qui était digne d'une crevette.
— Quand je te demandais de commencer par le début, c'est le...
— C'est bon, c'est bon..., me coupa-t-elle en souriant, tout de même pas peu fière de sa blague. Donc. Si Dieugo en a après vous, ce n'est donc que pour une seule et unique raison : la prophétie.
J'étais déjà totalement pendu à ses lèvres, prêt à tout ce qui allait en sortir. Chaque information sur Dieugo nous était précieuse.
— Cela s'est passé il y a de nombreuses années. On m'a affirmé que Dieugo redoutait sa mort plus que n'importe qui. Il est alors allé voir une voyante muette, pour éviter que sa visite puisse s'ébruiter dans le monde et que sa réputation reste intacte. Puisque la parole ne pouvait satisfaire ses visiteurs, cette voyante possédait un objet mystérieux qui lui permettait de donner des images en tant que réponses.
— Moyen pratique pour donner des réponses vagues sans se justifier.
Si je commençais déjà à la couper dans son élan, nous n'allions pas aller très loin. Et si nous n'allions pas très loin, nous mourions. Elle me jeta un regard noir amusé et je grattai ma nuque par simple tic que j'avais quand j'étais sous forme humaine.
— Ne joue pas à ce jeu-là avec moi.
— Oui, pardon.
Elle sourit en voyant ma mine désolée tandis que je grimaçais de douleur lorsque mon poignet gauche appuya tout à coup plus fort sur son épaule. Le temps pressait et nous allions devoir nous arrêter dans une auberge avant d'aller chez le médecin sinon nous n'y arriverions jamais en un seul morceau. Mon aimée allait encore devoir attendre pour se faire soigner et cela me peinait grandement. Line continua :
— La voyante lui a offert ce qu'elle voulait. Elle lui a montré le visage de celle qui allait le tuer.
— Diane...
Je regardai celle-ci, dont le visage rempli de peur et de douleur ne s'était toujours pas radouci. Mais son visage assoupi commença à remplacer les affreuses images de tout à l'heure qui hantaient mes pensées et cela m'aida à me calmer en attendant son retour parmi les vivants.
— Oui, Diane. Ou en tout cas une personne qui lui ressemble comme deux gouttes d'eau.
Il n'y avait personne d'autre sur terre qui avait pareil corps, pareille expression et pareille personnalité. C'était bien une des seules choses dont j'étais certain. Elle était unique en n'importe quel genre et c'était ce qui faisait mon amour pour elle.
— J'ai entendu dire que Dieugo est depuis longtemps en chasse de... Diane. On m'a dit qu'il courait déjà après ses parents pour qu'elle n'ait pas à naitre.
— Cela fait donc longtemps déjà que ton armée de guerriers noirs a affaire avec Dieugo, il vous a donc déjà demandé service par le passé.
Elle me regarda un instant pour vérifier que j'étais toujours bien debout.
— Oui... Mais la dernière fois, Dieugo avait demandé de tuer Le Fauve À La Queue Dorée et sa fille, dit-elle en regardant Diane, endroit où je suivis son regard. Elle a réussi à s'échapper et cela a valu la colère de notre source d'argent sur mon ancien peuple. Il leur a donc finalement retiré le devoir de la tuer, nous trouvant trop incapables pour une tâche d'une aussi haute importance. Il a dit qu'il s'en chargerait lui-même. Que lui seul méritait sa mort ! Je ne sais pas si Dieugo a passé son temps à l'espionner et à apprendre tous les détails de son comportement, mais mes supérieurs avaient l'air de dire qu'il la connaissait peut-être mieux qu'elle-même. Il pourrait très bien la connaître comme si c'était sa propre progéniture... je veux dire... bref. La peur a pris le contrôle de Dieugo pendant toutes ces années. Elle devenait de plus en plus belle, de plus en plus forte. Si le temps le retenait la plupart du temps de la tuer, je suis certaine qu'il y a quelque chose d'autre qui a dû naitre en Dieugo. Il a essayé d'éviter tout accident qui aurait pu en finir pour de bon avec lui, il a essayé d'écarter tout dieu de sa route pour éviter qu'ils ne s'allient contre lui.
Il y en avait un qui avait échappé à ces prises de sécurité : Athan. Ce jour-là, dans l'auberge, il n'avait pas eu d'autre choix que de faire enflammer l'auberge elle-même pour essayer de liquider notre ami avant qu'il ne devienne trop dangereux. Il avait essayé de nous tuer, par la même occasion, mais avait échoué dans sa faible tentative. Il avait dû se rendre compte ce jour-là de la vraie force que nous avions réussi à assembler grâce à elle. Il lui avait fallu tout ce temps pour en finir enfin avec Athan et je pouvais imaginer le soulagement qu'il avait pu ressentir en tuant enfin cette gêne qu'était notre ami pour lui.
Je secouai la tête en retenant cette nouvelle peine qui me prit de court. Cet homme était un démon.
— Mais comment a-t-il pu penser qu'elle arriverait à le tuer ? Elle était si jeune et s'il la connaissait vraiment bien, il aurait su qu'elle n'avait pas d'amis qui étaient des dieux à l'époque ?!
— Je ne sais pas, OK ? s'énerva-t-elle à nouveau légèrement. Je ne sais pas ce que Dieugo a pu penser pendant tout ce temps, mais il avait peur. Il y a quelque chose qui a dû l'empêcher de la brûler vive ou planter un poignard dans son cœur pendant son sommeil.
Je secouai la tête.
Cette ordure devait payer pour ce qu'elle avait pu faire endurer à ma belle, mais Dieugo en savait bien plus sur elle que je n'en saurai jamais et cette perspective me fit serrer les mâchoires. Il ne la méritait pas. Même le ver de terre d'à côté la méritait plus. Mais moi ? Avais-je seulement le mérite de pouvoir la regarder dans les yeux ? Toute sa vie, elle l'avait passée dans la souffrance et la solitude. Elle avait surmonté maints et maints obstacles pour devenir la femme qu'elle était aujourd'hui et Dieugo en avait été témoin de la moindre miette. C'en était répugnant. Aucune personne ne devrait endurer pareille humiliation.
C'était insurmontable rien que d'y penser. Mais comment avait-elle fait ?
— Et Athan, grinçais-je en sentant la colère monter en moi. On t'en a parlé ?
Je voulais en être certain. Je n'avais fait qu'émettre une hypothèse en ne voyant pas notre ami dans la cellule. Mais Athan avait toujours été gênant pour Dieugo... C'était la seule raison que j'avais trouvé de son étrange disparition.
— Tout ce que je sais, c'est que Dieugo est apparu à notre porte peu de temps après vous avoir capturés, me dit-elle avec le plus grand des sérieux. Il a dit vouloir s'en charger de ses propres mains.
Je gémis. J'avais donc raison. D'abord Athéna, morte dans un terrible... accident. Puis Athan, tué par celui qui n'arrêtera jamais de nous pourchasser. Tous les deux des compagnons fidèles, qui méritaient mieux que ce qu'ils avaient toujours possédé. Je priai au plus profond de mon être pour ces personnes qui auraient presque pu devenir ma famille si on nous en avait laissé le temps.
Line m'observait avec attention. Elle savait que notre rencontre ne datait pas d'hier. Que nous avions déjà vécu des choses que jamais elle n'oserait imaginer ! Si son regard me donnait un profond encouragement, celui-ci était également rempli d'une profonde pitié sincère et c'est en se plongeant tous les deux dans nos souvenirs les plus sombres que nous dépassâmes une charrette sur laquelle se trouvaient un marchand et sa fille.
— Je suis désolée de ne pas avoir pu sauver tout le monde. Mais je ne pouvais rien faire face au plus grand dieu du monde. De plus, celui-ci a fortement hésité à nous laisser nous occuper de vous, mais j'ai entendu dire qu'il avait fini par se détourner de ta copine. Je n'ai pas pu voir la douleur qu'il a dû ressentir en renonçant à sa proie, mais j'ai entendu dire qu'il s'était profondément refermé sur lui-même après avoir prononcé ses derniers mots.
Tant de facteurs le prouvant. Tant de choses me soufflant que ce que je pensais était vrai.
— Si je vous ai libéré aujourd'hui, c'est pour la justice. Mais je ne peux nier que j'ai envie de vous suivre jusqu'au bout vous deux. Vous avez l'air de posséder une cause juste et si je vous ai libéré, ce n'est pas pour prendre une vie de paysanne. Je veux vous suivre, conclut-elle en plantant son regard dans le mien.
Je l'observai un instant. Sa sincérité était des plus frappante.
C'est en plongeant également mon regard dans le sien qu'elle dit d'une voix portante :
— Je veux réparer mes erreurs passées.
Se faire pardonner de ses péchés, se battre pour ce qu'elle croit être juste. Tout cela sur un même pied d'égalité.
Je la remerciai d'un regard. Nous ne pouvions espérer meilleure alliée si elle venait de son plein gré avec une telle volonté. Elle avait déjà fait pour nous plus que nous pouvions réellement l'espérer et nous ne la remercierions jamais assez pour ça. Nous lui devions la vie, mais si elle prêtait allégeance à notre groupe qui s'était rétréci avec une rapidité effrayante, c'était plus que la vie que nous lui devions.
— Donc, Dieugo est toujours en vie, prêt à frapper à n'importe quel moment, récitais-je. Sûrement en train de préparer de nouveaux plans raffinés pour en finir une bonne fois pour toutes de nous.
D'elle.
— En effet, affirma-t-elle. Mais nous ne pouvons rien faire pour l'instant, excepté le fait de soigner Diane et trouver une défense correcte contre notre ennemi.
— Et que veux-tu trouver comme défensive qui retiendrait le plus grand dieu du monde ?
Je fronçai les sourcils imprudemment, car ce qu'elle venait de proposer était la chose la plus insensée que j'avais entendue sur la journée. Préparer quelque chose qui retiendrait le plus grand dieu du monde était tout simplement impossible pour de petits Kusinthas et une petite humaine comme nous.
— Vous ne connaissez pas des gens qui pourraient vous soutenir ? demanda-t-elle plutôt intriguée sur le fait de savoir ce que nous allons mettre en place pour sauver nos peaux. Des dieux qui pourraient être de votre côté et combattre Dieugo avec vous ?
Je réfléchis un instant.
— Aucun de nous ne connaît vraiment de dieux personnellement... à part Athan, bien sûr. Nous étions tous les deux dans des armées de tigres ou d'humains, m'empressais-je de lui expliquer en la voyant souffler, nous ne pouvions pas faire connaissance avec des dieux, qui sont assez rares, de plus, car notre entourage était constitué uniquement d'hommes et de fauves.
— Pas besoin de t'expliquer, répliqua-t-elle. Je ne fais que maudire le monde dans lequel nous vivons pour tous ces plans foireux qui ne nous permettront jamais de survivre.
Elle baissa les yeux vers ses pieds, et je perçus une grande tristesse ainsi qu'une profonde colère transpercer son regard et ses pensées.
— Et ces armées, elles nous aideront, non ? espéra-t-elle, en relevant les yeux vers moi.
— Celle de Diane, oui, répondis-je sans la moindre hésitation. Elle est entièrement dévouée à elle et est prête à payer le prix de sa vie... Mais la mienne... je dirais un peu moins. Je rajouterais même que nous allons être dans l'obligation de la combattre un de ces quatre...
— Tu veux dire que Dieugo n'est pas le seul à vouloir votre mort ?
— Non, bien sûr que non, pour qui nous prends-tu ?! Nous ne sommes pas ces brigands qui ne font que voler les plus démunis.
Elle leva une nouvelle fois les yeux au ciel face à ma fierté immortelle.
— Ce n'est pas vraiment un compliment dans une telle situation, mais bon...
— Laisse-moi juger ce qui est un compliment pour nous et ne sois pas jalouse.
Nouveau levé vers le bleu infini.
— Il y a mon ancienne armée ainsi que celle de Phares avec ses doubles-loups..., dis-je en faisant semblant de compter mentalement.
— Je ne pouvais pas tomber sur pire équipe niveau sécurité, soupira-t-elle sans pouvoir s'empêcher de sourire.
— Merci pour les encouragements. Mais d'après ce que tu m'as dit il y a quelques instants, tu n'as pas quitté ton ancienne armée pour devenir fermière, alors... est-ce que tu accepteras de nous aider ? Acceptes-tu de combattre à nos côtés pendant ce long chemin qui nous attend ?
— Jusqu'à la mort...
Elle eut une hésitation, comme si ces mots sonnaient étrangement dans sa bouche, mais elle finit par sourire et releva son regard sur moi avant de prononcer ce dernier mot :
— Oui.
Je hochai la tête, heureux de savoir que nous pouvions compter une nouvelle alliée à la courte liste que nous possédions.
— Je ne connais pas grand monde qui pourrait vous aider, je ne sais pas vraiment où chercher pour trouver des dieux... mais chaque personne compte, alors... je suis à votre service, dit-elle en s'abaissant à moitié pour appuyer ses propos.
— Je suis très heureux de l'apprendre, mais tu n'as pas à être sous le service de quiconque. Et si, par hasard, tu le voulais vraiment, Diane est sûrement la meilleure pour ces choses-là...
— Tu me laisseras avoir mon propre jugement sur cela, s'il te convient. Tout ce qu'il nous faut pour l'instant, c'est soigner ton amie et tuer Dieugo avant qu'il ne nous tue.
— Oui, tu as raison, dis-je en apercevant enfin le village qui allait pouvoir la sauver.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro