20.
Je me réveillai la dernière. Ressentant une vive douleur au niveau de mon ventre, je changeai rapidement de position pour chasser mon engourdissement de la nuit.
Nese se trouvait encore là, somnolant sur sa chaise de bois. Lorsqu'il remarqua que j'avais enfin ouvert les yeux, il m'expliqua qu'Athan et Athéna parlaient tranquillement en bas en train de prendre leur petit-déjeuner et qu'il m'attendait pour y aller.
Je me sentis un peu mal de l'avoir obligé à rester assis sur sa chaise et lui demandai pardon, mais il me répondit qu'il n'y avait aucun souci et que c'était son choix.
— Et comment va Athéna ? lui demandais-je pour éviter de tourner en rond pendant trois heures.
— Elle avait vraiment mal à la tête quand elle s'est réveillée, mais je pense qu'à l'heure qu'il est, ça doit être passé...
— Parfait ; nous pourrons ensuite nous remettre en route rapidement.
Cela ne fut pas pour lui plaisir.
— Ne crois pas pouvoir reprendre la route aussi vite, tu es toujours blessée à ce que je sache.
Le début va être dur, mais nous ne pouvons pas nous permettre de trainer. Atteindre la ville du métal est notre priorité.
Il grogna de mécontentement en me jetant un regard qui me fit comprendre qu'il n'allait pas me lâcher des yeux durant le trajet.
— Enfile quelque chose pour cacher tes bandages et mets un peu de pommade sur ta main, puis on y va.
Il ne dit rien de plus sur le fait que je ne lui avais pas demandé de l'aide lorsque j'avais décidé de me la couper, car je savais qu'il avait dû penser aux solutions que je m'étais offertes après la morsure. Il ne me reprocha pas non plus le fait que je ne lui en avais pas parlé et je le remerciais pour cela.
Il m'attendit derrière la porte pour me laisser tranquillement m'habiller et on descendit ensuite ensemble pour rejoindre les deux autres.
Arrivés en bas, on découvrit Athan et Athéna en grande conversation autour de plusieurs plats variés : toasts, œufs, fromages...
Cette auberge était vraiment d'une très bonne qualité, mais je devinais rapidement que ça n'allait pas être gratuit.
Ça ne m'empêcha pas de m'asseoir entre Athéna et Athan et en face de Nese et de me servir d'un peu de tout en écoutant leur conversation. Ils n'avaient pas l'air de vouloir s'arrêter pour nous demander comment on allait ou des sottises dans ce genre-là. Non, ils continuèrent à parler, à croire qu'ils ne nous avaient même pas remarqués.
— ...et puis l'homme assis à ta droite t'a fait valser à l'autre bout de la salle et c'est ce matin seulement que tu t'es réveillée.
Athan lui expliquait décidément ce qu'il s'était passé hier soir. C'était sûrement sa manière à lui de nous faire payer le baiser, car Athéna nous dévisagea tour à tour les sourcils froncés.
— Alors c'est à cause de ça que vous vous êtes battu ? Parce que vous deux vous êtes embrassés ? Et toi Diane, tu m'as demandé de les séparer alors que je n'avais rien à voir dans votre histoire.
Ses sentiments pour Hémon n'avaient certainement pas failli, d'autres les avaient simplement recouverts. Des sentiments qui faisaient un immense chahut dans son esprit en ce moment même.
Je m'apprêtai à répliquer, mais elle ne m'en laissa pas le temps.
— Si je t'avais proposé mon aide, ce n'était pas pour mettre fin à votre conflit ! Et toi, Nese, dit-elle en continuant son engueulade, c'est à cause de toi que je me suis retrouvée à l'autre bout de la salle assommée ?
Il n'en pouvait presque rien puisqu'elle essayait de l'empêcher de faire quelque chose. Il n'avait fait que se défendre.
Je voyais que Nese ne savait pas trop quoi dire après cette accusation et honnêtement, moi non plus je n'aurais pas su. Aucun de nous deux ne voyait où Athéna voulait en venir...
— Et tu ne me demandes même pas pardon ?
C'était donc ça...
Là-dessus non plus, il ne répondit pas, ce qui énerva encore plus Athéna.
— Bande de brutes ! Tout ça pour un foutu baiser !
Je savais à présent pourquoi elle se mettait dans une colère aussi noire... J'aurais pu dire : la jalousie est un vilain défaut, mais cela n'aurait qu'accentué sa colère.
Aucun de nous ne parla, se disant sûrement que c'était plus sage de la laisser évacuer sa colère.
Mais après tout, nous devions quand même repartir. Alors je me décidai et dis :
— Je vais aller chercher les chevaux pour que nous nous remettions en route.
Athéna me foudroya du regard, mais je l'évitai soigneusement et sortis pour me diriger vers les écuries.
J'avoue que c'était un peu de la lâcheté de laisser Nese entre ces deux-là, mais si cela pouvait éviter de rajouter de l'huile sur le feu, ça m'arrangeait beaucoup.
Arrivée aux écuries, je trouvai un cheval noir jet d'une grande dignité. Son regard perçant jaune-vert me frappa dans l'immédiat. Il était d'une telle splendeur que j'en restai bouche bée. Je sus qu'il était celui qui courrait le plus rapidement parmi tous ceux de cette écurie. Je savais que c'était lui que je devais choisir.
Alors je m'approchai à pas lent et lorsque je fus à moins d'un mètre du cheval, je mis une main devant moi en m'accroupissant légèrement en voyant que la bête reculait...
Je ralentis l'allure tout en continuant à avancer. Mais lorsque l'animal se retrouva contre le mur et se sentit pris au piège, il leva ses deux pattes avant en hennissant.
De peur de réveiller toute l'auberge, je reculai de quelques pas pour laisser l'animal reprendre son souffle. Il se calma petit à petit. Alors j'avançai d'un pas, une main toujours devant moi, fermai les yeux et attendis...
J'espérais juste que son fameux maître n'allait pas arriver maintenant, sinon je n'allais pas pouvoir le dresser correctement et cela allait poser problème.
La question de sa véritable nature ne se posait pas ; il ne pouvait avoir été humain avant cheval. Les cieux nous ressuscitaient principalement et uniquement en bêtes sauvages.
Lorsque je sentis un doux museau légèrement poilu se poser sur ma paume avec prudence après l'avoir reniflé, je m'obligeai à rouvrir les yeux. En voyant le grand étalon noir à seulement vingt centimètres de mon visage, je soupirai d'apaisement en faisant partir l'adrénaline et passai ma main droite le long de son encolure en me relevant calmement. Lorsque je fus tout à fait sûre que mon nouveau partenaire était tout à fait conscient et d'accord de ce que je faisais, passai sur son côté sans arrêter de caresser son pelage et grimpai dessus.
...dans une souffrance atroce. J'avais totalement oublié que j'étais blessée.
Je jetai un coup d'œil sous le bandage. La plaie avait été recousue à la perfection, mais cela n'empêchait pas l'intense souffrance de se répandre dans mon corps.
Je n'avais même pas pu le remercier. On fuyait comme des rats.
Mais avec tous ces gens à nos trousses, il fallait absolument que nous bougions. J'allais donc devoir supporter cette blessure plus longtemps qu'en temps normal.
Une petite bourse était accrochée à la selle du cheval. Son ancien maître n'avait pas encore compris que le meilleur moyen de se faire voler son argent était de la laisser dans les écuries ? Mais évidemment je ne me plaignais pas de cette trouvaille, que du contraire.
Je lui donnai également le nom de Shadow pour son pelage sombre aux reflets clairs et ses capacités de course que je devinais rapides.
Je fis ensuite un petit tour de l'écurie pour trouver deux autres chevaux pour mes amis. Je fis soigneusement mon choix avant de sortir de l'étable pour rejointe les trois autres qui m'attendaient juste en face de l'entrée de l'auberge.
Lorsque Nese me vit perchée sur mon cheval. Il baissa les yeux, évitant que je ne voie pas sa déception de ne plus pouvoir passer tout le temps de voyages juste en dessous de moi.
Mais le cheval était le plus stable des deux, surtout qu'il n'avait à présent plus la forme d'une monture. Je devinai pourtant que sa vitesse n'avait pas baissé, malgré des pattes en échange des jambes.
Je ne sus quoi lui dire pour apaiser sa peine et donnai les deux autres chevaux à nos amis. On partit enfin sans un bruit pour ne pas éveiller de soupçon chez les malheureux propriétaires de ces chevaux qui étaient sûrement en train de tranquillement prendre une bière ou tout simplement un petit-déjeuner. Il ne restait plus qu'à espérer que personne ne les alerte pour trois voleurs s'en allant avec leurs précieux étalons.
— Je propose que nous accélérions un peu la cadence pour éviter de nous faire attraper par... nos chers nouveaux amis, si vous voyez ce que je veux dire.
Mais ils n'eurent même pas le temps de répondre qu'un homme avec des bagues à chaque doigt et deux autres hommes d'un certain âge sortirent de l'auberge et nous coururent après.
C'est le sourire aux lèvres que nous partîmes au galop.
Mais apparemment le gros monsieur n'avait pas que des bagues dans son armoire. La petite dizaine de gardes du corps qui n'a même pas su protéger le cheval de leur maître me le confirma.
Ceux-ci nous prirent en chasse, et il ne fallut qu'un regard entre Nese et moi pour que nous sachions tous les deux qu'une petite bataille nous ferait du bien à tous pour se réveiller totalement.
Vu la qualité de nos ennemis, le combat devrait être assez rapide. On se retourna vers nos nouveaux ennemis.
— Ne pense même pas combattre dans cet état-là ! me dit Nese d'une voix grave. Tu es déjà assez blessée comme ça !
Je levai les yeux au ciel d'amusement face à son côté protecteur, mais préféra m'abstenir.
— Ne les tue pas, aucune mort n'est nécessaire.
Un hochement de tête, et il courut à toute vitesse vers les hommes tandis que nous continuâmes notre route paisiblement.
Ce n'était que le début de la journée et penser qu'elle allait être reposante et apaisante serait stupide.
Ma blessure me criait déjà une pause et de premières crampes naquirent après une demi-heure seulement.
L'ambiance que cette bataille avait créée dans notre groupe était bien plus légère que ce matin. On rit de nombreuses fois et rigola des uns des autres comme le soir précédent n'avait jamais existé. Chacun restait pourtant distant des autres comme une obligation et ni Athan ni moi ne pûmes nous mettre totalement parmi cette légèreté.
Ma conscience restait focalisée sur cette blessure que m'avait donnée le tigre. Peut-être était-ce mental et honnêtement, je l'espérais au fond de moi, sinon cette blessure ne guérirait jamais.
Évidemment, Nese ne perdait pas un instant pour voir si j'allais toujours bien et si je ne m'évanouissais pas du dos de ma monture.
Cela me faisait... peur. Du dégoût peut-être ? La vie était cruelle...
Toute mon enfance j'avais cherché de l'aide, de la vraie. Quelqu'un qui aurait pu me sortir du merdier dans lequel mes parents m'avaient fourrée.
Et maintenant, j'étais seulement gravement blessée et une personne me regardait à tout bout de champ pour vérifier si je n'étais pas en train de tomber de mon cheval.
Je pense que ça m'aurait plus aidé s'il l'avait fait avant. Mais ils n'en pouvaient strictement rien, il ne connaissait ni mes parents (ou que de loin, puisque mon père était connu de partout) ni même moi. De ce que je savais, en tout cas...
Une légère fièvre me prit de court, mais je n'y laissai rien paraître à Nese qui n'en finissait pas de me regarder. Pas autant que je l'espérais apparemment car il vit presque instantanément et il ralentit l'allure en entraînant tout le monde dans son changement de vitesse.
— On va faire une pause, dit-il aux deux autres.
— Il n'en est pas question ; on continue, leur dis-je entre deux souffles.
— Diane ! Tu as vu ton état ? C'est à peine si tu tiens encore sur ta selle, me dit Athéna, ébahie.
Comme souvent, elle avait raison et moi tort. Je soufflai de désespoir, impuissante face aux regards suppliants de mes compagnons.
Les mains — maintenant griffées et encore plus poilues — de Nese m'aidèrent à descendre pendant qu'Athéna allait débroussailler un petit endroit dans la forêt. Il me prit dans ses bras et m'y posa pendant qu'Athan accrochait les chevaux à un arbre.
— Elle est tout de même fortement pâle, leur héla Athéna.
— Tu avais pourtant bien changé le bandage ce matin, Athéna ! s'écria Athan sans aucune vraie raison.
Elle lui jeta un regard noir.
— Ce n'est pas une question de bandage Athan ! lui répondit-elle violemment. Elle force trop sur la blessure. Le médecin nous a dit de laisser celle-ci bien tranquille et de se reposer et je te signale que ce n'est pas exactement ce qu'elle fait.
— Au prochain village, nous irons revoir un médecin et lui demander des anesthésiants, proposa Nese pour les calmer.
La tête me tourna, leurs voix ne devinrent que murmures, seule la voix de Nese me disant de suivre sa voix et de m'y accrocher restait distincte. Mais la force surhumaine que je devais fournir pour rester éveillée me convainquit de plonger dans le sommeil et je m'endormis sans pouvoir me retenir.
Je me réveillai en sursaut en agrippant le vêtement de la personne qui me prenait par les épaules en me secouant brusquement afin d'essayer de me réveiller.
Athéna.
Saine et sauve. Le cauchemar qui avait précédé ce réveil brutal se dissipa. Il m'avait emporté si loin dans l'inconscient. Jamais je n'avais encore vu telle atrocité depuis les mauvais rêves durant mon enfance.
La mort ; partout. De ceux qui comptaient tant pour moi ; de ceux dont j'avais la charge. Du sang tachant leurs vêtements et Dieugo, souriant de malice à mon regard chargé d'effroi.
Un mauvais rêve.
Un stupide cauchemar.
Je me le répétai en boucle tandis que mon amie m'offrait généreusement une gourde d'eau fraiche. J'essayai de me redresser, mais elle m'en empêcha vivement en me retenant doucement pour que je me repose contre le tronc d'arbre sur lequel je m'étais assoupie.
Je remarquai que j'avais affreusement chaud et que je tremblai de la tête au pied.
— Où est ce qu'on est ? lui demandais-je.
Je voulais en être sûre. Sûre que je ne la reverrais jamais, allongée au sol, aussi inerte et froide que de la pierre pendant une nuit d'hiver.
— Toujours au même endroit qu'avant... me répondit-elle, incertaine. La fièvre t'a fait halluciner ; tout va bien.
Je regardai autour de moi : nous étions bien dans la même forêt que là où je m'étais évanouie. Son épée se trouvait à côté d'elle, lâchée sans cérémonie alors qu'elle se faisait sûrement affûter.
— Où sont les garçons ?
— Ils ont été chasser. Ils devraient revenir d'une minute à l'autre.
Bien, tout allait bien. Je me répétai cette phrase en boucle jusqu'à ce que je sois sûre que mon état de choc se soit apaisé. Ce n'était qu'un stupide rêve. Tout le monde était en vie et ici présents. Dieugo n'avait encore tué personne et ne m'avait jamais rien dit de sentimental ou quoi que soit. Ce n'était qu'un rêve.
Qu'une illusion.
— Combien de temps ai-je dormi ?
J'enfilai les questions, mais c'était mon seul moyen de ne pas céder à la folie de tout à l'heure.
— Un peu plus de trois heures...
— Trois heures ? m'écriais-je. Il est temps que nous y allions...
Elle fronça les sourcils, ne comprenant pas vraiment pourquoi je me pressai autant. Mais j'ignorai son regard un peu trop appuyé et continuai en disant :
— Préviens-moi quand ils sont de retour, je vais aller faire un tour.
Elle objecta en faisant le même geste que tout à l'heure. Mais je la repoussai et me levai doucement.
— Tu ne devrais pas te lever, Diane..., continua-t-elle en s'inquiétant de plus en plus pour mon état.
Je secouai la tête en la voyant se lever à son tour pour être sûre que je n'avais pas besoin d'être rattrapée.
— Je pense que tu me connais assez pour savoir que ce n'est pas une petite blessure qui va m'empêcher de me lever et d'aller vérifier les environs.
— Tu parles d'une petite blessure !
Elle continua d'objecter sans que je ne daigne lui accorder le moindre regard.
— On a tous droit à un peu de repos, Diane, me gronda-t-elle en voyant que je ne réagissais plus à ses paroles. Tu n'es pas toujours obligée d'être une femme forte et de garder la tête haute quoi qu'il arrive.
Elle avait raison, bien sûr, mais je continuai ma route et me dirigeai vers le chemin juste à côté de la forêt dans laquelle nous étions. Celui qui longeait le champ, comme dans mon rêve.
— On a tous le droit de faire une pause ! me cria-t-elle au loin, en espérant que cela me ferait réagir.
Mais je ne fis rien de cela et je regardai des deux côtés de la route. Je ne fus que satisfaite lorsque je n'aperçus qu'une charrette avec un marchand dessus aux environs.
Je respirai un grand bol d'air frais et pris le temps d'observer tranquillement les environs et le paysage qui s'offrait à moi avant de faire demi-tour. Lorsque je revins près d'Athéna, je fus heureuse de voir que celle-ci était en train de parler avec les deux garçons.
— Diane, heureuse de te revoir parmi nous.
— Moi de même, Nese.
Mon regard se raccrocha un rien trop longtemps au sien et je détournai les yeux en prenant des couleurs.
— On a entendu que tu voulais y aller tout de suite, continua-t-il en se rapprochant de moi.
— En effet, je trouve que nous avons perdu assez de temps comme ça...
J'essayai de garder la tête haute, de lui faire comprendre qu'il n'y avait aucune raison de rester ici à nous reposer pendant que tous nos ennemis étaient en train de fabriquer des plans parfaits spécialement pour nous.
— Tu ne crois pas qu'il soit un peu tôt, pour repartir ? me demanda-t-il, inquiet pour mon état. Tu devrais tout de même manger quelque chose ou même boire un coup.
— Nous ferons tout cela en chemin, comme d'habitude. Pour l'instant, on y va.
— Diane..., murmura-t-il en me suppliant d'un regard de me reposer.
Je secouai la tête pour lui dire qu'il en était hors de question, et que plus vite on serait à Méryme, plus vite on serait en sécurité.
Est-ce que c'était un bon choix de contredire les trois autres en y allant tout de suite et de me les mettre à dos ? J'allais bientôt le découvrir...
De retour sur la route, on se mit en marche en silence dont seuls les pas des chevaux le brisaient en résonnant sur les graviers.
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