Finalement, les deux musiciens avaient opté pour de petits duos, vu que la plupart des solos de Béni étaient déjà au concert. Adieu donc, le medley ping-pong qu'avait imaginé Machiya. C'était une bonne idée mais ils avaient dû en changer.

Ceci étant, l'un comme l'autre espérait que Kurona serait rapidement prêt sinon, ils allaient très vite tomber à court de morceaux à jouer. Et là, ils devraient vraiment improviser.

Daisuke avait dit à Béni qu'il commencerait par Episode 0. Son amie avait écarquillé les yeux. Episode 0 ! Elle ne s'en souvenait pas vraiment. Ça faisait un moment que la chanson n'avait pas été interprétée. En plus, la dernière fois, il n'y avait que trois instruments et ni le shakuhachi ni le shamisen n'en faisait partie. Alors, qu'est-ce qui prenait au flûtiste de vouloir la jouer ? Mais dans l'obscurité de la scène, Daisuke n'avait pas vu la réaction de son amie et il était déjà monté sur la petite estrade de gauche.

Béni sentit ses épaules s'affaisser d'un seul coup. Super, elle était mal partie ! Elle devrait peut-être laissé Daisuke faire ses solos tout seul. L'idée lui avait juste traversé l'esprit, mais elle avait suivi son ami et elle s'était approchée pour se placer près de l'estrade. Elle soupira intérieurement. Finalement, l'idée de Machiya n'était peut-être pas aussi mauvaise que ça !

Daisuke porta son instrument au bord de sa lèvre inférieure. Doucement, d'un léger souffle, il insuffla la vie à la musique. Mais les notes qui lui vinrent à l'esprit, qu'il donna à son instrument par de délicats doigtés, ne furent pas celles qu'il avait annoncées. Kyoushuu no Sora au lieu de Episode 0. Allez, pourquoi pas. De toute façon, il devait jouer quelque chose. Les premières notes s'envolèrent alors que la lumière éclairait doucement les deux musiciens.

Bien qu'elle ne sache pas à quel moment de la chanson Daisuke allait comment, Béni était prête à jouer. Elle se figea, fronçant légèrement les sourcils puis, elle tourna brutalement la tête en entendant les premières notes. Prise de court, elle en oublia de jouer. De toute façon, ça n'aurait pas été parce que ce n'était pas Episode 0. Ou alors la chanson avait sérieusement changée ! Kyoushuu no Sora. Béni soupira intérieurement. C'était le même problème qu'avec Episode 0. Seule différence, Daisuke avait interprété une version acoustique de cette chanson avec Machiya. C'était sans doute pour cela qu'il la jouait. Mais alors, pourquoi lui avoir dit qu'il commençait par Episode 0 si c'était pour jouer Kyoushuu no Sora. Pour l'instant, elle se contenta de sourire, la tête légèrement penchée sur le côté, elle se balançait doucement au rythme de la mélodie tout en regardant Daisuke jouer. En même temps, elle réfléchissait à ce qu'elle allait bien pouvoir faire. Sortir de scène ? Difficile sans avoir joué un peu. Bon, il ne lui restait plus qu'à faire le ping pong de Machiya en espérant que Daisuke comprenne.

Le flûtiste tourna la tête vers son amie. Pourquoi ne jouait-elle pas ? Elle préférait peut-être l'idée de Machiya. Elle aurait pu lui dire quand même qu'elle préférait un ping-pong musical plutôt que des petits duos ! Ou alors... mince ! Il ne lui avait pas demandé si elle se souvenait bien de la chanson ! C'était sans doute pour ça qu'elle ne jouait pas. Donc, ils devraient se rabattre sur le ping-pong de Machiya.

Béni fit une légère révérence en se penchant sur le côté et elle entama quelques notes de Hanabi. Daisuke cessa de jouer. Il fit tournoyer son shakuhachi et d'un bond il sauta de la petite estrade pour rejoindre son amie.

Le fantôme était resté assis sur les marches entre la batterie et les koto. Elle se sentait tellement fatiguée. Non, ce n'était pas exactement ça. Elle avait l'impression que toute son énergie avait été pompée.

Elle n'avait pas bougé de place. Elle ne sentait plus son cœur battre, elle ne sentait plus le souffle de sa respiration. Elle n'avait même pas fait attention aux vagues bruits de discussion qui émanait de dessous l'estrade arrière. Elle se sentait juste vidée de ses forces, comme lorsque... lorsque... Elle ne se souvenait même pas. Où était le petit chat noir et blanc ? Elle aurait voulu le caresser de nouveau. Il avait toujours été farouche, se montrant sans pour autant se laisser approcher. Il devait être vieux maintenant et peut-être même qu'il était mort. Elle le connaissait depuis si longtemps.

Elle resta immobile. Les yeux fermés, la tête légèrement penchée, elle semblait dormir. Elle se mit à chantonner une chanson mélancolique. Elle avait déjà entendue et le vent semblait l'accompagner. Elle sourit, sans cesser de chanter et de lointains souvenirs semblaient vouloir lui revenir en mémoire. Mais ils restaient insaisissables. Les images défilaient mais elles restaient floues. Et lorsqu'elle voulait les saisir, elles s'évaporaient. Seul le chat...

Soudain, elle entendit le chant d'un oiseau. Ce devait certainement être un oiseau magique parce que le vent changea sa chanson lorsqu'il l'entendit, sans doute subjugué par la beauté de son chant si mélodieux. Le fantôme fronça les sourcils. Elle reconnaissait bien la chanson mais pas l'oiseau. De quel oiseau s'agissait-il ? Elle connaissait bien le chant des oiseaux, elle les aimait écouter. Elle sourit. C'était quant même un chat étrange, il ne s'intéressait jamais aux oiseaux. Mais elle, elle savait les reconnaitre par leurs chants. Et puis, l'oiseau cessa sa chanson alors que le vent reprenait un nouveau chant. Et ainsi de suite. C'était comme si le vent et l'oiseau jouait. Ils jouaient à chanter.

Et d'un seul coup, plus rien. Le silence. Le vent était tombé, l'oiseau s'était tu, la nuit était tombée. Elle frissonna. Et maintenant ?

La musique qu'il aimait s'était arrêtée et c'était comme si d'un seul coup, il s'était reconnecté au monde qui l'entourait. Tout d'abord, où était-il ? Ah oui, ça, il s'en souvenait.

Toujours accroché à l'estrade centrale, le dos tourné au public, il suivit du regard les deux humains qui s'approchaient sur sa droite. Ils se déplaçaient avec une certaine précaution dans l'obscurité. Puis, ils si mirent à jouer chacun de leurs instruments, à tour de rôle. Il les détailla une seconde mais rapidement un chant attira son attention. Quelques paroles à peine audibles, comme si elle ne voulait pas déranger, comme un chant caché. Assis sur l'une des marches de l'estrade arrière, le fantôme semblait si loin de tout.

Il porta son regard au-delà de la silhouette blanche. Il avait entendu un léger bruit, comme si quelqu'un trainait quelque chose. Quelque chose de léger. Mais quelqu'un trainait bien quelque chose de lourd pour ses petites pattes. Alors il recommençait. Il avait su en le voyant qu'il poserait problème.

Il regarda l'humain avancer lentement à quatre pattes derrière les koto. Il semblait chercher quelque chose. Ah, il avait trouvé apparemment. Enfin si ce qu'il cherchait était bien des bâtons et un truc jaune.

Des bâtons. Kyoo le tuerait certainement s'il l'entendait penser comme ça. En attendant, l'humain n'avait pas trouvé les autres ! En même temps, il ne cherchait pas au bon endroit.

Rien. Il ne trouvait rien. Kurona ne comprenait pas comment ses bachi avaient bien pu disparaître. Il les avait reposés à leur place à la fin de la chanson, il en était sûr et certain. Il aimerait bien qu'on lui donne une explication sur cette étrange disparition. Mais ça devrait attendre parce que pour l'instant, le plus urgent était de retrouver ses bachi. Deux hommes du staff s'étaient joints aux recherches. Seulement, ils ne semblaient pas plus chanceux que lui.

De nouveau accroupi au milieu de ses instruments, Kurona était toujours à la recherche de ses bachi. Il ne comprenait pas comment ceux-ci avaient pu disparaître et sa tête chauffait sérieusement à force de chercher une explication acceptable.

Le percussionniste sursauta de nouveau lorsqu'il entendit la voix d'Asa. Mais cette fois-ci, il ne se cogna pas la tête. Il se redressa et chercha son ami pendant un bref instant. Le bassiste venait du côté des koto, lui semblait-il. Il le voyait en contre-jour, les lumières éclairant Béni et Daisuke découpaient la silhouette du bassiste. Qu'est-ce qu'Asa était allé faire de ce côté-là ? Ses bachi n'avaient tout de même pas roulé jusque-là !?

- J'ai trouvé deux bachi, déclara pourtant Asa en tentant devant lui les deux objets en question.

Kurona resta une seconde immobile. Asa venait vraiment de derrière les koto ? Et c'était vraiment là qu'il avait trouvé deux bachi !? Là, il y avait quelque chose qui ne tournait pas rond. Il regarda un instant la place où il rangeait habituellement ses baguettes avant de porter son attention vers les koto. Là, il avait vraiment besoin d'une explication parce que, en fait, il ne comprenait rien. Enfin, il savait ce qui s'était passé mais pas comment c'était arrivé.

Il se saisit des bachi que lui tendait son ami, sans le quitter du regard. Ils étaient tous deux dans l'obscurité. Pourtant il apercevait la silhouette du bassiste se dessiner dans la lumière qui éclairait Daisuke et Béni. Il devinait aussi une masse coincée sous l'un des bras d'Asa et toute son attention fut accaparée par une seule chose : qu'est-ce que c'était ?

Il revint d'un seul coup à lui, comme s'il sortait d'un rêve étrange lorsqu'il entendit son nom.

- C'est bon ? répéta Asa, toujours à voix basse pour ne pas interférer avec les solos de ses amis.

Kurona mit une seconde à réaliser de quoi lui parlait le bassiste. Il se décida à baisser les yeux sur ce qu'il tenait dans la main. Il grimaça. Outre le fait qu'il ne comprenait pas ce qui se passait, ce n'était pas les bons bachi. Pas pour Somosan Seppa. Il en utilisait deux paires pour ce morceaux, les grandes, pour frapper sur le grand taiko, et des moyennes pour les taiko de devant. Pour ces derniers, peu importait, il en avait de rechange rangés dans des pochettes accrochées à l'un de ses wadaiko. Mais pour les grandes... Il n'en avait qu'une seule paire.

Asa tentait de percevoir la réaction du percussionniste. Si ce dernier pouvait deviner la silhouette du bassiste, lui par contre voyait à peine le musicien aux tambours. Mais son silence ne lui disait rien qui vaille.

- Je ne peux pas utiliser ses bachi sur le grand wadaiko, laissa enfin échapper Kurona dans un souffle.

Il s'en doutait. Au silence de son ami, Asa avait compris que ce n'était pas les bons bachi qu'il avait trouvés par terre. Il avait cherché aux alentours dans l'espoir d'en trouver d'autres, mais en vain.

Quoi ?! Comment ça ? Ce n'était pas les bons ! Alors il avait pris un maximum de risques, il avait galérer pour lui ramener des bachi et tout ça pour s'entendre dire qu'il ne pouvait pas les utiliser ! Que ce n'était pas les bons ! Mais de qui se moquait-il ? Ces humains, ils n'étaient jamais satisfaits ! Ah, il devait bien rigoler, l'autre là-bas, caché derrière son masque !

- On sort.