La lumière s'éteignait tout juste que Kurona avait déjà reposé ses bachi à leurs places et il s'éclipsa de la scène. Il avait convenu avec Asa d'un interlude et d'inclure Chie no Kajitsu, mais il ne savait pas grand-chose de la situation exacte. Ce temps supplémentaire serait-il suffisant ?

- Alors ?! demanda-t-il en rejoignant ses amis dans les coulisses.

Yūko se crispa. Surprise par l'arrivée du musicien, la coiffeuse venait de tirer un peu fort sur les cheveux de la chanteuse.

- Désolée, s'excusa-t-elle.

Elle devait finir vite. Elle n'avait que le temps de la chanson pour redonner à la mèche son aspect lisse.

- Vous allez y arriver ? demanda le joueur de wadaiko en se plaçant près de la coiffeuse.

Celle-ci secoua la tête. Non, elle n'arriverait jamais à défaire les nœuds en à peine cinq minutes. Cinq minutes s'étaient déjà écoulées et elle avait l'impression de ne pas avoir avancé dans le démêlage. Elle commençait déjà à avoir des larmes aux yeux rien que de penser qu'elle n'y arriverait pas. Sans compter que la présence des trois autres musiciens qui la regardaient mettait sur ses épaules une pression supplémentaire.

Kurona avait plongé son regard sur les mains de la jeune femme. Vu de loin, il n'avait vu que des nœuds. Mais vu de près, ils étaient drôlement élaborés, ces nœuds !

- Euh... c'est plutôt trois minutes trente... en fait, commenta-t-il sans détourner son regard.

La coiffeuse s'arrêta un instant pour regarder Kurona, effarée. Non, elle n'aurait jamais le temps !

- Ça ne vous dérange pas si on lance Somosan Seppa après ? demanda Kiyoshi en fixant les mains de la coiffeuse dans les cheveux de Yūko.

Bien sûr Kiyoshi savait que, comme pour Chie no Kajitsu, le morceau avait été un peu répété et il espérait que ce serait suffisant pour une prestation correcte. Lui-aussi regardait la jeune femme qui s'était remise de plus belle à l'ouvrage, toujours en état de stress. Il se sentait impuissant et perplexe. Lui non plus ne comprenait pas ce qui s'était passé et seul Daisuke avait avancé une hypothèse. Mais un fantôme sur scène, ça paraissait tellement surréaliste ! Et ce, malgré cette étrange sensation qu'il avait ressentie toute à l'heure.

- Aucun problème pour moi, répondit Kurona, rapidement suivi de l'approbation de Daisuke et de Béni.

Le percussionniste était même prêt à faire une nouvelle impro s'il le fallait. La coiffeuse soupira un peu mais pas pour longtemps. Elle n'aurait toujours pas suffisamment de temps.

Yūko comprenait la décision qu'avaient prise Asa et Kurona. Changer une chanson en plein concert, c'était quelque chose qui ne leur était jamais arrivé. Mais la situation l'exigeait, elle ne pouvait pas continuer de chanter avec une coiffure à moitié défaite et des nœuds plein les cheveux. Ça non plus, ça ne lui était jamais arrivé.

- Merci, souffla-t-elle sans bouger alors que Béni, Daisuke et Kurona s'apprêtaient à prendre la relève de leurs amis sur scène.

Et tant pis, ils supprimeraient Rasho no Mon. Ils ne pouvaient pas prolonger davantage le concert.

Trois minutes trente, ce n'était vraiment pas long. Asa, Machiya et Wasabi en avaient pleinement conscience. Et le bassiste ne fut pas surpris, lorsque perché avec le guitariste sur l'estrade centrale, il aperçu dans l'obscurité du bord de la scène, ses trois amis. Il ne pouvait que supposer que le démêlage n'était pas terminé. Les lumières s'éteignirent alors que le public acclamait la performance. Les trois musiciens rejoignirent leurs amis devant les coulisses.

- Vous vous en êtes bien tirés, lança Béni à ses amis qui sortaient de scène pendant que Kurona était déjà parti s'installer à des wadaiko.

- Tu veux dire qu'on a été parfait, lui répondit Wasabi avec fierté.

- Voyons si vous allez faire aussi bien, répliqua Machiya avec un sourire dessiné sur les lèvres.

- Sans problème, lui sourit Daisuke. On est des pros.

Kurona n'avait pas trainé. Dès qu'il aperçut ses amis se diriger vers les coulisses, il alla se faufiler entre ses instruments. Il regarda une seconde ses bachi pour...

Il s'immobilisa. Où étaient ses baguettes ? Son cœur se mit à cogner fort alors qu'il cherchait ses bachi. Il était sûr de les avoir remis à leurs places. Il était certain de les avoir vu à la fin de l'interlude. Il se tourna à plusieurs reprises dans son petit espace, scrutant le sol. Peut-être les avait-il fait tomber sans s'en rendre compte. Mais elles n'étaient pas par terre. Mince ! Que ferait-il s'il n'avait pas ses bachi au moment où la lumière éclairerait ses instruments ?

- Il y a un problème, lança Asa qui venait de jeter un coup d'œil à la scène au moment de rejoindre les coulisses.

Aussitôt, Machiya se tourna pour regarder à son tour. Daisuke et Béni était déjà partis faire le tour en passant sous l'estrade arrière.

- Va voir, lui dit le guitariste. Je vais rattraper Dai et Béni.

Il s'engouffra à la suite de ses deux amis pendant qu'Asa rejoignait Kurona. Ce dernier était toujours à la recherche de ses bachi. Il s'était accroupi pour chercher à tâtons s'ils n'avaient pas roulé sous les wadaiko.

- Kurona ?

- Aïe ! P@&#n de m#%de !

Le percussionniste s'était redressé brutalement en entendant la voix du bassiste et il s'était cogné la tête. Il se massait le haut du crâne lorsqu'il fit face à son ami dans l'obscurité. Enfin, s'il se fiait à la direction d'où semblait provenir la voix.

- Je n'ai aucun bachi.

Cette annonce ne fit qu'un tour dans l'esprit d'Asa : le saboteur avait encore frappé. Après sa basse et Yūko, voilà qu'il s'en prenait à Kurona. Mais à quel moment avait-il agi ? Forcément pendant de Chie no Kajitsu. Ça ne pouvait pas être à un autre moment. Comme par réflexe, son regard scruta aussitôt les environs. Mais tout était plongé dans le noir. Impossible de distinguer quelque chose. Tant pis, il verrait ça plus tard, pour l'instant le plus urgent était de retrouver les bachi.

Il entendit le shakuhachi. Le son provenait de la gauche de la scène. Machiya avait dû pouvoir rejoindre Daisuke. Super, c'était la deuxième improvisation en moins de quinze minutes ! Et Yūko n'était toujours pas sur scène ! Pourvu que ça ne dure pas trop longtemps.

Imitant Kurona, Asa s'accroupit à son tour mais en restant à autour des wadaiko à la recherche des bachi. Il était passé derrière les koto en se disant que les baguettes avaient pu rouler jusque-là. Il s'immobilisa lorsque sa main se posa sur quelque chose de mou. Il fut d'abord saisi et il retira rapidement sa main. Et puis, il chercha de nouveau. Il fronça les sourcils. Il ne le trouvait pas, il avait dû rêver. Ah non, il était là, un peu plus sur la droite. L'objet était bien mou et doux comme... Il se saisit de l'objet pour s'en assurer mais un autre bruit l'interpela. Léger, c'était comme si quelque chose roulait. De son autre main, il tâta le sol à l'endroit où il avait pris la peluche. Parce qu'il s'agissait bien d'une peluche et la seule qui se trouvait sur scène, c'était Asa-kame. Ce qu'il ne comprenait pas c'était comment la petite mascotte avait bien pu arriver là ! Il était pourtant certain que Machiya l'avait reposé sur sa tablette après avoir rallumé son ampli.

Ah ! Ça y était ! Il avait trouvé ! C'était un bâton. Son cœur s'accéléra. « Désolé » songea-t-il en coinçant la peluche sous son bras. Sa main glissait sur le sol. Il espérait avoir retrouvé un bachi, restait à savoir... Oui ! En voilà un autre !

Béni fit un bond en sentant une main se poser sur son épaule. Instinctivement, elle avait posé sa main devant sa bouche pour s'empêcher de crier. Elle se savait sur scène. Elle ne pouvait pas se permettre de crier.

- Béni, c'est moi.

Machiya. C'était la voix de machiya. Mais que faisait-il ici ? Il lui avait fait peur ! Oh, ce n'était pas à cause des histoires de fantômes de Daisuke. Pas vraiment. C'était juste qu'elle ne s'attendait pas à voir surgir Machiya derrière elle. Son autre main posée sur sa poitrine, elle tacha de calmer le rythme affolé de son cœur.

- Baka ! lança-t-elle au guitariste à voix basse en écartant un peu sa main de sa bouche.

- Où est Dai, se contenta de répondre Machiya.

- Je suis là.

Béni sursauta de nouveau. Elle ne l'avait pas entendu revenir. Elle tenta de calmer, de nouveau, le rythme de son cœur. Ce n'était rien. Ce n'était que Daisuke. Il n'y avait pas de fantôme. Ni sur scène, ni ailleurs. Les fantômes n'existaient que dans les histoires et son ami avait l'imagination parfois un peu trop fertile.

- Qu'est-ce que tu fais là ? parvint à demander Béni à Machiya, une fois son émotion passée.

- Il nous faut une nouvelle impro, Kurona n'est pas prêt.

- Comment ça ?! Kurona n'est pas prêt ? s'étonna la jeune femme.

Le percussionniste était parti en même temps qu'eux ! Tout ce qu'il avait à faire, c'était de se placer au milieu de ses instruments et de prendre ses bachi ! Alors comment pouvait-il ne pas être prêt ?!

- Aucune idée. Il semble chercher quelque chose.

- Il a fait tomber ses bachi, informa Daisuke. Je viens de les entendre tomber.

- Super, répondit Machiya.

- Et tu veux qu'on fasse quoi ?

- Meubler le silence.

Daisuke et Béni se regardèrent un instant. Meubler le silence. Il en avait de bonnes, Machiya ! Kurona et Wasabi n'avaient pas vraiment fait une improvisation. Ils avaient repris une séquence qu'ils avaient déjà interprétée dans un autre spectacle. Rien n'était improvisé dans le concert. Et là, Machiya leur demandait de faire une improvisation pour meubler le silence en attendant que Kurona retrouve... retrouve quoi, d'ailleurs ? Le guitariste ne savait pas mais...

« J'ai une idée. »

Ça pour avoir eu une idée, il avait eu une idée, Machiya ! Faire un medley pingpong de solos de shamisen et de shakuhachi. Mais surtout, pas avec les chansons du concert ! Rien de plus facile ! C'était vrai qu'ils avaient eu tout le temps pour répéter lesdits morceaux ! Et puis, d'abord, c'était quoi un « medley pingpong » ? À tous les coups, le guitariste venait de l'inventer !

Mais au cas où Machiya aurait oublié, rien n'était improvisé dans le concert ! En plus, rappela Béni, la plupart des chansons qui incluait un possible solo de shamisen étaient programmé au spectacle.

Et puis, ils devaient rester sur un côté de la scène, le côté gauche, pour que les lumières n'éclairent pas Kurona. Ça, c'était facile !