Kyoka Suigetsu 鏡花水月
La salle était plongée dans le noir, les instruments s'étaient tu. Yūko aurait presque pu se croire seule, isolée de tout, de tous par les ténèbres. Mais ce n'était pas le cas. Et malgré le silence apparent, elle avait l'impression d'entendre des chuchotements, là tout près d'elle.
Elle ferma les yeux pour les chasser. Ses oreilles bourdonnaient encore. Heureusement qu'ils portaient tous des protections auditives. Contrairement au public...
Elle ne comprenait pas ce qui c'était passé avec la basse. Elle en parlerait tout à l'heure avec Asa et Machiya. Ils lui expliqueront ce qui s'est passé.
Elle expira lentement, les yeux fermés, la bouche entrouverte, pour se concentrer. Elle inspira tout aussi lentement et elle laissa échapper une première vocalise. La seconde d'après, un spot l'éclaira.
Elle leva la tête lorsque l'obscurité se fit sur la scène. Elle sentait encore la note vibrer dans tout son être. Comment un instrument si... plat, pouvait-il engendrer une telle note ? Si grave, si pénétrante ? Elle avait cru un mur l'avait percutée, comme avec le gong tout à l'heure. Non, c'était quand même moins puissant. Différent. Oui, c'était différent. Avec le gong, certes elle l'avait ressenti dans tout son être mais c'était comme si le son était entré par ses oreilles pour se propager dans son corps. Un frisson parcouru son corps à la moindre évocation de ce qu'elle avait ressenti toute à l'heure. Mais cette note grave semblait provenir de partout à la fois. Cependant, elle était restée moins longtemps dans ses oreilles.
Une voix la rappela à la réalité. Une voix irréelle, cristalline. Elle chercha pendant un court instant d'où pouvait bien provenir un chant aussi féérique. Elle trouva vite. Dans un halo de lumière blanche, une femme était en train de chanter. Mais ce n'était pas des paroles, des mots. C'était juste une voix.
Elle s'avança vers la lumière, s'arrêtant juste à un pas, pour rester dans l'obscurité. Elle regardait, subjuguée, la créature qui chantait juste devant elle. Elle était belle... Ses cheveux noirs, ses yeux noirs contrastaient avec la clarté de la lumière. Son regard semblait s'être perdu dans son chant. Elle se tut un instant et lorsqu'elle reprit, le fantôme entendait battre son cœur d'une étrange façon, comme si chacun de ses battements accompagnaient les vocalises.
Elle pleurait. Le fantôme voyait une larme scintillante suspendus au coin de son œil. Ce devait très certainement être une chanson triste qu'elle entonnait. Elle tendit la main, pénétrant la lumière, comme pour essuyer cette larme.
Le fantôme esquissa un pas vers la lumière. Elle voulait la serrer dans ses bras, consoler sa peine mais elle se figea.
Le regard de cet étrange être se fit plus intense lorsqu'elle fixa droit devant elle, sa voix s'éteignit. Elle écarta les bras en se baissant et... elle disparut dans l'obscurité, laissant la place à deux autres créatures et... elle, immobile.
Elle se ressaisit rapidement, tournant la tête dans tous les sens. Où était-elle passée ?
Elle s'avança sans hésitation, il n'y avait plus de lumière à cet endroit de la scène, à la recherche de la chanteuse, les deux bras tendus dans elle. Mais elle ne trouva que du vide. Elle posa ses deux poings sur ses hanches. Alors non seulement, elle lui avait fait croire qu'elle était triste avec sa chanson sans paroles mais en plus, elle profitait de l'obscurité pour disparaître ! Ce n'était pas très gentil, ça !
Son regard se posa sur le percussionniste. Elle le regarda bizarrement. C'était étrange, il frappait sur ses instruments au même rythme que les battements de son cœur. Et derrière elle... elle entendait son cœur danser. Elle fronça les sourcils. Comment son cœur pouvait-il être devant et derrière elle ? Qu'elle était bête ! Son cœur ne pouvait pas être devant puisque c'était un musicien qu'elle voyait en face d'elle. Et puis, à mois que son cœur n'ait eu envie d'aller se balader, il se trouvait dans sa poitrine !
Elle laissa échapper un petit rire, s'amusant de sa propre bêtise. Depuis tout à l'heure, ce qu'elle croyait être les battements de son cœur n'étaient en fait que les coups donnés sur les taiko !
Elle cessa d'un seul coup de rire. Comment l'instrument résonnerait-il si elle se trouvait juste à côté ? Aurait-elle autant l'impression que son cœur bat ? Après ce qu'elle avait ressenti avec le gong et la basse, elle voulait savoir s'il en était de même pour les wadaiko. Comment faisait-il pour faire des notes aussi sourdes que les battements de son cœur et des notes aussi dansantes ? Elle s'approcha des tambours. Mais ils disparurent (?) et son regard fut aussitôt attiré sur sa droite, sur le koto. Le revoilà ! Mais où était-il donc passé pendant tout ce temps ?
Elle s'approcha pour se placer devant l'instrument, devant Kiyoshi. Elle posa ses mains sur les cordes, à l'opposé des mais de l'homme. Elle ferma les yeux un instant, elle avait l'impression de les sentir vibrer, chacune d'elle. Les vibrations remontaient agréablement dans sa main pour au final courir dans tout son être, comme si elle était elle-même l'une des vibrations.
Elle ouvrit les yeux. Devant elle, Kiyoshi avait continuait de jouer. Sa main toujours sur les cordes, son regard était irrémédiablement attiré par les mains du musicien. Elle était fascinée. Les doigts de l'homme dansaient avec grâce sur les cordes. Ils semblaient toucher délicatement les cordes et pourtant... Comment faisait-il pour appuyer autant sur les cordes sans qu'elles ne cassent ?
Intriguée, elle se pencha au-dessus de l'instrument, elle posa d'abord un doigt sur l'une des cordes. Celle-ci ne bougea pas comme lorsqu'elle avait posé sa main quelques secondes plus tôt. Elle tourna la tête vers l'arrière, vers Kiyoshi. Pourtant ses cordes à lui... Peut-être que celui-ci réagissait différemment.
Elle s'immobilisa, penchée, la tête toujours tournée vers l'arrière. Elle regardait longuement l'homme qui se trouvait en face d'elle. Un sourire se dessina sur ses lèvres, éclairant son visage. Elle se redressa et fit le tour du musicien, s'approchant doucement de lui, avec mille précautions. C'était inutile, elle le savait. Personne ne pouvait la voir. Mais peu importait, c'était tellement drôle ! Elle s'avança pour se placer juste derrière le joueur.
Ah, elle était un peu plus petite que lui et elle dû se mettre sur la pointe des pieds tout en s'équilibrant avec ses bras. Puis, elle chuchota à son oreille d'une voix qu'elle tenta plus rauque :
- Je veux ton âme, Kiyoshi.
Kiyoshi n'entendit pas les mots qui venaient d'être soufflés à son oreille. Cependant, il ressentit une vague glacée le traverser de part en part, lui éteignant le cœur. La sensation ne dura pas plus de deux ou trois secondes, mais pendant ce court laps de temps, il resta figé, incapable de jouer, abrégeant sa partition de quelques notes.
Derrière lui, elle porta ses mains à sa bouche pour étouffer son rire, comme si quelqu'un pouvait l'entendre. Et elle était contente en plus !
Elle sursauta, cessant aussitôt de rire pour porter sa main à sa poitrine. Son cœur battait si vite. Il lui avait fait peur, à apparaître comme ça devant elle !
Il ne faisait quasiment que l'observer depuis le début. Elle naviguait entre l'étonnement et l'émerveillement, comme un enfant ébloui par tout ce qu'il voyait. Et là, c'était la deuxième fois qu'il voyait de la malice dans le regard du fantôme. Il la regarda se placer derrière le musicien, tenter tant bien que mal de se hisser à sa hauteur pour lui chuchoter quelque chose. Quelques mots qui l'amusaient elle mais qui avait figé le joueur de koto pendant un instant.
Il n'avait pas pu résister en entendant la voix rauque du fantôme. Surpris, il s'était approché pour s'assurer qu'il avait bien entendu.
Elle le fixait, de la surprise dans son regard, sur son visage. Ainsi donc, elle ne l'avait pas vu arriver. Il ne serait pourtant pas montré particulièrement discret. Sans doute était-elle trop concentrée ?
Ou bien...
Non, elle ne l'aurait quand même pas oublié ! Si vite ?! Vraiment !? On dirait bien s'il en jugeait par le regard qu'elle posait sur lui.
La musique avait changé. Fini la douceur du koto, la grâce de la chanteuse. Place à des instruments plus modernes, des sons plus durs.
Il pencha la tête sur le côté et ce fut comme un déclic. Elle se souvenait. Elle se souvenait où elle l'avait vu.
Elle laissa Kiyoshi à son instrument caché par l'obscurité pour descendre de l'estrade arrière. Elle s'arrêta devant le démon au masque. Elle le détailla un moment. Elle hésita un instant avant de se décider à avancer la main vers lui, doucement, comme s'il allait s'enfuir.
- Il y avait longtemps que je ne t'avais pas vu, lui chuchota-t-elle en souriant et en le grattant derrière l'oreille, mêlant ses doigts aux cheveux mi-longs du yōkai.
Puis, elle s'éloigna. Elle était contente. C'était la première fois qu'elle parvenait à le caresser.
Il la regarda disparaître dans l'obscurité devant les taiko. La musique se poursuivait sans se préoccuper d'eux. Zut ! Il avait pensé qu'elle ne supportait pas ce style de son, plus agressif pour les oreilles. Mais apparemment, il s'était trompé.
Tapis dans l'ombre, ils attendaient leur tour de jouer. Certes, tous les instruments jouaient sur ce morceau mais pas en même temps.
Machiya se plaça sur la petite estrade de droite, prêt à commencer. Il jeta un rapide coup d'œil sur sa droite, vers Asa qui se trouvait à l'autre bout de la scène, lui-aussi sur la petite estrade. Bien sûr, il ne le voyait pas. Pour l'instant, ils étaient tous les deux cachés par l'obscurité. Mais il pourrait presque dire ce que le regard du bassiste s'était tourné au moins un bref instant sur son ampli et même sur Asa-kame.
Enfin leur tour approchait. Asa éprouvait comme une légère appréhension, celle que sa basse reste silencieuse. Si sur Ignite, le silence de son instrument pouvait passer inaperçu, sur ce morceau, c'était impossible. Il jeta un nouveau coup d'œil à son ampli. Il espérait qu'il fonctionnerait. Pourquoi ne fonctionnerait-il pas ? Il chercha Asa-kame dans l'obscurité.
La petite mascotte avait-elle vraiment pu éteindre l'appareil ? Il en doutait. Il aurait fallu un sacré concours de circonstance pour que la peluche tombe précisément sur le bouton marche/arrêt, qui se trouvait à l'arrière de la machine, à deux mètres environ de l'endroit où se trouvait Asa-kame. C'était impossible ! La seule explication était qu'un un petit plaisantin avait touché à l'ampli et qu'il voulait faire porter le chapeau à la petite tortue. Quelqu'un qui connaissait suffisamment bien le concert pour savoir à quel moment intervenir sans se faire remarquer. Une personne du staff ? Ce serait du sabotage alors ! Mais qui pourrait vouloir saboter leur concert ? Surtout à la dernière représentation ! Ça n'avait pas de sens !
Peu importait, il en aurait le cœur net, le spectacle était enregistré.
Il joua les premières notes. L'instrument fonctionnait parfaitement. C'était plutôt logique en y réfléchissant une seconde. Le saboteur n'allait pas éteindre son ampli deux fois de suite. Pourtant, cette chanson aurait été le moment le plus opportun pour ce genre de sabotage. La plupart du temps, la scène était plongée soit dans l'obscurité, soit dans la semi-obscurité. Alors pourquoi avoir agi pendant Ignite, en pleine lumière, au risque de se faire repérer ?
La chanson se poursuivit, sans anicroche. Pourtant le fantôme restait immobile à fixer Machiya. De l'estrade de droite, le guitariste était passé sur l'estrade centrale.
« Ce n'est pas sa voix que j'aurais dû éteindre mais sa guitare. Où elle était déjà la boîte ? C'est peut-être la même que pour sa guitare. Et en plus, il prend la plus grande marche et il laisse les petites aux autres ! En plus, c'est celle de la chanteuse ! »
Elle jeta son regard des deux côtés de la scène. Daisuke était monté sur la petite estrade de droite alors qu'Asa était toujours sur celle de gauche.
Non, mais il exagérait, là ! Il y avait une petite estrade de son côté et lui, il allait prendre celle qui se trouvait à l'autre bout ! Mais c'était celle de la joueuse de shamisen. Éventuellement, elle pouvait la prêter au guitariste qui était de son côté.
Elle se déplaça mais entre-temps, le musicien était descendu et il se dirigeait vers elle. Elle s'arrêta pour le regarder.
Mais c'est qu'il fonçait vraiment sur elle !
Elle eut juste le temps de se déclarer d'un pas sur le côté. Le musicien la frôla.
Daisuke s'arrêta un bref instant. Il avait senti quelque chose. Était-il passé trop près de quelqu'un ? De Machiya qui était lui-aussi descendu de l'estrade. Non, il ne voyait pas le guitariste. Pourtant il était certain... Bah, il avait dû frôler d'un peu trop près le micro de Machiya. Une chance qu'il ne l'ait pas fait tomber !
Elle regarda le musicien regagner son côté de la scène. Il l'avait bousculée et même pas il s'excusait ! Vraiment ! Aucune éducation !
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