Annulation d'un imprévu
Toujours assise devant le miroir, Yūko regardait alternativement la coiffeuse et ses amis. Elle tentait de suivre à la fois la progression du démêlage et les décisions prises pour la suite du concert. Mais elle se laissa déconcentrer lorsque Wasabi surgit presqu'en trombe dans les coulisses.
La première chose qu'avait faite le batteur en arrivant dans les coulisses avait été de se précipiter vers la chanteuse. Il avait été déçu. La coiffure avait presque retrouvé son aspect d'origine. Il avait raté le meilleur ! La prochaine fois, il n'accepterait pas de salle de spectacle dont l'accès aux coulisses se ferait du côté des taiko.
De son côté, cela faisait maintenant de longues minutes que Yūko regardait la coiffeuse se battre avec les nœuds de sa mèche. Et pourtant, elle avait l'impression que le démêlage n'avançait pas. Elle devrait peut-être s'en charger elle-même. Au moins pourrait-elle tirer un peu plus sur ses cheveux, la coiffeuse prenait trop de précautions pour ne pas lui faire mal. Résultat, Yūko était immobilisée et frustrée. Elle soupira intérieurement, elle ferait pas mieux que la femme près d'elle, elle le savait. Elle détestait ne pas pouvoir agir, de devoir rester en retrait. Depuis qu'elle était sortie, elle voyait ses amis aller et venir, prendre des décisions.
- Où sont Asa et Machi ? demanda soudain Yūko en s'apercevant que les deux musiciens manquaient à l'appel.
Kurona n'avait pas réalisé tout de suite, en entendant la voix de Machiya que c'était bien le guitariste qui avait parlé. Sa voix était si faible qu'elle aurait pu n'être qu'un léger souffle, un rêve. D'ailleurs, Kurona avait continué de fixer Asa pour avoir cru qu'il ne s'agissait que d'une illusion auditive, comme si c'était en fait le shakuhachi qui avait soufflé ses deux mots. Mais face à lui, il voyait, ou plutôt qu'il croyait voir, Asa regarder derrière le percussionniste. Ce ne fut qu'en sentant quelque chose frôler son dos qu'il s'était décidé à se tourner pour apercevoir Machiya leur faisant signe de le suivre, après bien sûr avoir eu un léger sursaut. Heureusement qu'il n'avait pas crier !
- On annule Somosan Seppa, leur dit le guitariste lorsque les trois hommes s'étaient retrouvés dans la lumière des coulisses.
En revenant de dessous l'estrade arrière, après avoir demandé à Béni et Daisuke d'assurer le spectacle, le guitariste avait croisé deux hommes du staff qui lui avaient rapporté la disparition des bachi et en arrivant près des taiko, il avait entendu Kurona dire qu'il ne pouvait pas utilisé ceux qu'Asa avait visiblement retrouvé. Où ? Machiya ne savait pas. Près de la tablette d'Asa-Kame visiblement. Les deux instruments de bois avaient certainement dû glisser jusque-là. Mais ce que le guitariste ne comprenait pas, c'était comment ils avaient bien pu arriver là et pourquoi son ami tenait la petite mascotte serrée sous son bras. Était-elle de nouveau tombée ? Asa l'aurait alors ramassée et par réflexe, il l'aurait placée sous son bras.
- Qu'est-ce que tu fais là ? demanda Wasabi en voyant arriver Kurona. Tu devrais être sur scène !
Par réflexe, la coiffeuse tourna la tête sur le côté. En voyant les trois hommes arriver, elle sentit le stress monter d'un cran. Elle n'avait toujours pas fini. Les nœuds étaient trop bien faits.
Les musiciens avaient jeté un coup d'œil à la coiffure de Yūko. Ils n'allaient jamais s'en sortir.
Kiyoshi détailla un instant le percussionniste, perplexe. Kurona ne devrait-il pas être sur scène avec Béni et Daisuke ?
- Je ne retrouve pas mes bachi.
Yūko aurait bien tourné la tête pour regarder son ami. Mais la coiffeuse peinait toujours à démêler sa mèche. Elle n'en avait fait que la moitié mais la chanteuse ne lui faisait aucune remarque. Elle voyait bien que la femme avait toutes les peines du monde à démêler sa mèche. Ce qui ne l'empêchait pas de stresser. Elle se sentait impuissante et elle n'aimait pas ça.
- Alors, tu veux qu'on annule un imprévu ?
Dit comme cette façon, ça donnait presqu'envie de sourire. Et d'ailleurs, il était fort probable qu'ils en riraient plus tard en se souvenant de cette soirée. Mais pour l'instant, aucun d'eux n'avait envie de sourire. Et Kurona n'avait pas le choix. Il appréciait qu'Asa ait pu retrouver deux de ses bachi. Malheureusement, il ne pouvait pas s'en servir pour le début de la chanson. Machiya avait raison, la seule chose à faire était de supprimer Somosan Seppa. De toute façon, la chanson ne manquerait pas au concert vu qu'au départ, elle n'était pas prévue.
Yūko regardait, dans le miroir, les reflets de ses amis. Ils cherchaient à comprendre ce qu'il leur arrivait ce soir, ils cherchaient des solutions. Et elle, elle était bloquée à cause de quelques nœuds dans ses cheveux. Des nœuds sacrément résistant. Des nœuds apparus comme par magie. Non, la magie n'existait pas, les fantômes n'existaient pas et quelque soit sont moyen de camouflage, un saboteur aurait été repéré rapidement s'il avait fait des nœuds dans la coiffure de la chanteuse.
Elle s'isola mentalement. Les yeux fermés, elle se repassa la chanson. Ses paroles, ses gestes. Avait-elle senti quelque chose à un moment... Un frisson. Elle avait pensé à la climatisation mais avec ce que venait de dire Daisuke. Et cette impression qu'elle avait eu, que quelqu'un avait passé ses mains dans ses cheveux. Y aurait-il donc vraiment un fantôme sur scène ?
Elle ouvrit subitement les yeux. Elle croisa son regard dans le miroir. Elle voyait son visage et derrière elle, ses amis discutaient toujours. Non, c'était absurde, il n'y avait pas de fantôme. Elle se concentra de nouveau sur les musiciens. Mais elle avait raté une partie de leur discussion.
- Tu en penses quoi, Machi ?
Le guitariste était resté quasiment silencieux depuis son retour dans les coulisses. Il se contentait de fixer les mains de la coiffeuse, les nœuds qui refusaient de se laisser démêler. Il avait aperçu Yūko fermer les yeux et les rouvrit. Il pourrait croiser son regard au travers du miroir s'il le voulait. Mais son attention restait fixée sur les mains de la coiffeuse. Kurona voulait savoir ce qu'il pensait. Il avait bien une idée.
- Je préfère ne pas penser, lui répondit simplement le guitariste, le regard toujours rivé sur les cheveux de Yūko puis, il tourna la tête vers un technicien pour s'adresse à lui, il y avait de la lumière pendant Ignite, vous pouvez vérifier sur les vidéos pour voir si on peut apercevoir quelqu'un. Il doit forcément apparaître à ce moment-là.
- C'est ce que tu appelles ne pas penser ! s'exclama Wasabi. Ça donne quoi lorsque tu penses ?
- Crois-moi, tu préfères ne pas le savoir.
- Ok, on déplace Tsuioku, confirma Kiyoshi. Mais c'est le dernier changement.
Il tourna la tête vers la chanteuse, à la recherche peut-être de son approbation. Il ne l'avait pas beaucoup entendue depuis qu'elle avait rejoint les coulisses. Son regard croisa celui de Yūko au travers du miroir.
- Je serai prête, affirma celle-ci d'un ton assuré.
Près d'elle, la coiffeuse se figea. Une chanson, elle avait juste une chanson pour terminer le démêlage. Mais jamais elle n'aurait fini ! Désespérée, elle regarda les musiciens s'éloigner. Son regard se fixa sur le dos de Wasabi mais sur le moment, elle ne réalisa pas ce qu'elle voyait.
Les lumières s'éteignirent, baignant la scène dans l'obscurité. Béni baissa la tête en soufflant. Enfin, c'était terminé. Pas qu'elle se lassait de jouer mais elle était à court d'idée pour les morceaux à interpréter. Elle avait même envisager de jouer un morceau que le groupe n'avait pas interprétée !
Elle sentit la présence de Daisuke la rejoindre alors qu'elle se dirigeait déjà vers les coulisses. Dans la lumière, ils voyaient leurs amis, prêts à prendre la relève. Ils ne voyaient pas Yūko, donc elle n'était pas prête à remonter sur scène.
- Comment ça s'est passé ? demanda Kiyoshi à l'attention des deux musiciens.
- Bien, j'espère, lui répondit Daisuke. Et Yūko ?
- On lance Tsuioku et Yūko revient après.
Béni et Daisuke dévisagèrent leur ami. Ce n'était pas vraiment une réponse. Kiyoshi ne disait pas si la coiffeuse avait pu venir à bout des nœuds. Mais ça ils le sauraient très vite.
Les quatre musiciens regardèrent à peine leurs deux amis rejoindre Yūko et Kurona. Ils attendaient le signal de l'équipe technique leur indiquant qu'ils pouvaient se rendre sur scène.
Sur les premiers instants, le fantôme était resté assis à écouter, à chantonner. Et peu à peu, elle avait senti son énergie revenir. La chanson d'avant, si désagréable à son oreille, s'estompait, comme un nuage noir chargé de pluie s'éloigner, dégageant l'horizon.
Elle se leva, de nouveau pleine d'enthousiasme. Elle se figea. Pourquoi n'y avait-il que deux instruments ?
Elle regarda tout autour d'elle. Non, il n'y avait bien que deux instruments. Et leurs chansons... C'était un peu bizarre. Elle les connaissait pourtant, elles semblaient incomplètes.
Il n'avait pas bougé pour écouter le medley pingpong. Il avait juste tourner la tête, un coup pour regarder les deux musiciens, un coup pour observer le fantôme. Elle reprenait vie apparemment. Tant mieux. Il avait eu un peu peur. De s'ennuyer. Mais tout était rentré dans l'ordre.
Lorsque la lumière céda la place à l'obscurité, il ne suivit pas du regard les deux humains qui s'éclipsait. Il ne prêta pas attention à ceux qui s'affairaient discrètement. Non, il gardait son regard fixé sur le fantôme. La lumière s'était éteinte et le fantôme semblait s'éteindre en même temps.
Un bruit léger attira son attention à l'opposé. Les humains entraient discrètement sur scène. Il scruta l'obscurité. Une ombre se faufila pour poser quelque chose et il garda son regard fixé dessus. Alors, il était de retour. En voilà un qui ne lui aurait pas manqué !
Il fulminait. Pour deux raisons principalement. Tout d'abord, jamais, mais alors JAMAIS, il n'avait été traité de cette façon ! Cas de force majeur songea-t-il. Ou peut-être lui trouvait-il des excuses.
Et puis, il y avait lui. Le yōkai accroché à l'estrade centrale. Celui-là ! Il avait bien vu que le groupe était dans la galère ! Et il n'avait rien fait pour empêcher le fantôme d'agir ! Il n'avait même pas levé le petit doigt pour l'aider. Il savait pourtant très bien où se trouvaient les bachi !
https://youtu.be/NMArWbfCLwA
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