La découverte
La Terre agonise. Elle le démontrait de façon tout à fait explicite, envoyant à ses occupants dominants, les Humains, toutes sortes de catastrophes naturelles. Pour Sirine, 26 ans, étudiante dépressive à l'université d'Oxford et jeune femme égarée dans un monde qu'elle ne voulait pas ainsi, c'est un signe de la fin proche du règne des humains.
Sirine était du genre "tout le monde". Elle ne se démarquait en rien de ces autres jeunes adultes qui, chaque jour à 6H du matin, se rendaient dans ce grand bâtiment en L aux nombreuses salles de classes et qui, chaque soir à 18H, rentraient chez eux, épuisés et démoralisés.
Dès que la Terre commença à répondre aux erreurs des Humains - Destruction de la couche d'ozone, montée des océans, réchauffement climatique, ... - les gouvernements de tous les pays du monde mirent peu à peu en place cinq ans d'études obligatoires à l'arrivée des jeunes à l'université. Hélas, devant l'inefficacité de ces méthodes, cinq ans furent rajoutés, pour le plus grand malheur des jeunes adultes qui protestèrent vivement, en vain.
Sirine était l'une d'entre eux, invisible parmi les autres, dépressive et parfois suicidaire. Mais la jeune femme avait un refuge, que les autres ne connaissaient pas. Ce refuge, c'était la lecture. Sirine était passionnée de lecture. Elle avait une quantité impressionnante de connaissances générales, que ce soit sur les animaux, les mythologies, l'histoire, la géographie, ou tout autre matière. Les livres servaient d'échappatoire à la jeune femme, submergée par les problèmes et sa dépression grandissante, qui se tournait peut à peut vers une phase dépressive et suicidaire. Elle vivait dans un appartement minuscule, qui ne possédait que deux pièces : une salle de bain et une pièce-à-tout qui regroupait lit-canapé, table, placards et cuisinière. C'était tout ce que contenait son lieu de vie. Les murs étaient fissurés et le plafond s'affaissait par endroits, ceci étant dû aux récents tremblements de terre. Il arrivait régulièrement que l'électricité soit coupée ou bien qu'il n'y ait plus d'eau chaude. Le parquet grinçait terriblement et il n'y avait pas d'ascenseur. Et Sirine habitait au cinquième étage.
Le verrou de la porte avait tendance à se coincer, ce qui n'arrangeait pas du tout la propriétaire. Il n'y avait qu'une fenêtre, devant laquelle se trouvait un plan de travaille avec cuisinière. Un réfrigérateur se trouvait à la droite de la fenêtre (dont les volets semblaient toujours sur le point de céder). Contre le mur de gauche, depuis le pas de la porte, se trouvait un canapé miteux et rapiécé avec un oreiller et une couverture à carreau rouges et verts. En face, une télé fêlée et qui tenait à peine, accrochée au mur, donnait les informations décourageantes sur la situation du monde. A coté, un placard servait de rangement pour les habits de Sirine et de placard à balais. La jeune femme avait rarement le temps de faire le ménage, car ses études obligatoires prenaient tout son temps libre. A droite de la télé, une porte aussi rouillée que celle d'entrée donnait sur une salle de bain minuscule comportant un évier, un lave-linge et une baignoire qui servait de douche, puisqu'il n'y avait jamais assez d'eau chaude pour un bain.
Ainsi donc était l'Enfer de Sirine. Ah si, une dernière chose : sur chaque centimètre carré de surface libre, se trouvait un livre, aussi l'appartement était-il très encombré.
L'Université d'Oxford se trouvait à une demi-heure de l'immeuble de l'étudiante. Elle devait donc prendre le bus à 5H30 pour commencer les cours à 6H, ce qui impliquait se lever à 5H - et elle ratait son transport une fois sur deux. Le bâtiment principal de l'université était en L, droit, en béton avec des fenêtres teintées. Laid. La plupart des bâtiments avaient été refaits sur ce profil pour mieux résister aux tremblements de terre de plus en plus fréquents et on ne voyait désormais plus que ça. Le seul point positif était la bibliothèque. Vaste et spacieuse, elle avait été conçue pour résister aux incendies et protéger les ouvrages. Des fauteuils moelleux se trouvaient ici et là et c'était l'endroit favoris de Sirine, car c'était son havre, en endroit où elle pouvait s'évader hors de ce monde mourant.
Ce jour là était un jour comme les autres. Sirine entendit avec un grognement mécontent la sonnerie de son téléphone, annonçant 5H. Il ne faisait pas encore jour, c'était l'automne, même si différencier les saisons était devenu difficile. Il lui fallut bien sur dix minutes pour sortir des vapes du sommeil et dix autres encore pour se laver, s'habiller et faire son sac. Les cinq suivantes lui permirent de déjeuner rapidement, avec de maigres provisions et les cinq d'après, de fermer la porte qui refusait obstinément d'obéir aux injonctions de sa propriétaire. Enfin Sirine attrapa son bus alors que la porte s'apprêtait à se fermer et soupira de soulagement en montant dedans. Il était bondé de monde mais la jeune femme parvint à rejoindre son amie Nawel. Nawel avait une situation financière bien plus solide que celle de son amie, et vivait dans un confortable appartement, dans la ville. Elle possédait des cheveux bruns foncés bouclés et long, un visage souriant et confiant, des habits plus ou moins neufs et des yeux bleus foncés amusés. C'était à peu près le contraire de son amie, dont les cheveux étaient blonds et blancs, fins et longs et dont les yeux bruns mélangeaient toujours lassitude, colère, désire, dépression.
- Tu as une tête de fantôme, Sirine, annonça-t-elle à celle-ci en la voyant arriver.
- Merci beaucoup... grogna l'intéressée en retour.
- Tu as entendu la dernière nouvelle ?
- Non, je n'écoute plus les infos depuis deux mois, et tu le sais.
- J'espérai que tu avais renoncé à cette folie... Mais bref, parait que la Sicile a presque été entièrement submergée par un tsunami !
- Génialissime. Un de ces jours, on va tous crever de la manière la plus bizarre possible : tsunami au milieu des terres, éruption volcanique en pleine mer, ...
Sirine était ainsi, jamais de très bonne humeur. Elle devait rester debout mais commençait à se rendormir.
- Ho, Sirine ! Tu m'écoutes ?
- Hum... Pardon ? Non, pas du tout...
Nawel leva les yeux au ciel et se tut. Sirine put donc se rendormir brièvement, avant que son amie ne la secoue pour descendre.
Elles entrèrent en silence dans le grand bâtiment gris et humide. Elles se postèrent devant leur salle de classe et ne tardèrent pas à rentrer dans celle-ci. C'était un cours d'écologie extrémiste, ce qui impliquait d'être ennuyeux, mais c'était le cas de tous les cours, et la moitié était de l'écologie extrémiste. La classe était silencieuse, la plupart des riches nobliaux étaient en costumes soignés, les autres vêtus de ce qu'ils avaient sous la main. Les tables étaient en bois, les chaises aussi et tout cela était bien évidemment bancal, car c'était essentiellement de la récupération, faite dans les décombres d'autres écoles tombées. Dès les premières minutes, Sirine se mit à piquer du nez et resta avachie sur sa table, pendant une bonne partie de la première heure - car les quatre heures matinales étaient uniquement dédiée à l'écologie extrémiste. Quelques minutes avant la première sonnerie, une main se posa brusquement sur son épaule et elle se réveilla en sursaut, sachant déjà ce qui l'attendait.
- Miss Sirine ! Pouvez vous expliquer pourquoi vous dormiez pendant mon cours ?
- C'est sans doute dû au fait que la moitié des cours son les vôtres et qu'on nous fait lever trop tôt et coucher trop tard... marmonna la jeune femme.
- Et DIABLE OU EST VOTRE CAHIER ?!
- J'en ai pas m'sieur, j'ai pas d'argent pour payer mes fournitures, j'l'ai déjà dit.
C'était en effet le début de l'année, seules quelques semaines étaient déjà passées. M. McStoneways, surnommé M. Pierre en référence au mot "stone" dans son nom, était grand, dégingandé, vieux, avec à peine quelques cheveux blancs sur la tête. Il avait un air hargneux, studieux et sévère et adorait les règlements - il connaissait sans doute celui de l'université par coeur. Son teint pâle devint plus rouge, de colère, il leva la main et frappa avec force la joue de son élève.
- Je vous ais déjà fait la MÊME REMARQUE la semaine dernière et la semaine d'avant encore !
- Oui, ma joue s'en souvient...
- Pas de plaisanterie ! File voir la directrice !
Il était de notoriété publique que M. Pierre convoitait le poste de directeur, mais c'était la simplement une façon de se débarrasser de son élève. Il savait pourtant parfaitement que Sirine n'allait jamais voir la directrice et se contentait de se poser à la bibliothèque.
L'élève s'empressa d'obéir, trop contente de s'en aller. Elle parcourut les couloirs en courant presque et poussa la grande porte coupe-feu de la bibliothèque.
C'était une vaste pièce aux immenses étagères, celles-ci touchant presque le plafond. Quelques escabeaux étaient mis à disposition pour atteindre les derniers rayonnages et le silence était sacré. Sirine connaissait déjà la moitié des oeuvres enfermées ici. Les premiers rayonnages et ceux à la gauche de la porte contenaient des livres d'une complexité inouïe tendis que les autres étagères rangeaient des livres plus simples. Sirine avait passé ses premières années près de la porte mais avait épuisé les romans et les dictionnaires de ce coté-ci et, ces derniers temps, elle avait du se contenter de trainer au milieu des bibliothèques plus simples. Les livres simples l'ennuyaient mais elle n'avait rien d'autre à se mettre sous la dent. De tant à autre, elle tirait un livre, ici ou là et en lisait le titre, le résumé et la première phrase. La première phrase était primordiale, elle devait tout de suite accrocher le lecteur/ la lectrice.
C'est ainsi que ce jour là, Sirine se promena avec son air maussade habituel dans les allées. C'est aussi ainsi que, pour Iluvatar sait quelle raison, elle saisit un petit roman et commença à lire le résumé. Il paraissait plutôt simple mais sympathique. Alors elle l'ouvrit et lut la première phrase : Dans un trou, vivait un hobbit.
Cette phrase lui plut et elle s'installa dans un fauteuil pour continuer.
Ce n'était pas un trou déplaisant, sale et humide, rempli de bouts de vers et d'une atmosphère suintante, non plus qu'un trou sec et nu, sablonneux, sans rien pour s'asseoir ni sur quoi manger : c'était un trou de hobbit, ce qui implique le confort.
Et ainsi commencèrent à défiler les heures.
Quand sonna la cloche de midi, Sirine s'extirpa lentement de son rêve. Elle lisait très vite, ce pourquoi elle avait déjà terminé Le Hobbit, avait cherché d'autres oeuvres de son auteur, car elle avait beaucoup aimé, et s'était lancé dans Le Seigneur des Anneaux. Ainsi, trop heureuse de trouver un livre à sa hauteur, elle faillit ne pas entendre la sonnerie. Elle retrouva son air de mauvaise humeur, car cette cloche éraillée l'avait sortie de son roman. Elle se leva en grognant, emprunta la trilogie et s'en alla.
La nourriture servie au self était tout bonnement écœurante. C'était aujourd'hui de la purée, mais elle avait davantage un gout de carton. Sirine se força à en avaler quelques bouchées mais, comme d'habitude, l'infecte repas lui donna la nausée. Nawel vint s'asseoir à coté d'elle, sur la table de pic-nique mise dans le self avec son plateau. Elle commença aussitôt à déballer une quantité assez impressionnante de feuilles qu'elle donna à son amie en lui résumant brièvement le cours.
- Je te prêterai mon cahier pour que tu puisses recopier ce soir, mais NE L'OUBLIE PAS, d'accord ? Sirine ? Est-ce que TU M'ÉCOUTES AU MOINS !
- Hum ? Oui, merci beaucoup...
Elle avait bien évidemment ressorti son roman et s'était replongée dedans.
- Génial, tu t'es retrouvé un copain-livre ! Tu sais que tu ne parles presque plus quand tu as une nouvelle série ? Ca y'est, je t'ai perdue. Bon bah salut, à demain.
Elle partit, tout à fait mécontente, mais elle l'était presque tout le temps puisque Sirine avait presque tout le temps un livre. Cette dernière marmonna quelque chose sans lever les yeux, fourra machinalement les feuilles dans son sac de cour troué et sale et avala une autre bouchée de purée qu'elle faillit recracher. Elle récupéra ses affaires, se leva, jeta sa purée et repartit à la bibliothèque.
Le cours suivant était celui de maths. Leur professeure était aussi stricte et sévère que les autres mais elle tenait à ce que tous ses élèves soient là et écoutent, ce pourquoi Sirine la détestait particulièrement et passa deux heures de plus fort désagréables. Lorsqu'elle sortit de cours pour une brève récréation, elle s'empressa d'escalader le grillage, par un endroit dégagé pour se cacher. Elle s'installa au milieu des tas de pierres et de terre, à l'abri des regards, où elle sécha les deux dernières heures. Voici comment se déroulaient la plupart des journées de Sirine. Hélas, comme cela lui arrivait assez fréquent, elle rata son bus et dut cheminer plus d'une heure et demi pour rentrer chez elle à pieds. Arrivée à l'entrée de l'immeuble, elle s'assit sur les premières marches le temps de récupérer. Il faisait déjà sombre dehors.
Soudain, une tempête en furie sortit d'une pièce voisine et fonça sur l'étudiante. Finalement, ce n'était pas une tornade furieuse mais la propriétaire de l'immeuble, qui était effectivement dans tous ses états.
- Sirine ! tonna-t-elle et la jeune femme sursauta. Tu pensais que j'allais t'oublier ? T'as un toit et il est pas gratuit. J'espère sincèrement que tu as de quoi payer. J'ai fermé les yeux le mois dernier mais faut que je me nourrisse !
- Moi aussi, et justement, j'ai même pas de quoi acheter un paquet de biscuits...
- J'en ai rien à faire, c'est ton problème, maintenant je veux l'argent. Dépêche-toi.
- J'en ai pas, vous l'savez bien, et...
- Alors dehors !
- Pardon ?
- Oust ! Tu as dix minutes pour rassembler tes affaires et partir. Je ne veux plus te voir ici ! Tu ferais bien de te dépêcher !
Sirine remonta maladroitement les marches jusqu'à son appartement, sonnée et désorientée. Comment transporter tous ses livres ? Elle récupéra son canapé et ses quelques affaires qu'elle descendit au pied de l'immeuble le plus rapidement possible. Elle s'appliqua ensuite à fourrer le plus de romans possibles dans des cartons qu'elle descendit, ou plutôt qu'elle laissa dévaler l'escalier. Elle était en train de forcer un dernier carton à se fermer quand la logeuse entra, bien décidée à chasser la jeune femme de chez elle.
- Les dix minutes sont écoulées, tu descends ce carton et je veux plus te revoir ici.
Encore choquée et désorientée, elle tituba dans les escaliers et rata plusieurs marches mais finit par arriver tant bien que mal en bas.
Elle se trouva misérable, comme ça, dans la rue, sur un canapé, entourée de quelques meubles et d'énormes cartons de romans. "Je n'ai plus qu'une chose à faire." songea-t-elle avec lassitude et elle sortit un livre.
***
Sirine ne serait pas allée en cours si elle n'avait pas du rendre la trilogie et chercher d'autres livres. Elle prit son bus de justesse et rendit son cahier à Nawel en lui assurant avoir tout recopié. C'était tout bonnement faux, elle n'avait pas dormi de la nuit, s'était contentée de rêver en lisant, à la faible lueur d'une lampe-torche clignotante.
Ainsi elle se dirigea directement à la bibliothèque, sans même prendre le temps de passer en cours. Ayant reposé ses livres, elle en chercha d'autre. C'est là qu'elle tomba sur Le Silmarillion. Ravie, elle s'installa confortablement et continua sa lecture sans pouvoir tarir son insatiable curiosité. C'est là que tout commença. Un nom retint étrangement son attention. Un nom résonna dans sa tête sans pouvoir s'arrêter. Un nom l'obnubila jusqu'à ce qu'elle ne puisse plus penser à autre chose : Aman, le Pays Bienheureux de l'Ouest où vivent les elfes, les Vala et les Maïa. Après la chute de Numenor, il fut séparé avec Tol Eressëa du reste du monde et seuls les Elfes seraient encore capables de trouver le chemin qui mène à cette terre miraculeuse. Hélas, tous seraient partis depuis bien longtemps...
Sirine retourna chez elle bien avant l'heure, si tant-est qu'on puisse encore parler de "chez elle". Elle ne dormit, ne bougea pas. Elle resta juste assise là à tourner et retourner Le Mot dans sa tête. Et puis vint l'aube et quelques rares rayons de soleil vinrent illuminer son visage. Il avait totalement changé. Désormais, il était sévère et résolu, inébranlable. Elle bondit dans le bus quand il s'arrêta et rejoignit le plus vite possible Nawel.
- Tiens, tu as terminé ton nouveau bouquin ? ricana-t-elle amèrement.
- Je pars.
Nawel perdit aussi sa rancune, et elle fronça les sourcils.
- Comment-ça, "tu pars" ?
- Je ne vois pas comment je peux être plus claire : je m'en vais.
- Mais où ça ? Comment ? Tu n'as pas un sou !
- Je vais chercher le pays d'Aman, à l'Ouest. Je commencerai à pieds et continuerai en bateau.
- Aman ? Mais qu'est ce que c'est encore ? A l'Ouest ? Mais la terre est ronde, andouille !
- C'est le pays Bienheureux où vivent les dieux et les elfes. Seuls ces derniers sont censés pouvoir trouver le chemin qui y mène.
- Des dieux et des elfes ? Une terres en dehors de la notre ? Non mais tu délires, Sirine ! Et puis quoi encore ? Des nains ? Des trolls ? Des vampires ? Et parce que tu crois qu'on est des elfes, nous ? Mais t'as pris de la drogue ou quoi ? Tu planes complètement !
- Non. Je veux trouver la terre où vivent les Vala, les Maïa et les elfes. Et je commence les préparatifs dès aujourd'hui. Je pars demain. Viens-tu avec moi ?
- Evidemment.
Ainsi le voyage commença-t-il. Les "préparatifs" ne furent pas longs. Sirine n'avait presque rien et Nawel récupéra nourriture et de quoi dormir. Elles tracèrent leur itinéraire sur une carte et, alors que l'aube du lendemain se levait, partir pour le Pays d'Aman.
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