(1) Enlèvement
Sarah contemplait les arbres. Du haut de ses dix ans, elle aimait se promener dans l'immense jardin de la demeure familiale, à observer les arbres et le ciel sans réellement comprendre tout ce qui se passait. Dans ces moments, elle devenait une autre personne, une simple feuille ballottée par le vent. Elle promenait sa trop mince silhouette entre les fleurs et les herbes. Elle entendait au loin ses parents s'hurler dessus, mais elle n'y prêtait pas attention. Sarah n'était pas particulière physiquement : de petite taille, même pour quelqu'un de son âge, ses cheveux noirs lui arrivaient aux omoplates. Ses petits yeux bridés étaient sans cesse remplis d'incompréhension, due au fait qu'elle était très rarement sortie de chez elle avant ses neufs ans à cause d'une maladie qui la laissait d'une maigreur épouvantable, et l'empêchait de vivre comme les autres enfants de son âge.
Elle continua à avancer dans les bois, quittant sans s'en rendre compte les limites de la propriété. Elle marchait, sans relâche, admirant les oiseaux, les fleurs, les arbres. C'est alors qu'une petite branche s'accrocha dans sa robe blanche, y laissant un accroc. Le bruit tira Sarah de son émerveillement, et elle constata qu'elle s'était perdue. L'inquiétude la saisit à la gorge. Elle distingua un mouvement furtif à sa droite, dans les sous-bois. Il en surgit une haute silhouette enveloppée dans un assemblement étrange de pièces de tissu rapiécées. Sarah s'apprêtait à interroger l'inconnu, lorsque ce dernier remonta sa manche droite, dévoilant, au lieu d'une main, une serre semblable à celle d'un oiseau de proie entourée de plumes noires. Alors que Sarah s'apprêtait à pousser un cri d'horreur, la créature qui lui faisait face murmura quelques mots dans une langue qu'elle ne connaissait pas, et elle se sentit basculer en arrière. Un voile noir s'abattit devant ses yeux, et sa dernière vision fut les feuilles vertes des arbres éclairées par le soleil d'été.
*****
Anaïs marchait dans la rue. Tout autour d'elle s'élevaient les immeubles de sa ville de naissance, crasseux, couverts de tags. Elle n'avait pas peur de faire de mauvaises rencontres, car chaque habitant du quartier la connaissait suffisamment pour ne pas tenter de lui faire du mal. La lumière crépusculaire éclairait d'orange et de rouge les immeubles. Il n'y avait pas âme qui vive. Anaïs adorait ce moment de la journée, lorsque chacun est terré chez soi et que personne ne la regarde avec crainte. Les feux du couchant embrasaient le ciel. Un chien aboyait au loin.
Cela avait toujours été comme ça. Elle était obligée d'éviter tout le monde comme la peste, car la réaction des gens quand ils la voyaient différait, allant de la crainte aux insultes. Elle s'arrêta au milieu de la rue, et ramena ses longs cheveux blonds en une queue de cheval. Un bruit de vaisselle brisée retentit, puis le silence s'abattit de nouveau sur la ruelle. Ce n'était pas à cause de son apparence que les gens évitaient Anaïs. De loin, on aurait presque put la prendre pour une gamine sympathique. Plutôt grande pour ses douze ans, elle portait en permanence une paire d'épaisses lunettes pour compenser la myopie de ses yeux verts. Mais de près, on apercevait son expression et alors les gens fuyaient. Elle avait toujours l'air de quelqu'un s'étant battu la veille : un œil au beurre noir cerclait son œil droit, un bleu couvrait sa joue gauche, et une minuscule cicatrice, presque invisible, ressortait de son menton. Des cernes profondes creusaient ses yeux. Ses vêtements renforçaient son air bagarreur : un simple jean déchiré au talon et à la cuisse gauches, ainsi qu'un T-Shirt un peu rapiécé.
Un bruit retentit dans une ruelle. Intriguée, Anaïs s'y engouffra, se maudissant au passage d'avoir oublié de prendre une lampe torche, car le soleil était passé derrière l'horizon. La ruelle bifurquait vers la gauche. La jeune fille continua sans avoir un seul instant peur. C'était sa ville, elle la connaissait par cœur...Du moins le pensait-elle, car elle ne connaissait pas cette rue. Anaïs atteint le bout, tourna, et se retrouva en face d'une grande silhouette entièrement recouverte d'un étrange assemblage de pièces de tissu. L'inconnu tenait dans sa main droite un long bâton en sureau taillé de symboles étranges. Non...Ce n'était pas une main...C'était une serre qui serrait ce bâton. Anaïs esquissa un geste pour s'enfuir, mais il était trop tard. A peine entendit-elle d'étranges paroles avant de s'écrouler au sol, face contre terre. Les aboiements du chien reprirent.
*****
Cynthia entendit les hurlements de fureur de la personne qu'elle venait de voler. Bien dissimulée dans l'énorme foule des rues de sa ville, il n'y avait pratiquement aucune chance que le vieil homme ne la retrouve. Elle s'éloigna d'un pas tranquille, ne montrant aucun signe d'énervement, tout en se répétant en boucle qu'elle n'avait pas de raisons de paniquer. voilà où était son problème : elle paniquait en permanence lorsqu'elle était en terrain inconnu. Tout en marchant, elle jeta un regard sur le porte-feuille récupéré quelques secondes auparavant. Elle fit bien attention de ne pas le fixer trop longtemps pour ne pas éveiller de soupçons, juste le temps de constater qu'il n'y avait que de l'argent. Elle se sentait mal de dépouiller des gens ainsi, mais elle n'avait pas le choix. Dès la première occasion, elle s'engouffra dans une rue moins fréquentée et disparut en recroquevillant son petit corps dans un coins, tout en comptant l'argent. Elle avait quatorze ans, et le vie ne lui avait pas fait de cadeaux. Bien qu'elle ne paraisse pas trop maigre au premier abord, elle souffrait tout de même de carences. Elle était menue, suffisamment pour se faufiler entre les gens. Ses cheveux châtains étaient coupés court, pour ne pas avoir à les entretenir. Ses yeux bleus aidés par des lunettes qu'elle avait volées le mois d'avant scrutaient la rue pour ne pas être surprise au cas où quelqu'un arriverait. Finalement, elle les baissa pour compter à nouveau l'argent qu'elle tenait dans ses doigts aussi crasseux que ses vêtements déchirés.
Une minute s'écoula. Puis il y eut un bruit, et Cynthia leva les yeux. En face d'elle se tenait un homme de grande taille. Il s'accroupit, et la jeune fille remarqua qu'elle ne pouvait pas voir le moindre centimètre carré de sa peau. Tout son corps était recouvert d'un étrange assemblage de morceaux de tissus qui devait lui servir de vêtement. Un instant, elle le prit en pitié, pensant qu'il s'agissait d'un mendiant. Puis elle entendit un grondement étrange provenant du mendiant, comme s'il n'avait pas parlé depuis des années. Sa voix, éraillée, grave, déchirée prononça avec difficulté ces mots :
- Tu...Tu m'intrigues...J...J'espère que nous pourrons parler un peu plus à Olympe.
Avant que Cynthia n'ait pu réfléchir, une main noire recouverte de plumes surgit de la manche de l'inconnu et saisit la fille à la gorge. Surprise, elle n'eut pas le temps d'esquisser le moindre geste que celui qu'elle avait pris pour un mendiant émettait d'étranges sons, la faisant plonger dans un abîme d'obscurité.
*****
Samantha se prépara en toute discrétion. Elle devait s'absenter cette nuit, et elle ne voulait pas que ses parents la voient en robe. Déjà qu'ils avaient du mal avec sa particularité. Elle descendit l'escalier de l'immeuble où elle et sa famille vivaient depuis dix ans en prenant un maximum de précautions pour ne pas faire de bruit, puis parvint à sortir de l'immeuble. Tout autour s'étendaient des dizaines de bâtiments tous semblables, tous identiques. Aucune différence, sauf pour un œil entraîné et ayant vécu ici. Ainsi, Samantha voyait les restes d'un tag effacé sur la tour d'en face, ou encore les fenêtres condamnées du douzième étage de celle tout au bout de la rue. Elle se mit à marcher en espérant arriver le plus vite possible au lieu de rendez-vous. Elle espérait de tout cœur ne croiser personne, bien que le contraire soit bien surprenant étant donné l'heure tardive. Les lampadaires éclairaient de leurs pâles lueurs la rue, dévoilant son visage. Elle était grande et musclée, plus que la plupart de ses camarades de lycée. De ses seize ans, elle avait déjà fait chavirer bien des cœurs, souvent pour le pire. D'où sa décision. Sa peau, noire comme ses cheveux d'ébènes, luisait sous la lumière de la Lune. Elle resserra autour de son cou son châle bleu, frissonnant à cause de la fraîcheur de cette nuit d'été.
Elle jeta un coup d'craintif en arrière. Le lieu de rendez-vous se trouvait à présent à a peine une centaine de mètres. C'est alors qu'elle rentra dans un passant. Elle se sentit tomber en arrière, mais fut rattrapée in extremis par la main de l'inconnu. Une main...Une serre couverte de plumes noires. La jeune fille sentit son cœur accélérer, mais l'inconnu émit une suite de sons incongrus, et Samantha se sentit basculer dans un gouffre sans fond.
*****
Chloé se leva avec regret. Elle venait tout juste de terminer sa prière devant le petit autel dressé au milieu de sa maison. Dans sa famille, elle ne connaissait pas une seule personne qui ne partageait pas sa foi. Tout le monde était croyant. Dehors, l"orage grondait. Il y eut un éclair, suivi bien vite d'un formidable grondement. Chloé esquissa un sourire. Elle aimait les orages, qu'elle trouvait particulièrement splendides, à plus forte raison la nuit. Nouvel éclair, nouveau grondement. Dehors, la pluie frappait les fenêtres de toutes ses forces, s'épuisant sur le verre. Un nouvel éclair, plus fort, éclaira le visage de Chloé. Elle était plutôt maigre et très grande, atteignant les un mètre quatre-vingts-dix. Ses courts cheveux roux bouclés se répandaient autour de son visage aux traits fins. Depuis ses six ans, elle avait juré d'aider les gens à aller mieux en découvrant la misère du monde. Tout les jours, elle allait passer une heure dans une maison de retraite, un réseau de collecte des Restos du Cœur, ou même un hôpital, et elle aidait du mieux qu'elle pouvait, soulageant les vieillards, récoltant de la nourriture, parlant avec les malades. Elle aimait l'humanité, et croyait en elle, malgré tout ce qui lui montrait que ce n'était pas une bonne idée, comme les tueries, les oublis, et tout ce qui faisait des humains, pour l'instant, un ramassis de sans-cœurs.
Le bruit de la sonnette d'entrée retentit, surprenant Chloé. Il était une heure du matin, qui cela pouvait bien être ? Elle se déplaça lentement vers l'entrée de la maison, puis s'immobilisa devant la porte. Elle fit tourner la poignée et ouvrit, révélant un type ressemblant à un mendiant. Malgré que son manteau cachait son visage, Chloé aurait juré qu'il souriait. Il tendit une main couverte de plumes noires, et lui attrapa la gorge. Elle se sentit lourde, somnolente. Elle sombra dans les bras de Morphée avec un nombre incroyable d'interrogations.
*****
Le Mage laissa son sort agir. Sa victime ne bougeait plus. Il l'attrapa dans ses bras, et l'amena jusqu'à son véhicule. Les chevaux d'ombre piaffèrent d'impatience tandis qu'il disposait le corps inanimé de la même manière que les autres. Il remonta ensuite au poste de conducteur, et frappa du pied sur le sol. L'aller avait été simple, mais il savait que le retour serait bien plus complexe. Le nombre attirait le nombre. Il saisit son bâton, Firkdar, et se prépara à repousser ses adversaires.
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