Chapitre 1
— CAROLINE ! TABLE TROIS, S'IL TE PLAÎT !
Comme à son habitude, Max, mon patron, ne sait rien faire d'autre que de me hurler dessus. Il faudrait vraiment qu'il comprenne que ses employés ne sont pas ses esclaves...
— Oui, oui, j'y vais... réponds-je entre mes dents, luttant pour contenir mon irritation.
Cela fait maintenant trois ans que je travaille dans ce bar plus que douteux. Pourquoi douteux ? Parce que je ne sais pas si je dois me méfier de celui qui me claque les fesses à la table douze, ou bien de la prostituée à la table quatorze, ou encore des trois barbus qui me sifflent dès que je nettoie leurs verres d'eau qu'ils renversent chaque soir, comme par hasard... Et là, je ne parle que de nos habitués.
Imaginez-vous avec une jupe en similicuir à peine plus basse que vos fesses, un décolleté également en similicuir qui laisse tout apparaître au moindre mouvement, des bas résilles remontant à mi-cuisse, et une belle paire de talons. Et quand j'ose dire à mon sadique de patron que je ne veux pas de cette tenue, ou que mes baskets me rendraient plus performante, il me répond : "Nos clients ne viennent pas pour le service, mais pour nos serveuses", avec son éternel sourire en coin et son clin d'œil exaspérant. À chaque fois, j’ai envie de lui lancer mon plateau à la figure, mais je me retiens. Ce job, malgré tout, paie mon loyer et mes cours à l'école de finance. Alors je serre les dents et je continue.
En somme, c'est un bon travail. Bien que ces petites contraintes ne soient pas des plus agréables, ce travail me permet de subvenir à mes besoins. Mais ce soir, une tension palpable flotte dans l'air, plus lourde que d'habitude. Je sens les regards des clients glisser sur moi, plus insistants, presque dangereux. Je tente d'ignorer cette sensation qui grandit dans mon ventre, un nœud d'anxiété que je ne parviens pas à défaire.
— Caro, ce soir tu fais la fermeture, j'ai un souci avec la baby-sitter, je dois rentrer plus tôt.
Je n'ai pas le temps de dire le moindre mot qu'il est déjà dehors, sa silhouette disparaissant rapidement dans l'obscurité de la nuit. Il est déjà minuit. Je ne dois attendre qu'une heure avant de faire la fermeture. Le bar est déjà bien vide, mis à part mes trois barbus au comptoir, une personne seule à la table cinq, et deux hommes à la table onze.
Mon angoisse ne cesse de monter, le silence dans le bar est lourd, pesant, je ne me sens pas à l'aise. Je me mets à ranger les tables et à nettoyer le comptoir. De toute façon, après minuit, nous ne servons plus à boire. Les barbus me font signe de venir pour régler leur ardoise du soir. Comme à son habitude, le vieux Joe me met un billet entre les seins, le vieux Hank dans ma jupe, et le vieux Jasper dans ma chaussette. Comme à mon habitude, je les laisse s'exécuter un sourire forcé aux lèvres. Mine de rien, ils me donnent chaque soir 60 euros de pourboires, de quoi me permettre de mettre de la viande dans mon assiette.
Je pousse un soupir de soulagement, il est enfin une heure du matin. Je me dirige vers les tables restantes afin de les inviter à partir car je dois fermer l'établissement. Heureusement pour moi, ils ne font pas de zèle et prennent la porte facilement. Je finis le ménage aux alentours d'une heure trente, mon esprit déjà à moitié parti de cet endroit maudit. Je me dirige vers le vestiaire afin de me changer, j'enfile rapidement mon gros jogging noir par-dessus ma jupe, et un sweat gris bien molletonné pour rentrer bien au chaud et en tranquillité. Bien que j'adore mon appartement, celui-ci ne se trouve pas à côté. Pour rentrer chez moi, je dois prendre un vélo de ville et rouler pendant 45 minutes.
Je suis en train de fermer la porte métallique du restaurant quand un bruit inattendu me fige sur place. Un hurlement, déchirant le silence de la nuit. Puis un bruit sourd, comme un coup de fusil. Mon cœur s'emballe, battant à tout rompre dans ma poitrine. Je me retourne brusquement et vois un homme tomber inerte sur le sol, à quelques mètres de moi. Le temps semble se figer. Une goutte de sueur coule le long de mon dos. Je regarde autour de moi, mon regard fouillant l’obscurité, cherchant un visage, une silhouette, quelque chose... Mais je ne vois personne.
Mon instinct me pousse à courir vers l'homme. J'accours, mes jambes tremblantes, l’adrénaline prenant le dessus sur la peur. Alors que j'arrive à son niveau, je reconnais les deux hommes de la table onze, cachés dans l'ombre. Mon souffle se bloque dans ma gorge. Ils ne m'ont pas encore vue, mais je sais que ce n’est qu’une question de secondes. Mon esprit s'emballe, je fais demi-tour d'un coup sec, puis je prends mes jambes à mon cou. Je cours de toutes mes forces, mes pas résonnant dans la rue déserte. Malheureusement pour moi, je n'ai jamais été la plus douée des athlètes. Je trébuche sur une bouteille au sol, m’effondrant brutalement, le nez contre le bitume. J’entends deux voix lointaines, approchant rapidement.
— Frérot !? Tu as vu ?
— Ouais, on la chope.
— Dans le coffre, on verra ce qu'on lui fera au QG.
Ma tête tourne, mes pensées se brouillent. Je me réveille dans le noir complet, un frisson glacial parcourant tout mon corps. Je suis morte de froid, mes jambes sont complètement paralysées par la peur et le froid, mes mains attachées. Je tire, je me débats, mais rien n’y fait. Je suis piégée. Que faire... Les larmes commencent à couler sur mes joues sans que je puisse les retenir. J’ai compris... Je suis dans un coffre, enfermée. C'est mon tour maintenant, je vais mourir. Je suis terrifiée, paralysée par l'angoisse. J'entends les deux voix à l'extérieur, elles me parviennent comme des échos lointains, menaçants.
— FERME TA PUTAIN DE GUEULE ! SI TU CONTINUES À PLEURER, JE TE JURE QUE JE STOPPE LA VOITURE MAINTENANT, ET JE TE FLINGUE TOUT DE SUITE !
Chaque mot est comme un coup de poignard. Je me fige, les sanglots coincés dans ma gorge. Je me fais pipi dessus, le liquide chaud coulant le long de mes jambes, ajoutant à ma terreur. Je pense à mes parents, à ma sœur, à mon chat. Que vont-ils devenir sans moi ? Que vais-je devenir ? La voiture s'arrête enfin, le silence est assourdissant. Je n'ai plus de notion du temps, mais je pense que depuis mon réveil, une bonne heure s'est écoulée. Nous devons être loin, très loin de Lyon.
Le coffre s'ouvre brusquement, l'air glacial de la nuit me frappe en plein visage. J'ai à peine le temps de comprendre ce qui se passe que je me retrouve allongée au sol, le choc me coupant le souffle. Le froid mord ma peau, me réveillant brutalement de ma torpeur. Je tente de me débattre de toutes mes forces, mais cet homme fait deux fois ma taille, je ne peux lutter...
— Écoute, mon frère et moi on ne te veut pas de mal, reste sage si tu ne veux pas d'ennuis.
Me dit l'un des deux hommes d'une voix rauque. Malheureusement, je n'ai pas le temps de voir quoi que ce soit, l'un des deux compères me met un bandeau sur les yeux, et il me hisse sur son épaule comme un vulgaire sac à patates. Je sens ses mains rugueuses contre ma peau, son souffle lourd dans mon oreille. Mes pensées se mélangent, tout est incohérent, la peur prenant le dessus sur toute logique éventuelle, car visiblement dans mon esprit je suis véritablement Bruce Lee... Tandis que les deux hommes marchent, j'entends des voix, de très nombreuses voix, des hommes, quelques femmes, mais très peu. L'endroit sent fortement le tabac, j'ai du mal à respirer. L'air est tellement pollué qu'il me brûle les narines.
Une porte s'ouvre, puis mes pieds sont dénoués, je sens mon corps projeté au sol violemment. La porte claque, puis un bruit de glissement se fait entendre.
— Reste bien sage, nous reviendrons. Amuse-toi bien, poupée.
J'entends de nouveau un glissement de porte, puis plus rien... Me voilà dans le plus lourd des silences. Je me défais de mon bandeau, mais cela ne sert à rien. Dans la pièce, il n'y a qu'une minuscule faille dans la pierre qui laisse passer un fin rayon de lumière, bien trop peu pour éclairer la pièce.
Je me mets dos à la faille, recroquevillée sur le sol, mes pensées s'entrechoquant dans un tourbillon de peur et d'angoisse. Les bruits de la rue se fondent dans le silence de la pièce, chaque son me paraissant amplifié. Le temps semble suspendu, chaque seconde est une éternité. J'attends, mon cœur battant la chamade, priant en silence que quelqu'un vienne me secourir. Pitié, venez m'aider...
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