TAIRA
"CANDIDE, à ton tour." exigea le professeur de français avec un regard dédaigneux.
CANDIDE se mit debout et se posta sur l'estrade, face à ses camarades. elle n'avait pas de papier entre ses mains.
"où est ton devoir?"
CANDIDE fixa le professeur, le visage orné de son sourire si connu, ce sourire qui voulait dire qu'elle aurait, d'une façon ou d'une autre, le monde à ses pieds—même si ce n'était que pour un quart d'heure.
"j'ai fait mon devoir." se justifia-t-elle "mais mon poème a dépassé la limite de vers. j'ai écrit plus de douze vers."
l'instituteur gonfla ses joues puis expira. ces adolescents qui voulaient faire les intéressants, il devait les supporter chaque jour. mais il recevait toujours son salaire à la fin du mois, alors ça en valait le coup.
"tu liras les douze premiers vers."
"pourquoi pas tout le poème?"
"pour laisser du temps à tes camarades."
CANDIDE le contempla durant quelques instants, sans bouger, sans respirer, sans ciller, avant d'être submergée par la frustration. elle extirpa son poème de sa poche et le déchira en mille petits morceaux avant de piétiner ces milles petits morceaux avec ardeur sous le regard éberlué de ses camarades.
"ne vous rendrez-vous jamais compte que ces gosses n'ont même pas envie de lire leurs poèmes?" s'écria-t-elle, à bout de souffle.
"qu'ils le veuillent ou non, c'est un devoir; et je suis le maitre de ma classe."
"oui, et j'ai fait ce foutu devoir, j'ai même fait du travail supplémentaire! alors pourquoi ne pas me donner le droit à la parole? et surtout, pourquoi ne pas me donner la foutue moyenne?"
"pourquoi te donnerais-je la moyenne quand ces devoirs sont les seuls que tu effectues?"
CANDIDE pivota vers le bureau désert et s'y mit debout, se rappelant john keating. elle devait toujours voir les choses avec de la perspective.
elle toisa le prof et ses camarades et se rendit compte de combien ils étaient petits; ils étaient minuscules, insignifiants, elle pouvait leur sauter dessus et les écraser. mais elle n'allait pas le faire. ce n'était pas la façon dont elle jouait. CANDIDE aimait imposer sa vision, mais n'aimait pas s'imposer sur vous. elle ne voulait pas vous obliger à ressentir quoi que ce soit. elle préférerait largement vous inciter à vouloir ressentir ces choses. ça lui donnait plus de contrôle, plus d'influence.
"vous savez quoi? je veux pas lire mon poème. en fait, je voulais même pas écrire ce poème. qui êtes-vous pour nous dire comment nous sommes censés écrire? j'aime la prose, alors je vais écrire et réciter de la prose, c'est aussi facile que ça. j'aime pas la poésie, voilà, c'est dit, maintenant arrêtez de nous dire ce qui est bien et ce qui est mal. arrêtez de citer SHAKESPEARE et ROUSSEAU. bien évidemment, ils sont la base de la littérature, mais si vous continuez à nous ignorer sous prétexte que nous ne serons jamais à leur hauteur, vous allez finir par laisser filer les meilleurs écrivains de notre siècle entre vos doigts parce que vous aurez été trop occupés à idolâtrer des gens morts."
"CANDIDE, ton temps s'est écoulé." déclara stupidement le professeur; pour simplement cacher le fait que les mots de la jeune fille l'avaient bougé. non, ils ne l'avaient pas simplement bougé, ils l'avaient remué, retourné, poussé dans un putain de gouffre. mais bien évidemment, ce n'était pas réel. cette fille était complètement fêlée. et de plus, on ne pouvait pas prendre au sérieux une fille à la culotte rouge carmin exposée à toute la classe considérant le fait qu'elle était en jupe et debout sur une table. mais elle ne pouvait pas s'en ficher moins.
"j'arrêterai de parler lorsque j'aurai fini. voilà le droit à l'expression. et voilà mon devoir, en direct devant vous: voilà comment mon droit est bafoué, empiété." décréta CANDIDE "arrêtez de dire aux gens comment écrire, comment dessiner, comment peindre ou chanter. si tout le monde apprend la même technique et crée son art de la même façon, alors, quelle sera son utilité? pourquoi est-ce que je voudrais lire un poème dont j'ai déjà lu une centaine d'alternatives? bordel, arrêtez de nous poser des limites arrêtez de nous dire que les textes sont trop longs ou trop courts. si je veux m'exprimer, je m'exprimerai. pas besoin d'en avoir le droit ou pas. et le moment où les gens se rendront compte de l'impact qu'ils peuvent créer, simplement avec les mots ou l'art, ils voudront tous faire comme moi. et voilà comment le droit à l'expression sera un jour plus important que le droit au bonheur, à l'éducation, ou même à la vie. et monsieur, je vous en prie, rappelez-vous de moi lorsque la révolution viendra."
CANDIDE bondit du bureau pour atterrir par terre, perdant maladroitement son équilibre. le prof la scrutait, muet, les sourcils profondément froncés.
CANDIDE rejoignit sa place et plusieurs secondes de silence mortel passèrent avant que la classe ne se mette à applaudir. à peine quelques mains, au début, mais bien rapidement, le son engloutit la pièce toute entière qui empestait dorénavant la révolte. CANDIDE sourit, éclata de rire, et se mit debout sur sa table pour faire sa révérence, des étoiles plein les yeux, des poèmes plein la tête, et des retenues plein l'horaire.
CANDIDE allait changer des vies, le monde, l'univers, dans le futur. et elle le savait (du moins, elle en était presque sûre).
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