- Jamais à l'heure celle-là !

Le moteur de la moto se coupa.

En descendant, Célia tira la langue au jeune homme brun et blond qui s'approchait d'elles.

- Je ne suis jamais en retard. Je décide simplement de l'heure à laquelle j'arrive.

- Redescends un peu, ton statut auprès de Mikey ne change pas ta place dans cette brigade.

Elle l'ignora et le contourna, allant rejoindre d'un pas souple une jeune fille brune à l'ombre d'un arbre. Celle-ci, plongée dans sa lecture, leva à peine les yeux à son arrivée, mais lui offrit tout de même un sourire.

Gabrielle ne bougea pas de la moto, observant autour d'elle, curieuse de découvrir ce nouvel environnement. Cela faisait maintenant cinq jours que Célia la baladait quotidiennement à travers la ville, et aujourd'hui, elle avait décidé de lui présenter ses amis.

La rentrée allait avoir lieu dans deux jours, et cette perspective excitait énormément Gabrielle, mais l'idée de rencontrer des gens de son âge également. Jusqu'à présent, elle n'avait vraiment discuté qu'avec des adultes, hormis Célia.

- Alors, c'est toi la justification de ses retards, ces derniers jours ?

Arrachée de sa contemplation, elle posa son regard sur le jeune homme brun et blond. Soudainement intimidée de faire face à des inconnus, elle hocha la tête, mais garda la bouche fermée.

- N'aie pas peur, il feule fort, mais ne griffe pas ! rit Célia un peu plus loin.

- Je ne suis pas un chat ! s'insurgea le jeune homme.

Surprise, la petite brune quitta son livre des yeux pour le regarder.

- Depuis quand tu sais ce que ça veut dire ?

- Depuis quand tu sais parler ? répondit-il du tact au tact.

Faisant mine de se vexer, la jeune fille se replongea dans sa lecture.

Après un regard moqueur, l'adolescent se tourna de nouveau vers Gabrielle et lui tendit la main.

- Je me suis pas présenté, Kazutora Hanemiya, capitaine de la cinquième brigade du Toman.

- Où est Mikey ? s'exclama soudaine Célia en relevant la tête.

- Me coupe pas ! s'écria Kazutora en se retournant vivement vers elle.

Tandis qu'ils commençaient à se disputer, l'autre fille secoua la tête et leva les yeux au ciel. Elle glissa son livre dans son sac et se releva. Contournant avec soin son chef de brigade, elle arriva de quelques pas sautillant au niveau de Gabrielle et lui tendit la main.

- Nokoa Sawada.

Un instant perplexe face à ce manque de mots, Gabrielle la scruta. La jeune fille la regardait dans les yeux, de ses jolies iris noisette. Ce n'était donc pas par timidité qu'elle parlait peu, mais peut-être seulement dans sa nature.

Après un instant de silence, la rousse finit par accepter sa main.

- Gabrielle, mais appelle moi Gaby.

Nokoa lui offrit un sourire et hocha la tête. Elle se tourna de nouveau vers Célia et Kazutora, qui continuaient de se disputer à propos d'un certain Mikey et des retards de la jeune fille. Nokoa soupira lourdement et croisa ses bras sur sa poitrine.

- Et la montre que t'a offert Mikey ! Elle te sert à quoi ?

Célia jeta un rapide regard au bijou argenté et bleu nuit à son poignet, et haussa les épaules.

- Elle est jolie !

- C'est un sujet fréquent ici, tu verras...

Surprise d'entendre de nouveau la voix chantante de Nokoa, Gaby leva les yeux dans sa direction et écouta attentivement. Elle voulait mémoriser le plus d'informations possibles sur ceux qui sauraient sans doute ses nouveaux amis.

- Kazutora ne supporte pas les retards incessants de Célia et son manque de respect face à son autorité. Et vu que Mikey lui pardonne tout, ça l'agace encore plus...

Nokoa rit légèrement.

- Qui est Mikey ? demanda Gaby. Célia m'en a vaguement parlé, mais je l'ai jamais rencontré.

Pour seule réponse, la brune fit un signe du menton en direction des marches du sanctuaire.

Gabrielle tourna la tête pour voir un blond en descendre, suivit d'un autre blond, plus grand et coiffé d'une tresse.

- Le chef du Toman.

Soudain, les cris de la dispute cessèrent. Célia releva la tête et son regard s'illumina. Elle se désintéressa de Kazutora pour se diriger en sautillant vers le chef.

- J'ai pas fini, Tsuki !

Elle l'ignora, et arrivée à hauteur du blond, prit une moue boudeuse.

- Mikeyyyy... Kazutora, il m'embête... Encore.

Amusé, il secoua la tête et passa un bras autour de sa taille.

- Arrête de faire ta gamine et arrive à l'heure.

Il déposa un baiser sur son front et la lâcha, glissant de nouveau ses mains dans ses poches.

Outrée, Célia recula et s'éloigna en boudant réellement, cette fois-ci.

Mikey rit devant sa réaction enfantine, et se dirigea vers la moto de sa petite amie, où était toujours assise Gabrielle.

- Alors, c'est toi la nouvelle excuse pour ses retards ?

Surprise, elle cligna des yeux avant d'éclater de rire.

- Apparemment !

***

L'après-midi passa rapidement. Gabrielle fit la connaissance de quelques membres du Toman, et les apprécia tous très vite. De ce qu'elle avait compris, Mikey était le leader du gang, secondé par Draken, le grand blond avec une tresse. Ensuite, le gang était constitué de cinq brigades, elle avait rencontré les capitaines de trois d'entre elles. Kazutora, pour la cinquième, Mitsuya, pour la deuxième, et Baji pour la première.

Célia et Nokoa faisaient toutes deux parties de la cinquième brigade. Gabrielle était surprise d'apprendre que des filles faisaient partie d'un gang de bōsōzoku, mais en voyant le caractère bien trempé de Célia, cela ne l'étonnait finalement pas tant. Nokoa avait l'air beaucoup plus douce, mais parfait, le calme pouvait cacher une véritable tempête.

Assise à l'ombre d'un arbre en compagnie des deux jeunes filles, Gabrielle observait les garçons jouer non loin avec un ballon de foot. Il était difficile de croire qu'ils avaient réellement dix-sept ans, ils ressemblaient vraiment à des gamins. Surtout quand l'un d'eux frimait avec le ballon, et que cela finissait en dispute ou en concours.

Elle sourit légèrement en les observant débuter un concours pour savoir qui garderait le plus longtemps le ballon sur sa tête. Tant d'insouciance lui faisait du bien. Elle vivait dans un monde d'adulte, devant toujours paraître parfaite, elle ne pouvait pas se permettre d'avoir un comportement enfantin. En France, elle n'avait jamais vraiment eu d'amis. Après la mort de son frère, elle s'était refermée sur elle-même, elle n'allait plus à l'école, suivant des cours particuliers directement chez elle.

Mais aujourd'hui, elle voulait que cela change ! Ce déménagement signifiait qu'elle pouvait commencer une nouvelle vie, elle voulait en profiter.

- Pourquoi tu souris comme ça ?

Elle leva les yeux vers Célia et haussa les épaules.

- Je sais pas... Je suis bien là, alors ça me fait sourire.

À son tour, la jeune fille sourit légèrement.

- Baji, t'as perdu ! s'écria soudainement Mikey. Tu vas nous acheter à boire !

- C'est quoi ce gage pourri !

L'ignorant, le chef du Toman rejoignit les filles sous l'arbre.

- Et oublie pas les filles ! s'écria Mitsuya en se laissant tomber près de Nokoa.

Cette dernière ne releva même pas les yeux de son livre, habituée au bruit ambiant.

Mikey s'assit à côté de Célia, et sans plus de cérémonie, il s'allongea et posa sa tête sur les genoux de la jeune fille en fermant les yeux. Semblant à peine s'en rendre compte, elle commença à jouer machinalement avec ses mèches blondes.

Draken leur jeta un regard avant de s'asseoir à côté de son chef, et Kazutora s'assit entre Gabrielle et Nokoa.

- Il fait chaud, non ? soupira Mikey.

- C'est parce que vous faites les crétins depuis deux heures que tu as chaud... remarqua Célia.

Le blond fronça les sourcils et ouvrit un œil, alors que ses amis éclataient de rire.

Cependant, il n'eut pas le temps de répondre que Baji revint, les bras chargés de canettes de soda. Il les distribua rapidement à ses amis et se laissa tomber près de Gabrielle, en lui tendant une canette de jus d'aloe vera.

Étonnée, elle se saisit de l'objet et lui jeta un regard curieux. Depuis son arrivée au Japon, le jus d'aloe vera était devenu sa boisson préférée, elle n'avait cessé d'en boire.

- Comment t'as su que j'aimais ça ?

Baji la regarda, surprit. Ses yeux glissèrent vers la canette entre ses mains. Il se rendit compte seulement à cet instant qu'il n'avait pas réfléchi. Il avait tapé machinalement le numéro au distributeur, sans même y penser. Comme si ce geste était une vielle habitude.

Il sourit grandement, dévoilant ses canines pointues, et haussa les épaules.

- L'instinct ?

Gabrielle demeura un instant perplexe, avant de finalement ouvrir la canette et la porta à ses lèvres. Elle savoura le goût doux et sucré sur sa langue et sourit légèrement. Elle ne s'en lasserait jamais.

En tournant les yeux, elle se rendit compte que Baji la scrutait avec attention, et sans grande discrétion. Soudain gênée de son regard, elle rougit et tourna la tête.

- Pourquoi tu me regardes ?

Semblant se rendre compte qu'il ne l'avait pas quitté des yeux, le jeune homme rougit légèrement à son tour et se détourna.

- Je te regardais pas.

Des pouffements leur firent lever les yeux. Derrière son livre, Nokoa les observait en retenant avec peine son rire.

- Quoi ? questionna vivement Baji.

- Rien... sourit-elle. Je me disais seulement que vous étiez mignons... Vous iriez bien ensemble.

Le jeune homme demeura bouche bée, alors que Gaby manqua de s'étouffer avec la gorgée qu'elle venait de prendre.

Ils n'eurent pas le temps de répondre, Célia se leva soudainement, faisant tomber la tête de Mikey au sol. Celui-ci se redressa en grommelant et jeta un regard qui n'annonçait rien de bon à la jeune fille.

- Je vais être en retard ! Ma mère va me tuer !

- Comme d'hab', se moqua Kazutora.

Elle lui jeta un regard noir, et déposa un rapide baiser sur les lèvres de Mikey, avant qu'il n'ait pu protester du mauvais traitement qu'elle venait de lui infliger.

- Viens Gaby, je vais... !

- T'inquiète pas pour elle, coupa Nokoa dernière son livre, un sourire malicieux aux lèvres. Baji la ramènera.

- C'est vrai ? Parfait ! Merci ! À demain !

Avant que quiconque n'ait pu réagir, elle courut vers sa moto. Un instant plus tard, le moteur résonna et le véhicule disparut dans les rues.

Tandis que Baji la foudroyait du regard, et que Gaby la fixait, les yeux écarquillés, Nokoa se releva souplement, rangea le livre dans son sac et s'étira.

- Je rentre. À demain.

Elle adressa un léger signe de la main et s'éloigna, pendant que Baji sortait enfin de sa torpeur.

- Sawada ! Reviens ici immédiatement !

Il ne reçut pour seule réponse que le rire de l'adolescente un peu plus loin, alors qu'un moteur résonna.

Soudain, il remarqua que tous ses amis riaient autour de lui, à l'exception de Gaby, qui fixait le sol en silence.

- Je peux rentrer à pied...

Il soupira en se levant, et sourit légèrement devant la mine gênée de l'adolescente, avant de lui tendre la main.

- Non, c'est sur mon chemin de toute façon.

***

Les bras enroulés autour de la taille de Baji, les cheveux frôlant ses joues, Gaby profitait de cette odeur agréable et familière qui chatouillait ses narines. Le vent frais caressait son visage, lui provoquant un frisson. Même si le printemps pointait le bout de son nez, il ne faisait pas chaud, surtout sur une moto.

Elle blottit sa tête contre l'épaule du jeune homme et le sentit se tendre. Surprise, elle recula légèrement, avant que la main de Baji se referme sur son bras, l'incitant à ne pas bouger.

Elle se blottit de nouveau contre lui, et cette fois-ci, elle ne le sentit pas se tendre, il lui sembla même qu'il se détendit à son contact.

- Tu as froid ? questionna-t-il soudain en élevant la voix. Tu veux que je ralentisse ?

Toujours blotti contre lui, elle secoua la tête, alors que cette odeur familière enivrait un peu plus son esprit, sans qu'elle n'en connaisse l'origine.

L'adolescent sourit et fit ronronner le moteur avant d'accélérer soudainement, faisait éclater de rire la jeune fille dans son dos. Son sourire s'accentua.

Quelques minutes plus tard, la moto s'arrêta devant l'entrée de la propriété. En coupant le moteur, Baji fronça les sourcils tandis qu'un détail lui sautait aux yeux. Il n'avait pas demandé son adresse à Gabrielle... Et pourtant, il avait pris le chemin sans réfléchir, comme s'il le connaissait déjà par cœur.

Gardant cette réflexion pour lui, il descendit de la moto et l'aida à faire de même. Après tout, l'ambassade de France était un endroit connu dans Tokyo, au fond de sa mémoire, il devait déjà connaître l'adresse sans même le savoir.

- Merci de m'avoir ramenée.

Il sourit à la jeune fille, elle ne semblait pas s'être rendu compte de ce détail.

- Pas de problème. J'espère qu'on se reverra.

Elle hocha la tête et l'observa remonter sur le véhicule et s'éloigner.

Une question trottait dans son esprit... Comment connaissait-il son adresse ? Et même s'il connaissait l'adresse de l'ambassade, comment pouvait-il savoir qu'elle habitait là ?

Elle fronça les sourcils en tournant les talons. Célia leur en avait sans doute parlé.