Chapitre 16
8 avril – 13:21
Lorsqu'il referma la porte, Jeongin courut presque en direction de la passerelle à la recherche d'air frais et sain.
Il venait juste de déposer le repas de son grand-père, accessoirement le grand prêtre du temple et le chef de la famille Yang. Il était très vieux à présent, mais ce n'était pas ça le problème.
Non, le problème était que la chambre du chef Yang avait une odeur nauséabonde, comme si un cadavre y était resté enfermé depuis des semaines. Même les femmes de ménages personnelles du chef n'osaient plus rentrer dedans, n'y restant à peine que dix minutes à chaque passage, c'est-à-dire une fois toutes les deux semaines. En soi, elles étaient habituées, contrairement à Jeongin.
Ça faisait un bail qu'il n'était pas rentré dans la chambre de son grand-père, mais il ne se souvenait pas que l'odeur y était aussi pestilentielle. Il était même certain qu'il avait la meilleure hygiène de vie de tout le temple et qu'il était quelqu'un de très maniaque vis-à-vis du ménage.
Mais lorsqu'il était rentré dans sa chambre pour la première fois depuis son retour, il avait comme l'impression que la pièce était sans vie, que personne ne vivait dedans. Pourtant, son grand-père était toujours là pour l'accueillir, lui lançant un regard sévère suivi d'un long discours sur la moralité et les règles de l'exorcisme ; sur ce point, il n'avait pas trop changé. Peut-être que prendre de l'âge rendait les gens plus négligents sur leur hygiène, se dit-il.
Une fois accoudé à la barrière, l'adolescent inspira profondément afin que tout l'air marin rentre et envahisse ses poumons, et que toute trace de l'odeur infecte de la sphère privée de son grand-père disparaisse – avec la pensée qu'il devra recommencer ce rituel le lendemain, tout comme il avait débuté son rituel la veille au soir, bien évidemment. Son oncle était bien trop cruel pour l'écouter se plaindre et décider de raccourcir sa punition.
Il se mit à observer la vue qui s'offrait à lui, maintenant sa tête dans sa paume.
Le temple se situait à mi-hauteur d'une montagne, mais c'était largement suffisant pour pouvoir voir la mer à moins de dix kilomètres. Et depuis les quartiers de son grand-père, le point le plus haut du temple, il pouvait voir tout le mini village qui s'était étendu au fil des siècles. Quelques fidèles taillaient les buissons pour en créer des formes ovales sans défaut. Un petit groupe de moines se dirigeaient vers les quartiers d'une de ses grandes tantes, discutant gaiement de tout et de rien. Les quelques enfants de ses cousins courraient joyeusement entre les haies, esquivant on ne savait comment les arbres, plantes, étangs et adultes barrant leur chemin, ce qui leur valut quelques remontrances de ces derniers.
Ah comme ça remontait, le temps où il n'était qu'un gamin insouciant apprenant encore tout de la vie ! Il se revoyait se chamailler avec son frère et ses cousins avant de tomber dans l'étang en éclatant de rire. Il ressentait encore les sensations de la mythique bataille de boules de neige improvisée entre chaque famille où même les adultes avaient participé, ce jour-là même où Mingyu et lui avaient décidé de faire une alliance pour se liguer contre tout le monde, attisant la colère de tous à cause de leurs pouvoirs soi-disant trop cheatés.
Un souvenir pour le moins amusant lui remonta en tête, le surprenant par la même occasion. C'était deux ans avant qu'il ne quitte Busan, il avait croisé un jeune couple pour le moins atypique à ses yeux d'enfants : ils avaient tous les deux les cheveux teints en rose corail. Cette couleur l'avait tellement attiré qu'il avait supplié ses parents de lui faire la même teinture mais avait obtenu un non catégorique, sans se douter qu'ils lui avaient soufflé que c'était un truc de fille, et que ce n'était pas normal à leurs yeux en tout cas... Il était encore trop jeune et naïf pour le comprendre, mais ses parents ne semblaient déjà pas très ouverts sur la question d'appartenance de genre, et ça n'avait pas changé entre temps. Et puis de toute façon, il se l'était fait lui-même, sa coloration rose corail !
Jeongin fut saisi d'une profonde nostalgie. Revoir son oncle, revenir à Busan... tout ça lui rappelait bien trop son enfance, son passé. Il soupira et se mit à marcher lentement, se dirigeant vers les quartiers de Mingyu, les mains dans les poches.
En entrant dans le dojo, il fut témoin d'une drôle de scène : Minho était assis en tailleur au milieu du tatami, bras croisés, et les six autres jeunes hommes l'entouraient en lui lançant des encouragements, à tel point qu'ils ne remarquèrent même pas que le plus jeune d'entre eux avait fait son entrée. Un regard aux alentours lui fit comprendre que Mingyu devait être soit dans son bureau, soit dehors, mais il en doutait fortement vu ce que tentait de faire son groupe d'amis ; il n'allait quand même pas prendre le risque de laisser son dojo sans surveillance.
Depuis la découverte du pouvoir de Minho, ils sembleraient d'ailleurs que tous les membres du groupe étaient parés à l'aider et le soutenir dans son apprentissage. Le seul problème, c'est que depuis la veille, le grisé n'arrivait plus à manifester son pouvoir à nouveau, et pour Jeongin, c'était très certainement le signe d'un nouveau blocage en lui. Mais bon, il était confiant, il savait que Minho surmontait toujours les obstacles se dressant sur son chemin.
Il bifurqua pour aller dans sa chambre et posa son postérieur sur son lit en réfléchissant. Quelque chose se tramait dans le temple, il le sentait depuis son arrivée. Maintenant, même s'il posait la question à son oncle, pas sûr qu'il serait au courant. Mais il devait bien y avoir un endroit où cacher tout ça...
Et son esprit s'illumina d'un coup. Un souvenir en particulier lui revint en mémoire : dix ans auparavant, lui et son frère s'étaient retrouvés par pur hasard dans un endroit sombre dont l'accès se trouvait au grenier du dojo.
Jeongin se leva immédiatement et prit son téléphone, et ressortit de la pièce pour en rentrer dans une autre : le bureau de Mingyu. Il savait que ce dernier ne se trouvait certainement pas dans ses quartiers.
Pas la peine de forcer sur le verrou, il se contenta de déverrouiller la porte à distance ; être un télékinésiste était vraiment pratique dans ce genre de cas. Il poussa la porte lentement, rentra, et la referma aussi lentement.
Il savait que son oncle avait toujours un double des clés dans son bureau si jamais il perdait les siennes. Il ouvrit plusieurs tiroirs jusqu'à trouver le bon, analysa qu'il y avait bien les clés qu'il cherchait, puis remit tout en place, subtilisant au passage un briquet pour pouvoir s'éclairer.
Il repartit comme un voleur, ou pas totalement puisqu'il prit quand même le temps de verrouiller le bureau une fois sorti. Longeant les murs, il esquiva chacun de ses amis pour rentrer dans une pièce où il n'avait que très rarement mis les pieds : le débarras.
Mingyu l'appelait ainsi parce qu'il y entreposait littéralement tout et n'importe quoi, même si tout était si bien rangé qu'on aurait dit une boutique d'antiquités.
Jeongin analysa la pièce, et déplaça sans mal la grande étagère qui bloquait une porte bien dissimulée dans le mur. Il sortit le trousseau de clés qu'il avait subtilisé et la déverrouilla, sentant son cœur battre à tout rompre. Théoriquement, on ne lui avait jamais dit qu'il n'avait pas le droit de venir ici, donc ce qu'il faisait n'était pas interdit.
Et c'est avec cette pensée qu'il ouvrit la porte, la faisant grincer assez fortement. Mais après tout, il était seul dans la pièce. Il la traversa et la referma à double tour, espérant que Mingyu n'ait pas la brillante idée de passer dans le coin dans un futur très proche.
Il se trouvait dans une grotte, juste devant de nombreuses marches en pierre de tailles inégales. Il descendit les escaliers en restant sur ses gardes, on ne sait jamais.
Une fois tout en bas, il mit un peu de temps à habituer ses yeux à la pénombre, puis observa les alentours. Les murs étaient tantôt lisses, tantôt rugueux, mais toujours humides et froids. Des souvenirs lui revinrent en mémoire : lui et Jeonhok, son petit frère, s'étaient retrouvés dans ce même endroit par pur hasard dix ans auparavant. Et ils étaient remontés bien vite, la peur dépassant leur curiosité d'enfant.
Mais contrairement à ce moment-là, Jeongin ressentait en cet instant l'ambiance morne qui trainait dans l'air presque étouffante. Il était même presque certain que ce n'était pas le cas la première fois qu'il était venu ici.
Il sortit son briquet de la poche et l'alluma. La petite flamme était là plus pour le rassurer que pour l'éclairer. Et il se mit à avancer à tâtons, laissant sa main libre glisser sur le mur pour avoir un semblant de repère.
Plus il s'enfonçait dans la grotte, plus les parois rocheuses s'élargissaient doucement. Seuls les échos de ses pas incertains, et l'eau qui goutte dans une flaque se faisaient entendre, rendant l'atmosphère encore plus lourde qu'elle ne l'était déjà. En plus, la cavité était plus que sombre, même ses yeux habitués à la pénombre avaient du mal à voir les éléments à plus d'un mètre de lui.
Quelque chose ne tournait pas rond, il le sentait. Son instinct aussi le sentait, puisqu'il ne pouvait s'empêcher de sentir ses poils se hérisser et son pouls accélérer au fur et à mesure de ses pas. Chaque pas qu'il faisait semblait plus compliqué que le précédent, et il ne voulait pas se l'avouer au fond de lui-même à quel point il avait la trouille. Mais c'était plus fort que lui, il devait savoir.
Car plus il avançait, plus sa tête devenait lourde, et plus il avait froid. Pour lui, ce n'était clairement pas une coïncidence : la température diminuait clairement au fur et à mesure qu'il s'approchait de la fin, alors que le chemin semblait long et interminable.
Mais bien sûr, il a fallu qu'il arrive au bout du tunnel, un moment ou un autre. Et ce fut le cas au bout de dix minutes de marche.
Il s'arrêta en refermant le briquet, observant les alentours d'un œil admiratif en premier lieu. Devant lui se trouvait une grande cave creusée naturellement par l'érosion. Et autour de lui, d'autres chemins menaient à cette même cave, tout comme le chemin dont il provenait. Mais ce n'était pas ce qui le choqua.
La cave en question était éclairée par de longs chandeliers sur pied en cuivre, d'où y était plantée une large bougie sur chaque branche. Ces fameux chandeliers étaient disposés d'une certaine manière : à la façon d'un rituel, mais clairement pas un rituel exorciste, loin de là. Le sol était lisse et brillant, une fine couche d'un liquide sombre séché venait le colorer par endroit. Mais le pire, ce fut la statue qui trônait fièrement derrière les rangées de chandeliers. Ce n'était pas comme les nombreuses statues qu'il pouvait voir partout dans le temple. Celle-ci représentait un semblant d'humain, mais avec des ailes de dragon, une peau de serpent et une tête de gargouille.
Un démon.
La statue avait très clairement des allures démoniaques, et d'en elle émanait une lueur sombre et une aura maléfique. Même une personne normale pouvait le sentir.
Jeongin ne pouvait détourner les yeux de cette horreur, car il venait de réaliser une chose : il se trouvait en ce moment même sur un lieu de culte démoniaque, pile en dessous du temple Yang, juste en dessous des quartiers de son grand-père, et il y avait visiblement des fidèles adorateurs de ce démon en question parmi les habitants du temple. Et ça pouvait très bien être une de ses tantes, un de ses neveux éloignés, ou pire, son frère ou son oncle adoré.
Soudain, une main vint se plaquer contre sa bouche pour empêcher tout son de sortir, tandis qu'un bras vint emprisonner son torse et ses propres bras, le faisant reculer sans aucun effort. Il mit sans doute quelques secondes à réagir puis sursauta brusquement, avant de s'arracher de force à sa contemplation de la statue et de se débattre en vain. La personne qui le maintenait fermement contre lui avait vraiment une force inouïe. Il se sentait tiré vers le côté sans qu'il ne puisse rien y faire, chaque son étant bloqué par la paume fermement maintenue contre ses lèvres.
Une peur sourde s'introduisit doucement dans ses veines, forçant son cerveau à imaginer les pires scénarios possible, et il se débattit alors avec plus de vigueur. Il était même presque certain que ses yeux commençaient à s'humidifier, mais il n'en avait que faire, il devait se sortir de–
« Calme-toi, Jeongin, c'est Minho !
Ce murmure suffit à le stopper net, trop sous le choc. Lorsque la prise qu'on avait sur lui fut relâché progressivement, Jeongin se dégagea et fit volteface pour confirmer les dires de l'autre. Minho, Chan et Hyunjin se tenaient là, et ils ne semblaient visiblement pas très ravis.
— Je peux savoir pourquoi tu es venu ici tout seul ? Demanda l'aîné du quatuor sur un ton plein de reproches.
— Je peux savoir pourquoi vous m'avez suivi ? Répliqua le rose en levant progressivement la voix. Je suis chez moi jusqu'à preuve du contraire, donc– !! »
Minho plaqua à nouveau sa main contre la bouche de ce dernier, portant son index à ses propres lèvres pour lui dire de se taire, et pointa derrière le rose. Jeongin, lui, ne comprit rien à ce qu'il se passait, mais en croisant le regard de Hyunjin et Chan, il décida de se retourner.
Ils se trouvaient à présent cachés derrière un muret, non loin du rituel satanique. Et forcément, ce qu'il vit le scotcha littéralement sur place, bien plus que tout ce qu'il avait pu voir jusqu'à présent.
Une de ses tantes, cousine de son père et de son oncle, sortait d'un des nombreux chemins débouchant sur la cave, mais pas seule : elle tenait un bébé dans ses bras, son enfant très certainement. Même un idiot aurait compris qu'elle n'était pas venue là par hasard, et encore moins pour venir bénir son bébé devant un quelconque dieu.
Jeongin faillit sauter par-dessus le muret pour l'arrêter, mais Minho posa immédiatement ses deux mains sur ses épaules pour l'en dissuader, et vint souffler à son oreille :
« Ton don divin, là, essaie de le contenir. On ne doit pas nous repérer, et je suis presque certain que ton don est visible à des kilomètres par tous les trucs démoniaques du coin.
Facile à dire ! On lui avait appris à décupler son pouvoir, pas à le réduire ni à le cacher.
... Mais bon, vu tout ce qu'il avait vécu, pourquoi ne pas tenter ?
Le rose réfléchit à comment faire, puis se souvint de son talisman caché sous son haut. Il le saisit et le maintint fermement dans ses mains en fermant les yeux, se concentrant pour enfermer son don dedans. C'était étrange, comme si de l'électricité traversait tout son corps pour aller se loger dans le talisman.
Hyunjin en profita pour s'accroupir à sa gauche, observant d'un œil mauvais la scène qui se jouait de l'autre côté du muret tout en griffonnant dans un cahier noir avec un stylo.
— S'il se passe quoi que ce soit, on rembobine illico, déclara-t-il sans appel en donnant le cahier au plus jeune une fois sa tâche finie.
— Avec plaisir, s'exclama Chan en se posant à la droite de Jeongin.
— Si ça arrive, tenez-moi au courant ensuite, même si je ne m'en souviendrai pas », exigea le grisé.
Un bruit sourd se fit soudain entendre, et l'air devint aussi glacial que les jours froids d'hiver. Jeongin sentait sa tête tourner davantage. Il se concentra de toutes ses forces, ignorant même ce qu'il se passait de l'autre côté du muret.
Jamais il ne s'était senti ainsi, même en assistant aux séances d'exorcisme de Mingyu. Il tremblait de plus en plus, il suffoquait, ses oreilles ne cessaient de bourdonner...
« Rembobinez, parvint-il à articuler. Maintenant... »
Il sentit un regard carnassier sur lui, augmentant encore plus son stress. La boule dans son ventre devint un poids alourdissant son corps, sa langue était si pâteuse qu'il avait du mal à avaler sa salive. Il tituba, la sueur coulant sur son front, et Minho le retint de justesse en essayant de le rassurer comme il le pouvait. Il sentit les mains de Hyunjin et Chan se resserrer sur ses épaules, et du mouvement de leur part, sans doute pour avoir un contact physique entre eux.
Et la seconde suivante, ce fut comme si tout s'était arrêté.
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