Vingtième virage.

Les doigts de Virus finirent par entrer en contact avec la surface vitrée de la seringue. Un soulagement énorme l'envahit aussitôt. Son salut se trouvait dans ce liquide. Si Greg tentait quoique ce soit, il avait la certitude de pouvoir y faire face.

Et d'ailleurs, l'homme était toujours en train d'avancer dans sa direction.

— N'approche pas davantage, prévint Virus en serrant la seringue dans sa main.

— Et qu'est-ce que tu vas faire pour m'en empêcher ? Plus vite tu disparaîtras, mieux ce sera. Tu vas tout faire capoter.

Virus fronça les sourcils.

— Qu'est-ce que tu racontes ?

— Ta présence fout le bordel dans l'inner world. Jusqu'à maintenant, j'arrivais à maintenir la barrière amnésique entre les autres alters et moi, mais elle commence à se fissurer.

Voilà qui expliquait qu'il n'y avait aucune information sur Greg dans le journal de Knife, mais seulement des points d'interrogation. Les autres alters avaient conscience de sa présence, mais ils ne savaient rien de lui. Greg se tenait volontairement à distance des autres.

— Pourquoi tu n'essaies pas de dialoguer avec eux plutôt ? l'interrogea Virus en secouant la tête.

L'homme ricana avec un air sombre.

— Tu n'as aucune idée du danger que je représente.

Un danger pour lui-même... pour le corps, pour les alters... ou pour Virus ? Ce dernier eut l'impression qu'il parlait de toutes ces possibilités à la fois.

Sans crier gare, le biker aux cheveux rouges se jeta sur lui en posant ses mains autour de la gorge de Virus pour l'étrangler. Les doigts tremblants, alors que sa respiration devenait plus difficile et que sa vision commençait à se brouiller, Virus réagit aussitôt en plantant de toutes ses forces l'aiguille de la seringue dans le cou de Knife.

— Désolé..., murmura-t-il.

Il y eut une lueur de surprise dans le regard de l'homme, mais il était déjà trop tard. La seringue retomba au sol et les mains de Knife commencèrent à perdre en puissance.

Virus le rattrapa juste au moment où il allait perdre pied et s'effondrer au sol. Au fond de lui, il se sentait coupable. Greg n'avait pas entièrement tort... Même si Amaël avait initié chacun de leurs rapprochements, il l'avait laissé faire... y avait même participé... sans jamais oser en parler à Knife ensuite. Aurait-il dû briser le silence ? Son intention n'avait jamais été d'abuser de lui, mais peut-être que – même sans le vouloir – le résultat était le même...

De peine et de misère, il tira Knife jusqu'à son lit, le coucha du mieux qu'il put avant de rabattre les couvertures. Endormi, l'homme aux cheveux rouges était beaucoup moins effrayant. Les traits de son visage paraissaient plus doux.

Allait-il se souvenir de quelque chose au matin ?

Comme l'adrénaline de la situation commençait à redescendre, Virus se pris à nouveau de plein fouet la douleur qui irradiait son visage. Aussitôt, il se dirigea vers la salle de bain pour regarder son reflet dans le miroir.

Il grimaça en touchant sa peau du bout des doigts. Un bleu commençait à se former autour de son œil et sur sa joue, tandis que sa lèvre et son nez saignaient. En jurant entre ses dents, il attrapa des mouchoirs pour son nez avant de rincer son visage à l'eau froide à plusieurs reprises. Ses blessures picotaient désagréablement à chaque fois que l'eau entrait en contact avec elles.

Virus alla chercher la trousse de premier soin et appliqua une compresse sur sa joue en espérant que cela ferait dégonfler la blessure pendant la nuit.

Avec le sédatif qu'il lui avait injecté, Knife ne se réveillerait pas avant plusieurs heures, alors il pouvait être tranquille. Il prit cependant la peine d'éloigner un peu son matelas du lit de l'homme avant de s'y allonger.

Quand Danger lui avait assigné cette mission... se doutait-il de tout ce qui l'attendait ? Virus s'était préparé à ce que ce soit difficile, mais il ignorait que ce serait aussi dangereux.

Si seulement il n'était pas seul...

***

Virus préparait le petit-déjeuner en sifflotant les notes d'un opening d'anime populaire, l'air de rien, quand Knife s'extirpa des vapes du sommeil. C'est un grognement suivi d'un juron qui mit la puce à l'oreille de Virus.

— Putain de merde..., jura Knife en se prenant le crâne entre les mains, j'ai la tête qui tourne... on dirait un lendemain de cuite.

La main de Virus qui tenait la spatule dont il se servait pour retourner les œufs s'immobilisa durant quelques secondes au-dessus de la poêle. Que devait-il dire à Knife ? Devait-il encore se taire pour le préserver... ou tout lui raconter ?

Une part de lui voulait être honnête, tandis qu'une autre était terrorisée à l'idée de faire fronter Greg s'il parlait de lui.

— Tu as faim ? demanda-t-il plutôt sans se retourner. Mange, ça aidera pour ton mal de tête.

— Hum... j'ai un goût bizarre dans la bouche et la langue pâteuse... Je veux bien manger. Ensuite, j'irai me brosser les dents.

Virus prit une courte inspiration et se retourna pour amener le petit-déjeuner à Knife. Aussitôt, ce dernier se figea en le dévisageant. Ses yeux parcoururent avec choc la compresse sur la joue du jeune homme aux cheveux bleus, l'hématome violet autour de son œil, les traces de doigts rouges sur son cou et enfin les bleus sur ses genoux.

Les poings de Knife se crispèrent sur le matelas.

— Qui t'a fait ça ?

Sa voix était grave et sombre. Il ne plaisantait pas.

Virus se stoppa et secoua la tête.

— Ce n'est rien... je suis tombé, mentit-il.

Malheureusement, Knife ne goba pas son mensonge aussi facilement.

— Qui crois-tu berner avec une excuse pareille ?

— Heu...

— Tu es encore sorti hier soir ? Avec le docteur ? Quelqu'un d'autre ? Dis-moi qui t'a fait ça et je te promets que je ferai en sorte qu'il ne puisse plus jamais recommencer.

Le sérieux avec lequel il parlait impressionna tout de suite le biker aux cheveux bleus. Depuis quand Knife prenait-il autant sa défense ? Depuis quand était-il prêt à tuer des gens pour le protéger ?

Toi, c'est toi, aurait voulu répondre Virus à sa question sans en être capable. Il était acculé au pied du mur sans savoir quelle réponse donner. Il était évident que Knife n'avait aucun souvenir d'hier.

— Je...

Alors qu'il s'apprêtait à formuler un nouveau mensonge d'une voix peu assurée, il entendit plusieurs coups être frappés à la porte.

— Tu attends quelqu'un ? lui demanda Knife en fronçant les sourcils.

Il s'était établi dans cette minuscule cabine de chasse à l'orée de la ville pour ne pas être dérangé. Knife n'avait jamais vu autant de personnes différentes défiler chez-lui en si peu de temps depuis des années. Et il n'en était pas très fan...

— Non, répondit Virus en secouant la tête, Gideon ne doit pas revenir aujourd'hui... et Danger ne m'a pas dit qu'il passerait non plus...

Virus déposa le plateau de nourrir contenant le petit-déjeuner de Knife sur la table et alla ouvrir la porte avec un brin de nervosité. Qui pouvait bien venir aussi tôt ?

À peine eut-il entrouvert la porte qu'il tomba nez à nez avec...

— Wolf !