Vingt-huitième virage
Vingt-huitième virage.
Quand Virus ouvrit les yeux, son cœur rata un battement : il était seul dans le lit. Aussitôt, ses yeux paniqués parcoururent la pièce à la recherche de Knife. Mais il n'était nulle part en vue.
Virus pensa tout de suite au pire. Était-il somnambule ? Et s'il était sorti dehors et qu'il lui était arrivé quelque chose ?
Le cœur battant, Virus descendit du lit et courut vers la porte de la maison qu'il ouvrit à la volée...
... seulement pour trouver Knife paisiblement assis sur la première marche de l'entrée, le regard perdu dans le vague.
— Knife !
L'homme aux cheveux rouges tourna la tête vers lui d'abord avec surprise, puis avec un sourire arrogant.
— Du calme, microbe. Je vais bien. Je ne fais que prendre un peu d'air.
Il n'était plus sorti dehors depuis des jours.
— Je suis calme !
— Tu respires drôlement vite pour quelqu'un d'aussi zen.
Virus se rendit compte qu'il était, en effet, essoufflé. Il laissa le soulagement l'envahir, puis soupira.
— Qu'est-ce que tu fais ? demanda-t-il plutôt.
Le biker reporta son regard devant lui, sur la route et les arbres.
— Je réfléchis.
Virus s'avança et s'assit à côté de Knife.
— À quoi ?
— Je fumerais bien.
Et pas que du tabac.
— Tu fumes ? s'étonna Virus.
— Non, plus maintenant, mais dans des moments comme celui-là, je me dis que ça me ferait du bien. Il y a de ces fois où j'aimerais pouvoir dissocier sur commande.
— Tu ne peux pas ?
La question pouvait paraître naïve, mais Virus apprenait encore beaucoup sur le trouble dissociatif de l'identité, de même que sur la personnalité borderline.
— Ce serait trop simple. Parfois, je suis capable de faire front certains alters, car je connais leurs triggers. Et on arrive à discuter. Mais pas avec tous et pas tout le temps.
S'il pouvait contrôler les switchs ou... s'il pouvait contraindre tous les alters à se parler entre eux... tout serait beaucoup plus simple. Il pourrait faire un tri dans son inner world et défaire les barrières amnésiques qui lui pourrissaient la vie. Il y avait certains alters, comme Greg, avec lesquels il n'avait aucun contact, même dans l'inner world. Et c'était problématique pour tout le système.
Virus allait répondre quelque chose quand la porte de la maison d'ouvrit derrière eux. Le jeune homme aux cheveux bleus tourna la tête pour apercevoir Wolf qui semblait soulagé de les trouver là. Le biker sortit son téléphone de sa poche pour lui montrer l'heure sur l'écran.
— C'est le moment de manger, c'est ça ? demanda Virus en se relevant. OK, j'ai compris. Mais tu vas à l'épicerie ce matin, hein ? J'ai envie de sushis pour ce soir. Il me faut des légumes frais, du poisson et du riz !
Et il ne le mentionnait pas maintenant, mais un second matelas ne serait pas de refus non plus... Virus se sentait bête de ne pas y avoir pensé avant.
Wolf acquiesça et le trio rentra à l'intérieur pour prendre le petit-déjeuner. Virus pouvait entendre son propre estomac rugir de faim. Pendant qu'ils mangeaient, il prit la parole pour planifier la journée :
— Alors... heu... Gideon doit venir cet après-midi, dit-il en se tournant vers Knife. Il faut changer tes bandages... et faire un nouvel examen.
Son interlocuteur n'était pas enchanté par la nouvelle. Il se cala dans sa chaise avec une expression indescriptible.
— ... puisqu'il le faut..., lâcha-t-il à voix basse. Danger me lâchera peut-être les baskets si le doc donne son feu vert.
Son chef de club n'arrêtait pas de lui envoyer des messages pour prendre de ses nouvelles et lui interdire de reprendre les missions. Rester cloîtré ici allait finir par le rendre fou. Knife n'était pas comme Virus : il ne parvenait pas à rester toute une journée immobile devant un écran de jeu vidéo. Il avait besoin de faire son footing, de s'entraîner... de sortir de chez-lui.
Il était déjà prisonnier dans sa propre tête, il détestait être enfermé à la maison en plus. Il voulait à nouveau aller courir en forêt et se remplir les poumons d'air frais, oublier ses troubles le temps d'une séance de sport intensive.
Son insensibilité congénitale à la douleur l'avait empêché, dès le départ, de ressentir un quelconque inconfort physique vis-à-vis de ses blessures. Pour autant, quand il regardait ses bandages dans le miroir de la salle de bain, Knife avait la sensation d'aller mieux. Bien sûr, il n'était pas docteur... Pourvut que les nouvelles soient bonnes.
Quand ils eurent terminé de manger, Virus pressa Wolf pour les courses. Non seulement il voulait ses légumes (et son matelas !), mais il voulait surtout que le biker soit de retour à temps pour l'arrivée de Gideon.
Se retrouvant à nouveau seul avec Knife, Virus choisit de reprendre sa console pour s'occuper (et pour faire la peau à ce foutu boss du temple de l'eau sur Zelda).
Wolf n'était parti que depuis une quinzaine de minutes quand Virus entendit le bruit d'un moteur dans l'allée. En sourcillant, il se riva à la fenêtre pour vérifier et eut la surprise de reconnaître le VUS familial de Gideon.
— Hein ? Quoi ? Déjà ?!
— Qu'est-ce qu'il y a ? Pourquoi tu hurles comme ça ? lui demanda Knife sur un ton agacé.
Somnolant à cause de sa médication pour son trouble borderline, il n'avait pas entendu la voiture. C'était d'ailleurs bien pour cette raison qu'il détestait ces médicaments...
— Le docteur est déjà là ! Il ne devait pas arriver avant midi, je ne comprends pas...
Knife ressentit un frisson glacé le parcourir et ses poings se refermèrent instinctivement.
En quelques secondes, Gideon fut devant la porte et Virus lui ouvrit nerveusement.
— Je suis désolé d'être là si tôt et de ne pas avoir prévenu, s'excusa immédiatement le docteur, j'ai dû venir plus tôt, car un patient a une urgence à la clinique et il vient cet après-midi. J'espère que ça ne gêne pas ?
Dans tous les cas, ils n'allaient pas renvoyer le docteur sans qu'il ne puisse examiner Knife. Le jeune homme aux cheveux bleus resta muet un instant sans savoir quoi répondre.
— Ce n'est pas comme si on avait le choix, grommela finalement Knife depuis le lit.
— Ça ira, tenta de les rassurer Virus.
Aussitôt, il envoya un message texte à Wolf pour le prévenir, mais il savait que le biker ne serait pas de retour à temps dans tous les cas, surtout s'il devait encore passer à la caisse. Il essaya de se rassurer en se disant que ce n'était pas la première fois qu'il se trouvait seul avec Knife et le docteur. Il pouvait gérer.
Gideon installa sa mallette sur la table et commença à sortir ce dont il allait avoir besoin pour refaire les bandages.
— Alors... comment tu te sens dans les derniers jours ? interrogea le docteur en se tournant vers Knife.
Ce n'était pas un patient facile, car il ne pouvait pas lui demander s'il ressentait une quelconque douleur.
— Je vais bien.
Malgré lui, Knife était crispé.
— Tu n'as rien remarqué de particulier ? Un changement de la couleur de la peau au niveau des bandages ou des traces de sang par exemple ?
Il secoua la tête.
— Non, rien de tout ça, doc.
Gideon acquiesça.
— OK, alors je vais procéder à l'examen, puis changer les bandages. Il faudra que tu retire ton pantalon pour les bandages aux cuisses.
Knife n'avait pas de T-shirt, mais il portait toujours un jogging. Le retirer ne lui faisait pas plaisir, mais il n'avait pas le choix. En grimaçant, il fit descendre le pantalon sur ses chevilles, essayant de ne pas se laisser envahir par les souvenirs traumatiques qui lui revenaient en mémoire.
Gregory lui demandait souvent de se déshabiller avant de...
Depuis là où il se tenait près de la porte, Virus remarqua des signes qui ne trompaient pas chez Knife. Il n'était pas expert... mais pouvait voir la façon dont il clignait de plus en plus des yeux, la manière dont son regard se perdait dans le vague, comment ses muscles se crispaient et comment sa respiration s'accéléraient à cause de la nervosité.
Il dissociait. Et un switch était tout près. Quelqu'un d'autre voulait prendre le relai.
Et Virus savait que les choses pouvaient rapidement tourner au vinaigre en fonction de l'alter qui allait front. Il ne réfléchit pas davantage et parcourut la distance qui le séparait de Knife pour s'asseoir près de lui sur le lit. Il se souvenait d'une chose qu'il avait vu Wolf faire l'autre jour.
— Hé, reste avec moi, OK ?
Il attrapa le bras de l'homme pour prendre sa main dans la sienne. Knife eut instinctivement un mouvement de recul, mais Virus commença à masser la paume de sa main tout en continuant à parler.
— Concentre-toi sur ça... et sur ma voix. Reste avec moi, Knife. Ancre-toi.
Après avoir échangé un regard entendu avec Gideon qui accepta de se tenir un peu en retrait pour lui laisser la place, il massa chacun de ses doigts et utilisa son pouce pour faire des mouvements circulaires dans l'intérieur de sa paume, exerçant une pression agréable.
Petit à petit, même s'il dissociait encore un peu, Knife parvint à s'ancrer à la réalité. Il sentait un alter tout près, en co-front, mais il parvenait à garder le cap. Il ne devait pas laisser ni Jake ni Olivier et encore moins Greg fronter maintenant.
Virus ne lâcha pas sa main de tout le rendez-vous médical, l'aidant à se concentrer sur autre chose que le docteur qui s'affairait à changer ses bandages.
Knife remarqua à peine quand Gideon termina.
— C'est fini, annonça le docteur en se reculant pour ranger son matériel. Tu es en excellente voie de guérison. Pour quelqu'un d'autre... la douleur empêcherait peut-être de poursuivre des activités normales, mais dans ton cas... il suffit de veiller à ce que les blessures ne se rouvrent pas. Ce serait un dangereux retour en arrière. Si tu restes prudent, ce ne sera bientôt plus qu'un mauvais souvenir... et quelques cicatrices.
— Merci, Gideon, répondit Virus comme Knife ne parlait pas. Je te tiendrai au courant s'il y a du changement.
— Je ne m'attarde pas dans ce cas.
Le docteur agrippa sa mallette et quitta la maison en les saluant une dernière fois. Knife se sentit beaucoup mieux à la minute où Gideon fut dehors.
Le biker aux cheveux rouges baissa alors les yeux : sa main était toujours dans celle de Virus. C'était étrange... d'ordinaire, il ne laissait pas les autres le toucher aussi facilement. Il n'aimait pas les contacts physiques.
Pourtant, il n'avait aucune envie de retirer sa main.
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