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Huitième virage.

Virus ne dit plus rien ni ne posa de questions. Après une hésitation, il préféra retourner sur son matelas et tenter de fermer un peu les yeux. S'occuper de Knife n'était pas une activité de tout repos et aussi souhaitait-il reprendre ses forces avant la journée de demain. Gideon, le docteur, devait venir ausculter son patient... et Virus n'avait pas un bon pressentiment au sujet de cette visite après que Knife lui eut confié détester les examens médicaux.

***

Au réveil, Virus sentait ses muscles raides. Il regrettait son lit confortable et ultra moelleux du QG des Gun. Pourvut que Knife se remette vite, car il n'avait pas envie de dormir sur ce matelas encore longtemps.

Il s'assit sur le matelas et commença à étirer ses bras au-dessus de sa tête tout en grimaçant quand la voix de Knife résonna dans la cabine.

— Ah... tu es enfin réveillé. J'ai cru que j'allais devoir attendre. J'ai faim.

Virus le fusilla du regard en tournant la tête. Il était sérieux, lui ? Il aurait aimé lui dire d'aller se préparer à manger lui-même, mais Knife ne devait pas trop bouger à cause de ses blessures. Il s'était déjà rouvert une fois durant la nuit... Virus ne pouvait pas prendre le risque qu'il rouvre une de ses plaies une seconde fois, encore moins juste avant la venue du docteur.

— Alors, qu'est-ce que Sa Majesté veut manger ? demanda-t-il avec une bonne dose de sarcasme en levant les yeux au ciel.

— Des œufs, du pain et du bacon, répondit Knife du tac au tac sans même relever le ton ironique de sa voix.

En maugréant, Virus se releva et alla fouiller dans le frigo et le paquet de courses ramené par Danger. Pourvut qu'il y ait ce que Knife avait demandé... Heureusement, le chef du gang semblait connaître les goûts de Knife. Il trouva tout ce que l'homme aux cheveux rouges avait nommé.

Comme il s'installait pour cuisiner, Virus entendit le son de son propre estomac. Il n'avait avalé qu'une soupe de ramens depuis qu'il était là. Lui aussi, il crevait la dalle.

Knife avait de la chance, car il était une excellent cuisiner. Comme il aimait manger, il s'était très tôt intéressé aux arts du fourneaux. En-dehors du codage informatique et des jeux vidéo, la cuisine était le seul endroit où il se sentait vraiment détendu. Suivre les recettes, couper les légumes et jongler entre les ingrédients avaient un effet apaisant sur son esprit.

C'était aussi une façon de s'échapper d'une autre façon que via l'écran. Tandis qu'il grillait le bacon dans la poêle et cassait les œufs dans une autre, il pouvait faire abstraction de l'homme à la personnalité désagréable allongé dans le lit tout près.

De temps à autres, il pouvait sentir le regard intrigué de Knife sur son dos, mais il ne se tourna pas pour l'apercevoir. À la place, Virus s'enferma dans sa bulle et se mit à fredonner à voix basse tout en préparant le petit-déjeuner.

Une vingtaine de minutes plus tard, il amena à Knife un plateau (merci Danger) sur lequel était posé une assiette avec deux œufs, des tranches de bacon et une toast au beurre. L'homme se redressa dans son lit pour manger sans même le remercier quand il posa le plateau sur ses cuisses. Virus s'éloigna aussitôt pour manger de son côté, à la table, près de son ordinateur.

— Pas mal..., murmura Knife après avoir commencé à manger.

Virus ressentit une toute petite fierté l'envahir à ces paroles et un mince sourire étira brièvement ses lèvres. C'était la première fois que Knife le complimentait sur quoique ce soit depuis qu'ils étaient enfermés ensemble. Certes, ce n'était ni très motivé ni très encourageant, mais ça faisait du bien de l'entendre dire quelque chose d'un peu plus positif.

Après avoir mangé, Virus desservit Knife et fit la vaisselle tout en recommençant à fredonner. Son hôte semblait un peu intrigué, mais aucun d'eux ne prononça le moindre mot.

Virus ne s'en plaignait pas. D'ordinaire, il n'était pas le genre de garçon à aimer le silence, mais il préférait ça plutôt que de se prendre la tête avec Knife.

Un peu plus tard en matinée, il entendit le moteur d'une voiture dans l'entrée, puis on frappa à la porte. Instantanément, il remarqua que Knife s'était raidit dans son lit. Il devait vraiment détester les docteurs...

Virus alla ouvrir et tomba nez à nez sur Gideon avec sa mallette de docteur à la main.

— B'jour.

— Alors, comment va-t-il ? l'interrogea Gideon en essayant de voir le malade par-dessus son épaule.

Virus se décala pour le laisser entrer. Il pinça les lèvres avec hésitation. Devait-il lui dire ce qui s'était passé la nuit dernière ? C'était sans doute le mieux, mais ça n'allait pas plaire à Knife...

— On a eu un petit souci hier, admit-il du bout des lèvres. Certains points de rapprochement ont lâché et il a fallu les refaire.

Gideon fronça les sourcils.

— Comment ça ? Je croyais que tu devais le surveiller.

— Je n'ai besoin de personne, entendit-il Knife grogner. Ne faites pas comme si je n'étais pas là. Je suis blessé, pas sourd.

— Il est toujours comme ça ? demanda Gideon en levant un sourcil.

— Je te présente Mr. Grincheux, rétorqua Virus avec un sourire. Et Mr. Grincheux est somnambule. Je n'étais pas au courant. Il s'est blessé durant la nuit, je ne pouvais pas savoir...

Il choisit volontairement de ne pas raconter toute l'histoire, sachant que Knife tendait l'oreille.

— Et comment vous avez refait les points ? s'enquit Gideon avec un air à la fois étonné et choqué. Vous auriez dû m'appeler tout de suite !

— Je me suis recousu moi-même, lâcha Knife d'un ton sec. Je n'ai besoin de personne pour prendre soin de moi.

Gideon avait l'habitude des patients difficiles. Depuis qu'il soignait les bikers des Skull's Head et des Gun'n'rose, il en avait vu de toutes sortes. Son propre petit-ami n'était pas des plus facile à gérer.

En soupirant d'un air blasé, le docteur déposa sa mallette sur la chaise près du lit de Knife et se tourna vers ce dernier en passant une main dans ses cheveux bruns.

— Tu serais mort si je n'étais pas intervenu le soir où on t'a tiré dessus. Tu étais en crise et Virus a dû t'administrer un calmant.

Il y eut comme un éclair de confusion dans les yeux de Knife.

— Il a quoi... ? demanda-t-il en fixant Virus d'un air mauvais.

L'intéressé piétina nerveusement sur place. Il avait créé cette drogue à la demande de Danger. Ce n'était pas la première fois que Knife était hors de contrôle... et ce n'était pas non plus la première fois qu'il lui administrait. En revanche, il n'avait, à l'époque, aucune idée que l'homme vivait avec un TDI. Cela aurait facilité sa compréhension du problème s'il l'avait su.

— Tu ne te souviens pas ? s'étonna Gideon avant que Virus ne puisse parler. Bon, ce n'est pas si étonnant... il y a eu beaucoup d'émotions impliquées ce soir-là. Je ne serai pas long. Si tu ne causes pas de difficulté, j'aurai rapidement terminé : je t'ausculte, je change tes bandes et je suis parti.

À contrecœur, Knife s'assit sur le bord du lit pour laisser Gideon effectuer son travail. Virus pouvait voir ses muscles se tendre et sa mâchoire se crisper dès que le docteur approchait ses mains de ses bandages.

Gideon tint promesse et il fit au plus vite.

— Voilà, c'est terminé.

Gideon se recula de quelques pas, puis ajouta avec un sourire :

— Ça n'a pas été si long, non ? Si tu veux, je te file une sucette pour te récompenser, se moqua-t-il gentiment.

Le docteur remballa ses affaires et donna une petite tape sur l'épaule de Knife qui le fusilla du regard en grimaçant.

— Les plaies guérissent bien, dit Gideon en regardant Virus, pas d'infection en vue. « Mr. Grincheux » s'est étonnamment recousu correctement. On est sur la bonne voie, mais il faudra encore beaucoup de repos. Interdiction de faire des activités qui demandent trop d'efforts physiques. Tu pourras transmettre le message à Danger ?

Virus hocha la tête en prenant son téléphone portable dans ses mains.

— Oui, je vais le faire tout de suite.

Pendant qu'il pianotait pour envoyer un message à son chef, Gideon franchit la porte de la cabane en les saluant une dernière fois.

— Je reviendrai dans quelques jours pour faire un suivi. Appelez-moi tout de suite s'il y a quoique ce soit.

Virus acquiesça distraitement, puis referma la porte derrière Gideon.

— Bon, alors tu as entendu le doc...

Le jeune homme s'interrompit dans sa phrase, car en tournant la tête, il remarqua que le teint de Knife était blême et qu'il s'était mis à trembler. La peur pouvait se lire au fond de ses prunelles.

Virus rouvrit aussitôt la porte de la cabane pour tenter de rattraper Gideon, mais sa Jeep familiale s'était déjà éloignée.

— Merde, jura-t-il en refermant la porte.

Il se précipita au chevet de Knife, essayant de comprendre ce qui se passait et pourquoi Gideon n'avait rien remarqué pendant son examen.

— Knife ?

L'homme releva ses yeux sur lui.

— Je ne veux plus revoir le docteur... s'il te plaît... pas encore...

Sa voix était tremblante, un peu plus aiguë qu'à l'habitude.