𝑪𝒉𝒂𝒑𝒊𝒕𝒓𝒆 1
𝑪𝒉𝒂𝒑𝒊𝒕𝒓𝒆 1 : 𝑳𝒆𝒔 𝑭𝒂𝒔𝒕𝒆𝒔 𝒅𝒆 𝒍𝒂 𝑺𝒐𝒍𝒊𝒕𝒖𝒅𝒆
Dans le ciel noir d'encre de la ville flottait une mélodie, un air à l'intro lente et presque mélancolique de ces mélodies violonistes que l'on peut entendre en se laissant flotter sur une gondole abandonnée une nuit à Venise, une mélodie évoluant précipitamment, un Rondo gracieux comme le colibri, un air de Saint-Saëns, reconnaissable pour cette grâce mélodramatique précipitée française, précipitée mais prenante comme les nuits connues et clichées de la sulfureuse France.
Le voisin du bas s'adonnait encore aux ébats de son violon, abîmant ses doigts et ses mains au frottement des cordes sur le manche de bois, éraflant les cordes usées de jouer trop de bonnes notes de son archer de bois. Il se livrait à ce tête à tête avec l'instrument, rendant hommage au luthier lui ayant donné vie durant de longues heures, chaque soir et chaque nuit. Il emplissait l'air pollué de la ville de ses notes tantôt précipitées, tantôt langoureuses, il couvrait le bruit des passants d'un crescendo fortissimo, berçait les étoiles d'une répétition piano, et aucune personne jamais, ne s'était plainte, n'avait osée se plaindre d'un bruit aussi magnifique et enivrant que celui de ce violon malgré l'heure tardive ou nocturne pour référencer Chopin. Peut-être car ces musiques semblaient nous faire ressentir le drame mélancolique mais passionné, l'amour inconditionnel mais interdit qui rythme la vie de chaque artiste, car ces mélodies peignaient la quête sans fin et avec peu d'aboutissement de chaque artiste en quête de sa muse, sa muse qui le propulsera sur les devants, qui lui donnera reconnaissance après la mort, qui lui permettra de vivre de son art.
Peut-être n'y avait-il aucune plainte pour cause du quartier, le quartier où se déroulait ce théâtre auditif était le quartier des artistes, de ceux aimant se salir les mains à coups de peinture, de crayons, de pierres, de marteaux et de plumes, chacun dans son coin exerçait son art dans la solitude presque maladive des artistes, pourtant ils étaient si unis et si liés, ils se saluaient et se souriaient, ils se devinaient à travers les arts, ils étaient pauvres mais heureux, ils vivaient de ce qu'ils aimaient, ils gagnaient leur pain sur le galbe d'un sein parfaitement réalisé, un poème excentrique dont l'auteur seul connaît la signification ou encore les notes parfaites d'une chanson écrite par une nuit blanche à pleurer la noirceur de la vie, le départ d'un amant ou le passé tumultueux de n'importe quelle personne.
Ils étaient des oubliés de la société, des rêveurs que l'on méprisait pour avoir osé préférer le rêve à la réalité, l'aquarelle à un travail et la précarité à l'argent. Des innocents à l'âme pure et entachée par ce monde trop crasseux pour eux, des hommes ayant été acteurs eux aussi d'un spectacle à l'encontre de l'art. Des ignorés qui coûtaient peu d'argent et divertissants, qui tentaient de vivre de leur bonheur malgré leur fatigue de vivre.
Ils aimaient la vie et dénonçaient les vices, on parlait d'eux lorsqu'une oeuvre faisait polémique par sa violence choquante, on préférait ne pas parler d'eux pour leurs oeuvres dénonçant l'injustice, la cruauté humaine et donnant un visage à la société noire derrière son masque trop blanc pour être naturel.
Une nuée blanchâtre, des fantômes embrumés s'échappaient de ses lèvres pulpeuses, ils s'élevaient en colonnes et en spirale dans l'obscurité presque étouffante de la pièce, à moins que cette sensation d'étouffement ne fût seulement dûe à l'odeur âcre de nicotine ou de cannabis qui asphyxiait les poumons du jeune fumeur cependant, le bout rougeoyant ne cessant ses vas et viens dans le noir et les spectres de fumée s'élevant dans la pièce montraient bien que l'habitant de cette pièce ne cessait pas son activité mortelle.
Il embrassait le bâton de nicotine de ses lèvres pleines et rosées, la respiration sifflante, encore haletante de l'effort précédent, les muscles tendus et douloureux, les cheveux humides, retombant devant ses yeux et ses joues proéminentes encore teintées d'une jolie teinte rouge comme toutes les vedettes ou divas.
Mais cela était indiscernable dans la pénombre, indiscernable, indescriptible comme l'âge de l'habitant de cette petite chambre aux murs de lambris dépareillés et délabrés par endroits.
La lune pleine en ce soir-là se leva au-dessus du bâtiment voisin à l'architecture du XIXè et projeta sa lumière blanchâtre et bienveillante dans la pièce, laissant entrevoir la silhouette de l'homme qui salua l'amie du poète d'un sourire mélancolique, sa clope coincée entre les dents.
Il était jeune, son visage enfantin, légèrement joufflu et ses lèvres gonflées accentuant ce propos, son faciès ne comportait aucune ride, il semblait avoir été dessiné et redessiné, détaillé et perfectionné de longues heures avec de nombreux types de mines par un illustrateur doué et perfectionniste comme De Vinci l'avait fait avec sa Mona Lisa et ses lèvres si énigmatiques et néanmoins tentantes. Il paraissait si jeune mais en son regard sévissait le réalisme foudroyant de la vie, de l'enfant en ayant trop vu pour son âge, il avait l'âge de ses ancêtres en ses prunelles et la jeunesse de ses successeurs sur son minois, on pouvait traverser les années en passant de son visage d'Apollon à la profondeur de ses prunelles qui étaient sans doute reflet de son âme vintage qui avait vieillit en accéléré au rythme des événement de sa vie. Il était sans doute devenu lun de ces artistes dans l'espoir de dénoncer et montrer aux yeux du monde les coulisses du théâtre dans lequel chacun vivait tout le temps de notre vie, il était devenu artiste dans l'ivresse presque hystérique de liberté, il se sentait vivant dans son art et avait décidé de dépendre de cela.
Il était chimère du temps, entre enveloppe neuve et âme usée, il avait l'esprit ridé et le corps lisse, il était ange solitaire dans cet appartement aux effluves de drogue et à la ritournelle onirique de violon, il était chimère du temps bien que celui ci n'existât pas pour les anges déchus appelés "artistes ", hormis pour les ennuyer dans leur fatigue de vivre et leur quête contre le temps à la recherche de leur graal. Il était chimère du temps comme chacun d'eux l'était, car il n'y a pas d'heure pour vivre sa passion, car ce travail est une vie entière sacrifiée, nuits ou jours ne faisaient point de différence, le temps n'avais pas sa place, pas son importance sur cette toile abandonnée dans ce grenier appelé société.
Un soupire échappa à l'enfantine chimère sur ce lit miteux et inconfortable alors que ses doigts broyaient entre eux le bâton rougeoyant en son bout, qui perdait son éclat rubis et qui finit écrasé dans le pot en acier contenant déjà un cimetière de mégots et de cendres encore fumantes, la seule et unique braise restante s'éteignait à petit feu, douloureusement dans un couinement inaudible preuve de sa faiblesse. Ce n'était qu'un mégot comme tous les autres, qui finirait jeté peut être à tout jamais dans ce pot, comprimé entre ses semblables.
Le grand enfant regardait ce spectacle d'un oeil vif et pourtant désintéressé, il assistait à cette mort infime d'une chose dénuée de vie avec un sadisme profond et presque nostalgique comme si ce geste réveillait en lui un souvenir, un flash, un élément de son passé, rendu presque irréel par le temps passé, enfoui dans les plis et le cortex de son cerveau. Il se détourna et se releva avec une prestance et une fierté presque dramatique, tel un cygne beau et majestueux.
La mélodie du bas dérivait sur un air plus grave, plus lent entrecoupé de passages piqués et vifs dans les aigus qui le guidaient et guidaient malgré lui ses pas gracieux. Peu à peu, sa démarche devint danse, danse timide où il s'abandonnait de moitié, il effectua un saut qui le fit gémir lorsque sa pointe douloureuse de travailler rencontra le parquet limé, puis peu à peu, l'opium sacré et passionnel, l'amour charnel et les notes de la musiques s'ancrèrent en lui, il laissa la musique l'envahir, les yeux fermés, son coeur semblait battre le tempo, il flanchait à chaque frottement tenu du violon, puis comme animé par la musique, comme un pantin dans sa boîte à musique, ses mouvements prirent vie, ses membres s'articulèrent avec souplesse et grâce dans la pénombre, il était musique à l'intérieur, il était danse, il était lui.
Son corps entier s'animait, dansait, vivant dans un enchaînement improvisé au fil des notes de cette mélodie tourmentée, la douleur n'était plus, il ressentait seulement l'afflux de l'adrénaline, ce sentiment d'être vivant, heureux, il passait ses émotions dans le mouvement, il enchaînait les pirouettes et les entrechats, il tournait pour ensuite exercer ses pointes, il tombait pour mieux se relever, il n'était ni musique classique, ni contemporaine, il ne cherchait pas à copier une danse, il était oiseau libre cherchant à s'envoler, s'adonnant à cet ébat intime avec la musique, enchaînant mouvement et positions, ne faisant qu'un avec les notes et les gammes, les accords et les silences, il se laissait aller à cet amour passionnel et vital, le sourire aux lèvres, les yeux perlés de larmes, avec ce sentiment d'exister et d'être à sa place dans ce petit appartement, minuscule dans la fourmilière de notre monde, plus vivant que s'il était au bord du précipice sans fin. Il était plus gracieux que n'importe quel oiseau, il était beau et à son cou brillait un collier, une chaîne d'argent, seule et unique chaîne de cet oiseau libre le rattachant à son identité bien que là encore elle n'était que secondaire car souvent dissimulée sous un pseudo, autour de son cou pendait le nom Jimin, car cette chimère avait un prénom, bien que cela aurait pu sembler inimaginable d'oser nommer pareille apparition tout comme il est inimaginable d'oser nommer un dieu autre que son Dieu.
Si quelqu'un en cet instant s'était penché sur cet immeuble pour l'observer il aurait pu apercevoir tellement de vie en ces personnages torturés, le poète adressait ses sentiments et élargissait son épistolaire à sens unique enflammé dans une énième lettre destinée à son amante lune arrondie par une grossesse espérée ou imaginée, grossesse d'une amante endormie que le peintre illustrait sur sa toile, s'appliquant sur une forme ou la courbe du corps d'Eve, le musicien muet faisait crier son violon dans le silence pour exprimer sa tristesse et sa colère, l'abandon de ses proches, tentant de remplir ses nuits trop vides et trop silencieuses d'une quelconque présence. Et à la fenêtre du troisième cet immeuble, si on s'y était penché, on aurait aperçu dans le faisceau lunaire imitant un projecteur sur une scène, un ange, survolant le parquet de ses pas de danse, les yeux fermés, l'air détendu et heureux, le souffle court mais si fort, le menton relevé, il frôlait le sol, comme animé dans les airs tant ses mouvements étaient fluides, il était magnifique, il occupait une place presque divine, il était chimère, il était muse, il n'était pas humain, il était lui et il vivait en cet instant, il vivait en dansant comme si danser animait son coeur et remplissait ses poumons.
C'était ancré en son ADN et animé dans son espoir, il dansait, il vivait, il survivait, persuadé par le songe de tous que cette scène de parquet usé se transformera en scène ciré de théâtre et il y dévouait sa vie entière, son existence dans ce monde insalubre.
Car vivre sans passion était synonyme de mort, lui côtoyait la faucheuse en vivant de sa passion.
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