Partie unique
Violet.
Cette couleur désigne la détermination, la force d'aller jusqu'au bout pour obtenir ce que l'on désire.
Je n'ai jamais été quelqu'un de particulièrement persévérant. J'étais plutôt de ces personnes qui baissent les bras au premier obstacle, qui n'arrivent jamais à bout de ce qu'ils entreprennent. Alors, pour ne pas avoir à connaître la douleur de l'échec, je me suis très vite mis à fuir mes problèmes. Je préférais une vie simple mais vide à une vie pleine de rêves, d'objectifs que je n'atteignais de toute façon jamais et qui ne feraient que me plomber le moral. Je me contentais des plaisirs banals de l'amitié et de la famille, sans chercher plus.
J'avais trouvé mon fonctionnement, et j'en étais heureux.
Abandonner avant d'avoir tenté est toujours moins douloureux que d'échouer, à mon sens.
Toi, tu disais tout le contraire. Tu vivais avec chaque fois de nouveaux objectifs auxquels tu t'accrochais de toute ton âme, et tu avais beau tomber, tu ne cessais de te relever. J'admirais ton courage, cette force que tu avais à ne jamais rien lâcher.
Et c'est cette détermination, qui nous a fait nous rencontrer. Toi, le nouveau petit seconde, tu me voulais moi, le terminal que tout le monde connaissait. Une combinaison improbable, à la limite de l'impossible, qu'il ne me serait même pas venue à l'idée d'essayer si j'étais à ta place. Je ne te connaissais même pas. Que de vue, à travers les discussions de ces jeunes filles à qui tu faisais de l'oeil. Jeon Jungkook, le prodige du club d'athlétisme, le champion de taekwondo, le lycéen au sixpack bien dessiné.
Tu m'en veux, si je te dis que je ne t'aimais pas ? Je ne voyais en toi qu'un petit con imbu de lui même, qu'un crâneur coureur de jupons, avec une fausse gueule d'ange pour camoufler le connard arrogant qui se trouvait derrière. Tu étais épuisant, à réussir partout, là où je ne faisais qu'échouer par mon simple abandon. Peut être qu'au fond, mes préjugés envers toi étaient juste guidés par une jalousie silencieuse, vicieuse, qui s'incruste dans ton coeur et te fais haïr ce qu'elle juge supérieure à soi. Probablement, même.
Et puis un matin, j'ai trouvé une fleur devant chez moi. Une toute petite plante aux pétales d'un violet timide, semblant perdue au milieu de cet immeuble qui manquait cruellement de verdure. Une minuscule note naturelle, au parfum à peine perceptible qui n'avait rien à faire là.
J'ai cru à une erreur.
Et je l'ai ignorée.
Je l'ai abandonnée là, la fragile petite fleur, je l'ai laissée à son sort sans une once d'hésitation. Ses gracieux pétales ont fanés, et sa couleur s'est ternie. En deux jours, elle avait perdu toute sa discrète splendeur, ne laissant qu'une petite tige recourbée emportée par la femme de ménage.
Comme ça. Simplement. Sous le regard et l'ignorance de tous.
Mais cette fleur, tu le sais, n'a été que la première d'une longue série. Une semaine plus tard, j'ai découvert sa jumelle sur mon pallier. Puis après quelques jours, après qu'elle ai à son tour ternie, une nouvelle est venue la remplacer. Et ainsi de suite, jours après jours, mois après mois.
Ces fleurs, j'ai fini par les récupérer. Elles m'accompagnaient dans mon quotidien, prenant chacune leur tour place dans le petit verre en bois que j'avais posé sur mon bar. Parfois, il leur arrivait de persister plus longtemps, et elles se partageaient alors à plusieurs le petit vase de fortune que je leur avais offert.
Elles me donnaient le sourire. Les voir chaque jour me procurait un sentiment d'apaisement, de fragilité et d'amour. Leurs pétales violets me rappelaient immanquablement que quelqu'un, qui qu'il soit, venait me les déposer pour moi, dès qu'il en avait le temps. Elles me rappelaient que je n'étais pas seul, qu'on pensait souvent à l'adolescent que j'étais.
C'était doux.
C'était beau.
C'était apaisant.
Et puis un jour, j'ai voulu savoir. Découvrir qui se cachait derrière ces délicates fleurs, qui adoucissait ainsi mon quotidien si normal. J'ai attendu, à l'affût de la moindre venue, prêt à voir une silhouette quitter mon immeuble après y avoir déposé son présent habituel, puis disparaître.
J'avais déjà imaginé mille visages, mille morphologies qui pourraient se cacher derrière cette attention, mais je dois avouer que ma découverte m'avait laissé pantelant.
C'était toi, Jungkook.
Qui l'aurait cru ? Le seconde briseur de coeur, l'enfant prodige, ce jeune homme à l'apparence toujours si confiante... C'était bien lui qui se camouflait derrière ces fleurs aussi délicates, s'appliquant à me les déposer devant ma porte avec une détermination admirable.
Ces fleurs, mon ange, tu ne les avais pas choisies par hasard. À travers elles, tu voulais me faire passer un message. À travers ces bleuets, tu voulais m'exposer à moi, cette facette de ta personnalité que tu cachais à tous.
Le bleuet représente la timidité, la peur d'aller vers l'autre et l'angoisse du rejet.
J'ai presque cru à une blague, lorsque je l'ai découvert. Ça ne collait aucunement à l'image que je m'étais faite de toi, à un tel point que je me disais que ce n'était pas possible, que j'avais dû rêver, mal voir. Mais lorsque le lendemain, j'ai à nouveau guetté à ma fenêtre, lorsque que j'ai à nouveau vu ta fine silhouette athlétique quitter mon immeuble, je n'ai pu que me rendre à l'évidence.
Jeon Jungkook, le gars sans peurs, n'était qu'une façade.
Le vrai, lui, celui qui déposait des bleuets devant mon appartement depuis des mois avec une détermination étonnante, celui qui s'intéressait sans le dire au langage des fleurs, celui qui était trop timide pour venir me parler en face, celui là ; celui là était bien plus beau.
Violet.
Cette couleur représente l'amitié, l'honnêteté de ces liens si forts qui caractérisent ce simple mot.
Par la suite, j'ai appris à te connaître. J'ai répondu à ton appel silencieux, et je suis venu te voir.
Le petit con imbu de lui même m'est alors apparu comme un homme sensible et délicat, le crâneur coureur de jupons est devenu un lycéen mal à l'aise face à son succès, le seconde aux abdos bien dessinés a changé en un adolescent qui sculpte désespérément son corps dans l'espoir de s'aimer.
De A à Z, tu es devenu quelqu'un d'autre à mes yeux.
Chacune de tes expressions, de tes mimiques et de tes rictus, j'aurais voulu les encadrer tant ils semblaient authentiques.
J'aimais rire avec toi. J'aimais être la cause de ton sourire, cet adorable sourire qui faisait ressortir une allure enfantine sur ton visage. J'aimais me poser, m'asseoir à tes côtés et passer des heures entières à refaire le monde.
D'inconnu, tu es passé à ami.
Tu es devenu celui avec lequel je passais le plus de temps, sans m'en rendre compte tant cela me semblait naturel, presque inné.
Je me souviens encore de nos sorties nocturnes, celles où tu partais par la fenêtre de ta chambre parce que tes parents refusaient de te laisser dehors après vingt et une heure. Je me souviens de ces jours que nous avons passé à réviser, toi simplement alors que je m'arrachais les cheveux sur le programme de terminale. Je me souviens de nos repas partagés, de nos soirées à écouter de la musique en discutant de tout et de rien, de nos rêves d'enfants qu'on se racontait en riant, bien que quelque part, au fond, on voulait toujours un peu y croire.
J'étais heureux de me lever le matin, tu sais. Parce que je savais, qu'en arrivant devant la grille du lycée, tu serais là, les écouteurs vissés sur les oreilles et le regard rivé sur ton téléphone, m'attendant ; moi.
Violet.
Cette couleur représente la royauté. Synonyme de puissance, de grâce, et de force.
Tu étais royal, Jungkook.
Chacun de tes gestes étaient empreints de cette grâce unique, de cette prestance immanquablement attrayante. On aurait dit que tous tes mouvements avaient été chorégraphiés pour aller ensemble, tant ils étaient beaux, que tu peignais une oeuvre en permanence.
Cette oeuvre, à mes yeux, c'était toi.
J'ai commencé à te regarder différemment, encore une fois. Ta beauté m'a alors sauté aux yeux, elle m'a envahit la tête, jusqu'à finir par me prendre mon coeur. T'en es tu rendu compte, mon ange ? Combien, à cette dernière soirée de lycée avant les grandes vacances, je m'étais épris de toi ? Combien il m'était impossible de détacher mon regard de ton corps qui dansait sur la musique sous les néons violets, combien mon coeur brûlait à cet instant ? Et lorsque tu es venu me voir, que tu m'as pris la main pour m'emmener danser avec toi, sais tu combien je rêvais de t'embrasser ?
Si j'avais eu ton courage, sûrement l'aurais-je fait. Tu n'aurais pas beaucoup hésité, toi. Tu étais si fort. Si courageux dans tout ce que tu entreprenais, toujours à affronter la tête haute les épreuves là où je fuyais lâchement. Ce soir là n'a pas été une exception à la règle.
J'ai fuis, une nouvelle fois, devant les sentiments qui bouleversaient mon corps lorsque je te voyais. Sous ces néons violets, je n'ai pas osé poser mes lèvres contre les tiennes. Sous ces néons violets, j'ai préféré, une nouvelle fois, abandonner avant d'avoir essayé.
Oh, mon amour...
M'aurais tu repoussé, si j'avais suivi ce que me criait mon coeur ? Ou m'aurais tu répondu avec cette délicatesse qui te caractérisait tant, comblant mon être de ton amour ? Dis le moi, Jungkook, qu'aurais je dû faire ?
Tu étais si splendide, cette nuit là, avec ta chevelure ébène dansant dans l'obscurité, ton corps se mouvant gracieusement sur les vieux tubes qui passaient. Lorsque tu m'as salué à trois heures du matin pour rentrer chez toi, j'ai cru que mon coeur se brisait. On s'était promis de se revoir régulièrement, de continuer nos sorties nocturnes, de nous retrouver aux mêmes endroits que d'habitude, mais je n'étais pas dupe. Nous ne pourrions pas nous voir autant qu'avant.
J'ai quitté le lycée pour l'université, mon plus grand regret portant ton nom. Les grandes vacances m'ont paru affreusement longues sans ton sourire et ta présence, à me remémorer inlassablement cette soirée, me demandant sans cesse ce qui se serait passé, si, cette fois-là, je n'avais pas fui.
Une page de ma vie s'est tournée. Une nouvelle s'est écrite.
J'ai fini par m'habituer à cette distance qui nous séparait. J'ai appris à savourer pleinement les rares moments où nous nous retrouvions conformément à notre promesse, à enregistrer chacune de ces petites choses qui faisaient ton être pour être capable de patienter jusqu'au prochain instant où je te verrai. J'y parvenais comme ça, à supporter cette distance. Ça aurait même pu suffire.
Mais mon coeur, mon ange, mon coeur continuait de se lamenter de ton absence, et de brûler en ta présence. Je t'ai vu rire avec ces filles de ta classe, je t'ai vu envoyer des messages avec ce sourire qui m'étais auparavant destiné, et j'ai alors réalisé.
J'ai réalisé que tu étais en train de m'échapper, peu à peu, sans que je ne puisse rien y faire. J'avais beau tenter de te retenir, tu glissais comme de l'eau entre mes doigts, t'éloignant chaque fois un peu plus sous mon regard impuissant.
Ça faisait mal, tu sais.
J'avais mal.
Et puis, un jour, pour la première fois de ma vie, j'ai décidé de me battre. J'ai pris mon courage à deux mains, et je suis allé au centre de la confrontation en ignorant mon corps qui me criait de partir. Je me suis fait violence, mon ange, mais je ne regrette pas. Tu en valais la peine.
Je voulais te le dire, combien je t'aimais. Et j'allais le faire.
Mais parce qu'aucun mot ne me semblait juste pour décrire mes sentiments, parce que mes vaines tentatives de phrases me semblaient dénuées de sens, parce que j'avais toujours l'image de tes discrets bleuets dans la tête, j'ai décidé de le faire autrement.
Je suis allé à la bibliothèque, et je me suis plongé dans le langage des fleurs. J'ai cherché, pendant des heures et des heures, laquelle te correspondait le mieux, laquelle décrivait le plus mes sentiments. J'y ai passé des nuits, aussi absurde que cela puisse paraître. Toutes celles qui faisaient ressortir une déclaration me semblaient trop banales, trop différentes, trop fades...
Et puis, je l'ai trouvée.
La parfaite fleur.
Une longue tige au bout de laquelle éclosaient plusieurs petits bourgeons pour s'épanouir en de splendides pétales d'un violet doux, apaisant, comme celui que tu m'avais offert. L'agapanthe, de son nom, était synonyme d'amour. Rien d'autre. Mais que ressentais-je pour toi, si ce n'est justement cet amour brûlant ? Tout comme un long discours m'aurait semblé vide de sens, une fleur aux significations trop nombreuses ne trouvait pas grâce à mes yeux.
Alors, voilà, j'ai récupéré tout le courage que j'avais en moi, aussi faible soit-il, et je suis allé déposer une belle agapanthe sur ton pallier. J'espérais sincèrement que tu comprendrais le message, toi qui aimais tant les significations cachées derrière ces petites oeuvres de la nature.
Et, tu le sais, ça n'a pas manqué.
Violet.
Cette couleur est associée à la délicatesse, la sensibilité et le calme.
Le soir même de ma déclaration silencieuse, tu es venu me voir. Resplendissant dans ton manteau trop grand qui tombait sur tes épaules, dans tes rougeurs timides sur tes joues, dans ton magnifique regard ému... J'ai eu peur de t'ouvrir.
Je craignais que tu me repousses, que tu m'en veuilles, que tu me dises que je te dégoûtais, que tu aies compris.
L'espace d'un instant, sur mon pallier face à toi, j'ai regretté d'avoir osé ce qui m'étais impensable. L'instant d'après, lorsque tes lèvres se sont scellées aux miennes, j'ai quitté la réalité.
Notre premier baiser, mon amour, m'a donné l'impression de voler. Comme dans un rêve, tout ce qui pesait sur mes épaules s'est évaporé dans les airs. J'ai senti mon coeur s'arrêter, se réchauffer, vivre enfin.
Le temps que je réalise que tu venais de m'embrasser, tu t'étais déjà éloigné de moi, le teint rougi par la gêne. Et le temps que tu ouvres la bouche pour parler, j'avais déjà fondu sur tes lèvres à mon tour.
Oh, Jungkook...
Si tu savais comme je me sentais vivant, à ce moment là. C'était comme si je redécouvrais la sensation de respirer, comme si je touchais le monde pour la première fois, comme si j'étais seulement à cet instant réel entre tes bras.
C'était si bon.
Les jours qui ont suivi ce soir là ont été magiques pour moi. Auparavant, jamais je n'aurais osé croire, même une minute, même une seconde, que l'amour que je te portais était réciproque. Et pourtant...
D'ami, tu es passé à amant.
Nous sommes alors devenus un couple. Régulièrement, tu venais dormir chez moi, et nous partagions alors une soirée à discuter de tout et de rien, comme avant. Je t'ai confié mes angoisses, toutes les craintes que la vie faisait naître en moi. Je t'ai tout dit de mes pensées, de celles que j'avais gardées secrètes depuis toujours, de celles qui me faisaient honte par leur seule existence. Toi, tu m'as simplement écouté. Et c'était la plus belle chose que tu puisses faire. Avec ton sourire et tes caresses de réconfort, je me suis senti authentique, enfin.
De tes doigts délicats, tu as su dénouer les liens qui me gardaient emprisonné à mes peurs. Tu as désemmêlé les fils de ma vie, peu à peu, jours après jours, nuits après nuits.
Je me sentais bien, dans tes bras. Si bien. Plus rien d'autre que toi ne comptait au monde lorsque tu m'enlaçais dans notre lit, me murmurant combien tu m'aimais, combien j'étais fort, combien j'irai loin.
Dans mes moments de doute, tu riais souvent, et me donnais simplement une petite tape sur le nez en demandant : « Tu sais que je t'aime, hein, Hoseok ? », faisant disparaître toutes mes angoisses derrière notre amour.
J'aimais ton rire. Il avait ce pouvoir fascinant de faire disparaître le monde et ses problèmes. J'aimais en découvrir un peu plus sur toi tous les jours. Chacune de tes petites manies, tes tics quotidien, la vie que tu avais laissé derrière toi, tout cela m'envoutait.
Parce que, mon ange, jamais je n'ai aimé quelqu'un aussi fort que je t'ai aimé, toi.
Violet.
La couleur de l'idéalisme, du rêve.
Tu étais mon idéal, Jungkook. Je n'avais besoin de rien tant que je t'avais toi. Tu suffisais à combler mes peines, mes craintes et mes tristesses. Chaque jour à tes côtés était le meilleur jour de ma vie, et tout ce qui semblait terne à mes yeux s'illuminait avec toi. Tu remplissais mon coeur par ta seule présence, et le monde aurait pu s'effondrer autour de nous que je n'aurais pas bronché. Tu étais tout ce dont j'avais besoin. L'unique. L'essentiel.
Mais toi, tu continuais de rêver de plus.
Tu nous voyais déjà emménager ensemble, le dire à nos parents. Tu voulais partir explorer ces pays occidentaux, escalader ces majestueuses montagnes que tu voyais sur les vidéos. Tu voulais voir chaque parcelle de la nature qui nous entourait, découvrir chaque fleur qui poussait sur cette terre. Tu disais que tu ne voulais pas partir avant d'avoir vu toutes les merveilles que notre planète nous offrait de tes propres yeux, que ce serait bien trop dommage.
J'adorais te voir t'extasier sur un papillon, un chêne centenaire ou même un petit scarabée qui traversait la route. Tu semblais si heureux, dans ces moments-là.
Alors, pour que tu continues de rayonner de la sorte, pour que tu continues de sourire ainsi à mes côtés, j'ai décidé de laisser ma vie banale derrière moi et de te suivre dans tes projets fous. Avec toi, j'en avais la force. Avec toi, j'aurai même pu décrocher les étoiles.
C'est ainsi que soirs après soirs, nous avons commencé à dresser la liste de tous les endroits que tu voulais voir, de tous les phénomènes naturels que tu rêvais d'admirer. On l'a affichée dans un coin de ma chambre, et on s'est promis de la remplir entièrement avant le grand départ. Tous les deux. Ensemble.
Et il y en avait des lieux, ça oui ! Des pays différents, des zones à explorer, des animaux à voir... Tu disais qu'un jour tu irais tout en haut du monde, au sommet de l'Everest, pour pouvoir en admirer sa splendeur pleinement. La simple vision de cette liste m'aurait fait fuir si je n'étais pas autant amoureux de toi. Moi qui n'avais presque aucune persévérance, certains mots inscrits sur ces feuilles me faisaient peur.
Mais tu étais là.
Avec moi.
Alors après tout, je pouvais bien y arriver.
Violet.
Couleur de la transcendance et de la luxure.
T'en souviens tu, Jungkook ?
De nos nuits passées à sombrer dans le péché.
Te souviens tu de nos corps entrelacés, de nos baisers torrides, de nos caresses brûlantes, de nos nombreuses unions ?
Je les revois encore, ces nuits. Tes courbes envoûtantes, l'expression de ton visage lorsque le plaisir t'envahissais, la chaleur de ta peau sous mes doigts. Je me souviens de nos gémissements d'extase, de ces « je t'aime » murmurés entre deux souffles, de nos corps qui se fondent l'un dans l'autre sous la lueur de la pleine lune.
Tu étais si magnifique, mon ange.
J'adorais cette façon que tes traits avaient de se durcir lorsque tu atteignais le septième ciel, les fins reliefs sur ta peau brulante. J'adorais la manière dont tes cheveux collaient à ton front sous les efforts, la sensation de tes cuisses musclées contre mes mains.
J'avais chaque fois l'impression de te redécouvrir, lorsque nous nous abandonnions aux plaisirs charnels.
Chaque parcelle de ta peau. Chaque grain de beauté dans ton dos que je ne me lassais jamais de retracer. Chaque nuance dans ta voix qui prenait des teintes obscènes.
Tout m'apparaissait différemment à chaque fois, toujours plus net, plus beau. Tu étais comme un mystère où peu importe combien on en découvre, il reste toujours quelque chose que l'on a pas vu.
Aujourd'hui, tes courbes, j'ai l'impression de les connaître par cœur.
Parfois, lorsque la nuit tombe, je nous revois, là, sur ce lit, à s'unir avec tout l'amour que nous possédions. J'entends encore nos respirations erratiques qui viennent briser le silence nocturne, je sens encore tes baisers brûlants contre ma peau.
Ces nuits, mon amour, pour rien au monde je ne veux les oublier.
Nos premières fois, on les a brûlées ensemble.
Et ces nuits, mon amour, sont encrées en moi à tout jamais.
Violet.
Couleur de la paix, de la sérénité.
Le temps a passé, et nous avons grandi. Vieillis, peut-être.
J'ai quitté l'université, et tu as arrêté le lycée. Tu n'as jamais voulu reprendre les études, affirmant en souriant que tu préférais destiner ton temps à moi et à notre liste. Si j'ai eu quelques inquiétudes à ce sujet au début, te voir t'épanouir dans nos activités m'a vite rassuré. J'étais si heureux.
Les années qui ont suivi ont sûrement été paradoxalement les plus calmes et les plus mouvementées de ma vie. On ne cessait jamais de bouger, d'aller cocher une nouvelle case sur notre liste de rêves, parcourant l'Asie en stop ou dormant à la belle étoile lorsque nous n'avions pas les moyens de plus ; mais jamais, au grand jamais je ne me suis senti aussi serein.
À tes côtés, je me sentais bien. Ta simple présence m'apaisait. L'adolescent trouillard que j'étais avait enfin trouvé sa paix dans une vie pleine d'aventures, de voyages et de défis. Si on m'avait dit cela avant, j'aurais bien ri, et pourtant...
Au fil des années, les cases de la liste se sont cochées, et d'autres se sont rajoutées. On aurait dit que rien n'était capable de t'arrêter, pas même la mort elle même. Tu n'as pas fléchi une seule fois, pas même lorsque nous sommes allés chasser ces immenses tornades, pas même au bord de cette falaise ou face aux gracieux animaux qui ont voulu nous attaquer. À seulement vingt quatre ans, tu jouais avec ta vie comme si tu en avais plusieurs.
J'avais peur, bien sûr que j'avais peur pour toi. Combien de fois mon sang ne s'est-il pas glacé alors que tu t'approchais sans ciller du vide ou de je ne sais quel animal dangereux ? Combien de fois t'ai-je dis de faire attention là où tu n'en faisais qu'à ta tête ?
Mais tu étais heureux. Tu étais épanoui. Tu étais plus magnifique que jamais, au bord de ces précipices loin de tout, ou à côté de cette cascade naturelle. Ton sourire me suffisait, et pour rien au monde je n'aurais osé nous interdire ces plaisirs que nous partagions sous prétexte que c'était dangereux. J'aurais pu te suivre n'importe où, jusqu'au bout du monde si tu le voulais.
Toi, tu disais que tu ne t'étais jamais senti aussi vivant. Que cette vie, tu en avais tant rêvé que tu n'aurais pu être plus comblé que tu ne l'étais. Et lorsque que nous cochions une nouvelle case à notre liste, que tu m'embrassais en me répétant combien tu étais heureux que je sois là, à tes côtés, puis que nous passions alors la nuit à faire l'amour sous les étoiles, je ne pouvais que chérir cette vie de voyages.
C'était parfait.
Tout était si parfait.
Te souviens tu, de la nuit où nous avons coché la case "Aurores Boréales" ? Le temps était glacial sur l'Islande, et même emmitouflés dans nos manteaux, le froid nous grignotait les orteils et nous brûlait le visage. Tu étais si mignon, avec ton petit nez rosé et le menton enfoui dans ton écharpe, à tenter de voir ce que dessinaient les nuages de vapeur créés par nos respirations. On aurait presque dit un enfant.
Et puis, d'un coup, le ciel s'est illuminé. Nous avons levé la tête, et nous les avons vu. Ces longs filaments verts qui semblaient danser au dessus de nous, qui s'entortillaient dans les airs tel des amants. C'était magnifique. C'était magique.
À cet instant là, je crois que j'ai compris pourquoi tu voulais autant découvrir le monde qui nous entourait. Pourquoi tu parcourais la terre entière avec ce besoin, cette nécessité de voir chacune des merveilles de la nature. Je me sentais si petit, sous ces aurores boréales, mais si libre à la fois. C'était comme si, tout à coup, j'avais trouvé ma place. Elle était là, à tes côtés, sous ces lumières dansantes dans la nuit. Insignifiant face à l'immensité du monde ; mais vivant.
Émerveillé par le ciel, j'ai senti ta main saisir doucement la mienne. J'ai senti sa froideur contre ma peau, vite remplacée par la délicate chaleur de ton corps. Et j'ai souri.
J'ai souri comme je n'ai jamais souri, et alors que je pensais cela impossible, mon coeur s'est encore plus épris d'amour pour toi. Tu étais si magique, toi aussi, sous ces lumières vertes.
Si réel.
J'ai cessé de réfléchir, et je t'ai embrassé. À nouveau, nos lèvres se sont cherchées, unies, réchauffées dans la nuit glaciale. À nouveau, nos mains ont trouvé la peau de l'autre, doucement, tendrement, amoureusement.
Et l'aurore boréale, seule témoin de notre passion cette nuit là, continue de danser dans mon cœur malgré le temps qui s'est écoulé.
Violet.
Couleur du décès.
Couleur de la solitude.
Au début, on ne réalise pas tout de suite. Cette falaise que nous escaladions ensemble, nous la connaissions par coeur. Chacun de ses recoins, de ses formes, de ses courbes, nous les avions encrés sous nos doigts à force de la monter pour admirer le soleil levant. Ça aurait dû bien se passer ; comme d'habitude. Il n'y avait aucune raison que ça se passe autrement. Aucune.
Puis, sans prévenir, il y a eu l'éboulement. Le vacarme infernal de la roche qui craque, qui nous tombe droit dessus. Je me suis plaqué contre la paroi, et les rochers m'ont évité. Toi, mon ange, tu as eu moins de chance.
C'était étrange, tu sais. Un instant je te voyais grimper à mes côtés, l'instant d'après tu pendais dans le vide, seulement retenu par une petite corde tandis que ton front se tapissait de rouge.
Je n'ai pas tout de suite compris. Ou alors, peut être que je n'ai pas voulu. Je t'ai regardé avec incompréhension, me demandant pourquoi tu ne te raccrochais pas à la paroi. Pourquoi tu ne me lançais pas ton habituel grand sourire en me disant que tout allait bien, et que je me faisais du mouron pour rien. Pourquoi tu ne bougeais plus, suspendu au bout de cette corde qui tirait sur mon baudrier.
Puis soudainement, j'ai pris conscience de l'éboulement, de ces roches qui avaient fondu droit sur nous à une vitesse meurtrière. Mon coeur a arrêté de battre, et j'ai appelé ton nom. Une première fois. Puis une deuxième, paniqué. Puis une troisième, désespéré.
Tu n'as jamais répondu.
Après, je ne sais plus bien. Je ne sais plus comment j'ai réussi à redescendre cette paroi avec ton corps, ni comment je suis rentré dans notre hôtel temporaire. Je ne sais plus comment je me suis retrouvé chez moi, en Corée, ni comment j'ai pu continuer à respirer alors que mon âme était morte avec toi sur cette falaise.
Ce dont je me souviens, c'est de la froideur de ta peau dans mes bras. De tes yeux inéluctablement clos et de ta pâleur sans pitié. De ton corps inerte et de tes cheveux tachés de rouge. De ton front ensanglanté.
Une pierre avait percuté ta tête, et t'avait privé de la vie.
Elle t'avait privé de la vie, et elle m'avait privé de ma raison d'exister.
Je me suis retrouvé seul. Sans personne pour me protéger de mes peurs, du monde et mes angoisses. Sans personne à chérir, à serrer dans mes bras et à embrasser. Sans personne pour me retenir, m'éloigner du gouffre qui menaçait à chaque moment de m'engloutir depuis ton départ.
Et mon amour, à cette période, moi aussi, j'ai arrêté de vivre.
Violet.
Couleur des rêves inachevés, irréalisables et abandonnés.
Le soleil a continué de se lever chaque matin. Il a continué d'illuminer le monde comme si de rien était, comme si rien n'avait changé depuis ta mort. Indifférent à nos douleurs. Cruel, à mes yeux, pour moi qui étais resté bloqué dans le temps.
Nos draps me semblaient bien trop froids. Mon lit bien trop grand. Mon appartement bien trop vide. J'ai cessé d'évoluer. Mon corps survivait tant bien que mal, mon esprit lui était plongé dans un sommeil profond, cauchemardesque et douloureux.
C'est seulement après deux longs mois à me noyer dans ma peine que j'ai osé ressortir notre liste. Cette longue liste entamée par endroits, gribouillée par nos nuits passées à refaire le monde. Cette liste cruellement inachevée.
J'ai voulu la haïr. Sincèrement. Je me suis dit que c'était de sa faute, si tu étais parti, que sans elle nous ne nous serions jamais retrouvés sur cette falaise. J'ai voulu la brûler, la déchirer, la détruire ; puis je me suis rappelé de tout ce qu'elle nous avait fait vivre.
De ces moments magiques dans lesquels elle nous avait mené, de ces sourires épanouis dont elle était la cause. Je me suis souvenu des nombreuses fois où tu me disais que tu ne voulais pas mourir avant de l'avoir finie, et j'ai pleuré.
J'ai pleuré, encore et encore, parce qu'on t'avait privé de la vie bien trop tôt. J'ai pleuré, toujours plus, parce que j'avais entre mes doigts tes rêves inachevés, et que jamais le poids de la peine n'avait été aussi lourd dans ma poitrine. Et j'ai pleuré, parce que cette liste, à elle seule, représentait tout ce que tu aurais du faire mais que tu ne pourrais jamais réaliser.
C'était injuste. Horriblement injuste.
Ce jour là, mon amour, nous avions manqué de prudence. Comme souvent, nous nous sommes pris pour les maîtres du monde. Nous avons monté sans nous assurer de la stabilité de la paroi, ni des protections que nous aurions dû porter. On s'est cru, l'espace d'un instant, plus forts que la nature, et nous avons négligé sa puissance et sa splendide instabilité.
Ce qui est arrivé, ce n'était qu'un malheureux accident. Triste et injuste.
Et cette liste, mon ange, j'y ai beaucoup pensé. J'ai réfléchis à la continuer, à la terminer malgré tout. Seulement, sans toi, cela semblait si vain. Vide de sens, vide de tout.
Cette liste, mon ange, c'était tes rêves. Pas les miens.
Et les miens, je l'ai compris, étaient simplement de te voir sourire et de t'avoir à mes côtés.
Violet.
Couleur de la mélancolie et de l'acceptation.
Une nuit, en cherchant le sommeil, je me suis demandé si tu avais malgré tout su parvenir au sommet du monde. Je me suis demandé si, quelque part, tu n'étais pas plus proche de la nature maintenant que tu ne l'avais jamais été. Celle dont tu vantais les merveilles, tu en faisais désormais partie.
Je me suis demandé si tu existais toujours sous une autre forme, si ton âme avait persisté, ou si tout ton esprit s'était éteint.
Je suis ressorti de chez moi, et j'ai contemplé le ciel. J'ai admiré les étoiles qui l'illuminaient, me posant la question si d'une certaine façon, tu n'avais pas été toi aussi une étoile dans ma vie. Brillante, brulante, scintillante. Rassurante.
J'ai observé leurs lumières bien réelles, leur éclat resplendissant qui continuait d'être même après leur mort. Le ciel que nous voyons est parsemé de milliers d'étoiles mortes. C'était toi, qui me l'avait dit.
Et, tout d'un coup, tu as pris place dans l'obscurité, toi aussi. Même après avoir quitté notre monde, tu t'es remis à briller dans mon cœur, à resplendir dans mon âme.
J'ai recommencé à vivre, peu à peu, comme si le temps reprenait doucement son cours. Le monde s'est recoloré, lentement, feuille par feuille, zone par zone. Je suis devenu quelqu'un à nouveau.
J'ai reconstruit quelque chose sur les ruines de ce qui avait été brutalement détruit. J'ai revu des gens. J'en ai rencontré d'autres. Ma tristesse désemparée s'est transformée en une douce mélancolie, en une nostalgie réconfortante.
Tu étais toujours là.
Tu continuais de m'éclairer malgré ta mort.
Un jour, je me suis planté devant ta tombe, et j'y ai déposé une nouvelle fleur. Un bel œillet, symbole du deuil et de l'amour éternel, symbole de nos vies qui naissent puis s'évaporent tel un mirage. L'as tu vu ? Cette petite plante aux pétales rosées.
De toutes les rencontres que j'ai fait dans ma vie, tu as sûrement été indéniablement la plus belle. La plus forte, la plus vivante, la plus réelle.
Et, pour rien au monde, je ne regretterai de t'avoir rencontré.
Alors, merci.
Merci d'avoir existé.
Merci de m'avoir fait confiance, de m'avoir aimé, de m'avoir tant apporté.
Merci de m'avoir entraîné dans tes rêves fous, tes désirs inconscients, tes projets délirants.
Merci d'avoir été cette étoile dans ma vie, et de continuer de l'être malgré tout.
Merci pour tout.
On se retrouvera tout en haut du monde.
Violet.
C'est ta couleur, mon amour.
FIN.
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