Un goût de brûlé - Sacha
Voici la première des vingt-six nouvelles, c'est tombé par hasard sur Sacha et c'est vrai que cette petite histoire me disait bien. Vu son nom on se doute bien que c'est la nouvelle "triste" sur Sacha, et non pas la joyeuse. J'espère qu'elle vous plaira, en tout cas, personnellement, j'ai adoré (vraiment, je pensais pas) suivre ce personnage durant toute la nouvelle. Il m'a beaucoup ému, et c'est notamment parce que j'ai écris à la 1ère personne, et que j'avais justement arrêté parce que j'étais "trop" dans le personnage. Bref, j'ai même pleuré comme une madeleine à une partie de l'histoire mais je n'en dirais pas plus ! Bonne lecture !
Cette photo n'est pas de moi mais provient de DeviantArt (https://www.deviantart.com/johnberd/art/YSL-377450309)(lien dans les commentaires), mais elle illustre parfaitement comment je j'imagine Sacha. Tous les crédits sont donc à johnberd (pseudo DeviantArt).
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Temporalité : juillet - octobre/novembre 2013
« Alors, à la fin des vacances, on s'arrête ?
— C'est mieux comme ça, non ? répliquais-je, peu convaincu par ma réponse. »
Loïc me regarda avec sa moue de chien battu comme il savait si bien le faire pour m'amadouer. Cependant, cette fois, je ne devais pas craquer. On avait évoqué le problème et les éventuelles solutions plusieurs fois durant l'année, mais il ne semblait pas y avoir de consensus. Dès la rentrée, je partais en licence de philosophie à Clermont, tandis que Loïc s'envolait pour la région parisienne, ayant réussi à intégrer le centre de formation de la Fédération Française.
« Il nous reste tout de même huit semaines, glissa-t-il avec un sourire avant de m'embrasser. »
Oui, il fallait profiter de chaque instant qui nous restait, même si Loïc ne comptait pas arrêter ses entraînements quasi quotidiens, il nous restait du temps libre. Exactement comme maintenant. Allongés sur le lit une place de ma petite chambre – que je partageais avec mon frère durant mon enfance, mais parti pour ses études depuis quelque temps maintenant –, nous ne pouvions pas nous y ennuyer. Je l'embrassai et passai ma main derrière son dos afin de l'attirer à moi et de lui faire comprendre ce qui m'animait à l'instant même.
« Bonjour les garçons, lança ma mère lorsque nous entrâmes dans la cuisine. »
Je lui répondais d'un signe de tête, tandis que mon petit ami s'empressait de l'embrasser afin de la saluer. D'un geste machinal, je sortais nos deux bols du placard et les remplissais de café. Depuis environ un an, Loïc passait un week-end sur deux chez moi. Mes parents, grâce au sérieux de notre relation, ne s'étaient jamais opposés et, au contraire, accueillait mon petit ami avec plaisir.
« Tartines ? demandais-je à Loïc.
— Il y a de la baguette fraîche dans le sac à pain, si vous voulez.
— Ce sera parfait, répondit Loïc, avec son sourire d'ange. »
Athlétique, joli garçon et incroyablement gentil, Loïc était le gendre – ainsi que l'ami, le petit-ami et même le frère et le fils – idéal. En quasiment trois ans de relation, je ne lui avais pas trouvé d'autres défauts que celui d'être obsédé par la natation. Ce qui n'en était même pas un à proprement parler, même si ça avait déjà été source de plusieurs disputes ou de retrouvailles manquées, on ne pouvait clairement pas lui en vouloir de s'entraîner plus que de raison alors qu'il y excellait et qu'il adorait ça. À côté de lui, bien que je sois souvent vu comme le gentil petit garçon, je m'effaçais.
« Vous avez quelque chose de prévu ? demanda ma mère, curieuse.
— Oui, on a une soirée chez Ham, ce soir, répondis-je.
— Et je pense que je vais passer l'après-midi à la piscine. »
Évidemment. Il ne pouvait pas en être autrement : lorsque j'avais la chance de me réveiller dans ses bras, il était un peu près sûr que je ne le verrais pas de l'après-midi. Et inversement. Ce n'était donc, certes, pas un défaut mais ça avait tendance à limiter nos interactions, et la perspective de la séparation à la fin de l'été rendait ces moments encore plus douloureux.
« Tu devrais passer l'après-midi avec tes frères, ils vont faire un foot avec des amis au terrain vague.
— Maman ! m'écriai-je. Je ne vais pas passer quatre heures avec des gosses qui n'ont pas besoin de moi ! »
Je détestais quand ma mère me reprochait de ne pas assez m'occuper de mes petits frères. Je n'étais pas leur baby-sitter et la différence d'âge entre nous avait toujours instauré une distance. Mais dans le même temps, je savais pertinemment pourquoi elle insistait. L'été avant que mon grand-frère ne quitte la maison pour poursuivre ses études, il m'avait également mis de côté et j'avais passé les pires vacances de ma vie. Mais ce qu'elle ne savait pas c'était qu'en dehors de ça, qui m'avait effectivement peiné, je venais également de vivre mon premier chagrin d'amour qui m'avait bien plus achevé. Et puisque c'était avec un garçon, je n'avais osé en parler avec personne. Heureusement que Loïc avait fini par arriver dans ma vie, chassant définitivement mon ancien petit-ami de mes pensées et me permettant de m'assumer. Bien que j'habite un hameau d'environ trois cents vaches, on ne m'avait jamais regardé de travers, ici ou au lycée, ce qui m'avait permis de comprendre que je n'aurais jamais à avoir honte. Maintenant, nous en étions au point où nous représentions le « couple goal » du lycée, contre toute attente.
Nous finîmes notre petit-déjeuner et mon petit-ami fila prendre une douche, pendant ce temps, j'envoyais un message à Hamilton pour savoir s'il aurait besoin d'aide durant l'après-midi pour préparer la fête du soir même. Maintenant que les cours étaient finis et que nous n'avions plus de devoirs, il allait falloir que j'occupe les périodes où Loïc irait s'entraîner. La réponse ne se fit pas attendre, et j'étais heureux de savoir que je n'allais pas passer mon après-midi à me tourner les pouces. En plus, je pourrais profiter du taxi en même temps que ma mère emmenait Loïc à la piscine.
Ce fut Dimitri qui m'ouvrit la porte lorsque je sonnai chez Hamilton à quatorze heures vingt. Ils étaient les meilleurs amis du monde – au même titre que Cyril et Quentin – et étaient, tout le temps, fourrés ensemble.
« Tu veux boire un truc ? »
Je déclinai poliment en voyant qu'ils s'étaient déjà servi des canettes de bière, puis je m'installai sur l'énorme sofa posé devant le home cinéma. Un jeu – que je ne connaissais pas – avait déjà été lancé, et l'écran de pause s'affichait.
« Ça va ? me demanda Hamilton.
— Bof, finis-je par dire.
— Loïc a fini par être un con ? demanda Dimitri qui était au courant du caractère parfait de mon petit-ami.
— Non, pas vraiment, grimaçai-je. C'est juste qu'on a toujours pas de solutions et qu'il n'y a pas d'autres choix, on va sans aucun doute se séparer à la fin de l'été.
— Fais pas cette tête, enchaîna Dimitri. Au moins, ils vous restent deux mois pour baiser comme des lapins. »
Je lui lançai un regard noir. Dimitri ne mâchait pas ses mots. Mais c'était facile à dire pour eux, ils n'avaient pas à gérer de tels problèmes, je n'étais même pas sûr qu'ils aient fréquenté une fille plus longtemps qu'une seule soirée. Je savais que Hamilton aurait bien voulu avec Pauline, mais elle avait mis un terme à ses espoirs inutiles depuis plusieurs mois maintenant. La différence, c'était que moi, j'étais fou amoureux de Loïc, et que peu importe tout ce qui allait se passer dans nos vies, je ne voulais pas qu'on se sépare.
« Bon, on reprend la partie ? »
« Je vais déménager le 13 août, en fait. »
Allongés l'un à côté de l'autre sur mon lit d'enfance, je sens ses paroles me traverser comme une bombe.
« Pardon ?!
— Je... je... balbutia-t-il. Je voulais te le dire plus tôt, mais... c'était compliqué.
— Et donc, me le dire après le sexe, c'était moins compliqué ? »
Vexé, je me levai sans lui adresser un seul regard. Toujours nu, je cherchai mes vêtements jetés à terre quelques minutes plus tôt, pas du tout dans les mêmes dispositions.
« Sacha... »
Toujours sans me retourner, je quittai la chambre, le laissant seul, puis descendis vers le rez-de-chaussée. Où allais-je aller ? Il n'était pas question que je tombe sur mes parents à ce moment-là, ou sur mes frères, mais en même temps tout le monde s'inquiéterait si je quittai la maison à vingt-deux heures sans un mot. Je crois que je m'attendais surtout à ce qu'il me rattrape, me prenne dans ses bras et me dise que c'était une horrible blague et qu'il était désolé. Mais j'avais croisé son regard lorsqu'il me l'avait annoncé, il n'y avait rien de faux.
Comment avait-il pu me cacher cette information aussi longtemps ? Depuis quand le savait-il d'ailleurs ? Le 13 août ? Cela voulait dire qu'il nous restait... dix jours ? Et non pas un mois comme ce que je pensais alors... Le temps se réduisait de manière drastique en quelques mots prononcés.
Dans le jardin, seul, sous le vieux saule pleureur que j'avais toujours connu, je laissai ma colère et mes larmes s'échapper. Il ne tarda pas à me retrouver et me rejoindre.
« Sacha, je suis désolé. J'aurais dû te le dire depuis le début. »
Il posait sa main sur mon bras et à ce moment-là, j'aurais voulu le repousser de toutes mes forces, mais c'était au-delà de mes capacités.
« Pourquoi ?
— Pourquoi quoi ?
— Pourquoi tu ne me l'as pas dit ? Pourquoi tu pars si tôt ? Pourquoi t'étais obligé de tout gâcher ? vociférai-je, d'une violence que je ne me connaissais pas. »
Ses larmes rejoignirent bientôt les miennes, et je nous trouvai pathétiques à pleurer tous les deux dans cette nuit silencieuse.
« Mais parce que c'est trop dur Sacha, c'est trop dur de te quitter. C'est le pire truc que j'ai jamais eu à faire.
— Mais moi aussi ! m'écriai-je. Alors, pourquoi devrait-on le faire ?
— Parce que sinon, on va se détester. Et tu le sais aussi bien que moi.
— Et si ça marchait ?
— Ça ne marchera pas. Mes entraînements et mon rythme de vie seront encore plus intenses, on ne nous laisse pas vraiment la possibilité d'avoir autre chose que la natation dans notre vie là-bas, et je te ferais souffrir de ne quasiment jamais rentrer.
— La formation commence le 13 août ?
— Le 15. On a deux semaines légères avant de commencer véritablement en septembre. Je vais sans doute revenir le dernier week-end d'août.
— Alors... On est pas obligé de se quitter le 13. »
Mon cerveau réfléchissait à mille à l'heure. Je pourrais prendre un train et venir le voir chez mes parents, on pourrait profiter des deux derniers jours ensemble. Ou alors je pourrais venir avec lui pour les deux dernières semaines d'août, si ce sont deux semaines légères, on pourrait avoir encore du temps...
« Sacha... »
Sa voix était emplie de tristesse.
« Crois-moi, ça me tue de te dire ça. »
Il déglutit, je n'osais pas croiser son regard.
« Il vaut mieux qu'on arrête le 13, directement. On va se faire trop de mal.
— C'est ton seul argument.
— Arrête, Sacha. On a pris cette décision ensemble. Ça fait un an qu'on en parle, il est peut-être temps qu'on devienne adulte et qu'on fasse le bon choix. Et j'ai absolument pas envie de me disputer avec toi alors qu'il nous reste que dix jours.
— Ce serait peut-être mieux, non ? Partir fâcher, en se détestant. Non ?
— Non, je ne veux pas de regret. »
J'oscillai. Mon cœur me criait de me réfugier dans ses bras, mon cerveau me poussait à m'enfuir le plus loin possible. On s'était déjà fait trop de mal : était-ce possible de s'en faire encore plus ?
« Tu vas pleurer ? me demanda-t-il soudainement, en se tournant vers moi.
— Dès que tu vas sortir du lit, lui répondis-je en soutenant son regard.
— Pourquoi ce serait moi qui le ferais en premier ? répondit-il surpris. »
Un bref coup d'œil autour de moi confirmait ce que je savais déjà.
« Parce que tu pars dans trois heures et que tu n'as même pas bouclé tes bagages. »
Il soupira.
« Moi je peux rester ici toute la journée, rajoutai-je.
— Ne pleure pas s'il te plaît, dit-il en m'embrassant. »
Lorsque ses lèvres se posaient sur les miennes, c'était comme un pansement sur mon cœur meurtri. Mais lorsqu'il les retirait, c'était exactement le même effet : il arrachait le pansement.
« On a plus le temps, dis-je finalement à regret.
— Je sais, mais je veux profiter de toi jusqu'au dernier instant. »
Et ses lèvres se posèrent à nouveau sur ma bouche. Et plus il continuait, et plus je sentais les larmes monter. Ne pas pleurer. Ne pas pleurer. C'était plus facile à dire qu'à faire. Notre relation était vouée à l'échec depuis le début, on aurait dû arrêter bien avant, ou ne jamais commencer. Mais ça aussi, c'était plus facile à dire maintenant, après trois ans de relation que je n'avais absolument pas envie de regretter. Aucune seconde auprès de lui n'avait été de trop. Mon cœur se serrait infiniment.
Finalement, après un dernier baiser, il abandonna ce qu'il était en train de faire, et se leva du lit. Je ne me trompais jamais. Pendant que mes yeux parcouraient une dernière fois son corps nu, je frissonnais. C'était fini, tout allait s'arrêter brusquement, maintenant, après une dernière nuit d'amour passionnée. Il soupira en cherchant une tenue décente dans son armoire, me tournant le dos. Et je sentais les premières larmes commencer à couler le long de mes joues.
Il se retourna vers moi et s'approcha.
« Hé, on a dit qu'on ne pleurait pas. »
Il essuya d'une caresse le ruisseau sur mon visage.
« Co... comment tu fais ? »
Il secoua la tête, il n'avait pas lui-même la réponse.
« Tu... tu devrais partir, lâcha-t-il finalement. »
Je confirmai d'un hochement. C'était le bon moment. À vrai dire, il n'y avait pas de bon moment, mais dans un sens, plus je restai, et plus je m'attachai. Lentement, je me levai, m'habillai à mon tour, puis quittai la chambre, non sans le regarder une dernière fois pour m'imprégner des traits de son visage. Je luttai de toutes mes forces pour ne pas me jeter dans ses bras et le supplier de changer nos plans.
Sur le trajet de retour, dans le bus, mes yeux ne pouvaient se détacher de l'image de fond d'écran de mon portable. La photo avait été prise un an plus tôt à une soirée où nous étions réellement trop alcoolisés pour savoir faire un selfie correctement. Nous étions beaux, et surtout insouciants de ce qui allait se passer. Mon cœur était sec.
Les deux semaines suivantes furent sans doute parmi les plus compliquées de ma vie, tout me ramenait vers cet horrible été d'il y a trois ans, juste avant l'entrée au lycée. Je ressentais les mêmes angoisses, les mêmes douleurs, et toujours cet œil rivé sur le téléphone dans l'espoir qu'il donne de ses nouvelles... J'avais repoussé la recherche d'appartement jusqu'à présent, pour être sûr de ne louper aucun moment avec lui, mais à quelques semaines de la rentrée, il fallait que je me rende à l'évidence que ça devenait urgent. Lucas, mon grand-frère qui habitait Clermont depuis déjà trois ans, m'avait invité à son studio pour que nous puissions faire nos recherches sur place directement. Il y a quelques mois, j'aurais sauté de joie à l'idée de revoir mon frère, mais je traînai clairement des pieds dans le bus qui me menait chez lui.
Lui fut ravi de me voir, en revanche. Il me prit littéralement dans ses bras, comme ça n'était sans doute jamais arrivé. Évidemment que maman lui avait tout raconté, j'aurais dû m'en douter.
« N'essaie même pas de me tirer les vers du nez, lui dis-je directement, peut-être un peu trop brutalement.
— De quoi tu parles ? On est là pour te trouver l'appart de tes rêves, petit frère !
— J'ne suis pas dupe, grimaçai-je. »
Il m'emmena directement au sixième étage – sans ascenseur – de sa résidence. Cela faisait trois ans qu'il était là, mais je n'étais jamais venu chez lui, il fallait dire que durant les deux premières années, mis à part bosser pour espérer réussir le concours de médecine était sa priorité et que dans tous les cas, l'appartement était exigu. Il avait tout de même réussi à poser un matelas une place au sol, devant sa penderie. Le grand luxe. J'y laissai tomber mon sac avec grand fracas. Je n'avais aucune envie d'être là.
Devançant mon manque d'enthousiasme, il avait lui-même pris une dizaine de rendez-vous pour des visites pour les prochains jours.
« J'ai privilégié les apparts proches de ta fac.
— Et où on peut vivre ?! lançais-je en jetant un coup d'œil autour de moi. »
Il dut être vexé par ma remarque, car il ne répondit pas. Mon frère était loin d'être un as du ménage et du rangement, ce qui avait occasionné de nombreuses disputes dans notre enfance comme nous partagions la même chambre, mais deux années à ne rien faire d'autres que réviser pour un foutu concours n'avait clairement pas aidé. Et pourtant, je sentais qu'il avait fait un effort pour ma venue.
« Les parents sont pas millionnaires non plus et les bourses couvrent pas tout, hein. »
J'haussais les épaules : savoir si j'allais avoir assez d'argent pour vivre l'année prochaine était bien la dernière de mes préoccupations. Depuis son départ, mes pensées étaient hantées par Loïc. Je ne pouvais cesser de me demander ce qu'il faisait à ce moment-là : était-il en train de s'entraîner ? de manger ? de prendre une douche ? de penser à moi ? Avait-il rencontré un autre garçon ? Les milieux sportifs – malgré les récents progrès – n'étant pas spécialement connus pour leur ouverture d'esprit, ça me rassurait, mais Paris étant grand. Et de toute manière, vu notre décision, il faudrait bien qu'il rencontre quelqu'un d'autre un jour. Et moi aussi. Mais ce ne serait clairement pas moi qui craquerais le premier.
Peut-être grâce à mon côté peu regardant, l'appartement fut vite trouvé. Le premier, répondant à nos maigres critères et notamment celui de mes parents, qui accepta de signer un bail avec nous fut le mien. La date de l'emménagement fut fixée au 1er septembre, ce qui me laissait une dizaine de jours avant de venir m'y terrer jusqu'au restant de mes jours.
« Est-ce que tu veux rester quelques jours de plus ?
— Hein ? »
Je regardai mon frère, sans comprendre. Il avait réussi à me traîner dans un bar pour partager une bière afin de fêter la signature.
« T'as pas de billet de retour pour le moment, et je me suis dit que ça te ferait peut-être du bien, déblatéra-t-il. Je pourrais te faire visiter et on pourrait passer un peu de temps ensemble, comme au bon vieux temps. »
Je continuai à le fixer sans savoir quoi répondre. Je ne savais même plus de quoi j'avais envie, si ce n'est que les jours passent au plus vite et que ma vie se finisse. C'était peut-être un peu brutal, mais je venais de perdre ma raison de vivre.
« Non, je crois que je vais rentrer...
— Pas de soucis, m'assura-t-il bien que je visse le contraire dans ses yeux. En tout cas, ma porte sera toujours ouverte pour toi, et si tu veux un conseil, il vaudrait mieux que tu suives les cours, pas que tu t'enfermes dans ton appartement.
— Ne t'inquiète pas pour moi, je suis sérieux. »
Il me fit un demi-sourire. Si je préférai malgré tout rentrer, c'était pour la raison très simple que Loïc allait revenir chez ses parents le week-end suivant, et que j'avais l'espoir maladif qu'il m'appelle pour qu'on se voie.
Il ne m'appela évidemment pas, et mes parents m'aidèrent à emménager le 1er septembre, comme convenu. Même mon frère vint donner un coup de main, et très vite l'appartement fut meublé et rempli des quelques objets qui avaient encore de la valeur à mes yeux. J'avais pris soin de ne pas emporter trop d'objets me rappelant Loïc, même si je n'avais pas pu m'empêcher de prendre Fimo, une peluche grenouille qu'il m'avait offerte pour notre première Saint-Valentin en s'excusant de ne pas connaître encore assez mes goûts. Elle était adorable.
Lucas avait insisté pour rester une partie de la soirée, mais j'avais finalement réussi à le mettre dehors. Je ne voulais rien d'autre que d'être seul.
Ironiquement, je pensais à toutes les personnes, à tous mes amis, qui étaient exactement dans la même situation que moi. À ce moment-là, ils devaient tous commencer à angoisser par rapport aux cours qui allaient reprendre, se posant mille questions sur leur choix, leur motivation et les futures difficultés, quand moi je restai allongé sur mon lit, toute lumière éteinte, Fimo dans mes bras. Et pourtant, quelques mois auparavant, j'aurais juré que j'aurais été dans le même état qu'eux.
Les jours passaient et se ressemblaient, mon emploi du temps était assez léger ce qui me permettait de comater allègrement dans mon lit, les yeux rivés sur mon portable qui ne sonnait que pour recevoir des messages de gens qui s'inquiétaient. Mon frère surtout, mais aussi Quentin et Hamilton m'avaient envoyé un nombre impressionnant de messages. Même Dimitri s'y était mis, et Clémence, dont je m'étais rapproché dans les derniers mois de l'année scolaire. Elle me proposait, d'ailleurs, d'aller boire un verre avec elle la semaine suivante. Mais je n'avais pas répondu, comme pour les autres. Y avait-il quelqu'un qui pouvait comprendre ma douleur ? Loïc, sans doute.
Tous les soirs, la même question revenait : devais-je lui envoyer un message bien que ça aille à l'encontre de tout ce que nous avions décidé ? Je n'étais pas sûr d'avoir la même force mentale que lui, et j'avais l'impression que j'allais craquer à tout instant, même si pour le moment, je tenais.
« Hey ! Tu ne parles pas beaucoup ! »
Pendant que je fermai mon ordinateur, je me tournai vers le garçon qui venait de s'approcher de moi. Grand, blond, athlétique à ne pas douter au vu de sa carrure, il ressemblait tellement à Loïc que j'eus un léger hoquet. Je restai stupéfié devant lui et je devais paraître bien pathétique.
« Je m'appelle Jérémy. »
Il me tendit sa main et je mis un long moment avant de réagir.
« Sacha, chuchotai-je.
— Viens prendre un verre avec nous, Sacha, on dirait que tu connais personne. »
C'est à ce moment-là que je remarquai le groupe qui attendait patiemment derrière lui. Deux filles et deux garçons que je n'avais encore pas remarqués.
« Peut-être pas ce soir, réussi-je à articuler avec peine.
— Après, on va être surchargé de travail, ça va être plus compliqué, lança-t-il. »
Il n'avait pas tort, mais je n'avais absolument pas envie de me retrouver dans un bar avec cinq inconnus.
« Allez ! insista-t-il avec force. C'est Matthias qui meurt d'envie de te connaître. »
À l'entende de ces paroles, celui que je devinais être le dénommé Matthias, un petit brun filiforme, rougit brutalement. Je ne pouvais pas douter du sous-entendu de la phrase. Je rougis à mon tour.
Je déclinai poliment une dernière fois, il était encore trop tôt pour que je puisse rencontrer d'autres personnes. Et ils abandonnèrent, pour l'instant précisa Jérémy. Je les regardai s'éloigner pendant que je finissais de ranger mes affaires, cette minuscule conversation m'avait épuisé. Par réflexe, je jetai un coup d'œil à mon portable : pas de nouveau message.
Je rentrai à mon appartement à pied – c'était vrai qu'être proche de sa fac était un avantage non négligeable – et j'eus la surprise de trouver Clémence qui m'attendait devant la porte.
« Qu'est... Qu'est-ce que tu fais là ? bégayai-je difficilement.
— Tu répondais pas, alors j'ai demandé à Hamilton le numéro de ton frère, et ton frère m'a donné ton adresse, ils s'inquiètent tous pour toi, lança-t-elle.
— Je vais bien, merci, répondis-je plus sèchement que je voulais, tout en poussant la porte.
— Tu ne m'invites pas ? glissa-t-elle, avec un sourire.
— Puisque tu es là... »
Je m'effaçai pour la laisser pénétrer dans mon antre. Quiconque me connaissait un minimum ou avait déjà été dans ma chambre n'aurait jamais reconnu cet appartement. De la vaisselle traînait dans l'évier depuis plusieurs jours, mes vêtements gisaient au sol en entendant d'être mis dans un sac pour la laverie, et je n'avais pas aéré depuis... depuis que j'étais là.
Loin de s'en soucier, en un clin d'œil, elle avait ouvert la seule fenêtre, glisser mes vêtements dans un cabas de course qui traînait et commençait à remettre de l'ordre dans ma partie « cuisine » afin de trouver une chaise sur laquelle s'asseoir.
« Bon, t'as eu de ses nouvelles ? »
Je fus surpris par son ton direct, au moins, elle n'y allait pas par quatre chemins.
« Non, murmurais-je.
— Quel con, maugréa-t-elle.
— C'est... ça faisait partie du plan. »
Elle grimaça. Au fond, je crois que personne n'avait compris pourquoi nous faisions ça. Pourquoi il était si important qu'on mette un point final alors qu'on aurait simplement pu s'attendre.
« Votre plan est con aussi. »
Une minute de silence passa.
« Mais si tu veux absolument t'y tenir comme je le pense, il va falloir que tu te changes les idées. Rester seul, ici, enfermé, ça t'aidera clairement pas. »
Comme si je ne le savais pas.
« T'as rencontré des gens de ta promo ? demanda-t-elle.
— Euh, oui... »
Devais-je mentir ? Vu le regard qu'elle posait sur moi, je n'avais plutôt pas intérêt. On aurait presque dit qu'elle était en colère.
« Des gens m'ont proposé d'aller boire un verre en fait, ce soir.
— Mais tu as refusé, soupira-t-elle. »
Je ne savais pas quoi dire. À choisir entre être coincé chez moi avec cette fille qui pouvait se transformer en furie en quelques secondes et aller dans un bar avec cinq inconnus, la deuxième solution me paraissait soudainement plus alléchante.
Elle quitta mon appartement à vingt-trois heures après s'être assurée que j'avais mangé correctement, que j'allais en cours et que je ne refuserai pas la prochaine fois qu'on me proposera de sortir. C'était pire qu'une torture : qu'est-ce qui m'avait pris de me lier d'amitié avec cette fille quelques mois avant la fin des cours ? Au moins, tous mes autres amis, ainsi que mon frère, connaissaient les limites de l'intimité et n'allaient pas débarquer ici sous prétexte que je semblais aller mal.
Ma nuit fut encore remplie de cauchemars que je faisais tous les soirs sans exception depuis notre séparation, et c'était exactement le même à chaque fois : je revivais inlassablement notre dernier moment ensemble, et la douleur était de plus en plus insupportable. Je finissais par me réveiller avec une plaie encore plus béante que la veille à la place du cœur.
Lorsque j'allai m'asseoir le lendemain dans le vieil amphithéâtre, Jérémy me fit un sourire et un signe pour que je m'approche d'eux. Je déclinai l'invitation, mais me forçai à sourire à mon tour, cela sembla lui suffire puisqu'il se retourna vers le bureau du professeur. Si hier soir, j'avais affirmé avec force que j'accepterais la proposition la prochaine fois qu'on me la fera, j'étais beaucoup moins confiant à l'heure actuelle. Je décidai de me reconcentrer sur le cours du professeur qui venait d'arriver, qui à défaut d'être passionnant, me permettait d'oublier ma douleur.
Le week-end arriva bien vite, et j'en fus, comme à chaque fois, enthousiaste. J'avais pris la décision de rentrer chaque week-end dans ma famille, cela faisait plaisir à maman. Il y avait bien sûr une autre raison que je n'aurais jamais avouée : j'avais toujours ce mince espoir que Loïc rentre lui aussi et qu'on puisse se croiser. Bien que ses parents habitent à une centaine de kilomètres des miens, et qu'il était presque plus probable qu'on se croise à Clermont que chez moi, là, il avait mon adresse. Ce qui n'était pas le cas de mon studio étudiant.
Toutes mes semaines étaient bien rôdé, j'assistai aux cours, j'évitai les étudiants qui voulaient trop se rapprocher de moi, je n'oubliai évidemment pas de répondre aux messages de Clémence qui me harcelait – quitte à mentir sur mes prétendues sorties – et le week-end, je rentrais chez mes parents. Et puis arriva le jour de mon anniversaire, le 18 octobre. Pour une fois, je trépignai d'impatience. Non pas que je n'aimais pas le fêter, mais je n'y accordais pas plus d'importance que cela. Sauf que cette année, j'avais un pressentiment. Même si on était séparé, j'allais forcément recevoir un message de Loïc. C'est ce que font les ex généralement, ils s'envoient deux messages par an pour leurs anniversaires. Et je savais que Loïc ne pouvait pas avoir oublié. Contrairement à mes habitudes, j'étais resté éveillé jusqu'à plus de minuit. Ces dernières années, il avait toujours été le premier à me le souhaiter, il ne pouvait pas en être autrement. Sauf contre toute attente, ce fut finalement Clémence qui m'envoya en premier un message à minuit quarante-sept. En larmes, je finis par m'endormir une heure plus tard sans le moindre message de sa part. Le lendemain au réveil, j'avais huit nouveaux messages, mais pas un seul de Loïc. Toute la journée, je scrutai attentivement mon portable. Le soir, dans le bus, qui me ramenait chez mes parents, en compagnie de mon frère – venu passer le week-end pour fêter mon anniversaire – je ne le quittai toujours pas des yeux, si bien que Lucas, exaspéré me le confisqua pour le reste du trajet.
« Vous avez décidé de ne plus vous parler, il ne t'enverra pas de message. »
Ses mots furent comme un coup de poignard dans mon cœur déjà amoché. Mais il avait raison. Il me le rendit à peine nous eûmes passé le pas de la porte, mais je devais me rendre à l'évidence.
Pour la première fois, ce soir-là, je détestai mon anniversaire. Je n'avais aucun enthousiasme à rendre leurs sourires aux membres de ma famille et à feinter la joie à l'ouverture de leurs quelques présents. Je montai dans ma chambre rapidement après la dernière bouchée de gâteau avalée. Posé sur le lit qui nous avait accueillis tant de fois, j'allumai mon PC, prêt à mettre à l'œuvre ma nouvelle idée. Lucas entra dans la pièce à ce moment-là. Depuis le temps qu'il avait déménagé, j'en avais presque oublié que c'était toujours aussi sa chambre.
« T'as le regard du mec qui va faire une connerie, me dit-il en soupirant. »
Il s'assit sur le bord de mon lit. Il n'avait pas tort, mais il n'y avait rien qui pouvait m'arrêter à ce moment-là. J'étais déterminé à faire ce que je m'étais toujours refusé à faire jusqu'à présent : j'allais enfin me créer un compte Facebook et espionner Loïc, peu importe si c'était pour le voir dans les bras d'un autre mec, j'avais désespérément besoin d'avoir de ses nouvelles.
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Voici donc la première nouvelle, j'espère qu'elle vous a plu ! Je suis incapable de dire quand sortira la prochaine, parce que même si elles sont toutes planifiées (que j'ai un plan), je ne les ai pas écrite et je ne sais pas quand je les écrirais. Il est probable que la prochaine sortira vers mi-janvier, mais je ne peux pas vous l'assurer comme je n'ai aucune idée sur qui elle portera.
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