Renaissance - Salomé
Je conclu aussi l'arc sur Salomé avec cette nouvelle "heureuse". Pour finir la première partie, il manquera les deux nouvelles Catherine mais je vais possiblement me laisser un peu plus de temps que la fin du mois car ça risque d'être tendu ! En espérant que celle-là vous plaise !
Temporalité : septembre - novembre 2012
La première chose ou plutôt personne que je remarquai en entrant dans la salle de classe devant accueillir notre première heure de cours de l'année était le nouveau. Assez grand, les cheveux en bataille et la peau mate, j'aurais pu jurer de ne jamais l'avoir croisé auparavant. Le professeur – de français, que j'avais déjà eu l'année précédente – nous fit nous installer et je m'assis à ma place, à côté de Mahaut comme à mon habitude. L'enseignant – professeur principal de notre classe de Terminale – commençait déjà ses envolées lyriques sur l'examen de la fin de l'année, que déjà lassée par cette litanie, mes yeux vagabondaient vers cet élève, mystérieux.
Enfin, Monsieur Beller s'arrêta et nous distribua les traditionnelles feuilles où nous devions inscrire nom, prénoms, adresses et professions des parents, ainsi que les quelconques informations dont l'équipe enseignante pourrait avoir besoin durant l'année. Lorsqu'il tendit sa feuille au nouvel élève, il se tapa le front de la paume de sa main.
« Mais oui, j'ai complètement oublié. Habituellement tous les élèves se connaissent déjà, j'avais oublié votre arrivée, Monsieur...
— Jules. Guillaume Jules.
— Hum, Jules est votre nom de famille, c'est cela ? »
Le garçon opina. Toute la classe avait désormais les yeux rivés sur le garçon, on n'était peu habitué à ce genre de scène.
« Est-ce que vous souhaiteriez dire quelques mots à vos petits camarades, histoire de vous présenter un peu ? »
Il sembla hésiter, mais finalement alors que nous retenions tous notre souffle, il se leva et prit place derrière le bureau du professeur.
« Euh bonjour, dit-il, angoissé. Je suis Guillaume et... euh... Je suis dans votre classe. »
Nous explosâmes de rire, cependant c'étaient loin des moqueries auxquelles nous avions déjà eu affaire. Guillaume avait l'air gentil et dans une classe majoritairement composée de filles, un nouvel individu de sexe masculin était souvent digne d'intérêt. À moins qu'il ne se relève, être comme Sacha. Je savais très bien qu'avec sa relation avec Loïc, ce dernier avait brisé quelques cœurs.
« Je viens de déménager, je viens de Paris et mes parents ont estimé que l'on devait changer d'air. J'aime euh... J'aime bien lire et... »
L'enseignant sourit satisfait, même si ça n'avait rien d'extraordinaire de retrouver un lecteur dans une classe de Terminale littéraire.
« Très bien, conclut Monsieur Beller, qui l'invita à se rasseoir. »
Mahaut se retourna vers moi dès qu'il obéit et me donna un coup de coude dans les côtes. Je ne savais pas ce qu'il signifiait entre « il est pour moi » ou « il est pour toi », mais je lui souris. Cela faisait du bien un peu de changement et de nouveauté, surtout pour moi, essayant désespérément de me remettre de l'histoire de cet été.
Je du tout de même attendre la fin des deux heures du discours de notre professeur principal sur l'importance de commencer à réviser dès à présent pour le bac qui était dans huit mois - ou peut-être dix, tellement cela me semblait loin - pour retrouver les filles à la pause du milieu de matinée. Évidemment, après que je sois allé faire un tour aux toilettes, elles ne parlaient que de lui.
« Et toi Sam ? Il t'intéresse du coup ? »
Je fis semblant de prendre un air surpris, même si je savais qu'elles allaient me poser cette question.
« Oh, je sais pas trop. Je n'ai pas réfléchi.
— Ça, ça veut dire oui, plaisanta Clémence.
— Et vous ? lançai-je innocemment.
— Bah moi, non, lança Clémence. Eulalie a dit « bof » et Mahaut a clairement dit qu'il n'était pas à la hauteur de Cyril. »
Mon cœur se serra en entendant ce prénom. Cela faisait presque trois ans que ma meilleure amie m'en parlait dès qu'elle le pouvait, Cyril par-ci, Cyril par-là, et ça n'enlevait rien à ma peine, au contraire. Toutes, nous avions essayé de lui démontrer que c'étaient des sentiments qui allaient droit dans le mur, mais elle continuait à nous ignorer et à nous répéter que peut-être elle se plaisait dans cette relation unilatérale. Je la connaissais assez bien pour savoir qu'elle se faisait souffrir toute seule. C'était sans doute l'une des raisons qui avait fait que je ne lui avais jamais parlé de ma propre relation avec lui. Relation qui s'était notamment finie dans un fracas durant l'été et sur laquelle je n'avais plus envie de m'appesantir. Je savais que plus le temps passait, et plus Mahaut m'aurait littéralement assassiné de ne lui en avoir jamais parlé, sans compter de l'immense jalousie qu'elle aurait ressentie — elle m'avait d'ailleurs fait quasiment une scène, car j'avais la « chance » que mon casier soit voisin au sien.
Cyril. Cyril aurait pu causer notre perte à toutes les deux si nous ne faisions rien de plus. L'objectif de l'année était de lui sortir le jeune homme de la tête, quant au mien, mis à part l'ignorer totalement comme ce que j'avais prévu, j'avais l'impression que Guillaume pourrait bien m'aider à passer ce cap. Après tout, les filles m'avaient laissé le champ libre. Et maintenant que je n'étais plus une vierge effarouchée, j'avais peut-être le droit à plus de liberté. Même s'il fallait évidemment l'aborder dans un premier temps.
L'occasion m'en fut donnée très vite. Après le déjeuner, Mahaut se plaignit soudainement de douleurs terribles dans l'abdomen. Même si ce n'était sans doute que des souffrances dues à ses règles, nous l'amenâmes à l'infirmerie, où la gérante du lieu lui proposa de rester se reposer quelques heures. J'étais donc seule pour les cours de l'après-midi et je connaissais un autre élève qui était également seul à sa table. Dès le premier cours de l'après-midi, je me glissai sur le deuxième siège de son pupitre.
« Salut. T'es tout seul ?
— Euh, ouais me répondit-il gêner. Je connais pas encore trop les gens. »
J'acquiesçai, j'espérai simplement qu'il n'avait pas mangé tout seul, encore que, je l'avais vu discuter avec Sacha avant d'entrer dans la salle. J'espérai juste qu'il ne deviendrait pas le nouveau meilleur ami de Cyril, ça pourrait arranger les affaires de Mahaut, mais clairement pas les miennes.
« C'est pas trop dur de débarquer ici, dans un coin perdu quand on vient de Paris ?
— C'est vrai que c'est différent. Mais j'ai eu deux mois pour m'habituer alors ça va maintenant. »
Le professeur d'histoire-géo, un petit homme maigre et chauve, claqua son livre contre son bureau afin d'intimer le calme, et son regard nous fusillant sur place nous démontrait très clairement que notre petite discussion n'était pas passée inaperçue. Cependant, il distribua rapidement des textes à étudier et nous autorisa à le faire en binôme, ce qui me laissait tout le loisir de continuer notre discussion.
« T'as passé deux mois ici, sans connaître personne ?
— Ouais, avoua-t-il gêner. Des potes sont venus deux semaines, alors ça a été, mais c'est vrai que c'était la partie chiante. J'avais hâte de recommencer les cours, même.
— Tu m'étonnes. C'est dommage, mais c'est vrai qu'on est pas souvent à l'extérieur. Enfin je veux dire y'a pas vraiment de parc ou de truc comme ça où on se retrouve. On fait plutôt des soirées. »
Toujours paraître cool. Même si la soirée de l'été qui avait tourné au vinaigre avait été la première que j'avais réalisée depuis des mois, toujours paraître cool. Guillaume continua à me sourire, tout en restant un peu gêné.
« En tout cas, si t'as besoin de quoi que ce soit, tu peux venir me demander. Ou à ma meilleure amie. Elle était déléguée les années précédentes et je pense qu'elle va être réélue cette année. »
Il opina, puis me proposa de commencer à travailler le texte. C'était un garçon sérieux, cela me fit sourire de penser que mes parents l'apprécieraient sans doute plus qu'ils ne l'auraient fait avec Cyril. Mais il n'y aurait jamais plus de Cyril. C'était la première journée de cours et mieux valait commencer le sevrage le plus tôt possible. Encore que ce ne serait pas facile si Mahaut continuait à déblatérer des heures durant sur lui, mais j'arriverais à m'y faire.
L'après-midi passée en sa compagnie – Mahaut était finalement rentrée chez elle – me permit de faire la connaissance d'un garçon vraiment agréable, bien qu'un peu timide, et vraiment gentil. Je ne savais pas quel moment était approprié pour commencer à flirter, mais je m'étais mise à avoir des papillons dans le ventre lorsqu'il avait posé sa main sur la mienne par inadvertance. Et Dieu qu'il était beau lorsqu'il souriait, ses dents étincelantes contrastaient avec son teint mat.
Les semaines suivantes ne furent pas forcément synonymes de victoires, mais j'avais l'impression que nous avancions petit à petit. Nous nous étions ajoutés mutuellement sur Facebook, et il arrivait que le soir ou le week-end nous discutions quelques heures. Il était vraiment cultivé et appréciait l'art tout comme moi. D'ailleurs, il suivait également l'option arts plastiques ce qui me fit plaisir, car je n'avais jamais réussi à me rapprocher totalement des autres élèves du cours. C'était un excellent moyen de continuer à se connaître et j'avais été également ravie lorsqu'il avait repoussé les avances un peu trop entreprenantes d'une Terminale S, nommée Sophie. La seule chose qui m'avait chagriné était de me rappeler que je la détestai parce qu'elle avait couché avec Cyril alors que je m'étais juré d'arrêter de penser à lui.
Il me proposa finalement d'aller se balader ensemble le samedi suivant, lors du cours d'art du jeudi soir. Je n'avais pas pu m'empêcher d'accepter en pouffant et je savais qu'autour de moi, les filles se moquaient gentiment. Mais plus le temps passait et plus je sentais que nos violons s'accordaient particulièrement bien. J'étais sûre de ne pas être encore amoureuse, mais je ne pouvais que me persuader que ça finirait par arriver.
Malheureusement, nous dûmes annuler, un temps maussade se profila le week-end là, et mes parents n'auraient jamais consenti à me laisser me rendre chez un garçon seul. J'aurais pu leur mentir, mais je n'étais pas d'humeur, ils étaient déjà particulièrement pénibles en ce moment, je n'avais pas envie de m'ajouter des tracas supplémentaires. Le week-end suivant, cela ne put pas se faire non plus, car il partait pour un week-end dans son ancienne ville afin de participer à une soirée avec ses amis. Ce fut donc le week-end de mi-octobre que nous pûmes enfin nous retrouver seuls dans la forêt.
Nous étions aussi gênés l'un que l'autre, et d'un point de vue extérieur, la scène devait être très drôle à voir. Dans les endroits sécurisés, tel le lycée, où nous nous voyions, nous n'avions aucun mal à communiquer, mais depuis que nous nous étions retrouvés à l'orée du bois, c'était comme si un mur invisible s'était dressé devant nous. Nous avions l'air de deux lycéens, timides, mais amoureux, et ce n'était pas forcément éloigné de la réalité. La pensée me fit sourire et je m'empêchai de lui partager, à coup sûr cela allait nous angoisser encore plus.
Lorsque nous retournâmes dans la ville, j'eus l'impression qu'il allait nous arrêter et m'embrasser, mais il n'en fit rien. Je l'avais lancé sur le sujet d'un des derniers films qu'il était allé voir et ses yeux s'étaient remis à pétiller lorsqu'il me donnait son avis. Je n'eus pas le courage de moi-même l'arrêter pour le faire. Plus vierge effarouchée, mais bien prude quand même. Cependant je ne regrettai rien de notre promenade même si elle n'avait pas eu de conséquences sur notre relation. Nous avions partagé un moment agréable, et nous avions même réussi à échanger autour de sujets intéressants sur le retour. Évidemment, ce n'était pas le cas que mes amies qui me harcelèrent de message pour que je leur raconte et qui m'envoyèrent tous leurs plus belles émoticônes « déception » et « désespoir » lorsque je leur en parlais.
Au lycée, rien ne changea après cette balade. Nous continuions à nous parler quelques minutes lorsqu'on se croisait – il s'était créé une autre bande de potes – et nous étions plus proches que jamais dans les cours d'art, mais j'avais bien l'impression que ça n'avançait pas. J'avais l'impression de stagner avec lui alors que j'aurais voulu plus. Peut-être n'était-il pas encore près ? Je lui avais demandé, innocemment, en début d'année s'il avait une petite amie ou un petit ami, et il m'avait assuré que ce n'était pas le cas, je voulais bien le croire, mais il ne m'avait rien dit qui allait dans le sens qu'il n'en souhaitait pas. Début novembre, j'étais toujours dans le flou concernant les intentions et l'avenir que pouvait avoir notre relation.
Si bien que je fus surprise lorsque Guillaume vint m'aborder près de mon casier un jeudi matin, alors que nous allions nous retrouver au cours d'art ensemble dans quelques heures. De plus, j'évitai généralement de traîner autour de mon casier, c'était le meilleur endroit pour croiser Cyril. Je l'entraînai donc un peu plus loin pour savoir ce dont il comptait me parler. Il avait l'air surexcité.
« Viens chez moi ce week-end. Samedi aprèm » ou le soir, ou les deux. Dors chez moi, mes parents ne sont pas là !
— Tu m'invites à une soirée ? demandai-je dubitative.
— Mais non ! Juste nous deux ! »
Je reculai d'un pas, me sentant prise au piège. Notre relation avait tellement l'air de reculer ces temps-ci que je ne m'attendais pas à une telle proposition.
« Je sais pas... répondis-je, hésitante. »
Il se renfrogna, vexé, et je ne pus m'empêcher de me sentir mal. Je lui pris la main.
« C'est pas rapport à mes parents, ils n'accepteront jamais que je passe une soirée seule avec un garçon. »
Nous avions déjà parlé de nos relations à nos parents et j'espérai donc qu'il comprendrait.
« Mais une aprèm » ? Tu peux dire que tu as un exposé avec Mahaut, ou je ne sais pas... »
Je réfléchis, j'hésitai. Je mourrais d'envie de passer du temps seul avec lui, mais j'avais peur de mentir à mes parents. Ces derniers temps, nos interactions s'étaient un peu apaisées, mais je savais que le dragon soufflerait à nouveau lorsqu'il s'agirait de faire mes vœux pour l'année suivante dans quelques mois. Peut-être devais-je profiter de l'accalmie avant de ne plus pouvoir rien faire.
« Je vais essayer, mais ce n'est pas dit qu'ils acceptent. Si je parle d'un exposé avec Mahaut, ils risquent de me proposer de l'inviter plutôt chez moi. Je vais essayer de trouver un bon mensonge, promis. »
Il me sourit, rassuré. Il était évident que ce n'était pas le fait que je vienne chez lui, mais bien le fait que je veuille le faire qui l'importait. C'était le plus important. En attendant, il fallait que je me trouve une sacrée bonne excuse pour passer le samedi après-midi à l'extérieur et même peut-être découcher.
Quand je rentrai chez moi le soir même, je trouvai ma mère d'une humeur massacrante. Mon père était installé dans son fauteuil préféré et lisait le journal de la veille avec une attention toute particulière, pendant que ma maternelle préparait le repas du soir. J'osai venir la saluer à la cuisine, mon mensonge en poche, mais le climat familial me faisait hésiter. Avais-je fait une bêtise ? Qu'avait-elle découvert pour qu'elle soit aussi énervée. Et triste à la fois. Car c'était clairement sa spécialité : nous donner pitié pour que l'on prenne au sérieux ses recommandations, double peine.
« Qu'est-ce qui se passe ? demandai-je, le souffle coupé, me préparant à me défendre.
— Ton frère ! se plaignit-elle. Il a séché le cours de latin ce matin.
— Ah ? dis-je, nettement plus rassurée.
— Treize ans et déjà une racaille ! »
Je me retins de rire devant l'air pathétique de ma mère, ça ne m'aiderait clairement pas, mais elle avait une telle tendance à l'exagération et la dramatisation que ça en devenait risible. Elle employait les mots qu'elle croisait au journal télévisé de vingt heures, et dans pas longtemps, elle allait me dire que mon frère avait participé à une émeute dans une cité. Même perdu au milieu du Cantal.
C'était le bon moment pour tenter.
« Mahaut m'a invité à aller au cinéma avec ses parents samedi après-midi et elle veut faire une pyjama party avec Clémence et Eulalie aussi. »
Ma mère hocha la tête, les pensées ailleurs.
« D'accord. »
C'était si facile. Cependant je savais qu'elle ne perdrait pas le Nord, et qu'elle me demanderait très bientôt quel film nous allions voir. J'avais mis Mahaut dans la confidence, ma mère me déposerait chez elle vers quatorze heures, je resterai quelque temps chez elle, puis j'irais chez Guillaume. Si ma mère téléphonait le soir même, elle décrocherait et se ferait passer pour sa mère — elle l'imitait à la perfection. Mais il y avait peu de chance que ma mère fasse ça, elle faisait confiance à mes amies et surtout si je n'oubliais pas de lui envoyer des messages aux heures prévues pour la rassurer, tout se passerait bien. Le dimanche matin, je retournerai chez Mahaut, où elle reviendrait me chercher. J'avais peur d'en faire un peu trop, surtout que ma mère m'avait déjà autorisée à participer à des grosses soirées, mais si elle apprenait que je passais des heures entières avec un seul garçon, je ne donnai tout de même pas cher de ma peau.
Le plan se passa comme prévue, au repas du soir, entre deux sermons à mon frère – dont un sur l'importance de manger des légumes pour ne pas devenir une racaille – elle me demanda quel film nous allions voir. J'avais assez bien préparé mon mensonge, et mon père ne sortit de son silence que pour approuver le choix, et dit qu'il aimait bien Mahaut. C'était gagné, mes parents ne m'embêteraient pas plus que ça. À l'issue du repas, j'envoyai directement un message à Guillaume, je ne pouvais pas attendre le lendemain pour lui annoncer la bonne nouvelle, et il me répondit directement, sur enthousiaste lui aussi.
J'avais hâte du samedi après-midi, mais je devais la jouer doucement. Si ma mère s'apercevait que j'étais beaucoup trop enthousiaste, elle se douterait de quelque chose et c'était comme me priver moi-même de sortie jusqu'à mon mariage. Elle me déposa donc à l'heure prévue chez Mahaut, où j'avais décidé de passer une petite heure avant de partir chez Guillaume, et cette dernière m'accueillit en riant.
« Tu crois que vous allez le faire ce soir ? me demanda-t-elle lorsque nous fûmes à l'abri de sa chambre.
— J'en sais rien, riais-je.
— Après, c'est vrai que toi t'as déjà l'habitude. »
Je lui donnai un léger coup dans les côtes. Je n'avais pas l'habitude. Je l'avais fait une seule fois, et je préférai encore éviter les souvenirs me raccrochant à cette soirée. Je ne me sentais pas différente et je n'étais pas sûre que je fusse prête à le refaire. Tout comme je ne savais pas encore ce que je ressentais pour Guillaume et que si clairement, je le trouvai sympa et c'était agréable de discuter avec lui, je n'avais pas encore cette fibre, ce petit quelque chose en plus qui m'indiquait que j'étais amoureuse de lui. Ce que Mahaut ressentait clairement pour Cyril, parce qu'elle se lança vite dans une grande tirade à son propos. D'un seul coup, je regrettai de lui avoir dit que je resterai une heure avec elle.
Heureusement, elle s'arrêta vite. J'avais pour ma part abandonné l'idée de lui sortir la tête de Cyril. J'avais l'impression que ces derniers temps, il jouait encore plus le mystérieux, et les rumeurs couraient qu'il avait arrêté de coucher avec toutes les filles qu'il croisait, ce qui avait relancé l'espoir de Mahaut. De mon côté – même si je ne pouvais partager mes doutes avec personne – je ne pouvais pas m'empêcher de me demander si ça avait un rapport avec moi. Mais j'aurais préféré mourir que de lui demander.
Vers quinze heures, je la saluai donc et mon petit sac à dos, je pris la direction de la maison de Guillaume. J'avais choisi Mahaut aussi parce qu'elle n'habitait pas très loin. Ils étaient plus proches du centre-ville que moi, et n'avaient qu'une dizaine de minutes de marche entre les deux maisons. Il vaudrait mieux cependant que le lendemain je parte beaucoup plus tôt, je ne comptais pas croiser ma mère sur le chemin pendant qu'elle me cherchait chez Mahaut.
Je sonnai, légèrement stressée.
C'était la première fois que je découvrais sa maison, il s'agissait d'une petite maison de quartier, très étroite, mais bien aménagée. Malgré l'extérieur assez vieillot, l'intérieur semblait avoir été réaménagé par un professionnel et les meubles semblaient tous neufs. Le contraste était saisissant. Malgré ça il régnait une atmosphère chaleureuse, peut-être due à la cheminée d'époque qui avait été gardée et qui diffusait une douce odeur de bois. Il m'invita à m'installer au salon et me proposa à boire, ce que je déclinai. Nous gardâmes une distance raisonnable entre nous et il me proposa de voir un film. Après quelques discussions, nous nous mîmes d'accord sur le choix et le lançâmes.
Je ne savais pas pourquoi, je me sentais mal à l'aise. Sans doute parce que nous ne parlions pas et que plusieurs coussins étaient installés entre nous. Vers la moitié du film, n'y tenant plus, je les dégageai et me rapprochai de lui. Il eut l'air surpris, mais il me sourit doucement et me laissa me lover contre lui. Je me sentais mieux, le contact de nos peaux me rassurait même si nous ne parlions pas. Il passa son bras derrière mes épaules et m'attira à lui. Nous nous reconcentrâmes sur le film et nous étions tout engourdis lorsque le générique de fin s'enclencha.
« Tu veux faire quoi ? me demanda-t-il doucement en me souriant. »
J'avais une terrible envie de l'embrasser parce que sur le moment, il me semblait tellement beau et que j'avais envie de me blottir encore plus dans ses bras, mais je n'osai pas. Il était assez drôle de voir comment nous étions timides. Finalement, j'optai pour la conversation avec lui.
« Tu as déjà eu une copine ? lançai-je, naturellement.
— Oui, m'avoua-t-il. À Paris.
— Ça a duré longtemps ? m'enquis-je, curieuse.
— Presque deux ans. Nous avons rompu lorsque j'ai déménagé. »
J'accusai le coup. C'était étrange de savoir ça.
« Tu... Tu l'aimes encore ? »
Il hésita un instant. Ne voulait-il pas me blesser ? J'avais besoin de savoir la vérité.
« Je ne sais pas, répondit-il finalement. J'étais très attaché à elle, je pense que je l'aimais, mais depuis qu'on a rompu... Je ne sais pas. Je ne pense plus autant à elle et je souffre moins. J'imagine que le temps apaise la douleur.
— Pourquoi avoir rompu ? Je veux dire, me repris-je, ce n'est qu'un an. Tu peux très bien retourner à Paris pour tes études l'an prochain, et d'ailleurs tu reviens régulièrement voir tes potes. Votre couple aurait pu survivre à un an de séparation.
— Non, souffla-t-il. Ça aurait été trop dur, on a dix-sept ans, on ne voulait pas souffrir pendant un an sans doute inutilement, parce que nous n'allions pas rester toute notre vie ensemble. »
Ces confidences me touchaient, mais je ne savais pas quoi en penser. J'avais besoin d'être avec un garçon qui était sûr de ce qu'il voulait, et qu'il soit sûr de vouloir être avec moi.
« D'accord, répondis-je, gênée. Donc tu ne l'aimes plus ?
— Je ne pense pas non. »
Était-il le temps de mettre les pieds dans le plat ? Je me détestai d'avoir posé cette question, mais je sentais que j'allais encore plus me détester à la prochaine.
« Et du coup, tu aimes quelqu'un d'autre ?
— Peut-être, répondit-il avec un sourire malicieux qui me fit rougir. Et toi ? Tu as déjà eu des copains ? »
Je repensai à ceux qui avaient été mes « petits-amis ». J'étais légèrement gênée parce que même s'ils n'avaient jamais représenté quoi que ce soit à mes yeux, ils avaient été nombreux.
« Oui... Plusieurs, mais ça n'a jamais duré très longtemps, le rassurai-je.
— Je vois, répondit-il. Et pourquoi ?
— Parce que nous n'étions pas compatibles. »
Inutile de lui dire que pour trois d'entre eux c'étaient parce que j'avais refusé de coucher. Il risquerait de me poser des questions intimes et je serai bien obligé de lui avouer que j'avais fini par faire ma première fois avec un coup d'un soir. Plus j'y repensai, plus je me sentais bête d'être sortie avec autant de garçons. Dans un sens, c'était simplement pour me prouver que je pouvais plaire aux hommes et que j'avais le droit d'être en couple. Peut-être pour prouver quelque chose à Cyril, puisque lorsque j'étais alors en couple, mes pensées n'étaient plus que tournées vers lui. Je voulais peut-être le rendre jaloux, mais dans tous les cas ça n'avait pas marché. Surtout que j'étais tellement discrète que je ne savais même pas s'il s'était rendu compte de mes relations.
Je remarquai que Guillaume ne disait plus rien, cela m'inquiéta. Est-ce qu'il doutait de moi ? Je l'entendis distinctement déglutir.
« Et... Et avec moi, tu penses qu'on est compatible ? »
La question me surprit. Je ne savais pas quoi répondre, même si j'aurais dû m'y attendre. Si je jouais la carte de la vérité, je devais lui avouer que je ne savais pas, que j'étais toujours en réflexion à ce propos. Mais je savais que je risquai de le blesser. Je vins de lui confier que j'avais eu pas mal de relations et il y avait peu de chance qu'il veuille juste être un nom supplémentaire sur ma liste en attendant que je décide si oui ou non, nous étions compatibles.
« Peut-être, répondis-je finalement avec le même sourire malicieux qu'il avait utilisé précédemment. »
Il me sourit, rassuré.
« Je crois que j'ai envie de t'embrasser. »
Ses paroles me firent fondre. C'était la première fois qu'un garçon me disait une telle phrase, généralement les premiers baisers que j'avais partagés avec mes petits-amis avaient été des surprises. Mais cela me ravissait d'autant plus qu'il semblait attentionné et que je ne pouvais pas éviter ça. C'était agréable de se sentir choyé. Cependant, Cyril arriva directement dans mes pensées et je ne pus m'empêcher de faire la comparaison. J'aurais tellement aimé qu'il me sorte une phrase pareille sur la balancelle. Je n'attendais que ça. Cependant je devais me faire une raison, et faire le deuil de cette relation qui n'avait jamais débuté. Et Guillaume semblait plutôt parfait pour ce rôle. Je me mordis les lèvres de pensée de cette manière. Il me regardait toujours intensément, attendant ma réponse, et je le sentais se décomposer au fil des secondes qui passaient.
« Tu peux, répondis-je enfin. »
Il s'approcha de moi doucement et je fermai les yeux. Ses lèvres sur les miennes eurent un parfum doux et sucré, c'était agréable de ressentir cette chaleur, j'avais presque oublié ce que ça faisait d'être embrassé. Nos corps se collèrent l'un à l'autre et je tressaillis lorsqu'il mit sa main sur ma nuque pour m'attirer contre lui.
« Ça va ? chuchota-t-il lorsque nos lèvres se séparèrent à regret. »
J'acquiesçai. J'en avais encore envie, j'avais envie de l'embrasser toute la soirée. C'était si bon. Peut-être finalement allais-je vraiment tomber amoureuse de lui ? Ce serait une très bonne idée. Cependant, il ne semblait pas de cet avis puisqu'il s'éloigna un peu et me proposa de grignoter quelque chose. Je n'avais pas le cœur à insister si bien que j'acceptai et le suivais dans la cuisine.
Le reste de l'après-midi passa très tranquillement, nous discutâmes, notamment d'art et de littérature, nos sujets de prédilection et je devais avouer qu'il était beaucoup plus calé sur les sujets que moi.
« Du coup, tu comptes faire quoi l'an prochain ? lui demandais-je.
— J'aimerais bien entrer en école d'art, mais je pense qu'il faut d'abord que je passe par une prépa. »
J'hochai la tête.
« C'est cool, tes parents vont te laisser faire ?
— Bah oui, répondit-il, surpris. Pourquoi ? »
J'hésitai à lui en parler. Je n'avais pas encore abordé véritablement la question avec mes parents, donc je ne voulais pas me plaindre pour rien, mais j'avais de très bonnes raisons de croire que mes parents ne seraient pas du même avis. Lorsque ma mère évoquait mon avenir, elle me voyait toujours professeur de français, me voyant réussir brillant mes études de lettres, et je n'avais pas encore osé m'interposer pour leur expliquer que ce n'était pas mon rêve. Je savais très bien ce qu'ils penseraient de mon rêve.
« Je sais pas, ça fait peur aux parents généralement ce genre de projet. »
Il haussa les épaules.
« C'est ma vie, mes parents vont pas décider pour moi. »
Nous en avions peu parlé, mais j'avais l'impression que ses parents étaient très compréhensifs et qu'il avait lui-même une bonne relation avec eux. Je savais que sa sœur aînée suivait des études de cinéma à Lyon et ils n'avaient donc pas dû s'interposer. Je préférai éviter de continuer sur ce sujet qui me faisait souffrir. C'était peut-être inutile, peut-être que je connaissais mal mes parents et qu'ils me laisseraient être heureuse pour une fois. Remarquant mon malaise, il changea de conversation.
« Tu veux que je te montre ma chambre ? »
J'acquiesçai et délaissant les tartines qu'il était en train de beurrer, m'entraînai à l'étage. Ce dernier ressemblait en tout point au rez-de-chaussée et je fus surpris du nombre de plantes qui étaient installées dans le couloir. Cela me rappela la pièce secrète dans les combles de l'école où Cyril m'avait emmené une fois. Il ouvrit une première porte qui donnait sur une petite chambre, décorée de manière minimaliste.
« C'est la chambre de ma sœur. Comme elle vient rarement, elle a pas encore eu vraiment le temps de l'aménager. Tu pourras y dormir si tu veux ce soir. »
Mon cœur se serra en entendant ces paroles. Bien que je n'eusse pas encore réglé la question du si j'étais prête à passer à l'acte avec lui, après tout nous nous étions embrassés qu'une seule fois, cela me fit mal qu'ils pensent que nous ne pouvions partager la même chambre. Il ne s'attarda pas et referma la porte avant d'en ouvrir une deuxième, déjà plus vivante.
« Et ça, c'est la mienne, annonça-t-il les yeux pétillants. Et tu pourras aussi y dormir si tu préfères ce soir. »
Mon cœur fit un bond, je me retournai vers lui et lui sourit. Il m'embrassa délicatement sur le front.
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