Le temps est long - Quentin
Et voilà, avec cette nouvelle, je conclu aussi l'acte de Quentin. Il en reste plus beaucoup dans cette première partie, dis donc. En sachant que celles sur Catherine seront les dernières à être écrites, le temps que je me remette dans le personnage, la prochaine sera celle sur Salomé donc. Pour en revenir à cette nouvelle, elle n'a pas forcément été facile à écrire, surtout en ce moment, mais je crois que j'ai plus ou moins réussi à cerner Quentin. Peut-être pas réussi à l'exprimer le mieux que je voulais, mais on fera avec. Quentin est un personnage que j'apprécie beaucoup, parce que justement, il a beau être le mec tout choupinou à côté de Cyril, le beau gosse du lycée, il n'en est pas moins un personnage complexe qui mériterait un spin-off aussi (peut-être un jour, me tentez pas).
***
Temporalité : mars 2013
J'avais déjà du mal à pouvoir concevoir que l'on pouvait tomber amoureux en une fraction de seconde, même si c'était plus ou moins ce qui c'était passé avec Laura l'année dernière, j'avais encore plus de mal à pouvoir concevoir que les sentiments pouvaient s'évaporer du jour au lendemain. Et pourtant, j'avais l'impression de vivre un cauchemar éveillé depuis trois jours.
Tout avait commencé assez bien, je venais de passer un excellent week-end, où nous avions fait une soirée chez Hamilton – Laura était présente – puis le dimanche, je l'avais passé avec ma famille. Je n'avais pas eu à me préoccuper trop de mon travail scolaire puisque j'avais réussi à effectuer la majorité durant la semaine grâce à des absences répétées de certains professeurs. Et le lundi matin, en arrivant au lycée, alors que tout allait encore bien, au moment de quitter Cyril, mon meilleur ami, pour rejoindre ma petite-amie afin de passer quelques minutes ensemble avant le début des cours, j'avais eu comme un blocage. Quand je l'avais aperçu, mon cœur avait fait un soubresaut et je m'étais senti mal.
C'était comme si d'un seul coup, je n'avais plus eu aucune envie d'aller vers elle et j'aurais préféré rester avec Cyril, alors que notre conversation n'était guère des plus passionnantes.
« Eh bien, tu rejoins pas Laura ? Elle t'attend ? »
C'était ce que Cyril m'avait dit, tout en faisant un petit signe de la main à ma petite-amie qui, effectivement, était adossée aux casiers et m'attendait. Comme chaque matin depuis que nous sortions ensemble. J'avais bien sûr acquiescé en me disant que ça allait passer, que je me sentais juste un peu faible, un peu malade, et je l'avais rejoint. Mais même lorsqu'elle m'avait embrassé pour me dire bonjour, mon corps avait comme refusé de faire ces mouvements devenus si banals.
« Ça va ? m'a-t-elle demandé. »
J'ai hoché la tête, mais évidemment elle a tout de suite vu que je n'étais pas comme à la normale.
« Tu n'as vraiment pas l'air dans ton assiette, tu veux qu'on aille s'asseoir ? Ou qu'on passe à l'infirmerie.
— Je me sens un peu mal, mais t'inquiète, sans doute un peu de fatigue. »
Elle m'avait regardé suspicieuse pendant quelques secondes avant de secouer la tête et de passer à un autre sujet, à savoir la soirée chez Hamilton. Nous n'avions pas eu le temps de faire un débriefing de tout ce qui c'était passé. Mais déjà, ses paroles se perdaient dans mon esprit, je ne l'écoutais plus.
« Hé, tu m'écoutes ? »
Laura venait de me donner un coup de coude et continuait de sourire, mais clairement je n'avais pas la tête à ça. Je m'excusai mollement d'un mal de tête.
« Je crois que je vais aller prendre un peu l'air avant les cours, désolé.
— La sonnerie est dans moins d'une minute. »
J'avais haussé les épaules et rejoignis Dimitri, Cyril et Hamilton, qui fumaient devant l'établissement.
« Ça va mec ? a demandé Cyril. »
J'acquiesçai.
« T'es super pâle, j'veux dire encore plus que d'habitude, lança Dimitri, inquiet. »
Ce con avait au moins réussi à me dérider. Je tentai de les rassurer une dernière fois, puis la sonnerie a retenti nous poussant à rejoindre nos salles de classe. Je suivis Cyril d'un pas traînant. Aller en cours m'obligeait à revoir Laura, même si nous ne partagions pas de bureau. J'étais toujours rester fidèle à Cyril, sauf dans les cours de demi-groupe, car nous étions à l'opposé dans la liste alphabétique. Tout comme avec Laura.
En entrant dans la salle, ma petite-amie, déjà installée, me lança un regard que j'estimai moitié interrogateur, moitié accusateur. Je n'avais pas envie de m'y confronter, du moins pas tout de suite.
Essayant d'écouter désespérément le cours du professeur de philosophie, je n'arrivai pas à comprendre ce qui s'était passé. Jusqu'à présent, toute ma relation s'était déroulée sans problèmes majeurs. Nous avions eu quelques disputes, comme chaque couple, sur des sujets plus ou moins futiles, mais nous n'avions pas traversé de grosses crises, de jalousie ou de manque de confiance, par exemple. Nous avions toujours été unis, et si, même si ça me faisait plus rire qu'autre chose, nous n'étions pas le « couple goal » du lycée – la place nous étant ravi par Sacha et Loïc – nous nous en approchions.
Nous passions beaucoup de temps ensemble, nous partagions pas mal de choses – le fait d'être dans la même classe aidait – et nous étions chacun apprécier de la famille de l'autre. Clairement, en seize mois de relations, il n'y avait aucun nuage noir au tableau. Il n'y avait même jamais eu d'autres filles pour moi. Aucune ne m'intéressait depuis que j'étais avec Laura, et ce n'était pas faute d'avoir rencontré pas mal de gens, à force de côtoyer mes amis.
La sonnerie suivante me sortit de mes pensées. J'étais simplement en train de paniquer, je devais simplement être un peu malade – avec les derniers changements soudains de température, ce n'était pas une surprise – et je me prenais la tête pour rien. Un bon repas et une bonne nuit de sommeil me feraient du bien, en attendant je ferais mieux de ne rien laisser paraître si je ne voulais pas être encore plus insupportable.
J'avais réussi plus ou moins à mettre ça de côté toute la journée, c'était toujours compliqué d'être avec Laura, mais d'une certaine manière, le lundi nous n'avions pas beaucoup de temps pour nous croiser : c'était une longue journée et je mangeais toujours avec Cyril et les autres à midi. J'avais plus ou moins réussi à l'éviter, tout autant qu'on peut éviter une personne avec qui vous êtes collés l'un à l'autre en temps normal.
Sur le trajet du retour, Cyril ne m'avait pas parlé de mon comportement suspect et je m'en réjouissais. Il n'y avait que lui qui aurait pu me tirer les vers du nez et je n'en avais pas envie avant que tout ne soit clair de mon côté. J'avais besoin dans un premier temps de repos avant de comprendre les sentiments qui me traversaient. C'était peut-être juste un petit ras-le-bol général, le bac approchait, et j'étais peut-être trop focalisé sûr les examens de langues qui arrivaient le mois suivant. Peut-être étais-je un peu trop susceptible en ce moment, parce que j'avais beau réfléchir, Laura n'avait rien fait de mal. Enfin du moins, pas que je m'en rappelle.
Plus tard, seul dans ma chambre, j'avais essayé de retracer ce qui s'était passé ce week-end et notamment à la soirée de Hamilton, mais clairement il n'y avait rien. Nous avions passé une bonne soirée tous les deux, tantôt ensemble, tantôt chacun dans notre coin. Vers deux heures du matin, nous étions montés au deuxième étage dans notre chambre préférée pour faire l'amour, et après cela, elle était restée dormir pendant que j'étais redescendu profiter de la fin de la fête. Nous faisions toujours ça et elle ne m'en avait jamais voulu. Je l'avais rejointe vers cinq heures du matin et nous avions dormi dans les bras l'un de l'autre jusqu'à ce que ma mère nous cherche et la ramène chez elle, comme elle le faisait habituellement. Il n'y avait rien de différent de l'habitude, rien si ce n'est le fait que ce matin, je m'étais senti mal à l'aise en la voyant. Terriblement mal à l'aise.
Le laps de temps ayant été court, je n'avais pas non plus rencontré de nouvelles filles, et un rapide coup d'œil à toutes mes messageries m'indiqua que je n'avais pas non plus discuté avec d'autres personnes après ça.
Parce que si c'était le cas, que devrais-je faire ? Je n'avais pas envie de répondre à cette question maintenant, je n'avais pas envie de prendre mes responsabilités, de penser au fait que je pouvais blesser Laura, même si en vérité, cela m'inquiétait déjà beaucoup moins que ça aurait dû. Je me détestai d'avance de ce que les autres allaient penser, je serais le connard même si j'en souffrais aussi. Parce que je n'aurais pas de cœur à la laisser tomber. Parce qu'elle avait toujours été là pour moi et que c'était comme ça que je la remerciai.
J'hésitai à envoyer un message à Cyril, mais je savais d'avance que si en temps normal, il était toujours là pour moi, je savais aussi qu'il ne comprendrait pas mes tourments. Il ne pourrait pas imaginer une seule seconde tout ce qui me secouait. Durant l'été, il m'avait cependant prouvé qu'il avait des sentiments, mais cela ne s'était pas reproduit depuis.
Je finis par m'écrouler, ivre de fatigue, à trois heures du matin.
Le réveil fut brutal et mon corps réagissait tellement peu que j'eus envie de me laisser tomber sur le matelas et de prétexter que j'étais malade pour ne pas avoir à sortir du lit. Mais j'avais fait trop de fois ce coup à ma mère et je savais que même à dix-huit ans, elle ne me laisserait pas faire sans prendre ma température. Je me touchai rapidement le front, froid, désespérément froid. Elle ne me croirait jamais.
Je relevai finalement les couvertures et me forçai à me lever. Avant même d'avoir mis un pied hors du lit, je savais que mes sentiments n'avaient pas changé. Je devrais peut-être commencer par admettre que oui, il semble possible d'arrêter d'être amoureux du jour au lendemain, sans raison apparente. Si encore, j'avais rencontré une autre fille ou si Laura m'avait vraiment blessé, si même moi, j'avais fait quelque chose de répréhensible, cela serait sans doute plus facile.
Tout en me brossant les dents, je me posai inlassablement la même question. Est-ce que je devais me laisser encore un peu de temps au risque que ce soit toujours plus douloureux ou est-ce que je devrais arracher le pansement d'un seul coup au risque de hurler de douleur ? Je savais déjà ce que mon meilleur ami répondrait avant même que je ne lui offre les deux choix, il valait donc mieux que j'évite et que je ne me fie qu'à moi. Et à ce que je ressentirai en voyant Laura. Je crachai, me rinçai la bouche puis enfilai mes vêtements pour la journée. Je n'avais plus qu'à affronter cette nouvelle journée.
Lorsque je la vis, adossée contre les casiers, à sa place habituelle, mes sentiments n'avaient pas changé. Je la voyais, mais ne la regardais plus. Elle ne m'évoquait plus rien et je ne me rappelai plus les bons moments que l'on avait passé ensemble. Ma décision semblait assez claire, pourtant quelque chose m'en empêchait, je me sentais désespérément lâche. Et plus elle me souriait, m'encourageant à la rejoindre et plus j'avais envie de m'enfuir et de ne plus jamais remettre les pieds dans ce lycée.
Je regardai rapidement l'heure pendant que Cyril me demandait d'un air circonspect ce que j'attendais pour aller rejoindre ma petite amie. Il restait exactement sept minutes avant la sonnerie du premier cours. Ce n'était clairement pas assez pour réduire en miettes seize mois de relation, mais je n'avais pas le choix. Je ne supporterai pas sept minutes de plus avec elle. Je me détestai.
« On peut aller ailleurs ? »
Laura me regarda, curieuse, mais elle adopta rapidement un air sérieux et colérique lorsqu'elle croisa mes yeux. Je n'osai pas la regarder, j'étais vraiment lâche. Je n'avais pas le courage de regarder la fille que j'avais aimée pendant autant de temps.
« D'accord, mais où ? »
Je n'avais pas anticipé, je voulais juste ne plus être là, au centre de l'attention de tout le lycée. Ce n'était pas parce que nous étions un petit lycée que les rumeurs n'existaient pas, au contraire, tout le monde voyait tout et chaque fait légèrement extraordinaire alimentait les discussions durant des semaines. Je n'avais pas envie de me montrer en spectacle.
« Dehors, n'importe où. »
Elle acquiesça et me suivit. Je marchai d'un pas rapide, persuadé de gâcher des précieuses minutes, un nouveau coup d'œil à ma montre m'indiqua qu'il me restait cinq minutes. Quatre lorsque nous aurions atteint le banc de l'autre côté du parking des professeurs. Quelques regards s'étaient posés sur nous, notamment ceux de Cyril, Dimitri et Hamilton, mais je n'avais pas osé les regarder non plus.
Laura s'installa à côté de moi, mais je crus qu'elle avait compris, car elle laissa entre nous une distance de sécurité. Je n'osai rien dire, j'avais l'impression d'être en train de me dégonfler totalement.
« Parle. »
Lâcha-t-elle enfin. Je lui lançai un regard rapidement, elle avait les traits tirés et me fixait. J'avais peur d'un seul coup, peur de sa réaction. Évidemment, elle ne serait pas bonne.
« Parle. »
Répéta-t-elle, plus fort. Je n'avais plus le choix. Inspiration, expiration.
« Je suis désolé, commençai-je, faiblement. »
Je sentais son regard sur moi, j'avais l'impression de me recroqueviller sur moi-même.
« Je crois qu'il faut qu'on arrête tout, je... je sais pas, je crois que c'est mieux. Je... Je n'arriverais pas à continuer. »
Je baissai les yeux, honteux.
« Pourquoi ? »
Je relevai la tête et posai mes yeux sur Laura. Elle me fixait toujours, je n'arrivai pas à distinguer quels sentiments la traversaient. De la colère ? De la tristesse ? On aurait dit qu'elle était simplement indifférente, mais je savais qu'elle avait appris à jouer cette carte lorsque quelque chose l'atteignait. En plus d'un an de relation, je l'avais souvent vu se protéger.
« Pourquoi ?
— Pourquoi tu me quittes ? reprit-elle, sans sourciller. »
Son calme m'impressionnait. Mes yeux étaient humides, j'avais l'impression que j'allais exploser en sanglot d'une minute à l'autre, alors qu'elle restait impassible, comme dénue d'émotions.
« Je... Je crois que je ne t'aime plus. »
Même assez éloigné du bâtiment, nous entendîmes distinctement la sonnerie retentirent derrière nous. Je commençai à me lever, lorsqu'elle posa brutalement la main sur mon épaule et me forçai à me rasseoir.
« Tu ne vas pas croire que tu vas simplement me quitter puis retourner en cours tout tranquillement. On va parler d'abord. »
Sa voix était sans négociation. Je l'avais déjà entendu prendre cette voix, avec des professeurs parfois, ou avec sa mère, même avec ses amies. C'était sa voix de « je sais que j'ai raison et je vais vous le démontrer ». Et elle ne se trompait alors jamais. J'avais peur, je redoutai sa colère. Parce qu'il me semblait désormais assez clair que c'était surtout de la colère qui transparaissait dans tous ses traits du visage, jusqu'à sa main ferme sur mes épaules, puis ses poings serrés.
« Excuse-moi.
— Non, je ne t'excuse pas. Il y a bien forcément quelque chose, et je veux savoir. »
Continua-t-elle en appuyant sur la dernière partie de sa phrase. Je ne devais pas me laisser faire, je devais me défendre, après tout, c'était de mes sentiments qu'on parlait.
« Il n'y a rien.
— Une autre fille ? T'as fait une connerie ?
— Rien de tout ça, la rassurai-je. »
Je sentais son regard pesant et empli de haine sur moi-même.
« J'ai fait une connerie ? »
Son ton se détendit, et je remarquai que la peur et la culpabilité avaient remplacé la colère. Je lui pris délicatement la main.
« Non, c'est juste moi. »
Elle retira son membre, et je la sentis s'éloigner d'un seul coup. Soudainement, je remarquai réellement que j'avais tout détruit, qu'il n'y avait plus de « nous » et qu'il n'y en aurait plus jamais. Que plus jamais je ne sentirai la chaleur de son corps contre le mien, le contact de ses lèvres sur les miennes, ses mains autour de moi, sa voix rassurante et chaleureuse, et je devins triste. Terriblement triste, j'avais envie de pleurer, mais je ne pouvais pas.
« C'est ce que disent les lâches. Tu as forcément une explication.
— Il n'y a pas d'explication, repris-je lentement. »
Je ne mentais pas, j'essayai de déglutir pour me donner consistance.
« Tu ne peux pas t'arrêter de m'aimer du jour au lendemain.
— C'est pourtant ce qui s'est passé, essayai-je de dire, mais ma voix se brisait déjà.
— Et samedi soir ?
— Samedi soir ? répétai-je, surpris.
— Oui, tu ne m'aimais déjà plus. Et dimanche, lorsque tu m'as souhaité une bonne nuit et dit je t'aime, tu ne m'aimais déjà plus ? »
J'entendais les sanglots dans sa voix. Cela me faisait mal, trop mal. J'avais donc encore du cœur et de la compassion. Peut-être que je m'étais trompé sur toute la ligne et qu'il y avait encore une chance. Peut-être que ce n'était qu'une passade et que j'avais fait une erreur ? Je relevai ma tête, mais lorsque mes yeux se reposèrent sur elle, je ne ressentis plus que de la pitié. Et je savais que lorsque la pitié prend le dessus, ce n'est plus de l'amour.
« Non, je t'aimais encore.
— Qu'est-ce qu'il s'est passé pour que ça se termine ainsi alors ?! »
Elle avait levé la voix, mais je savais qu'elle pouvait s'écrouler à tout moment.
« Rien, je crois que c'est le pire, Laura. Je suis affreusement désolée.
— Quentin, ça fait plus d'un an qu'on est ensemble. J'ai l'impression de te connaître par cœur, et pourtant là, en ce moment même, je t'avoue que je ne comprends rien.
— Si ça peut te rassurer, moi non plus.
— Ça ne me rassure pas, glissa-t-elle, sans équivoque. »
Nous restâmes un long moment l'un à côté de l'autre sans nous toucher, silencieux. Je commençai à sentir mes membres s'engourdir dans la froideur du printemps qui arrivait.
« Laura, je suis vraiment désolé, je... »
Ma voix se perdit.
« Tu m'aimes ? C'est ça hein ? C'est ça que tu allais dire ?
— Oui, admis-je. Mais je ne peux plus te le dire. Je suis désolé. »
Alors, elle se laissa aller. Et pour la première fois, elle sanglota réellement. Laissant s'exprimer colère et tristesse, elle fut parcourue de spasmes. Elle me faisait réellement de la peine et j'aurais eu envie de me laisser aller à la même faiblesse. J'avais envie de la prendre dans mes bras, de la rassurer et de lui susurrer que tout allait bien se passer. Mais j'en étais incapable. Et il y avait fort à parier qu'elle n'aurait pas eu envie de mes bras.
« Je vais rentrer, lâcha-t-elle, soudainement. »
J'acquiesçai, mais ne bougeait pas. Je n'avais même pas le courage de la suivre des yeux lorsqu'elle ramassa son sac et s'éloigna vers le bâtiment du lycée. J'avais tout détruit, tout cassé. Et je me demandai encore comment j'avais pu croire que c'était la seule solution, même si je savais que c'était la meilleure. Je n'aurais jamais eu le courage d'attendre plus longtemps – si c'était du courage – et il n'y avait clairement pas de moment idéal.
Je me pris la tête entre mes mains. J'avais envie de vomir, de pleurer et de hurler. Tout ça à la fois.
Lorsque la sonnerie retentit pour la deuxième fois de la matinée, j'hésitai. Je devais revenir en cours, même si j'en avais envie, je ne pouvais pas sécher toute la journée pour rester sur ce banc moisi. Mais aller en cours, cela voulait dire la croiser. Et je risquai de la croiser jusqu'à la fin de l'année, vu que nous étions dans la même classe. Je me demandai si à l'heure qu'il était, la nouvelle avait déjà fait le tour du lycée. Sans doute pas, vu que les seuls messages que j'avais eus étaient des SMS de Cyril qui m'avait demandé où j'étais passé. Je n'avais pas la force de lui répondre, comme je n'avais pas la force de me lever. Pourtant je le fis.
Je me dépêchai, couru presque dans les couloirs pour rejoindre notre salle d'économie. En arrivant devant la porte, je me rendis compte que le professeur était encore en train de faire entrer les élèves et me glissai dans la foule. Du regard, je cherchai Laura, mais ne la trouvait pas. Elle devait déjà être à l'intérieur.
Je me mordis les lèvres en me glissant à ma place à côté de Cyril. J'avais vu le regard que m'avait lancé Laura lorsque j'étais entré. À la fois de mépris et de tristesse. C'était dur, je me sentais mal de lui faire subir tout ça, mais ma souffrance était bien réelle aussi. Cependant, elle semblait impassible. Elle ne leur avait sans doute pas encore dit.
« Bon, vous avez fait quoi avec Laura ? Petite envie matinale, vous vous êtes enfermé dans un placard à balai ou quoi ? me lança Cyril, un grand sourire aux lèvres. »
Je n'allais leurrer personne encore longtemps, et je préférai que mon meilleur ami l'apprenne de ma bouche plutôt que par des bruits de couloir.
« On a rompu.
— Quoi ?! »
Il ne s'était même pas soucié de parler à voix basse tellement la surprise était grande. Toute la classe, y compris le professeur, se retourna vers nous et j'entendis distinctement Laura commencer à pleurer. Pour la discrétion, on pouvait clairement repasser.
« Monsieur Tellier a quelque chose à nous partager ? »
Mon ami se raidit dans son siège et secoua négativement la tête. Je m'en voulais.
La légère agitation qui avait débuté a animé la classe, se dissipa rapidement, tout comme les sanglots de Laura. Le temps que le professeur commence son cours en nous parlant des dernières dissertations que nous lui avions rendues, et déjà Cyril se repenchait vers moi.
« Il s'est passé quoi ? Elle t'a trompé ?
— C'est pas elle qui a rompu, c'est moi.
— Et tu comptes m'expliquer ? »
J'avalai ma salive.
« J'ai déjà essayé avec elle. Il n'y a pas d'explication, je ne l'aime juste plus.
— Mais enfin, les sentiments ne partent pas du jour au lendemain.
— Tu peux parler ! rétorquai-je, amer. »
Il me semblait bien que ses sentiments eussent bien disparu pourtant pour Salomé. Je lui jetai un coup d'œil. Il avait l'air vexé.
« Pardon, m'excusai-je à demi-mot.
— C'est bon, c'est pas grave. Mais on était pas ensemble, je te signale. »
Au moins, il avait compris la référence. Et ne niait pas.
« Ça ne change rien, c'est arrivé, c'est juste comme ça.
— Mec, je vous ai vu à la soirée chez Ham. Vous étiez prêts à faire votre vie ensemble.
— Oui, et bien plus maintenant, et c'est comme ça, lâche-moi. »
J'étais bien déterminé à ce qu'on ne m'embête pas plus pour ça. C'était déjà assez compliqué de faire le tri moi-même dans ma tête, et de ne pas culpabiliser. D'essayer de me convaincre qu'il était normal que mes sentiments aient évolué du tout au tout en l'espace d'une nuit.
« Désolé. J'essaye juste de comprendre.
— Je te promets qu'il n'y a rien à comprendre. On est juste plus ensemble, c'est comme ça. »
Je n'avais pas remarqué que le professeur commençait à nous fixer, rapidement je me remis à me concentrer sur ma feuille et à reprendre des notes. Il valait mieux que je pense à autre chose et l'économie était le prétexte parfait. Cyril ne me reparla pas du cours.
À la pause de dix heures, personne ne fit de remarques. La nouvelle n'avait sans doute pas encore circulé, et ce n'était pas Cyril qui allait l'annoncer à Dimitri et Hamilton qui nous avaient accompagnés devant l'entrée du bâtiment pour fumer. Je n'avais pas le courage de le faire, même si je sentais que c'était mon devoir. De toute manière, dans deux heures, tout le monde le saurait. Je sentis tout de même quelques regards lorsque je regagnai la salle de cours pour notre deuxième heure consécutive d'économie, mais je me contentai de les ignorer. Il était un peu près sûr que je passerai pour le connard de l'histoire — et peut-être que ce n'était pas faux, alors autant garder un peu mon innocence.
Je n'avais pas tort, car lorsqu'on rejoint les autres pour le repas de midi, Dimitri me sauta littéralement dessus.
« Putain, mec, t'as largué Laura et tu ne nous as rien dit.
— Parce que c'est pas tes oignons, s'écria Cyril avant que je n'aie le temps de répliquer moi-même. »
Je le remerciai d'un sourire, mais il ne me regardait pas.
« Évidemment, toi tu le savais, grommela Dimitri dans sa barbe.
— Ça va ? me demanda Sacha. »
Je savais qu'entre tous c'était sans doute le seul à pouvoir concevoir la chose, et je regrettai de ne pas y avoir pensé avant. J'aurais sans doute pu confier les angoisses et appréhensions que j'avais. Sacha avait toujours été une oreille attentive, et là, il était sûr qu'il aurait pu comprendre. Je me détestai d'avoir été aussi égoïste.
Je haussai les épaules, avant d'essayer de le rassurer.
« Ça va, ouais.
— C'est lui qui la largué, Sacha, répliqua Dimitri. »
Parfois je ressentais étrangement ce que Cyril devait ressentir dans quatre-vingt-dix-neuf pour cent des cas, et je lui aurais bien mis mon poing sur son visage sarcastique.
« Ce n'est pas parce que c'est toi qui romps que tu te sens bien, répliqua Sacha. »
Le voir prendre ma défense m'étonna. En soi, ce n'était pas si surprenant, il avait un côté protecteur des injustices et des minorités, mais le voir tenir tête à Dimitri était déjà plus inhabituel.
« Il s'est passé quoi ? me demanda finalement Hamilton.
— Y'a des rumeurs qui circulent, lança Dimitri. Comme quoi elle t'aurait trompé.
— Elle m'a pas trompé ! m'écriai-je.
— Ou que toi, tu l'as trompé. À la fête de Ham, ajouta-t-il.
— Putain, mec, t'étais là à cette soirée, prit, encore une fois, ma défense, Cyril. Il la pas trompé.
— Mouais. »
Je ne savais pas quoi dire. Je n'avais pas envie que tout le lycée se fasse des idées, mais déjà si moi-même je n'arrivais pas à comprendre les causes de la rupture et que je n'avais pas réussi à les expliquer à Laura, c'était mal barré pour que les élèves n'inventent pas tout et n'importe quoi. Parce que si j'avais bien compris depuis le temps, lorsque quelqu'un ne comprenait pas, il préférait toujours inventer une cause plutôt que d'admettre son ignorance.
« Je sais pas, en fait. D'un seul coup, c'est comme si je ne l'aimais plus. »
Sacha me regarda avec compassion, comme s'il pouvait réellement comprendre et qu'il l'avait déjà vécu. Peut-être, en fait, je n'en savais rien, et je me serais foutu une claque de me rendre compte que je me permettais de juger. Dimitri, comme à son habitude, n'avait pas l'air convaincu. Les deux autres se contentaient de ce qu'ils entendaient.
Je n'avais rien de plus à leur dire et j'avais simplement envie que l'on passe à autre chose. Mais je pense que tout le monde était d'avis – sauf moi – que plus d'un an ça ne s'efface pas en quelques heures et qu'il fallait réussir à comprendre ce qu'il s'était passé. Je passai la majorité du repas à les entendre parler de mon cas sans jamais m'inclure dans la conversation. Sacha m'envoyait de temps en temps des regards de compassion, mais ça ne changeait rien.
Tout l'après-midi, j'eus l'impression que tout le lycée ne parlait plus que de ça. Et dans un sens, ce n'était pas faux. Je savais que Cyril essayait de lancer d'autres sujets de conversation, mais j'avais perdu toute motivation à faire des efforts. J'avais juste envie de m'enfoncer six pieds sous terre et de disparaître pendant quelques semaines, le temps qu'un nouveau truc arrive et prenne le dessus, que toute l'histoire se soit un peu tassé. Heureusement, je n'avais pas reçu trop de démonstrations de haine. Sauf de quelques filles proches de Laura, mais je ne pouvais pas leur en vouloir. En plus, je n'avais jamais fait un effort pour m'intéresser réellement à elles, elles avaient sans doute toujours pensé que j'étais un connard.
Ce ne fut que lorsque nos chemins se séparèrent avec Cyril pour rejoindre chacun notre bout de lotissement, que je me rendais compte qu'il fallait encore que j'annonce la nouvelle à mes parents. Laura était venue plusieurs fois chez nous, pour déjeuner ou pour dormir, et ils l'appréciaient. Tout particulièrement Mélusine, qui avait enfin une fille à qui partager certaines choses, même si ça me peinait de l'avouer tant c'était cliché. Ils ne pourraient pas rester indifférents à ma rupture, même si j'étais sûr que je restai le centre des priorités, et qu'ils ne me l'auraient pas reproché en leur qualité de parents. Mais j'avais du mal à me dire qu'il faudrait encore une fois que je prononce les mêmes mots.
Je rentrai chez moi, la mort à l'âme. Ma mère le remarqua tout de suite, en même temps, je n'avais clairement fait aucun effort pour le cacher.
« Quentin, mon chéri. Tout s'est bien passé ? »
Elle me regarda avec son sourire inquiet de mère parfaite. J'eus soudainement l'envie de m'effondrer en sanglot dans ses bras, car s'il y avait bien une personne avec qui je pouvais le faire, c'était ma mère. Mais je me repris, essayai de chasser les larmes qui perlaient à mes yeux. J'avais dix-huit ans, et je me remettrais d'une rupture d'adolescent. Du moins, c'est ce que j'essayai de me persuader.
« On... »
Je chassai ce « on ». Je devais assumer mes actes.
« J'ai rompu avec Laura.
— Oh, chéri, dit-elle simplement en me prenant dans ses bras. »
La chaleur de son étreinte était tentante, j'avais envie de m'y abandonner complètement.
« Il s'est passé quelque chose ? me demanda-t-elle finalement lorsqu'elle me lâcha.
— Non, rien. »
Elle hocha la tête, véritablement soucieuse. Puis elle me caressa doucement les cheveux.
« Ça ira. Ne t'inquiète pas. Ça ira. Est-ce que tu veux qu'on en parle encore ou tu préfères qu'on ne t'embête plus avec ça ?
— Je préférerais ne plus trop en parler.
— Ça marche, lança-t-elle avec un sourire. Je le dirais à ton père, si tu préfères. »
J'acquiesçai et elle me fit un rapide câlin. Au moins, j'avais ça de moins à régler, c'était déjà réconfortant. Maintenant, je pouvais me laisser aller à pleurer seul dans mon lit toute la soirée.
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