Chào các bạn! Vì nhiều lý do từ nay Truyen2U chính thức đổi tên là Truyen247.Pro. Mong các bạn tiếp tục ủng hộ truy cập tên miền mới này nhé! Mãi yêu... ♥

Marée Noire

Chapitre 2
2606 Mots

               Les pans de son manteau en feutre amarante survolaient le sol froid de Milestone, alors que Carmen marchait d'un pas décidé vers la place de la Libération. Quelques heures avant qu'elle ne sorte du cocon rassurant de sa petite demeure, un avion de papier était venu s'écraser contre sa vitre. La veille, la jeune femme s'était finalement assise dans son fauteuil ; les ombres de la fin de journée s'étiraient déjà sur les quatre murs de son salon. La température était remontée à l'entrée de la nuit, et la demoiselle aux yeux gris en avait profité pour rédiger une lettre à l'intention d'Anaïs. Peine inutile qu'elle s'était donnée, la lettre n'arriverait jamais à destination. Carmen avait beau s'évertuer à écrire mainte et mainte fois à son amie, ses lettres lui revenaient dès le lendemain sans jamais atteindre leur destinataire. Alors sur la table inoccupée de la cuisine reposaient les nombreux échecs de la blonde.

               Carmen soupira, et laissa tomber son stylo sur la lettre noire de mots qu'elle venait d'écrire. Tout en contemplant son travail, elle replaça une mèche derrière son oreille et se redressa. Un grincement se fit alors entendre quand la fenêtre entrouverte de sa cuisine bougea lentement. Dehors il faisait noir, c'était à peine si l'on pouvait voir où l'on marchait. Les rues mal éclairées ne pouvaient compter sur la lumière de la lune et des étoiles, cachées par l'épaisse couche de nuages, et seule une lumière violacée régnait sur la ville endormie. Tout était silencieux, et la jeune femme ferma un instant les yeux. Les moments de tranquillité étaient rares, il fallait savoir saisir l'opportunité de profiter du silence en ces temps étranges. Mais le calme fut de courte durée ; un miaulement disgracieux vint briser l'atmosphère sereine qui régnait dans le salon. Alors, Carmen rouvrit les yeux. À l'embrasure de la porte se tenait la silhouette salie et chiffonnée d'un chat de papier. Lorsque ses yeux mal dessinés au feutre jaune croisèrent le regard fatigué de la femme, le matou en origami se lança dans une nouvelle plainte lugubre et se redressa. D'un pas étouffé, il marcha jusqu'aux pieds de Carmen et se frotta contre sa jambe à la peau laiteuse. Le papier grisâtre se froissa au contact ; l'étrange chat ne s'en soucia guère. Puis, lorsqu'il eut assez de faire des allers-retours contre les jambes de l'humaine, le chat des rues sauta d'un bond dénué de toute grâce à ses côtés. Tandis que Carmen l'observait sans grand intérêt, déjà à demi bercée par le sommeil, le félin en profita pour se caler au creux de ses bras et se mit à ronronner. Apaisée par ce bruit ténu qui ressemblait davantage à du papier que l'on chiffonne, elle ne mit pas longtemps à entièrement sombrer dans les bras de Morphée. La nuit s'annonçait calme.

               Ce ne furent pas les rayons du soleil qui réveillèrent Carmen du profond sommeil dans lequel elle était plongée, mais le tap-tap régulier qui sévissait contre sa vitre. Dans un long soupir, elle se réveilla lentement et ouvrit ses yeux pâles sur le décor vieillot de son salon. À ses côtés, le chat de papier n'était plus. Tandis que le bruit persistait contre son carreau, la jeune femme se força à se retirer du confort de son vieux canapé et se dirigea d'un pas trainant, un peu étourdi, vers le carré de verre. C'était un oiseau de papier, ou plutôt un avion à l'allure d'un volatile en origami, qui se cognait frénétiquement contre la vitre. Sous les coups, son bec pointu se déformait petit à petit jusqu'à devenir biscornu et sans forme. Carmen se hâta alors d'ouvrir sa fenêtre, et en silence, l'avion vint planer jusqu'à la table basse de son salon avant de s'y déposer en douceur. Alors qu'elle se dirigeait vers le centre de la pièce pour récupérer le petit visiteur matinal, la blonde risqua un coup d'œil vers l'extérieur. Tout semblait calme. Les morceaux d'immeubles et maisons qui gravitaient dans l'air semblaient presque immobiles dans le lointain. Quelques rares rayons de soleil arrivaient par on ne sait quelle magie à traverser la couche de cumulus et éclairaient la ville de leur pâle lueur. Si le froid régnait encore, il n'était rien comparé à celui qui était tombé sur Milestone la vieille. Les silhouettes blanches des avions de papier juraient sur le plafond anthracite, mais ces derniers planaient dans l'air avec désinvolture, sans se soucier de l'absence du vent. Enfin, les frêles doigts de Carmen rencontrèrent la surface lisse du papier. Son regard se détacha du paysage qu'elle apercevait par sa fenêtre et se posa sur l'origami qu'elle tenait désormais entre ses mains. D'un geste rapide mais soigné, elle le déplia et lut avec attention les jolies lettres qui ornaient la surface de la feuille.

─────────

Nous vous attendons ce matin sur la place de la Libération.

─────────

               Carmen accéléra le pas. Si chez elle, elle se sentait à l'abri du moindre danger, dans les rues la tension était palpable. Il n'y avait rien. Pas un bruit. Pas un souffle d'air. Pas une personne à l'horizon. Elle était seule dans un monde qu'elle ne reconnaissait plus. Et malgré l'évidence des rues désertes, elle avait parfois l'impression de discerner du coin de l'œil des ombres. Était-ce son imagination qui lui jouait des tours ? Ses doigts se resserrèrent autour du pan de son long manteau et elle accéléra davantage encore le pas. Certains oiseaux de papier s'aventurèrent près d'elle avec curiosité, voletaient et planaient autour de sa tignasse blonde avant de remonter dans les airs. Mais Carmen ne leur prêtait guère attention ; son regard était figé sur le sol à quelques mètres devant elle. Au loin, un semblant de tonnerre gronda et l'air devint plus lourd. Une nouvelle tempête éclaterait sans nul doute en début d'après-midi ; Carmen espérait être de retour chez elle avant de se retrouver prise dans la tourmente.

               Enfin, l'arcade creusée dans les vieux immeubles du centre-ville apparut face à elle. Imposante, immobile, elle semblait avoir tenu face au désastre. Il suffisait à la jeune femme de la traverser, et la place de la Libération s'offrirait à elle. Un soupir échappa à Carmen, et son pas se fit plus lent. L'ombre imposante de l'arche s'abattit sur elle quand elle passa au-dessous, et ses pas résonnèrent sur les durs pavés de la place. Là, au centre se tenaient les silhouettes droites et frêles d'une cinquantaine de personnes ; la plupart semblaient effrayées si ce n'est paniquées et n'arrivaient à réprimer leurs tremblements. Plus encore que dans les rues, l'atmosphère ici était étouffante ; rares étaient ceux osant élever la voix et la plupart se contentaient de chuchoter avec leur voisin. Carmen grimaça. Si elle restait parmi eux plus d'une heure, elle risquait d'en assommer un ou deux afin de calmer ses nerfs. Alors elle se plaça à l'écart, non loin de l'entrée de la poste qui bordait la place. Le silence se fit bientôt, et un homme d'une trentaine d'années grimpa sur la petite estrade, aménagée sur le lieu où se trouvait autrefois la statue d'un vétéran de guerre. Ravagée par la tempête également. À la vision de l'homme, Carmen ferma les yeux et se retint de tourner les talons pour s'échapper de l'endroit. À la place, elle enfonça ses ongles dans ses chairs et se tut, écoutant les premiers mots de l'homme. Simple pantin, il était venu faire l'éloge de cette nation qui les envoyait au massacre un à un et partira ensuite se réfugier là où le simple peuple ne peut aller. Et eux devront survivre, et prier pour ne pas être envoyés au front. Cette injustice révoltait Carmen qui, pourtant, était vouée à rester murée dans le mutisme et simplement écouter et obéir. Et c'est ce qu'elle fit, s'obligeant à se concentrer sur le baratin de l'homme dressé face à elle.

Elle n'en remarqua pas l'ombre qui rasait les murs non loin de la petite assemblée.

               Le temps passa lentement, le discours paru interminable. Le porte-parole du maire, juché sur son promontoire, faisait de larges mouvements de bras au rythme de son monologue. Les origamis de papier qui venaient voleter de trop près se retrouvaient balayés et parvenaient avec mal à reprendre altitude. Les prunelles bleu-gris de Carmen suivaient la course de ces petits oiseaux avec attention, et elle n'écoutait désormais que d'une oreille distraite le discours.

               « Volontaires pour servir notre nation ! », « gagner la guerre », « ne pas oublier nos héros », « ne pas nous oublier », « la loi sur les journaux », « apparition des Ombres en ville », « notre cher maire fait de son mieux ! » : voilà les quelques brides qui parvinrent à la jeune femme. Un soupir lui échappa tandis qu'elle se renfrogna. La tempête gronda dans le lointain. La vieille église qui se tenait aux côtés de la poste, son clocher emporté par le chaos, se mit à sonner quand midi arriva. Alors que le trentenaire commençait à saluer l'assemblée, les invitant à rentrer chez eux, Carmen n'attendit pas davantage et fit volte-face. D'un pas rapide, elle s'engouffra dans la poste qu'elle connaissait désormais si bien et se dirigea vers la pièce du fond sans une once d'hésitation. Le lieu était silencieux, hormis les brides de discussion qu'on percevait encore du dehors, et les froissements de journaux que l'on pouvait entendre de la pièce voisine. Les lumières des vitraux qui se reflétaient sur les murs de la pièce principale semblaient jouer avec les ombres ; un chat de papier dormait dans un coin sans se soucier du ballet de couleur. Enfin, la blonde passa la seconde porte et arriva dans une pièce plus petite et animée. Quelques personnes s'activaient ci et là, à trier, ranger, organiser, étiqueter les journaux et lettres qu'elles recevaient. Sur le mur du fond, des noms étaient écrits, dans tous les sens, de toutes les couleurs, de toutes les écritures. Son regard se perdit un instant sur cette page géante et pu y lire son propre nom, mais aussi celui d'Anaïs et de Julie. Ils étaient tous là. Pour ne pas être oublié. Un frisson d'angoisse surpris Carmen à cette idée, et elle se dépêcha de détourner le regard. Rien ne servait de se faire des frayeurs, elle n'était pas venue pour ça. Alors d'un pas décidé, elle se dirigea vers un homme à la tignasse de jais, plongé dans la lecture d'une montagne de lettres et de journaux.

« Bonjour Thomas.

— Oh, bonjour Carmen ! il releva son visage aux traits fatigués vers son interlocutrice et un infime sourire étira la commissure de ses lèvres. Si c'est ce qui t'inquiète, rassure-toi : j'ai bel et bien reçu la lettre de ta chère Anaïs. Aussi, nous avons le journal pour toi aujourd'hui.

— Merci je suppose, mais tu n'aurais pas dû pour le journal.

— Désolé, mais tu connais la loi. Et puis... Lis-le, les nouvelles sont importantes aujourd'hui. »

               Il fit alors glisser la lettre à destination de Carmen accompagnée du prospectus et se replongea dans sa lecture. Son travail fait, elle ne tirerait rien de plus de Thomas. Alors elle récupéra son petit paquet et quitta la pièce sans un regard vers le mur gravé de noms.

               Dehors, l'air s'était rafraîchi à l'approche de l'orage améthyste, et la jeune femme se félicita intérieurement d'avoir pris sa veste de feutrine. Un mince courant d'air balaya ses cheveux, et un frisson étreignit Carmen. Elle traversa la place rapidement, ses pas résonnaient sur le pavé désormais gelé. Et lorsqu'elle eut dépassé l'arcade qui marquait l'entrée et la sortie du lieu clos, et qu'elle fut à l'abris de tout regard indiscret, la jeune femme se décida à ouvrir sa lettre. D'un geste fébrile de la main, elle déchira l'enveloppe dans lequel reposait le papier qu'elle convoitait et se mit à lire, alors que ses pas la menaient à travers les rues désertes.

──────────────────
Chère Carmen,

Alors que toutes les journées se ressemblaient jusque-là, quelque chose de nouveau est survenu ! Un groupe étranger au nôtre est arrivé. Ils étaient cinq, blessés mais bien vivants. Ils n'étaient pas des Oubliés. On a discuté, ils ont dit venir de loin, d'Asie, de Chine je crois ? Enfin avant qu'ils ne soient envoyés au combat. Ils ont tenté de fuir mais se sont retrouvés confrontés aux frontières du monde. Si j'avais un jour su que la Terre avait bel et bien une limite... Si seulement on est encore sur Terre. Ils nous ont aussi raconté comment c'était de là d'où ils venaient ; de la frontière je veux dire. Apparemment c'est un ▢▢▢▢▢▢▢ ▢▢▢▢▢▢▢▢▢▢▢▢▢▢▢▢▢▢▢▢▢▢▢▢▢▢▢. Une expérience effrayante... cela signifie qu'on a ▢▢▢▢.
Enfin ça ne doit pas t'avancer à grand-chose ce que je te dis là, toi qui es coincé dans la ville. Tout va bien là-bas ? D'ailleurs ! Je leur ai parlé de notre chère Milestone : ils ont dit connaître. Apparemment la rumeur court comme quoi ce serait la ville ▢▢▢▢▢▢. Tout le monde la surnomme la ville de papier, à cause de la loi des journaux. ▢▢▢ ! J'espère en tout cas qu'il ne t'ait rien arrivé... Surtout depuis l'arrivée des Oubliés dans les cités...

Fais bien attention à toi, je t'aime.
Tendrement,
Anaïs.
──────────────────

               Carmen resta interdite, relisant la lettre plusieurs fois. Elle était figée au milieu de la route, et tenta tant bien que mal de gratter le blanc qui recouvrait les mots d'Anaïs. Mais rien n'y fit, et les parties manquantes le resteraient à vie. Ils les avaient censurés, pour une raison qui ne lui serait jamais révélée. Carmen ne pouvait rien y faire, elle soupira simplement sa frustration. Sans un mot, elle replia la précieuse lettre, la rangea dans son enveloppe et s'assit sur le bord du trottoir. Peu l'importait, même la tempête qui approchait doucement. Les derniers mots d'Anaïs l'avaient troublée, ainsi que ceux de Thomas. Alors, elle déplia le journal qu'on lui avait remis, et parcourut avec attention son contenu.

──────────────────
MILESTONE'S NEWS
‿‿‿

Marée noire sur Milestone

⠂Après plusieurs mois passés à l'abris dans l'enceinte de notre ville, protégés par notre maire et par les différentes mesures mises en place, voici que les Oubliés ont réussi à parvenir jusqu'à nous. Aujourd'hui, le porte-parole de monsieur le maire l'a annoncé : les Ombres ont envahi Milestone. C'est une marée noire qui s'abat sur la métropole épargnée par la guerre, où seules les tempêtes font des ravages. Dans leurs anciennes maisons, dans les rues qu'elles ont autrefois parcourues, les ombres sont là. Pas de panique cependant ! Dans quelques jours un nouveau discours sera prononcé et de nouvelles mesures seront prises. Jusque-là, il est conseillé aux habitants d'éviter au possible ces fantômes du passé. Également pour se protéger, et protéger ses proches, le remède est de se souvenir. Lire le journal et les lettres envoyées par notre famille, nos amis et connaissances de l'Autre-côté est primordial. Nous vous rappelons pareillement que vivre à plusieurs peut être d'une aide véritable.

‿‿‿

Les Héros de la Guerre
Pour ne pas oublier, et honorer ceux récemment partis pour notre patrie. Nous comptons sur eux pour nous amener victoire et paix !

[...]
Léger Emma
Monnery Stéphanie
Navas Anaïs
Rozan Zachary

──────────────────

               Une sueur froide longea la colonne vertébrale de Carmen. Les Oubliés ont donc réussi à pénétrer dans Milestone ? D'horreur, elle laissa glisser le journal sur le sol froid bétonné. Son regard inquiet parcourut la rue silencieuse et des gouttes de sueur perlèrent sur son front glacé. Ils n'étaient donc plus seuls, à l'abri dans leur grande ville. Les ombres étaient venues jusqu'à eux, la guerre les suivrait bientôt.

Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro