La célébration bat son plein avec ce grand banquet festif qui n'aurait rien à envier à d'autres festivités similaires. L'atmosphère est chaleureuse. Les décorations sont somptueuses. Il y a des guirlandes de fleurs magiques qui semblent voler toutes seules, des lanternes scintillantes enchantées et des sculptures d'eau. Quelques musiciens, des violonistes principalement, jouent des mélodies enchantées, accompagnés d'une dizaine de chanteuses à la voix d'or qui font battre des cœurs plus fort avec leurs paroles pleines d'amour et de joie.

Les gens échangent entre eux avec bonne humeur. Il rient et mangent des plats exquis et extravagants qui défient l'imagination avec leurs formes et couleurs ouvrant l'appétit. Je me promène de groupe en groupe, et nombreux sont ceux qui me félicitent d'avoir si bien grandi. Je les remercie, légèrement gênée. Je n'ai jamais été très à l'aise avec les mots doux et les compliments et je crains à tout moment que l'une de ces nombreuses personnes ne mentionne mon pouvoir.

Je me sens pourtant légère. Le spectacle des fées était grandiose et me laisse avec un gros pincement au cœur. Je n'arrive pas à croire qu'il va de nouveau falloir attendre un an pour revoir ce spectacle. Si seulement il y avait ça plus souvent ! Néanmoins, cela requiert un grand temps de préparation pour les fées et j'ignore si elles seraient capables de déployer autant d'énergie à chaque fois qu'on leur demande. De toute façon, on ne les voient que rarement le reste de l'année. Elles circulent de temps en temps, vérifiant que les fleurs se portent bien, mais c'est tout. Elles restent des êtres mystérieux qui contribuent à la splendeur de notre royaume, perché sur une colline imposante.

Alors que je me promène encore dans la grande salle, quelque chose, ou plutôt quelqu'un attire brusquement mon attention. Une vieille femme que je ne connais pas est agrippée au bras de mon père. Ce dernier paraît ennuyé. Je m'arrête et tout devient flou autour de moi tandis que je me concentre sur ce que je vois. La vieille femme m'effraie un peu, je dois bien l'avouer. Elle porte une longue robe noire ornée de perles nacrées grises et une large capuche dissimule une grosse partie sa chevelure grise et grasse. On ne devine que quelques mêches son visage et ses petites mains ridées ornées de bagues précieuses. Elle porte des chaussures au bout pointu et véhicule l'image d'une sorcière, ou une autre créature du genre. Elle semble hors du temps, venue tout droit d'une autre dimension.

D'abord, je ne parviens pas à capter un seul mot de leur discussion et cela me frustre. Je m'approche donc discrètement ignorant les regards autour de moi et leur petit dialogue mystérieux devient finalement audible. Se parlent-ils depuis longtemps ? Que se disent-ils ?

— Vous avez une très belle famille.

Merci... mais qui êtes-vous ?

Elle parle très lentement et sa voix rauque me donne des frissons. Les questions s'enchaînent dans mon esprit. Qui est-elle ? Peut-être une nouvelle habitante du royaume ? Ce n'est pas tous les jours que ça arrive ! Vient-elle de loin ?

— Quelle est le don de votre plus vieille fille, rappelez-moi ?

En quoi ça vous concerne ?

Je me raidis lorsqu'elle me mentionne et mes mains se crispent. Mon père lui a-t-il parlé de nous ? De moi ?

— La victoire. Ma fille gagne tout le temps. C'est une véritable héroïne.

La vieille dame s'esclaffe et quelques personnes se tournent vers elle, se demandant la raison de ce rire amer. Elle jette même un regard dans ma direction. Sans doute ignore-t-elle que je les entends parler. Elle m'agace, j'aimerais simplement aller la voir et lui demander quel est son problème. De quoi se mêle-t-elle, au juste ? Pourquoi est-elle accrochée à mon père depuis tout à l'heure ? Que veut-elle ? Peut-être de la compagnie mais là, elle semble surtout déranger mon père. D'ailleurs, en regardant autour de moi, je ne repère ni ma mère, ni ma fratrie.

— Pauvre petite, ce n'est pas juste ! Saviez-vous qu'il est possible de changer sa qualité dominante ? Je l'aurais fait à sa place ! Gagner tout le temps, que c'est triste ! Elle ne connaîtra jamais la défaite, cette pauvre petite ! C'est en perdant que l'on apprend le plus ! Quel... gâchis !

Mon sang bouillonne en moi comme une mer de feu. C'est la deuxième fois aujourd'hui après le petit roux que quelqu'un heurte ma sensibilité. Des regards convergent vers moi et l'envie de disparaître me prend.

Je suis maudite. Je suis vraiment maudite. La malédiction me colle à la peau.

C'en est trop, je sature. Je quitte la salle aussi discrètement que possible et me rends dans la partie du château autorisée aux visiteurs. Le jardin a magnifiquement bien fleuri mais je n'arrive plus à me réjouir de rien. Cette situation m'affecte profondément telle une spirale infernale qui m'a pas de fin et dans laquelle je suis prisonnière.

Une balançoire est à nouveau ornée de plantes grimpantes. Je pose mes fesses sur le siège en bois et me balance à un rythme irrégulier, luttant contre toutes ces pensées frustrantes qui fusent dans ma tête. L'air frais vient frapper mon visage tandis que je médite sur tout ce qui vient de se passer. Je fais tomber mes sandales dans le sable, laissant mes doigts de pieds à l'air libre et je libère mes cheveux de leurs rubans étouffants.

Pourquoi moi ? Et dire que ce sont mes parents qui ont exprimé le souhait que je sois toujours victorieuse. Même les grands font des erreurs.

Alors que je m'évertue à dissimuler ma capacité, à en parler le moins possible, voilà qu'une vieille dame sortie de nulle part vient gâcher ma soirée après un garçon de dix ans qui m'accuse de tricher.

En réfléchissant plus profondément, je me remémore ses paroles.

« Saviez-vous qu'il est possible de changer sa qualité dominante ? »

Eh bien, cette vieille femme n'est pas si mauvaise que ça, tout compte fait.

Et si je pouvais changer la donne ? Et si je pouvais annuler tout ça ? Et si je pouvais changer de capacité ? Je sais que ma vie serait meilleure sans ce fichu pouvoir qui me ronge de l'intérieur.

Mais la vieille femme dit-elle vrai ? Est-ce possible ? Elle ne m'inspire pas confiance mais je n'ai rien à perdre. Aucun autre espoir auquel m'accrocher.

Demain, je vais toucher deux mots à mes parents. De toute façon, si ça part en débat, je sais que je gagnerai. Je gagne toujours. Évidement.

Je quitte la balançoire et mon regard se pose sur une silhouette mystérieuse dissimulée derrière un buisson qui semble m'épier. Plutôt indiscrète la personne, puisque je l'ai vu. Je secoue la tête mais ne me préoccupe pas de cette personne et de son identité. Je retourne à la fête, tentant de chasser les mauvaises pensées le temps d'une danse avec mon père, qui veut absolument danser avec ses enfants. Je pense qu'il a plutôt très envie d'échapper à la vieille dame pour le reste de la soirée.

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