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Chapitre 7


— Par les Grandes Eaux du Dessus... souffla Léandre, et il effectua les gestes de purification rituelle avec plus de ferveur que jamais.

Le Betsy affleura à la surface d'une caverne si vaste que l'écho du radar tardait à leur revenir. D'étranges perturbations striaient l'écran. Ce n'est qu'en collant le nez à la vitre de l'un des hublots globuleux que Léandre comprit l'origine du phénomène.

— Des colonnes... en orichalque. Elles luisent faiblement. Il y en a des dizaines, peut-être même plus. Elles sont si hautes... je n'en vois pas le haut, et leur base semble plongée dans l'eau.

— Attends, fais voir.

Damoclès se tailla une petite place près de lui, avant que de se mettre à sautiller en tous sens. Il poussa l'entrain jusqu'à prendre Rose dans ses bras. La pauvre adressa un regard mortifié à Léandre, qui souriait de toutes ses dents.

— Nous avons atteint le Jardin des Vestiges.

— Ce dont je me réjouis aussi, précisa une Rose toujours captive des bras de l'ingénieur. Mais pourquoi cette manifestation de joie si, euh... explosive ?

— Parce que, ma chère, le Jardin des Vestiges est un temple sacré censé repousser les intrus par un mécanisme de protection automatique. Or, notre incursion ici semble n'avoir rien déclenché de la sorte, ce qui est une grande victoire, n'est-ce pas ?

— Oh...

Le visage de la jeune fille s'empourpra légèrement. Comme elle n'avait aucune raison d'être gênée en cet instant, Léandre en déduisit qu'elle ressentait de la colère, une émotion incongrue à ses yeux.

— Et c'est seulement maintenant que vous jugez bon de m'en faire part ? Je, j'ai... j'ai risqué ma vie sans le savoir et...

— Ce que Damoclès ne précise pas, coupa Léandre d'une voix posée, c'est que ce mécanisme est une légende destinée à faire fuir les moins téméraires. Pour preuve : s'il avait réellement existé, les Sabliers n'auraient jamais pu être volés. Ce n'était qu'un écran de fumée, nous le savions, et nous ne voulions pas vous inquiétez inutilement.

— Mais... vous vous réjouissez, c'est donc que le danger était réel !

La Lady se dégagea des bras de l'ingénieur, qui partit sautiller ailleurs dans l'espace restreint de la capsule.

— Léandre, vous m'avez menti !

— Je... pas du tout. Mentir, c'est déformer la réalité, c'est cela ? Non, je n'ai pas menti. Je n'ai rien dit, simplement.

— Et je suis heureux car j'avais raison. Raison ! R-A-I-S-O-N ! scanda Damoclès en levant les bras à chaque lettre. Ces Léviathans ne sont qu'une légende, je vais pouvoir en apporter la preuve à la surface de l'Atlas. Je suis l'auteur d'une découverte sans précédent, mon nom sera respecté pour les ères à venir ! Connu comme celui du premier re-découvreur du Jardin des Vestiges après l'Engloutissement !

Rose s'assit prudemment dans son siège et, les mains posées sur ses genoux, s'étonna de ce que cela lui semblait incohérent avec ce qu'elle savait :

— N'aviez vous pas dit que des recherches avaient été menées ici pour s'assurer que les Sabliers n'étaient pas simplement tombés de leur socle ?

— Oui, mais par des Prêtres de l'Eau. Eux y ont accès, au Jardin. Les profanes comme nous...

— Attendez, seriez-vous en train de me dire que nous n'avons pas le droit d'être ici ?

— Non, non ! s'écria Léandre, qui conservait son sourire et son assurance. La loi sacrée est de notre côté. Il est écrit, dans les tablettes d'orichalque du dieu, que — le Jardin des Vestiges est ouvert à tous ceux qui veulent le voir. Seuls les Prêtres ont tenu les Atlantes à distance.

— Pourquoi ?

— Eh bien...

Léandre se rendit compte qu'il n'en savait rien. D'un regard, il interrogea Damoclès, qui haussa les épaules à son tour.

— Ils avaient sûrement leurs raisons.

L'ingénieur n'en dit pas plus mais n'en pensait pas moins : à ses yeux, les Prêtres dissimulaient un secret depuis trop longtemps et il comptait bien le percer à jour. La disparition des Sabliers, l'Engloutissement, le retour des Extérieurs... dans son idée, tout était lié. Léandre devait s'avouer qu'il le rejoignait entièrement sur tous les points de son argumentation.

Lui aussi s'était mis à douter des bonnes intentions des Prêtres...

— Bon, en avant toute. À vos postes, les amis !

Damoclès sauta dans son propre siège. Léandre prit place dans le sien et, le regard rivé sur l'écran radar, s'amusa à compter le nombre de colonnes qu'ils contournaient avec le Betsy. L'orichalque paraissait troubler le radar, qui n'affichait que du vide strié là où auraient dû se trouver les piliers. À croire que le métal employait toute son énergie à passer inaperçu, à rester secret.

Le Betsy louvoya deux longues heures à la surface du lac souterrain, si grand qu'il aurait même pu être qualifié de mer. Le Jardin des Vestiges s'étendait-t-il sous l'Atlas tout entier ? Ces colonnes soutenaient-elles quelque chose en particulier, comme la voûte de la caverne ? Les Sabliers se trouvaient-il en haut de ces colossaux piliers, ou bien attendaient-ils d'être redécouverts ailleurs ?

Pris d'impatience, Léandre tapotait avec fièvre sur le rebord de la console de commandes. Rose l'observait avec une lueur de reproche dans le regard, mais Léandre n'y faisait pas attention. Il ne comprenait pas les raisons de sa colère. Il ne lui avait pas parlé des Léviathans car ils n'existaient tout simplement pas. Rose n'avait pas sa foi, sa confiance dans les capacités de Damoclès qui devinait toujours juste. Elle se serait inquiétée inutilement. Quel mal y avait-il à la protéger d'informations qui, de toute manière, n'importaient pas ? Les Extérieurs réagissaient de façon étrange, parfois... dans son métier, Léandre était considéré comme un spécialiste du monde au-delà du dôme, mais dernièrement, il se sentait parfois aussi démuni que les autres face à l'étrangeté des représentants du monde extérieur en question.

Alors qu'il avait cessé de compter les colonnes – qui dépassaient de loin le nombre de Sabliers supposés se trouver ici, ce qui invalidait son hypothèse selon laquelle ceux-ci se trouvaient à leur sommet – et qu'il avait également cessé de chercher une raison valable aux bouderies de Rose, l'écho d'une terre où poser le pied se dessina enfin sur l'écran radar. Rose sursauta, le regard à nouveau fiévreux d'impatience.

— Qu'est-ce que c'est ? Un rivage ? Le Jardin n'est-il pas censé être immergé ?

— Si, si, et c'est assez inattendu... humm, attendez voir.

Damoclès déplia l'un des bras télescopiques du Betsy. Un tentacule cuivré émergea de l'eau sous les yeux ravis des passagers, qui contemplèrent silencieusement le déploiement d'une sorte d'oreille parabolique.

— Une extension du radar, plus précise que sa version intégrée aux commandes directes. L'onde peut traverser l'air aussi bien que l'eau...

— Je vois, murmura Rose, absorbée par la contemplation du tentacule. L'appendice émit un son inaudible pour leurs oreilles, puis renvoya le dessin, flou, du relief alentour.

Derrière la plage de sable se trouvait une butte, laquelle cachait visiblement le cœur du Jardin des Vestiges, ou tout autre relique de l'Atlas d'avant l'Engloutissement si ce n'était pas là le Jardin. Il s'y trouvait sûrement des objets en orichalque, car l'image radar contenait de nombreux — trous qui dessinaient en creux la silhouette bombée de ce qui ressemblait, sinon à des sabliers, au moins à des cônes. Posés sur le sable, il y en avait des dizaines.

Léandre regarda par le hublot mais la butte après la plage était haute et ne révélait rien de se qui se cachait derrière.

— Il va falloir sortir, annonça-t-il.

— Avons-nous besoin de tenues particulières pour cela ? C'est-à-dire, tenta de justifier Rose, que si, je, euh...

Léandre posa une main rassurante sur son épaule. Il comprenait la peur de la jeune femme qui, en plus d'avoir déjà posé le pied en terre inconnue lors de son débarquement sur l'Atlas, s'apprêtait désormais à explorer des terres quasiment inconnues pour les Atlantes eux-mêmes.

— J'ai prévu des scaphandres pour d'éventuelles plongées en solo, mais rien pour la terre, confia Damoclès, penaud de ne pas avoir envisagé une telle situation. Nos sandales devront suffire, j'en ai bien peur.

Peur ? gémit Rose.

Son désarroi tira un sourire attendri à Léandre.

L'Atlante lui prit la main et l'enveloppa entre les siennes. Doucement, il lui massa les doigts, puis les paumes et enfin les poignets – des gestes qui rassuraient beaucoup Io quand elle était sujette à ses incompréhensibles crises d'angoisse nocturnes. Rose se détendit un peu et rougit légèrement avant de glisser ses mains hors des siennes.

— Merci, balbutia-t-elle en les glissant derrière son dos. Je vais tâcher de me contrôler. C'est simplement que... J'y songeais déjà avant cela, mais là...

— L'étrangeté inquiétante de la situation t'a frappée avec davantage de force, compléta Léandre.

— Oui, voilà. Tu as tout compris.

— Je suis là, je te promets que nous retournerons à la surface. Entiers. Vivants.

Le plus rassurant, dans tout cela, c'était qu'il se sentait capable de tenir cette promesse. La franchise de son regard et la chaleur de sa voix achevèrent de rasséréner la jeune fille, qui ne frémit presque pas lorsque Damoclès ouvrit le sas de la capsule et déploya une passerelle qui permettait de marcher jusqu'à la plage sans se mouiller jusqu'à mi-mollets.

— Bien. Bien, bien, bien, répéta Rose une fois débarquée, le bas de sa robe relevé pour ne pas laisser traîner l'étoffe dans le sable. Elle avait fait confectionner un ensemble de toges très longues, qui cachaient ses jambes et ses chevilles. Léandre n'y avait que peu prêté attention, mais si cette excentricité vestimentaire ne lui posait pas de problème en ville, force fut de constater que cela s'avérait bien moins pratique et élégant sur un terrain plus accidenté. Rose tenta de monter sur la butte haute d'à peine quelques perches, mais ses sandales glissèrent sur les cailloux qui dévalèrent la pente comme autant de cascades pierreuses. Léandre gravit l'éminence à quatre pattes, se servant de ses mains pour ne pas tomber quand ses pieds glissaient, puis se retourna pour suggérer à son amie :

— Et si tu nouais ta robe sous tes fesses, pour plus de praticité ?

Du bas du gros morceau de roche qui osait lui barrer le chemin, Rose le considéra avec un air choqué, la bouche entrouverte et les sourcils froncés, avant que d'observer à droite et à gauche s'il n'y avait personne.

— Damoclès, grimpez donc. Si je dois remonter mes jupes, que je le fasse en ayant au moins l'assurance que tous les messieurs regardent ailleurs.

L'ingénieur ricana mais s'exécuta, non sans prêter main forte à la jeune fille par la suite. Ils parvinrent finalement en haut de la butte. Léandre profita de sa légère avance pour contempler le paysage de l'autre côté.

Une vaste plaine s'ouvrait devant lui, crevassée, recouverte d'une croûte blanchâtre. Certainement du sel. Des scories marines achevaient de se fossiliser au pied de petits blocs de pierre ivoirine, polis par le temps, sur lesquels se dressaient de fières colonnes d'orichalque. D'une hauteur vertigineuse, elles éclairaient à plusieurs perches à la ronde. Léandre ne résista pas et dévala aussitôt l'autre pan de la butte, bien moins pentu que du côté de la plage, impatient de toucher du doigt l'un des mystères de sa civilisation.

Le mystère des origines...

Il caressa la pierre, tremblant de tous ses membres, contourna l'une des colonnes, avant de glapir sous le coup de la surprise. Un second cri de joie lui échappa, et encore un autre quand il constata la caractéristique commune à chacune des bases en pierre.

— Damoclès ! appela-t-il. L'ingénieur ne se fit pas prier. Une dégringolade plus tard, et il rejoignait le Mémoire Vivante pour partager sa découverte.

— Mille murènes...

— Les Sabliers ! Nous les avons trouvés, Rose, nous les avons trouvés !

Dans un éclat de rire enfantin, il rejoignit la jeune fille pour l'aider à descendre de la butte, puis la guida jusqu'à la cavité creusée à même la pierre. Les blocs de marbre ne dépassaient guère la taille moyenne d'un Atlante. À hauteur du torse, une cavité contenait un tout petit sablier taillé dans le métal magique, dont les deux bulbes de verre pulsaient d'une lueur tantôt turquoise, tantôt dorée, tantôt fuchsia, tantôt orange, avant de revenir au bleu, à l'or, au rose...

Comme un cœur qui bat, s'étonna Léandre. Cette comparaison lui parut un peu absurde au début, mais Damoclès émit la même remarque à voix haute. Rose hocha la tête, convaincue elle aussi que qu'ils avaient sous les yeux davantage qu'une simple relique.

— En plus, il y a de la chaleur qui en émane, souffla Rose. Vous ne trouvez pas ?

Léandre se rapprocha de la cavité et, soudain, la lueur du Sablier tourna au vert.

— Que...

Il s'éloigna. Aussitôt, les pulsations reprirent leur rythme et leurs couleurs normales. Le spectacle les fascina pour un temps incalculable, d'autant plus qu'ils s'ingénièrent à comparer les lueurs des différents Sabliers ainsi que leurs réactions quand ils s'en approchaient. Les artefacts paraissaient ne pas réagir à la présence de Rose, ce que cette dernière expliqua par sa nature d'Extérieure. Certains pulsaient sur deux couleurs, d'autres sur trois et plus. Certains ne brillaient pas mais émettaient une étrange vibration insectoïde, comme si une vie bourdonnait à l'intérieur.

— Si seulement quelqu'un avait laissé un mode d'emploi, se lamenta Damoclès. Ou un précis technique. Mon père a gardé trop de secrets par devers lui au sujet des Sabliers Antiques. Il n'a jamais voulu m'en dire davantage...

— Ce serait trop facile s'il t'avait tout laissé, et tu trouverais des raisons de t'en plaindre, dit Léandre, taquin.

— Certes, certes.

Ouch ! Oh... oh la la... ça brûle, bon sang !

Deux doigts dans le bouche, Rose expliqua, penaude :

— J'ai tenté de toucher un Sablier, et je viens d'écoper d'une brûlure assez sévère pour ne pas renouveler l'expérience de sitôt.

Ses yeux baignés de larmes montraient à quel point la douleur avait été vive. Léandre, qui jusque là n'avait pas osé toucher les artefacts, se risqua à en approcher la main à son tour. Le Sablier vira au vert mais ce fut la seule réaction visible. Au toucher, il était parfaitement frais. Sans songer à véritablement mettre en péril l'un de ses doigts, Rose approcha de nouveau sa main. Très lentement. La réplique ne se fit pas attendre : le Sablier s'éteignit et l'air chauffa. Nul doute que le métal lui brûlerait les doigts si elle insistait. Le phénomène cessa sitôt que Rose s'en éloigna.

Damoclès effectua un aller-retour au Betsy, revenant avec tout le matériel nécessaire pour effectuer quelques mesures – sans oublier un pot d'onguent pour apaiser la brûlure de Rose.

Ils poursuivirent leurs expériences. La température du Sablier s'élevait de façon drastique quand Rose s'en approchait. D'ailleurs, si elle répétait ses tentatives d'approche auprès d'un Sablier en particulier, la réaction de celui-ci augmentait en retour. Comme si le métal la reconnaissait, retenait ses actions et, au fil des tentatives, évoluait et variait ses menaces.

Au bout d'un moment, Damoclès lui conseilla d'aller s'asseoir contre la butte.

— Je crains une réaction en chaîne des Sabliers. Nous supposions tout à l'heure qu'ils communiquaient certainement entre eux et réagissaient probablement les uns par rapport aux autres : ce serait dommage de finir en cendres à cause de cela.

— Les Sabliers ne réagissent négativement qu'aux Extérieurs. Tu sais ce que ça veut dire ? songea Léandre, l'air sombre.

— Ouaip : qu'au moins un Atlante a participé au pillage du Jardin des Vestiges. Des Extérieurs, enfin, des non-Atlantes de l'époque n'auraient pas pu s'en approcher avec des intentions hostiles. Les Sabliers se seraient défendus.

— Tu crois que le traître Atlante aurait pu être contraint et forcé ?

— Humm, pas sûr. Les Sabliers ont l'air intelligent : tu ne crois pas qu'ils auraient compris le dilemme de l'Atlante ? Je pense qu'ils l'auraient brûlé sur place pour contrecarrer les plans de ceux qui leur voulaient du mal. Ou qu'ils auraient trouvé un moyen de l'empêcher de s'emparer d'eux pour le compte des Extérieurs mal intentionnés.

— L'orichalque peut-il être intelligent à ce point ?

— Tout dépend de qui a forgé ces merveilles... et des capacités que cette personne leur a données. Ce devait être un sacré ingénieur. De sacrés ingénieurs, même, je pense. Ces trucs sont l'œuvre de plusieurs vies humaines.

— Je veux bien te croire... mais que faisons-nous, maintenant ?

— Que dirais-tu de pousser un peu plus loin l'exploration ?

— Et Rose ?

— Humm... j'ai bien une idée, mais je ne sais pas si elle va apprécier.

Remerciée ! Congédiée comme une vulgaire gamine ! Léandre et Damoclès avaient osé lui ordonner de rester à bord du Betsy. Elle savait bien qu'il ne s'agissait pas là d'une quelconque discrimination, simplement d'une prudente mise à l'écart, une précaution dictée par la raison. Mais... ces derniers temps, sa propension à la prudence tendait à disparaître. Elle avait plongé corps et âme dans une civilisation disparue, elle s'était intégrée à une société sous-marine, elle avait embarqué à bord d'un minuscule submersible et s'était indéniablement exposée à plus de risques mortels en une seule journée que toutes les Ladies de Londres en une seule vie... alors elle n'était plus à ça près !

Si elle avait suivi les conseils de Damoclès, elle aurait dû rester à bord du Betsy, enfermée plus exactement, mais cela faisait deux jours entiers qu'ils naviguaient dans cette boîte de conserve et, avec tout le respect qu'elle devait à Damoclès ainsi qu'à son invention, elle en avait ras l'ombrelle de l'étroitesse des lieux et de la promiscuité imposée.

Aussi Rose posa-t-elle son délicat arrière-train sur une pierre, à quelques pas du Betsy, et enleva-t-elle ses sandales pour se masser la plante des pieds. Cals et ampoules défilèrent sous ses doigts : sa peau ressemblait à s'y méprendre à une carte en relief de White Chapel, miasmes inclus... Elle soupira et posa les pieds contre le sable doux, ni froid ni chaud, les orteils macérant dans l'eau. Éclairée par en-dessous grâce aux lueurs émises par le Betsy, l'onde paraissait faite d'or liquide. Le moindre grain de sable soulevé apparaissait comme une paillette ou, mieux encore, une luciole sous-marine.

Rose observa le phénomène, fascinée comme à chaque fois qu'elle effectuait une découverte, même la plus infime ou la plus anodine aux yeux des Atlantes. Elle mit le doigt dans l'eau et remarqua que le mouvement créait des volutes dorés. Amusée, elle entreprit donc de créer des dessins éphémères sur les flots. Ici, un oiseau au bec de travers. Là, un navire à un seul mat et sans pavillon car elle n'eut pas le temps de l'esquisser...

Derrière elle, une série de cliquetis étouffé retentit. Rose cessa aussitôt son manège et retira ses pieds de l'eau. Pétrifiée, elle tendit l'oreille, le corps d'ores et déjà en sueur, son esprit effectuant le compte très imaginatif de toutes les morts qui pouvaient la menacer en cet instant. Une nouvelle série de cliquetis se fit entendre. Quelle qu'elle soit, la chose était petite, ou très légère, et se déplaçait de gauche à droite dans son dos.

Sans brusquerie mais prête à prendre la poudre d'escampette jusqu'au Betsy, Rose se retourna, la tête d'abord, puis les épaules et le buste, avant que ses fesses appuyées sur le rocher ne suivent le mouvement. Elle détestait l'idée de tourner le dos à l'onde en apparence tranquille car, maintenant qu'elle y repensait, elle se souvenait qu'il s'y trouvait cet affreux requin aux dents pointues comme des épines...

Et ce n'était sûrement qu'un maigre échantillon de tout ce qu'on peut trouver de pire à ces profondeurs.

Le regard fiévreux et le cœur battant, Rose chercha du regard l'origine du cliquetis. Elle scruta les alentours sans rien voir. Un effet de son imagination ? Lors des premières nuits dans les couchettes à terre, à Knossos, elle craignait tellement qu'un scorpion ne surgisse dans sa chambre et ne monte dans le lit qu'elle en avait fait des insomnies, allant jusqu'à imaginer des bruits qui n'existaient que dans sa tête et dans ses angoisses.

Elle eut beau inspecter les environs directs éclairés par le Betsy, elle ne vit rien. Faussement détendue, elle commençait à se retourner vers la mer quand le bruit reprit.

Tac-tac-tac.

Très net.

Tac-tac-tac.

Très proche.

Rose sauta à pieds joints sur son rocher, si brusquement qu'elle effraya la petite créature qui venait à sa rencontre. La jeune fille eut tout juste le temps de l'apercevoir : un crabe à la carapace cuivrée, enfoui juste sous la surface du sable à l'instant même.

— Oh !

Recluse sur son rocher, les jambes soigneusement ramenées sous elle dans une position accroupie, Rose se pencha vers l'animal. Au bout de quelques secondes de contemplation muette, elle poussa un cri émerveillé quand son visiteur inattendu reparut.

— Mais c'est de l'orichalque ! Tu es fait de métal, mon petit. Approche, viens, n'aies pas peur.

Persuadée d'avoir affaire à une nouvelle merveille atlante, peut-être issue de l'Atlas d'avant l'Engloutissement, Rose tendit la main sans craindre que l'objet de sa curiosité ne soit agressif ou, même, empoisonné – comme certains crabes des îles lointaines à la surface de la Terre. Ce fut même le petit animal mécanique qui hésita – ses pattes cliquetaient sourdement sur le sable sec – avant que de venir se frotter contre la main offerte. Il émanait de lui une douce chaleur, très faible en comparaison avec la fournaise dégagée par les Sabliers. D'une taille égale à celle d'un pouce, ses pinces s'agitaient sans menacer. Ses yeux bougeaient eux aussi, deux perles d'émeraude enchâssées à l'avant de la carapace.

Le crabe recula alors, puis poussa une drôle de trille métallique. Un signal, visiblement, puisque qu'une foule d'autres petits crabes mécaniques fit jour. Rose hoqueta : il y en avait partout. Ils émergeaient du sable, occupant chaque centimètre carré. Comment n'avaient-ils pu rien sentir à leur premier passage, avec Léandre et Damoclès ?

Le bruit d'un millier de pattes se déplaçant sur le sable sec tira à Rose un frisson d'effroi. Son instinct lui hurla de regagner le Betsy, de toute urgence, avant que l'une de ces bêtes ne s'y engouffre. Amicales ou non, elles étaient bien trop nombreuses pour ne pas constituer un problème.

Pourquoi n'ai-je pas suivi les recommandations de mes amis, déjà ? Ah, oui, je suis trop idiote pour cela. Dans quel pétrin me suis-je encore fourrée... Ah, Auguste en fera des gorges chaudes. Si j'en ressors vivante, bien sûr...

Prudemment, Rose effectua les quelques pas qui la séparaient de la passerelle menant au Betsy. Les crabes bougèrent, se marchant les uns sur les autres, une masse informe et grouillante agitée par des vagues incohérentes. Certains la suivaient et l'imitaient : quand elle effectuait un pas, ils en faisaient un aussi. Ce comportement, en plus d'être dérangeant, se révélait affreusement inquiétant. Qu'il était pesant d'être la cible de tant d'attention !

Soudain, comme si une main invisible les poussait en avant, les crabes s'élevèrent en vague pour s'échouer sur la passerelle dans une pluie aussi bruyante que grouillante. De la grêle sur un toit de tôle. Rose poussa un hurlement strident qui, s'il n'avait pas retenti à l'autre bout de la caverne, atteindrait au moins la position de Léandre et Damoclès – du moins était-ce son souhait le plus cher en cet instant. Rose entra dans la capsule et appuya sur la commande de fermeture du sas. L'un des crabes se coinça la pince dans la porte. Au cours d'une infime seconde où l'horreur le disputa à l'espoir, la pince tenta d'ouvrir le sas, mais la poussée de la porte fut la plus forte.

Le crabe renonça.

Une courte seconde.

Mais ce ne fut qu'un prélude. Cette même main invisible qui avait poussé les crabes à l'assaut se réunit en un point rageur qui commença à frapper contre la porte. Le Betsy ne trembla pas mais, à l'intérieur, Rose se réfugia sur sa couchette, les bras ramenés autour de ses jambes, totalement impuissante. Une Lady n'était pas formée aux arts de la guerre, encore moins à la façon dont il fallait s'y prendre pour repousser une armée de crustacés mécaniques ! Tout ce qu'elle pouvait faire, c'était espérer le retour prochain de ses amis – ou le départ de l'ennemi, même si elle plaçait peu d'espoirs en cela.

Soudain, la luminosité se réduisit à peau de chagrin. Rose constata, horrifiée, que les crabes recouvraient les hublots et donc, potentiellement, le submersible dans son entier. Et s'ils la poussaient dans l'eau, à la merci de quelque autre créature ? Que deviendrait-elle ? Et Léandre ? Et Damoclès ? Comment regagneraient-ils la surface ? Encore plus révoltée à l'idée de les abandonner que de mourir d'une façon aussi idiote, Rose se précipita vers le tableau de commandes. Betsy commençait à tanguer. Ce n'était qu'une question de temps avant que les crabes ne la fassent rouler sur le côté comme la vulgaire boîte de conserve dont Rose avait osé la traiter moins d'une heure auparavant.

Betsy, Betsy, je suis désolée, je ne le pensais pas vraiment... aide-moi... bon. Réfléchissons. L'orichalque est un matériau, sinon vivant, au moins pensant. Ces crustacés de l'enfer ont l'air d'agir selon une conscience commune ou, tout du moins, dans un but commun. Ce sont des machines. Liées ensemble... Oh ! Je sais !

Prise d'une incontrôlable crise de fou rire, Rose chercha le brouilleur de fréquence dont avait parlé Damoclès, très brièvement au demeurant. Tout ce qu'elle savait, c'était que ledit brouilleur agissait sur les machines composées d'orichalque. Il n'y avait qu'à sortir le tentacule équipé de l'eau, et diriger l'attaque sur la cible, avait-il précisé.

Oui, mais là, mon problème est tout autour de moi. Comment procéder ? Bon sang, Damoclès, vous pourriez penser à tout, y compris à une attaque de fruits de mer !

Rose poussa une longue expiration visant à calmer son cœur dont le battement approchait fort du rythme effréné d'un cheval lancé à plein galop, puis souleva l'interrupteur sous lequel l'inscription indiquait — brouilleur – du moins l'espérait-elle car il s'agissait de langue Atlante et elle procédait d'après ses souvenirs.

Il n'y eut ni feu d'artifice ni trompettes : le brouilleur agit en silence, causant la paralysie de tous les crabes dans un rayon de cent mètres environ. Le nez collé au hublot, Rose observa avec soulagement le naufrage des milliers d'attaquants agglutinés contre le Betsy. Un sourire ravi et soulagé vint se poser sur ses lèvres : elle avait réussi ! Elle avait survécu ! Seule et sans homme pour la seconder : sa mère et son frère n'avaient qu'à bien se tenir, elle venait de prouver qu'une Lady n'avait besoin de personne pour se faire une vraie place en ce monde.

Bon, personne n'est là pour assister à ma brillante démonstration, mais c'est un peu le principe, aussi...

À sa grande joie, Léandre et Damoclès revinrent moins d'une demi-heure plus tard, effarés face à l'hécatombe de crabes mécaniques. Ils se frayèrent un chemin dans la masse. Léandre reçut dans ses bras une Rose qui débita son histoire d'un trait, avant de songer qu'ils avaient peut-être effectué une découverte plus importante que la sienne, ou du moins expliquant celle-ci – un éventuel lien de cause à effet n'était pas à exclure, selon elle.

— Qu'avez-vous trouvé ?

— Rien, nous sommes bredouilles, confia Léandre. Nous avons compté les Sabliers et trouvé les trois blocs où ils manquent : rien de neuf, donc, si ce n'est que les Sabliers manquants ne sont effectivement pas restés dans le Jardin des Vestiges.

— Vous avez eu le temps de compter les Sabliers ? s'étonna-t-elle, alors que moins de deux heures s'étaient écoulées. Le Jardin semblait si vaste, vu de la butte, elle n'aurait pas imaginé pouvoir en faire le tour aussi vite.

— Eh bien, cela nous a pris l'équivalent de deux journées atlantes, tout de même.

— Deux journées ? Complètes ? Non, vous êtes partis une poignée d'heures tout au plus.

Ils s'entreregardèrent, indécis, jusqu'à ce que l'ingénieur marmonne sans paraître surpris :

— Le temps doit s'écouler différemment selon l'endroit où l'on se trouve, voilà tout.

— Prodigieux ! Mais pourquoi donc ?

— Aucune idée. Ce que je sais, en revanche, c'est que nous devrions partir, avertit l'ingénieur. Le brouilleur n'agira plus très longtemps.

— Nous retournons à la surface ? s'enquit Rose, la voix à la fois pleine d'espoir et de regrets. Elle ignorait ce qu'elle voulait : en découvrir plus, ou retourner sagement chez Io et Léandre, en sécurité.

— Oui. Et sans encombre, j'espère...

Ce disant, il jeta un regard sur les crabes immobiles à ses pieds. Rose fronça les sourcils, se demandant ce qu'il entendait par là, mais ne formula pas sa question à haute voix. Ils s'engouffrèrent dans la capsule du Betsy, refermèrent le sas et, aussitôt, la pieuvre se dandina sur ses huit tentacules pour regagner les profondeurs. L'eau engloutit les hublots, la luminosité changea encore, et l'on était reparti pour une nouvelle période d'inactivité.

Cette fois, entre l'attaque des fruits de mer en folie et leur redécouverte des Sabliers, sans compter le flux temporel paradoxal qui traversait le Jardin des Vestiges, ils eurent beaucoup à discuter. Tandis que le Betsy rebroussait chemin sans qu'ils aient seulement besoin de s'installer aux commandes – l'appareil ayant retenu les coordonnées à l'aller –, ils dévorèrent plusieurs bols de pâtes en soupe froide, tout en devisant abondamment.

— Les Sabliers peuvent ne pas avoir été volé par un Atlante, mais bel et bien par un Extérieur, intervint soudain Damoclès.

— Pourtant, un Extérieur n'aurait pas pu les saisir et repartir avec, comme ça, même dans un sac ou avec des gants... j'en sais quelque chose, confia Rose.

La brûlure avait disparu, mais il subsistait sur son doigt une partie neuve reconnaissable à sa couleur d'un rose tendre.

— Vous oubliez le caractère évolutif de l'orichalque : peut-être que les Sabliers réagissent ainsi parce que, justement, c'est un Extérieur qui a volé les Sabliers dans les temps anciens.

— L'orichalque aurait une aussi bonne mémoire ? Étonnant.

— De toute manière, nous naviguons en eaux troubles : rien de ce que nous avançons ne pourra être confirmé dans l'état actuel de nos connaissances, rappela Léandre.

Et, comme pour faire écho à ses paroles, le Betsy traversa tout à coup une zone de turbulences. Une multitude de petits chocs qui se répercutèrent avec force dans l'étroitesse de la cabine. Le bruit était encore pire que lors de la pluie de crabes. Un martèlement continu, de toutes parts. Sous l'eau. Rose se boucha les oreilles à l'aide de ses deux mains, réduisant à peine la portée de l'agression auditive. Cela lui rappelait beaucoup trop les hurlements du maelström, et le silence ouaté parcouru de craquements de la submersion, juste avant que l'eau n'entre, et ne monte, et ne les recouvre...

— Que se passe-t-il ? gémit-elle.

Léandre jeta un coup d'œil par le hublot, sans rien discerner d'autre qu'une tempête de krill doré.

— D'autres petits animaux en orichalque, visiblement. C'est eux qui provoquent tout ce bruit en nous passant autour. Une tempête de krill, comme on dit. Ça va leur passer.

— Pourquoi ce vif intérêt à notre égard ?

Elle devait crier pour se faire entendre. Léandre aussi. Pourtant, quand Damoclès murmura que quelque chose de beaucoup plus gros s'approchait, le vacarme s'assourdit, comme si seules ces paroles importaient :

— Hum... je ne voudrais pas paraître alarmant, mais quelque chose dormait au fond de la colonne d'eau que nous avons remontée l'autre jour. Ça se dirige vers nous et ça m'a l'air, ma foi, assez colossal.

— De quoi s'agit-il ? s'enquit Léandre, tandis que Rose pâlissait à vue d'œil.

L'Atlante lui prit la main pour la rassurer, et la serra plus fort encore quand Damoclès annonça :

— Vous vous rappelez du Léviathan dont on avait parlé ? Ben... le voilà.


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A vendredi prochain pour la suite ! :-) Merci de votre fidélité !! :D

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