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Chapitre 5


— Mais où va-t-on ? Et pourquoi ces escaliers-là ne sont-ils pas éclairés comme les autres ?

— L'éclairage demandait de me procurer beaucoup trop d'orichalque pour rester discret, expliqua Damoclès dans sa langue maternelle.

Io ne tarissait pas de questions quant à ce qui se trouvait au bout de ce troisième et dernier escalier secret de l'atelier de Damoclès. Ici, les marches taillées directement dans la pierre se révélaient mal égalisées et, en guise d'éclairage, il fallait se contenter d'une torche enflammée.

— Aïe !

— Désolé.

Léandre se détourna de la silhouette et jeta un coup d'œil soupçonneux sur Evander, qui venait d'écraser le pied d'Io par mégarde. L'Extérieur parlait peu, observait beaucoup et, la plupart du temps, son regard brillait de méfiance et de condescendance. Léandre ne l'aimait pas beaucoup, aussi tâchait-il de l'ignorer. Heureusement pour lui, Rose semblait ne pas faire grand cas du second capitaine, même si celle-ci tenait fermement sa main tandis qu'ils descendaient à la queue-leu-leu l'étroit boyau de pierre.

Les ombres dansaient autour d'eux, gardiennes des secrets de l'ingénieur-alchimiste. Au bout d'une centaine de marches, Damoclès les guida dans un dédale de couloirs sinueux : qu'il emprunte ou non un parcours chaotique pour préserver le secret de l'emplacement exact de son laboratoire, tous étaient perdus. Léandre ne dévissait pas son regard du cou de Damoclès, Io ne lâchait pas la main de Léandre et, derrière eux, Evander, Rose, Auguste et le Capitaine Emmeric en faisaient autant.

— Et voilà ! reprit Damoclès en Anglais tandis que l'air se rafraîchissait soudain. Ma caverne secrète à moi.

Il trempa la torche dans une vasque d'eau apparemment prévue à cet effet. Les flammes grésillèrent leur colère d'être ainsi mouchées. Durant quelques secondes angoissantes, ils se retrouvèrent à la merci de complètes ténèbres, avant que Damoclès n'aille trouver l'interrupteur d'un générateur d'énergie autonome. D'innombrables douches de lumières jaillirent du plafond, rebondissant sur les éclats de quartz qui piquetaient les parois de la caverne. Au centre de cette mise en scène trônait un lac, traversé par deux pontons perpendiculaires qui menaient approximativement au centre de l'étendue d'eau.

— Qu'est-ce que c'est qui brille, là-bas ? s'étonna Io, qui détestait vraiment qu'un mystère lui résiste.

— Une espèce de submersible ? proposa Rose.

Damoclès trotta joyeusement jusqu'à sa prodigieuse invention, un secret qu'il avait partagé avec Léandre la veille au soir à peine, lorsque ce dernier avait prévenu par poisson-bulle de sa visite matinale. Il s'agissait d'un submersible capable de rejoindre le Jardin des Vestiges et de l'explorer, au sein duquel trois personnes pouvaient embarquer pour quatre à six jours d'autonomie selon les dépenses d'énergies réalisées au cours de la plongée. Rien que ça !

Parvenu au bout du ponton qui s'arrêtait au centre des eaux noires du lac, le groupe put toucher du doigt le dispositif en forme de pieuvre, dont ils ne pouvaient pas clairement discerner les huit tentacules préhensibles sous la surface. Deux hublots bombés renforcés d'orichalque permettaient aux passagers d'observer les fonds marins de visu.

— C'est un bathyscaphe, définit Damoclès, prévu pour l'exploration des grosses profondeurs.

Grandes profondeurs, corrigea Léandre avec amabilité. Des abysses.

— Des abysses, donc. Il faut plonger profond pour atteindre les Sabliers.

— Ils sont submergés ? s'étonna Rose dont la main ne quittait plus l'un des deux yeux de verre de la pieuvre. Le regard qu'elle portait sur la machine brillait de curiosité et d'admiration.

— Non, les Sabliers sont hors de l'eau, mais il faut emprunter des boyaux inondés pour y parvenir. Ils sont situés à plusieurs stades de profondeur sous le Temple de l'Eau. D'ailleurs, le seul accès direct d'Atlantide au Jardin des Vestiges se trouve dans le Temple.

— Je passe souvent à côté de son entrée quand je me rends aux bassins d'immersion pour aller pêcher, fit remarquer Io. Alors que les pêcheuses des zones côtières de l'Atlas n'avaient qu'à se rendre au port ou à la plage pour pêcher, celles de la capitale devaient passer par le Temple pour espérer atteindre les zones poissonneuses situées sous le continent.

— Et comment fonctionne cette merveille ? s'enquit Rose.

Damoclès activa l'ouverture de la chambre d'immersion principale et s'inclina :

— Les dames d'abord.

Suivies de près par Léandre, les deux jeunes femmes pénétrèrent dans une pièce en forme de demi-sphère renversée, aux rondeurs exquises et aux couleurs chatoyantes. Tout de bleu turquoise ou de cuivre, rien ne contenait d'angle ou de coin, jusqu'aux sièges de pilotage qui avaient l'air trop confortable pour ne pas s'y endormir. D'un rayon de dix pas environ, la capsule contenait toutes les commodités d'usage : couchettes privatives suspendues, douche, lavabo, et même une table rabattable contre un mur pour servir les repas. Il y avait aussi des coussins à pompon pour soulager les reins les plus fragiles au creux des sièges de pilotage.

— Le bathyscaphe est une pieuvre, expliqua Damoclès.

En forme de pieuvre, corrigea Léandre.

— Vous sommes dans la partie supérieure de sa tête, poursuivit Damoclès.

— Vous êtes.

— Et la partie inférieure contient la salle des machines qui active la propulsion, la bonne marche des huit tentacules, et tout le reste...

— Le reste ? s'étonna Léandre.

Damoclès hocha la tête mais n'en dit pas davantage. Léandre haussa les épaules. Si son ami souhaitait conserver quelques secrets par devers lui, il n'y voyait pas d'inconvénient pour l'instant.

— Avez-vous un nom pour cette merveille ?

La question, bien entendu, provenait d'une Rose d'ores et déjà assise aux commandes. Derrière elle, Auguste affichait l'air pincé de ceux qui ne pipent pas mot mais n'en pensent pas moins. Evander et le Capitaine, quant à eux, inspectaient le tableau de bord.

— Il n'y a pas de gouvernail, constata le Capitaine. Comment dirigez-vous ?

— Par l'orichalque.

— Pas de nom, vraiment ? insista Rose dont les doigts, au dessus des boutons, frémissaient par anticipation. Pourquoi pas Bathyspieuvre ? Non, ridicule. Octoscaphe ! Non, trop difficile à prononcer.

— Par l'orichalque ? reprit le Capitaine. Comment est-ce possible ?

— C'est un métal qui réagit à la pensée humaine.

Léandre prit les commandes de cette explication-là, car Damoclès ne possédait pas encore assez d'aisance en anglais pour exprimer les idées aussi complexes.

— Il y a un nom pour cela, commenta Auguste avec un air très sûr de lui. La psychokinésie. La capacité de diriger les objets par la pensée.

— Oh, comme la télékinésie ! fit Evander.

— Non.

Léandre lui adressa un regard d'excuse, mais ils étaient dans le faux et il se devait de les corriger :

— C'est le métal qui a le pouvoir de se plier à notre volonté, et non notre volonté qui a le pouvoir de plier le métal. Sauf pour les ingénieurs-alchimistes comme Damoclès. Il possède un lien quasi fusionnel avec l'orichalque, qui lui permet de créer ce genre de machine très complexe.

— Humm... Bathyspode ? proposa Rose à une Io sceptique. Podyscaphe ?

— Mille murènes, Rose. Tu ne crois pas que cette chose peut se passer de nom ?

— Certes pas : une invention aussi prodigieuse mérite un nom propre et une majuscule à celui-ci.

— Votre ingénieur est donc le seul à pouvoir diriger cet engin ?

— Non. Mais je suis le seul à pouvoir l'activer.

— On pourrait lui donner un petit nom, sinon... soupira Io.

— Melvin ? Non. Hmm... Oh, je sais : Betsy ! Comme ma meilleure amie, à Londres. Ma seule amie d'ailleurs... C'est le diminutif d'Elisabeth, cela lui irait tellement bien. Et Betsy aurait l'impression d'être un peu du voyage malgré tout.

— Bet-sy ? articula Io, dubitative.

— Betsy ! s'exclama Damoclès en reprenant le surnom. J'aime ça. Betsy, lumières !

Un ronronnement discret comme une roue de vélo monta du sol à la cabine. Le tableau de bord s'illumina de vert, de rouge et de bleu.

— Oh, magnifique ! s'exclama Rose. Quand partons-nous ?

— Hors de question que je plonge dans ce corbillard sous-marin, grogna Auguste. Et toi aussi, Rose.

— Oh, mon frère, quelles belles illusions... quelqu'un a-t-il déjà été capable de m'empêcher de réaliser quoi que ce soit ? Je suis allée en Crète pour travailler sur un chantier de fouille, moi, une Lady. Travailler : l'occupation la plus indigne pour ceux de notre rang, pire encore, pour une femme ; et tu crois que les commérages m'ont empêchée d'agir ? Que nenni ! Au contraire, c'était même réjouissant de choquer tout ce beau monde.

— Vois où cela nous a menés, soupira Auguste.

— Dans le plus beau des endroits. Et tu aurais été bien embêté, seul ici, sans moi. N'est-ce pas ?

— Il n'y a que trois places, souligna Léandre, et il est évident que l'une d'elle est pour Damoclès.

— L'autre pour toi, renchérit l'ingénieur en lui administrant une grosse tape sur l'épaule.

— Je viens ! s'écria Io.

— Ah non !

Rose sauta hors du siège de pilotage, directement sur ses deux pieds.

— Il serait plus juste qu'un Extérieur se joigne à l'expédition. Après tout, nous sommes concernés d'aussi près que vous l'êtes, avec cette histoire de Sablier, et je refuse tout net d'être mise à l'écart.

— Ma sœur, tu n'iras nulle part. Toute seule, sans chaperon, avec deux hommes : impensable ! Impossible !

— Ne me touche pas, Auguste.

— Lady Rose, votre frère a raison.

— Evander, ne vous y mettez pas, vous aussi. Je vous aimais bien jusque là, ne gâchez pas la bonne opinion que j'ai de vous.

Léandre n'intervint pas, laissant tout ce beau monde se disputer jusqu'à ce que la détermination de Rose fasse plier les autres. Damoclès poussa un sifflement admiratif qui fit rougir la concernée, à la fois de joie et de gêne, puis déclara sans plus attendre :

— Bon, en route !

La mâchoire d'Auguste dégringola de son visage :

— Comment ça, en route ? Maintenant ? Tout de suite ? Mais... mais... Rose !

La jeune femme se tourna vers son frère en essayant d'avoir l'air de compatir, mais elle ne parvenait pas à dissimuler son ravissement :

— Damoclès et Léandre ont l'air d'avoir tout préparé, il y a sûrement des vivres dans les placards – l'ingénieur hocha vivement la tête – et je suis assez grande pour me débrouiller toute seule.

— Mais Rose...

Le grand frère baissa les épaules et déclara forfait. Soudain émue, Rose le prit dans ses bras pour le serrer contre son cœur. Evander et le Capitaine détournèrent le regard, gênés d'une telle manifestation d'affection. Léandre, lui, trouvait le spectacle touchant. Les Extérieurs partageaient si peu entre eux, d'émotions comme d'expériences, comme si chacun vivait cloisonné dans son rôle au lieu d'aller vers autrui ; il était rassurant de voir que la relation entre Rose et son frère n'était pas aussi superficielle qu'attendu.

Evander posa une main sur l'épaule du Lord et, de l'autre, l'invita à sortir. Lui aussi paraissait résigné. Auguste hocha la tête et le suivit, adressant un dernier avertissement à sa sœur :

— Fais attention à toi, tu me promets ?

— Je ferai de mon mieux, je te le promets.

— C'est bien ce qui m'inquiète.

Un sourire désabusé flotta sur les lèvres d'Auguste qui s'en alla d'un pas vif, sans regarder en arrière, comme s'il craignait de ne pas pouvoir laisser sa sœur partir s'il ne s'éloignait pas tout de suite.

— Comment va-t-on remonter, si vous plongez avec Damoclès ? interrogea Evander, plus pragmatique.

L'ingénieur accompagna le Capitaine et son second jusque sur le ponton qui longeait l'entrée de Betsy :

— Il y a un interrupteur dans le couloir, il vous suffit d'appuyer dessus : le chemin du retour sera le seul éclairé, les lampes s'éteindront après votre ramonage.

— Notre passage, vous voulez dire. Très bien. Mais vous êtes sûr que ça ne s'éteindra pas en plein milieu du chemin ?

— Non, ne vous inquiétez pas. Sauf si vous rebroussez chemin, là les tunnels seront plongés dans le noir. (Damoclès sourit) Les détecteurs de bougeries font en sorte qu'on puisse facilement sortir de là, mais pas y entrer. Cela préserve le secret, et d'éventuelles vies car je voudrais pas que qui-qui s'y perde indéfiniment.

Damoclès n'avait jamais été très doué pour les langues étrangères, et ce, en dépit des Gemmes de Cognition : cela donnait des choix de mots étranges et quelques tournures fleuries qui prêtaient à sourire. Léandre avait souvent tenté de lui apprendre le grec ancien ou le persan antique, en pure perte. Ils avaient beaucoup ri, cela dit.

— Léandre ?

Io n'était pas encore sortie et se trouvait étrangement calme. Une barre d'inquiétude pesait sur son front et arquait ses sourcils.

— J'ai toute confiance en Betsy et surtout en Damoclès pour te ramener entier mais... qu'est-ce que je dis au Consul ? Isokratès voudra des explications.

— Dis-lui la stricte vérité : nous allons chercher des indices sur la localisation des derniers Sabliers. S'ils sont à l'Extérieur eux aussi, nous le saurons à notre retour du Jardin des Vestiges.

— D'accord. Bonne plongée alors.

Rose se rendit soudain compte qu'elle avait évincé Io, pêcheuse de métier, plongeuse professionnelle, et lui prit la main avec douceur pour se faire pardonner de son comportement potentiellement insultant :

— Je te raconterai tout en détails. Surveille mon frère : il dit que j'attire les ennuis, mais c'est lui qui fait toujours les pires bêtises.

Io acquiesça puis, sur le seuil du submersible, lança un regard triste vers Léandre, comme si elle n'allait plus jamais le revoir ou, d'une certaine façon, l'avait déjà perdu. Le Mémoire Vivante fronça les sourcils mais, trop interloqué pour parler, agita simplement la main. Damoclès lui jeta un regard lourd de sens, comme si lui avait compris le comportement cryptique d'Io. Il finit par soupirer, puis, retrouvant son entrain habituel :

— Allez, nous partons. Fermation des portes Betsy, ensuite... on plonge !

— Lady Rose ? appela l'ingénieur au volant de son engin. Venez asseoir vous.

La jeune femme s'installa dans le dernier fauteuil de libre, à la droite de Damoclès qui occupait le siège central.

— Betsy ne plongera pas tant que tout le monde n'est pas assis. Question de sécurité.

— Je comprends, désolée.

— Pas grave.

Rose attacha sa ceinture. Aussitôt, la luminosité intérieure baissa d'un cran et le ronronnement des machines monta d'un ton. Il y eut un bruit d'aspiration, quelques craquements lugubres, puis l'eau parvint au niveau des vasistas globuleux, avant que d'engloutir jusqu'au dernier boulon de l'appareil. Sous la surface, la lumière blanche ondoyait en rythme avec les remous provoqués par l'immersion. De jolies bulles dansaient dans les rayons lumineux, qui se firent de plus en plus pâles à mesure que le submersible sondait, tout droit vers le fond du lac.

Horrifiée, Rose se crispa soudain, le souvenir du naufrage du Delphia l'asphyxiant tel un mauvais songe éveillé. Elle inspira, expira, s'efforça de penser à tout autre chose... comme le fait qu'elle n'emmenait aucun bagage avec elle, sinon ce qu'elle portait, et que ses linges intimes étaient restés avec la valise réchappée du naufrage, dans l'atelier situé loin, très loin, de plus en plus loin au-dessus de leurs têtes. Betsy plongeait et s'éloignait inexorablement de ce qui aurait sauvé Rose de l'indignité la plus totale. Elle jeta un œil aux toilettes, lesquels n'était fermés que par une fine porte coulissante qui ne préserverait ni des bruits ni des odeurs, puis à la douche qui, heureusement bien close, prémunissait des expositions charnelles et impudiques.

Ces pensées triviales l'occupèrent quelques secondes, puis elle décida de les reléguer tout en bas de sa liste des priorités ; après tout, elle partait à la découverte d'un site enfoui, sur les traces d'un mystère si ancien que même les Atlantes n'en connaissaient pas tous les tenants et les aboutissants. Ses petits problèmes intimes allaient devoir se passer de sa coopération. Ce mois-ci, elle ne cèderait pas d'un pouce d'énergie à la fatigue intense, ni aux épisodes migraineux qui duraient parfois du matin au soir.

Cela eut au moins le mérite de faire passer la panique liée à la submersion.

De l'autre côté des hublots, la lumière disparut tout à fait. Rose n'aurait jamais crut que les ténèbres aqueuses puissent être aussi totales.

— Profondeur, dix perches.

Soixante mètres environ, songea Rose en se référant à ce qu'elle savait des mesures antiques. Comment allons-nous parvenir à nous repérer et, pire, à nous déplacer dans cette purée de poix ?

En réponse à cette question, la coque de Betsy commença doucement à luire, aura lumineuse qui tenait les ténèbres à distance.

— Les capacités de l'orichalque me surprennent un peu plus à chaque fois, avoua-t-elle alors.

— Et elles n'ont pas fini de te surprendre, répondit Léandre depuis son propre fauteuil.

— Moi-même j'ignore comment j'aurais pu construire Betsy avec un autre métal, confia Damoclès.

— C'est-à-dire ?

— L'orichalque réagit à la pensée humaine mais également aux besoins provoqués par l'environnement. Ici, il fait noir, alors l'orichalque luit.

— C'est un phénomène autonome ?

— Oui. L'orichalque luit toujours dans les ténèbres, du moins quand une présence humaine en est proche. Après, un ingénieur tel que moi peut réguler la puissance de l'aura. Sinon, n'importe qui peut piloter Betsy à l'aide de la console que vous avez sous les yeux.

Rose loucha sur les explications gravées sous les boutons du tableau de bord, ne comprenant pas un seul mot d'Atlante.

— Oui, n'importe qui pouvant décrypter votre langage.

Sa mine pincée, presque vexée d'une telle mise à l'écart culturelle, provoqua un éclat de rire chez Damoclès qui s'employa, dès lors, à effectuer toutes ses manœuvres via le tableau de bord, décrivant chaque étape à ses deux copilotes. Tout comme Rose, Léandre buvait les explications de l'ingénieur qui se faisait une joie de jacasser sans fin à propos de sa création. Indifférente à l'excitation ambiante, Betsy poursuivait sa plongée dans les eaux sans fond.

À un moment, un craquement plus fort que les autres fit sursauter la Lady.

— Par tous les saints, Damoclès, êtes-vous certain que la pression ne va pas finir par nous écraser comme les insectes que nous sommes ?

— Oh, ne craignez pas ces craquements de la coque. C'est bon signe. Si nous n'entendons plus rien, là, c'est mauvais.

— Ah bon ? Pourtant, à l'Extérieur, c'est l'inverse.

— Mais à l'Extérieur, vos sous-marins ne sont pas en orichalque, je me trompe ?

Le regard de l'ingénieur broussailleux brillait de malice.

— Touché. Mais expliquez-vous : on n'attise pas ainsi la curiosité des gens si c'est pour faire des secrets ensuite.

— Vous avez raison. Eh bien, je vous ai dit que l'orichalque réagissait à son environnement. Cela est valable pour les variations de lumière aussi bien que de pression : le métal adapte sa constitution de manière à résister à la poussée des eaux et à conserver son intégrité. En d'autres termes, comme l'orichalque se renforce à mesure que nous plongeons, nous sommes en sécurité.

— Ces gémissements métalliques accompagnent donc la métamorphose du métal ?

— Exact.

— Il se densifie ?

— Oh, non, grossière erreur : il devient gélatineux, au contraire, mais uniquement sur l'extérieur. C'est parfaitement sûr. Bon, et maintenant, si je vous parlais de ce que j'ai caché dans les tentacules... chacune a son rôle spécifique, et son tableau de bord associé. Alors, alors...

Ils passèrent le temps à discuter des secrets de Betsy, durant plusieurs heures qui filèrent comme une flèche jusqu'à, enfin, atteindre le fond du lac. Le contact au sol s'établit avec les tentacules qui, aussitôt, émirent un signal sonore aux alentours et, à partir des échos, dessinèrent une carte précise des environs – créatures marines comprises, ce qui surprit Rose au plus haut point : quel genre d'horreurs lacustres pouvaient bien vivre dans ce territoire hostile où la lumière ne parvenait jamais ?

Le sonar, une autre invention prodigieuse de l'ingénieur, montra même la carcasse de ce qui semblait être une énorme baleine dont ne subsistaient que les os blancs. Betsy flotta entre ses gigantesques côtes, dérangeant quelques poissons étrangement luminescents qui arboraient des couleurs vives et délicates. De petits calamars évoluaient çà et là, furtifs. Tous prenaient la fuite sitôt que la lueur de Betsy les atteignait. Il fallait être attentif pour saisir le délié d'un tentacule opalescent, ou le coup de nageoire de quelque chimère orange et dorée.

L'émerveillement de Rose prit fin en même temps qu'un requin au nez en éperon et aux dents hérissées survenait dans le décor, créature de cauchemar qui lui passa l'envie d'un bain de mer pour les dix années à venir.

— Je ne pensais pas que la mer était si poissonneuse à ces profondeurs, commenta-t-elle en s'écartant du hublot.

— Moi non plus.

Léandre ne décollait pas de son propre poste d'observation, perdu dans la contemplation de l'extérieur sous-marin.

— Nos pêcheuses ne descendent jamais dans les fosses marines, elles restent toujours dans les zones immergées supérieures.

— Ces zones de pêche se trouvent sous le continent, n'est-ce pas ? Nous sommes dans une grande caverne en fait. Et quand elles pêchent, elles aussi, c'est bien cela ?

— Ce sont plutôt de très larges tunnels. De plusieurs dizaines de stades chacun. Traverser ce tunnel dans la largeur pourrait prendre plusieurs minutes... ou plusieurs heures.

— Incroyable... Et vous n'aviez jamais plongé jusque là auparavant ?

Pour la troisième fois de la journée, le Mémoire Vivante prit un air embarrassé. Il répondit tout de même :

— C'est une vieille superstition Atlante... on dit que le dôme est en fait une sphère qui entoure l'Atlas en son entier, dessus et dessous, et qui ne doit pas être touché ni traversé, sous peine d'être percé. Du coup, tout le monde a peur de plonger et c'est devenu une espèce de tabou. Mais, reprit-il d'un ton plus guilleret, l'arrivée du Delphia est la preuve du contraire : le dôme peut-être traversé sans mettre en péril l'existence de notre civilisation.

— Cela reste à démontrer, hoqueta Damoclès. Je ne souhaite pas me montrer alarmiste, toutefois, cela ne fait que quelques jours que les Extérieurs sont ici. Les conséquences de leur traversée ne sont peut-être pas encore visibles, voilà tout.

— Tu crois ?

— Humm... ce n'est pas tant le Delphia qui me tire du souci, que le Sablier qu'il transportait. J'ai l'intuition que les Sabliers sont comme l'orichalque : ils réagissent à leur environnement. Alors je m'interroge : et si l'Engloutissement provenait de ce qu'on avait éloigné des Sabliers du Jardin des Vestiges ? Que va-t-il se passer si ce sablier revient à sa place ?

— Tu penses que... que l'Atlas pourrait reprendre sa place à l'Extérieur si tous les Sabliers étaient retrouvés ?

— Sincèrement, je l'ignore. Oh, nous sortons de la carcasse de la baleine. Regardez : la vie est beaucoup moins abondante par là.

En effet, à mesure qu'ils s'éloignèrent du squelette abandonné du temps et oublié de tous, ils croisèrent de moins en moins d'espèces animales. Dans les heures qui suivirent, le sol sablonneux ne leur réserva aucune surprise et le décor se révéla ennuyeux à mourir.

— Vous suivez une direction précise ? finit par demander Rose.

— Oui, oui. Je sais précisément où se trouve le Jardin des Vestiges, je ne m'y suis jamais rendu par moi-même mais j'ai longuement exploré les tunnels sous-marins qui y menaient. Avant que je ne construise ma Betsy, j'ai effectué de nombreux essais en modèle réduit automatiques, des explorateurs mécaniques dont le sonar intégré m'a permis d'établir une carte marine et un itinéraire à peu près sûr.

— À peu près ?

— Nous ne sommes jamais à l'abri d'un imprévu.

— Je vois...

Légèrement nauséeuse – était-ce dû à l'inquiétude ou à ses problèmes intimes ? – Rose décida d'aller se coucher le temps que du nouveau se manifeste. Elle se réveilla de longues heures plus tard, sans que rien de notable ne soit arrivé. Léandre lui décrivit sa découverte d'une méduse solitaire au corps translucide, ce qui les occupa une minute avant que le silence ne retombe. En dépit de toutes leurs différences culturelles et sociales, ils paraissaient avoir épuisé tous les sujets de conversations, mais le ventre de Rose vint à leur secours : un gargouillement retentissant leur rappela à tous que manger constituait une activité comme une autre qui, de plus, pouvait occuper jusqu'à une heure entière !

Ils déjeunèrent de pâtes épaisses faites à base de farine de blé, d'eau et de sel, trempées dans du bouillon parfumé où flottaient de petites crevettes. Damoclès semblait avoir embarqué quantité de ces pâtes très longues et un peu gluantes. Au cours de la préparation des bols, Rose constata avec ravissement que l'ingénieur avait pensé à intégrer une bouilloire au coin cuisine : pour déjeuner, il n'y avait qu'à faire chauffer l'eau, la verser sur les pâtes avec l'assaisonnement. En elle, l'Anglaise férue de thé regretta de ne pas pouvoir se servir un bon Assam accompagné d'un nuage de lait et de beaucoup de sucre. Les Atlantes possédaient de très bonnes infusions, mais la plupart étaient salées ou parfumées à l'écorce d'agrumes mélangés, ce qui ne permettait pas une très large palette de goûts.

Que n'aurait-elle donné pour un Assam ou un Earl Grey !

Après manger, elle dormit encore un peu, puis se réveilla, mangea et dormit encore. C'était toujours ainsi, lors de cette — période du mois. Damoclès et Léandre se relayaient aux commandes et devisaient entre eux en Atlante. L'esprit engourdi de sommeil, Rose étaient en train de se demander si elle serait capable d'apprendre cette langue étrange, hors du temps, quand ses deux compagnons de voyage sursautèrent :

— Oh ! C'est là !

— Nous y sommes. Rose, viens voir.

Mais la Lady n'avait pas eu besoin de l'invitation du Mémoire Vivante pour sauter à bas de la couchette et reprendre sa place au tableau de bord. Derrière les hublots barrés d'orichalque, à la lisière de la lueur déployée par Betsy, l'orbite noir d'une caverne sous-marine vissait sur eux un regard sans œil et sans paupière ; un regard absent, sans âge, mais qui donnait quand même l'impression d'observer les ténèbres profondes et d'être observé par elles en retour.

Rose frissonna. Autant de peur que d'anticipation.

— Nous allons entrer là-dedans ?

— Nous entrons là-dedans, souligna Léandre tandis que Damoclès dirigeait Betsy vers l'entrée.

— Ce tunnel est beaucoup plus étroit que celui dans lequel nous nous trouvons, n'est-ce pas ?

— Oui. La navigation va devenir délicate.

Rose se mit à trembler de tous ses membres, les bras glacés par la réalité qui la rattrapait soudain : qu'arriverait-il s'ils se perdaient dans les méandres creux du sous-sol ? S'ils restaient bloqués quelque part, enterrés dans le limon du monde ? Nul ne pourrait les retrouver. Nul ne pourrait les secourir. Ils mourraient dans l'indifférence la plus totale, hors du temps, hors du monde, loin des dieux et des hommes.

Les doigts chauds de Léandre s'enveloppèrent autour de sa main moite de sueurs froides. Le visage livide, les lèvres pincées, elle hocha simplement la tête ; non, elle ne renoncerait pas. Toute sa vie n'avait-elle pas été tournée vers ce moment ? Cette découverte ? Si elle retournait à l'Extérieur, elle serait à jamais retenue par l'Histoire comme l'unique femme ayant participé à la découverte de l'Atlantide et de son continent perdu. L'envie de faire la différence était plus forte que la peur. La volonté de laisser sa trace dans l'Histoire, plus résistante que les doutes qui la rongeaient.

Mais, par-dessus-tout, le besoin de savoir la dévorait au point de reléguer tout le reste au second plan : elle préférait encore être oubliée du monde que d'être tenue à l'écart d'un de ses plus grands mystères.

Après tout, c'était ce qui l'avait poussée vers l'archéologie.

— Eh bien, je suppose que nous vivons un moment historique tant pour les Atlantes que les Extérieurs. Ce que nous allons découvrir ici-bas pourrait changer bien des choses là-haut, je me trompe ?

Betsy s'engouffra avec précaution dans les entrailles de pierre. Le tunnel tourna de droite, de gauche. Les tentacules cuivrés de la pieuvre déplaçaient des nuées de sable et de roche, rendant la navigation difficile. Heureusement, le sonar de Damoclès – béni soit-il ! – leur permettait de se diriger sans se perdre. Le boyau à peine assez large pour accueillir la pieuvre ne s'élargit pas, mais remonta peu à peu, avant de se transformer en véritable colonne d'eau qui ne leur donnait pas d'autre choix : il fallait s'élever, encore et encore, droit vers le Jardin des Vestiges.

Droit vers la vérité sur l'Engloutissement.

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La suite vendredi prochain, avec les chapitres 6&7 ! ^_^

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