8. L'entraînement
Au sujet de leur troisième année en tant qu'initiés de l'ordre ; de l'entraînement et des conseils avisés de Kadann, jusqu'aux duels avec le prince Cornélius IV.
Les initiés s'entraînaient avec des gardiens plus expérimentés aux maniements des armes. Dans les jardins de l'académie, ils s'exerçaient depuis le matin. Veyn avait choisi l'épée longue et l'écu comme compagnons, il se battait contre son père, qui lui était un expert dans le domaine. Rune s'entraînait avec Pangrom, qui maîtrisait la lance longue et le pavois. Baltz et Lizzie tiraient ensemble à l'arbalète contre des cibles, sous les directives d'un tireur confirmé. Enfin, Cornélius et Connor, eux maniaient l'espadon, une épée lourde à deux mains. Ils s'entraînaient ensemble contre deux gardiens plus expérimentés avec les mêmes armes.
Le soleil chutait du ciel pour laisser sa place au début de la soirée. Un vent frais soufflait et le silence se brisait lorsque les lames en acier s'entrechoquaient. Malgré les nombreuses pauses ponctuelles, tous étaient fatigués par cette journée.
Kadann avait le bras droit demi-allongé et pointait le bout de son épée vers la main droite de Veyn. L'homme se tenait légèrement de profil pour rétrécir la zone de touche et levait son bouclier en main gauche au niveau de son épaule.
- Prêt ? demandait-il.
- Prêt, grognait Veyn.
Ce dernier chargea son entraîneur en levant son bouclier devant lui et en pointant son arme sur le torse de son ennemi. Kadann fit une retraite en fléchissant ses jambes et en reculant le pied arrière puis, il frappa avec le plat de sa lame sur la main droite de Veyn afin de la désarmer. Pour finir, le père propulsa l'avant de son bouclier contre le plexus de son garçon pour lui couper la respiration. Dernière passe, celui-ci présenta le bout de son arme à l'extrémité de la gorge de son fils, plié en deux par la contraction de son ventre.
- Tu as encore perdu.
Veyn jeta son bouclier et son épée au sol.
- Je n'ai pas réussi une seule fois père. Pas une seule fois, je n'ai mené ! Pourquoi vous ne voulez pas me dire ce qui cloche ? Dites-moi ce que je dois faire.
Kadann souffla.
- Plus tu tomberas, plus tu échoueras, plus tu deviendras un grand guerrier Veyn. Si je te dis ce que tu dois faire, tu t'amélioreras d'un coup, mais tu n'auras pas appris à réfléchir seul. Il faut que tu utilises ta tête.
Il ajouta.
- Prêt ?
- Prêt.
Espérant que cette fois-ci son fils ne charge pas bêtement, Kadann prit la décision de ne pas se mettre en garde de contre-offensive. Simplement, il se mit en garde d'attente, buste de face, le bras armé le long du corps et le bouclier devant l'épaule gauche. Toutefois, le gardien fut pris de vitesse sous la surprise de l'acte inconsidéré de Veyn.
Ce dernier chargea à toute vitesse, encore plus impulsivement qu'avant, lança son bouclier sur son père, touché et sonné à la tête, s'approcha et frappa d'un puissant coup de tête le front de son adversaire. Assommé, Kadann chuta lourdement dans l'herbe. D'abord inquiet, Veyn lâcha son épée et se pencha au-dessus de son père, pour vérifier son état. Après une ou deux longues secondes, l'homme ouvrit les yeux et reprit lentement ses esprits.
- Quand je parlais d'utiliser ta tête, cela voulait dire de réfléchir... marmonnait-il, déconfit et médusé par son fils.
L'inquiétude passée, Veyn exulta de joie suite à sa toute première victoire face à son père.
- Peut-être, mais j'ai gagné, rappelait-il.
- Face aux maudits, aux morts-vivants, aux chimères, aux draconides et autres créatures dangereuses de notre monde, tu serais mort. Alors, cesse de jubiler, veux-tu ?
Kadann essayait de faire comprendre à son enfant que triompher sans honneur permettait peut-être de décrocher une victoire à court terme, mais qu'à long terme ça ne lui rendrait pas service.
Veyn s'assis par terre à l'ombre d'un arbre, il arrachait des brins d'herbe du tapis végétal.
- Père, que cherchez-vous à la fin ? Quand je vous demande de me dire quoi faire, je dois trouver par moi-même et quand je trouve un moyen de gagner, cela ne vous convient toujours guère ?
Le garçon soupira, dépité, il regarda les autres initiés qui se débrouillaient tous bien mieux que lui. Il se sentit inférieur, plus bête et plus faible que ses compagnons.
- Rune a toujours été meilleure que moi. En devenant gardien, je pensais m'améliorer et la rattraper, mais elle continue de creuser l'écart. Contrairement à moi, elle est formidable. Je l'envie. Tout ce qu'elle entreprend, elle le réussit directement. Moi, j'échoue constamment et en plus je suis bête.
Kadann s'assit aux côtés de son fils.
- Ne dit pas ça, tu n'es pas bête et tu n'échoues pas tout ce que tu entreprends, ce n'est pas vrai. Aux courses à pied, tu es toujours premier.
- La belle affaire ! Vous ai-je déjà dit ? rétorquait Veyn.
- Quoi ?
- Je pense que je n'ai pas de talents. Je ne veux pas dire que je suis nul en tout, ce que je veux dire, c'est que tout le monde a quelque chose de spécial, alors que moi je suis quelconque et insipide. Rune est une des meilleurs initiés de l'académie, Cornélius est prince, Connor est un formidable épéiste, Lizzie est extrêmement intelligente et Baltz n'a pas son pareil avec une arbalète entre ses mains. Moi, je ne suis que moi. Je n'ai rien de spécial. Connaissez-vous ce sentiment, l'envie de cesser d'être soi pour devenir quelqu'un d'autre ? Je veux abandonner, je ne veux plus devenir un gardien.
Kadann se releva puis, il rangea ses armes et celles de son fils.
- Viens avec moi, déclarait-il à l'intention de Veyn.
Veyn suivit son père en dehors de l'académie. Tous deux passèrent par le centre-ville, les grandes maisons en fer entouraient des ruelles étroites, tapissées en pierres, dont un sillon au centre servait d'évacuation vers les égouts. Morne était illuminée par quelques torches murales, mais la nuit demeurait particulièrement obscure et malaisante. Ils continuèrent vers l'est de la ville. Là, plusieurs quartiers avaient étés détruits pour être remplacés par des champs de céréales de plusieurs hectares. Quelques fermiers y terminaient leur journée.
Kadann s'arrêta devant les champs et s'assit sur un banc en bois.
- Voilà donc ce que tu veux faire ? Nourrir la population est un métier honorable, ta mère et moi serons fier de toi, lançait-il la conversation sans aucune pointe d'ironie.
Veyn préféra rester debout et resta muet.
- Se lever tous les matins, s'occuper de ses enfants et cultiver les champs pour nourrir la population, quelle vie serait plus noble et plus honorable que celle-ci ? Si les paysans disparaissaient, nous serions tous en dangers, car nous ne savons pas comment faire pour s'occuper des champs, nous qui ne sommes pas paysans. Donc, tu vois, même si ça n'a pas l'air, ces gens sont très spéciaux. Tu es d'accord ?
- Qu'est-ce que vous voulez dire, père ? Que ceux qui pratiquent un métier absolument nécessaire sont spéciaux, enchérissait Veyn.
- Devenir quelqu'un tient moins des actions que nous faisons, que des conséquences que nous produisons.
- Réfléchit Veyn. Ces gens peuvent cultiver la terre pendant un millénaire, s'ils ne produisent ni céréales ni farines et guère plus de pains, alors ils ne sont rien de plus que des pantins inutiles. Tu peux devenir le meilleur guerrier du continent, s'il n'existe personne pour te défier et qu'aucun ne puis reconnaitre tes talents, tu ne seras guère plus spécial que celui qui cultive un champ sans rien récolter. Ce ne sont pas tes actions qui te rendront spécial, ce ne sont pas des talents ou des capacités en dehors du commun qui te rendront spécial. Ce qui te rendra spécial, c'est ce que tu peux produire chez autrui. Si tu sauves un enfant de la noyade, cela ne nécessite aucune capacité spéciale, pourtant aux yeux de cet enfant et de ses parents, tu seras une bénédiction.
Kadann prit une pause, avant de continuer.
- Tu es bon, généreux et courageux. Tu possèdes tous les outils pour être quelqu'un de spécial dans le bon sens du terme. Continue de cultiver ces qualités.
L'adolescent, lui qui se comparait toujours aux autres, n'avait jamais vu la vie sous un tel angle. Il s'assit sur le banc en bois et regarda son père, puis déclara.
- Je peux rester seul ?
Le père hocha la tête et rentra à l'académie en le laissant seul. Au-dessus de la mer, le soleil se couchait et l'horizon devenait orange, un beau crépuscule se profilait. Veyn demeurait muet en observant le couché de l'astre jusqu'à la nuit tombée. Il réfléchissait et cherchait des réponses à ses questions.
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