Chapitre 41
Faolàn a un moment de stupeur. Il tourne la tête vers Allande qui sourit et d'un geste brusque, le laisse tomber au sol. Faolàn s'affaisse, incapable de tenir debout avec sa jambe manquante.
« Allande ? », souffle-t-il, ne comprenant toujours pas bien ce qui se passe, les yeux écarquillés, un air de gamin perdu sur le visage. Que fait Allande ? Pourquoi avance-t-il vers le maître alors qu'il est censé les aider à libérer Freyja ? Ils avaient un plan, ils avaient... Le maître donne une tape amicale à Allande qui regarde gentiment Faolàn.
« Mon garçon... Il te reste encore tellement de choses à apprendre. », dit-il tendrement. Faolàn serre les dents, tandis que la colère lui ronge l'intérieur, lorsqu'il comprend peu à peu que l'homme à qui il avait fait confiance, l'homme qui lui avait sauvé la vie, l'homme qui semblait tant tenir à Freyja... Cet homme se tient devant lui, son habituel expression douce et calme sur le visage en les trahissant ouvertement. Sale traître, sale traître, sale traître ! Il serre les poings. Il veut se lever, il veut hurler, il veut leur cracher à la figure, leur trancher leurs gorges... Faolàn reste assis. Incapable de se relever. Inutile. Ses mains se mettent à trembler et finalement, ses yeux se posent sur ce qu'il avait tenté d'ignorer.
Freyja.
Son cœur se fige de stupeur.
La peau blanche de la jeune femme est striée de tâches bleutées, de lignes rouges. Son visage pâle semble vidé de toute énergie, ses yeux bruns se perdent dans le vide pendant que ses cils papillonnent faiblement. Que... Faolàn déglutit et cligne plusieurs fois des yeux. Il se passe une main tremblante dans les cheveux, le visage livide.
« Qu'est-ce que vous lui avez fait ! », s'exclame-t-il, la voix rauque, « Qu'est-ce que vous lui avait fait ! »
De toutes ses forces, il se pousse sur ses avant-bras, en équilibre sur sa jambe. Il tente de ramper vers Freyja, tente de l'atteindre, pendant qu'un sentiment d'impuissance fait accélérer sa respiration. Le visage de Freyja, ses blessures, tout ça lui rappelle ce que lui-même a vécu. Si seulement elle ne m'avait jamais rencontré ! Bordel ! Un coup dans les côtes venant de nulle part lui fait perdre l'équilibre. Faolàn pousse un bruit étouffé et tourne la tête. Le maître est penché au-dessus de lui et secoue la tête, un air apitoyé sur le visage hideux. Le jeune homme grimace et tente de se relever mais le maître, après avoir souri à nouveau, le renvoi à plat ventre.
« Mon petit louveteau, tu n'apprendras donc jamais rien ? », susurre-t-il et Faolàn grogne.
« Je ne suis pas ton louveteau, je n'ai rien à apprendre de toi ! », hurle-t-il et brusquement, le visage de l'homme devant lui se ferme. Il lance un court regard à Allande puis son visage reprend une expression faussement paisible.
« Fais ce que tu veux, gamin, mais sache que tes actions stupides et enfantines entraînent des conséquences. »
Faolàn fronce les sourcils puis ricane lugubrement.
« Des conséquences ? Qu'est-ce que tu comptes faire ? Me faire mal ? »
Le sourire sur le visage du maître s'élargit et il claque des doigts, les yeux à nouveau tournés sur le guérisseur derrière lui. Faolàn observe un instant sans comprendre, regarde Allande sortir un couteau de son manteau. Il le regarde s'approcher de Freyja, innocente et silencieuse. Elle-même ne regarde pas Allande s'approcher. Elle regarde les nuages dans le ciel, les pensées perdues dans un brouillard fantomatique. Ses doigts caressent timidement le tissu crème de sa tunique intouchée. Soudainement, elle sent une douleur dans le bras.
« Non ! Non ! Freyja ! Laisse-la ! Monstres ! Je vais vous tuer ! Tous vous tuer ! », hurle Faolàn, tentant de s'approcher de la jeune femme, les yeux exorbités, tenu en place par le maître et ses larbins. Freyja, étonnée, baisse les yeux vers son bras d'où s'écoule un liquide rougeâtre qui goutte lentement sur le sol et sa tunique. Elle tente de lever le bras. Attaché. Un tremblement parcourt son corps affaibli et elle tire un peu plus fort sur son bras avant de laisser échapper un gémissement de douleur.
« J'ai mal ! », bégaie-t-elle, en levant des yeux suppliant vers Allande qui lui offre un sourire paternel. Il lui tapote la tête, le couteau sanguinolent encore dans la main.
« Ne t'inquiète pas, ma colombe », lui souffle-t-il, « Ce n'est plus pour longtemps. »
Freyja secoue la tête tandis que la douleur pénètre de plus en plus sa conscience.
« Fais que ça s'arrête ! », s'exclame-t-elle de sa voix cassée, « Fais que ça s'arrête ! »
Cette fois, Allande ne dit rien.
« Laissez-la partir ! », hurle encore une fois Faolàn, qui tente de se débattre désespérément de l'emprise. Le maître éclate d'un rire diaboliquement tonitruant avant de caresser la tête de Faolàn pour lui donner un coup dans les côtes. Le jeune homme grogne, mais est incapable de faire le moindre mouvement.
« Avec plaisir, mon loup. A une seule condition : si je la laisse partir, tu viens avec moi. Ta vie pour la sienne.»
Le corps de Faolàn se tend.
Ta vie contre la sienne.
Un frisson le parcours lorsqu'il lève ses yeux vers l'être abjecte qui lui sourit. Il secoue la tête.
« Non. », crache-t-il d'une voix rauque, les yeux écarquillés. Il s'était juré de ne jamais retourner chez le maître. Il ne pouvait pas y retourner maintenant. Jamais ! Le maître prend une expression lugubre. Il se tourne vers Allande.
« Tu l'as entendu ! Il ne souhaite pas se sacrifier pour la gamine. »
Allande pousse un soupir dramatique
« Quel dommage ! Et nous qui pensions qu'elle avait de l'importance pour lui ! Mais quelle bande d'idiots on fait. Les animaux comme lui ne ressentent pas de sentiments. Les bêtes ne peuvent pas aimer. N'est-ce pas Faolàn ! Tu vas regarder Freyja tomber de cette falaise comme elle l'a déjà fait une fois – avoue que ça t'avais excité, hein, de trouver son joli petit corps en morceau ! Tu vas la regarder crever et tout ce que tu vas ressentir c'est du vide et l'envie de sauver ta propre peau de sauvage ! »
Un des gardes du maître lui donne un coup de pied dans le ventre et Faolàn sent son corps se courber en avant et il est incapable de retenir la toux violente qui le secoue. On lui relève brutalement la tête et il se retrouve les yeux dans les yeux avec le maître.
« Avoue-le. Avoue que tu n'es qu'une bête sans sentiments et que tu ne ressens rien, strictement rien à l'égard de Freyja. Avoue que tu veux la voir mourir. »
La respiration coupée, le jeune homme secoue désespérément la tête.
« Non, non, ce n'est pas vrai, ce n'est pas vrai ! », répète-t-il plusieurs fois d'une voix paniquée, ses yeux tentant d'apercevoir Freyja, tentant anxieusement de vérifier qu' Allande ne lui fasse rien. Tout d'un coup, il sent la main du maître claquer contre sa joue et sa tête bascule durement vers le côté. A nouveau une quinte de toux.
« Tu as le choix, Faolàn. Est-ce que tu es sûr que tu veux laisser mourir une jeune femme qui est là par ta faute, que tu as condamnée ? »
Le corps du jeune homme est secoué de tremblement et après un bref instant, il finit par secouer la tête. Non. Non, Freyja ne doit pas mourir. Freyja ne peut pas mourir. Il serre les poings désespérément et tente de regagner ses esprits, tente de formuler une pensée cohérente. Le maître sourit.
« Très bien. Tu acceptes donc de venir avec moi en échange de la vie de la gamine ? »
Faolàn sent son estomac se retourner et tous ses instincts lui hurlent de refuser. Ses yeux retombent alors sur Freyja. Les yeux mi-clos, un air d'enfant apeuré sur le visage, le sang coulant le long de son bras blanc sur sa tunique couleur innocence. Les mains du jeune homme se mettent à trembler. Comment pourrait-il jamais condamné un être si fort aux allures si fragiles ? Les yeux fermés, le visage pâle, il hoche la tête. Un coup dans les côtes le fait cracher.
« Dis-le ! Dis-le à voix haute ! »
Les mots brulent la langue de Faolàn lorsqu'il les prononce.
« J'accepte de venir en échange de la liberté de Freyja. » dit-il d'une voix vidée de toute énergie. Le visage du maître s'illumine et il fait signe à ses deux gardes. Faolàn sent qu'on le soulève. Il est porté dans une cage en bois dans laquelle on lui attache mains et pieds. Il ne se débat pas. Il garde les yeux rivés sur Freyja, Freyja qui a maintenant détournée ses yeux du ciel pour les poser sur son visage. Une larme roule sur sa joue lorsqu'elle observe Faolàn.
Pourquoi ? Pourquoi se sacrifiait-il alors qu'elle allait mourir de toute façon ? Elle ouvre la bouche pour lui dire, tente de le prévenir, mais aucun son ne sort de sa gorge sèche. Les gestes de ses mains deviennent plus nerveux. Faolàn tente de lui offrir un sourire rassurant qui finit en grimace tremblante. Il approche son visage des barreaux.
« Libérez-la, maintenant ! », s'exclame-t-il. Le maître se tourne vers lui et soulève un sourcil. Vera pousse un petit rire diabolique, lorsqu'elle se place à côté de son père et place son bras sous le sien.
« Oui, père, libérons-la ! »
Un mauvais pressentiment s'empare de Faolàn. Il tourne rapidement la tête vers Freyja. Son visage affaibli et maintenant inondé de perles salées et à son tour, elle aussi, tente de lui sourire. Ses lèvres muettes forment des mots secoués de tremblements.
Ça va aller, répète-t-elle sans cesse, ses mains agrippant sa tunique, son bras toujours blessé.
Ça va aller, dit-elle sans un son encore et encore tandis que Faolàn pousse contre les barreaux et tente de tirer sur ses liens.
Ça va aller, ne t'inquiète pas, ça va aller.
Le maître tire sur une corde.
Freyja écarquilles les yeux.
La Vénus du nord qui a fleurie ici-bas, sous la lumière du soleil et à la chaleur de l'amour naissant, la Vénus innocente sent son corps basculer. Elle sent la gravité lui échapper tandis que ses boucles brunes virevoltent autour de son visage apeuré, tandis que sa bouche s'ouvre dans un cri silencieux et que la lumière de l'astre solaire se reflète lugubrement dans ses yeux paniqués.
Faolàn hurle.
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