Vila tâtonne un peu puis entre dans la chambre de Freyja. Son coeur bat la chamade. Personne ne doit rentrer ! Elle avance lentement jusqu'à la jeune fille. Celle-ci s'est assise et semble encore sonnée. Elle aperçoit Vila.
"J'ai...mal!", souffle-t-elle. Vila tourne son visage vers elle et sourit sardoniquement.
"Oh, ma pauvre, pauvre, petite chérie", souffle-t-elle d'une voix douce. Freyja lui rend un sourire tremblant et plein d'espoir.

Vila ouvre le récipient et le tend à la jeune femme blessée, une idée germant dans sa tête.
"Tiens, mange ça. Ça va faire partir la douleur."
Freyja hoche la tête et prend le tube en verre. Sans réfléchir, elle sort une première feuille et la met en bouche, puis une autre et encore une. Lorsqu'elle a fini toutes les feuilles, elle rend le récipient à Vila. Celle-ci s'avance encore un peu et caresse la tête de Freyja.
"Dors, ma chérie, dors.", siffle-t-elle tandis que Freyja s'allonge lourdement et ferme les yeux.

Brusquement, son corps est pris de convulsion, son dos se courbe, elle pousse un gémissement guttural, ses yeux papillonnent, ses lèvres se mettent à trembler.
"Tais-toi!", siffle Vila et donne un coup à Freyja qui se met à feuler de douleur, "Tais -toi!" Un deuxième coup, plus fort. Freyja se met à pleurer, remuant la tête, essayant désespérément de faire partir la souffrance qui l'assaille.
"J'ai... Mal!", gémit-elle, "J'ai...mal ! Mal ! Mal !"
Vila grogne et d'un coup brusque tire sur les cheveux de Freyja.
"Écoute-moi bien.", dit-elle durement tandis que la jeune femme essaie faiblement de se défaire, "Tu vas te la fermer immédiatement ou je te coupe la langue et je te la fais avaler." Freyja se fige, les yeux exorbités, "Tu vas gentiment t'allonger, fermer tes yeux et te taire. Et si j'entends encore un son, tu sais ce qui t'attend."

Vila lâche la tignasse brune et Freyja s'écroule sur le lit, sanglotant et se convulsant en silence. De longues minutes passent, brisées par des gémissements. Vila sent la panique la gagner. Personne ne doit rentrer ! Freyja bouge toujours... Ses mouvements semblent ne plus finir! Vila se lève en tremblant. Je n'ai pas le choix! Ses doigts tâtonnent pour trouver un objet lourd. Elle hésite à retourner à la cuisine pour chercher une casserole ou un rouleau.

Tout d'un coup, elle se fige.
Freyja ne fait plus un bruit. Vila revient sur ses pas et touche doucement Freyja. Elle ne bouge plus. Ne parle plus. Un rire cruel sort brusquement des entrailles de la femme blonde. Ça a marché! Elle arrange sa robe et sort de la chambre en souriant. Elle recoiffe ses cheveux. Elle se racle la gorge. Prend quelques minutes pour prendre un air sérieux. Puis, elle s'approche de la porte d'entrée, l'ouvre brusquement et sort en courant, un masque paniqué sur le visage.

"Faolàn ! Faolàn! Kild ! Au secours ! Au secours !", hurle-t-elle et court à l'aveugle à travers la cours. Certains travailleurs lui jettent des regards paniqués.
"Appelez Kild !", crie l'un tandis que Vila continue à avancer.
"Fao! Faolàn ! Faolàn ! Fao -"
Une paire de bras l'intercepte.
"Vila ! Calme-toi, Vila qu'est-ce qu'il se passe ?", demande Faolàn, les dents serrées, le visage pâle.
"C'est... C'est Freyja !", bégaie Vila d'une voix paniquée, "Je ne sais pas ce qu'il s'est passé ! Elle... Elle a hurlé et s'est mis à bouger... Je crois... Et puis brusquement, plus rien !"
Faolàn se met à trembler intérieurement.
"Comment ça, plus rien ?"
Vila se met à pleurer en tremblant.
"Plus rien, Faolàn, plus rien ! Je crois... Je crois qu'elle est -"
"Non !"
Faolàn la lâche d'un seul coup et recule d'un pas, livide.
"Ce n'est pas possible !", murmure-t-il tandis que Vila secoue la tête avec un air désolé.
"Je suis désolée, Fao."

Le jeune homme inspire une bouffée d'air puis court à l'intérieur de la maison, court jusqu'au chevet de Freyja... Non! Non! Kild est déjà là. Le visage du vieil homme est tiré lorsqu'il relève la tête vers Faolàn. Il tient doucement la main de Freyja et renifle un peu.

"Je suis désolé mon garçon.", souffle-t-il, "Cette fois, elle est bel et bien partie."
Faolàn secoue la tête désespérément.
"Ce n'est pas possible, Kild, ce n'est pas possible !"

Une larme roule sur la joue ridée de Kild.
"Tu dois la laisser partir, petit.", murmure-t-il, "Les morts n'aiment pas qu'on les retiennent." Il sourit tristement et lance un regard à Freyja. Un sanglot échappe à ses lèvres, "C'est si injuste... Regardez la, cette petite. On dirait une petite poupée endormit. On dirait...", Kild inspire bruyamment et secoue lentement la tête. Il se relève douloureusement et s'approche de Faolàn. Celui-ci est comme figé. Le vieil homme le regarde un instant puis le tire dans ses bras d'un coup brusque.

Le mouvement semble réveiller Faolàn de sa trance et d'un seul coup, ses barrières tombent. Sa façade tombe en morceaux tandis que ses derniers espoirs s'envolent.
"Je suis désolé, petit, si désolé.", répète Kild tandis que le jeune homme se recroqueville sur lui.
"Pourquoi, Kild, pourquoi elle ?", dit-il d'une voix brisée tandis que ses jambes se mettent à trembler et qu'il s'accroche à Kild comme un enfant à son père. Le vieil homme le soutient et l'amène au chevet du corps. Faolàn tombe à genou et d'une main tremblante prend celle de Freyja dans la sienne. Froide. Lourde. Morte. Freyja est morte !

Faolàn inspire bruyamment et lève les yeux vers le ciel. Il entend presque les dieux se moquer de lui. S'il-vous-plaît! S'il-vous-plaît, ne me prenez pas Freyja ! Tout ce que vous voulez, mais pas ça ! Pas Freyja ! Pas Freyja! Mais Freyja ne se réveille pas, ne bouge pas, ne respire plus... La porte d'entrée s'ouvre et le docteur entre rapidement. À la vue de Faolàn, il secoue doucement la tête.
" Je vous l'avez bien dit. C'était impossible pour elle de survivre."

Une larme solitaire roule des yeux du jeune homme. Il renifle et offre aux autres un sourire sarcastique.
"Vous avez raison, Monsieur. ", dit-il et s'éloigne de Freyja pour s'approcher du guérisseur, "Prenez son corps. Occupez-vous de lui offrir des funérailles dignes - elle les a méritées. C'était la femme la plus belle, la plus forte et la plus entière que je connaisse. Faites-lui honneur, je vous en prie."

Kild lui lance un regard abasourdi.
"Faolàn!", s'exclame-t-il, "Qu'est-ce que ça signifie!"
Le jeune homme se tourne vers lui, lentement.
"Je suis désolé, Kild, mais je ne peux pas rester. Je ne... Je ne veux pas voir comment le corps de Freyja est brûlé, je ne veux pas voir... Ça. Je dois partir d'ici. C'est comme si un bout d'elle était... Dans l'air.", il déglutit pendant que ses lèvres tremblent un peu, "Merci pour tout ce que tu as fait, je t'en serai éternellement reconnaissant." Kild essuie une larme et s'approche de Faolàn. Les deux hommes se prennent dans les bras.

"Sache que tu seras toujours le bienvenue, mon garçon.", murmure le vieil homme, "Prend soin de toi. Freyja recevra les derniers honneurs qu'elle mérite." Faolàn hoche la tête et inspire violemment, restreignant les émotions menaçant de sortir. Il jette un dernier regard à Freyja, serre les poings. Impulsivement, il s'approche encore une dernière fois et pose un baiser désespérée sur le front glacé'

"Adieu, petit oiseau. Ce fut un honneur de t'aimer.", murmure-t-il contre son visage. Ensuite, il se relève lourdement et sort, sans la regarder, sans regarder Kild, sans regarder Vila. Il sort de la maison en tremblant et se met à marcher sans savoir où aller, comme si souvent.

Seul et le coeur vide, Faolàn part.

~***~

Vila est pétrifiée. Faolàn était parti. Parti. Haineuse, elle se tourne vers Kild d'un geste brusque.
"Comment avez-vous pu le laisser partir comme ça ! Dans son état !"
Abasourdi, le vieil homme se tourne vers elle.
"Vila?"
"Il n'avait pas le droit !", hurle-t-elle. Kild tente de lui poser une main sur l'épaule pour la calmer mais elle la rejette furieusement. Elle sort de la pièce. Elle n'allait pas le laisser partir comme ca! À grands pas, Vila sort de la maison. Elle ne sait pas où est allé Faolàn. Elle ne peut pas le voir... Elle entend un bruissement à côté d'elle et se retourne brusquement.
"Fao ?!"
"Non, ce n'est que-", répond un travailleur abasourdi.
"Tu as vu Faolàn ?"
"Oui, il-"
"Guide-moi vers lui !", ordonne-t-elle rageusement.
"Mais c'est qu'je peux pas, moi, je travaille-"
"J'ai dit guide-moi!", crie la jeune femme au bord de l'hystérie. L'homme, paniqué, prend alors sa main et se met à avancer.
"Plus vite !"
Il fronce les sourcils.
"Oh la, tout doux!", dit-il et écope d'un regard meurtrier. Haussant les épaules en soupirant, il accélère d'un pas et tire Vila derrière lui.

Finalement, il s'arrête.
"J'le vois là-bas, il est au bout de la route-"
Vila n'attend pas la suite. Elle lâche la main de l'homme et se met à courir en trébuchant.