Chapitre 22
Les jours suivants se perdent dans un nuage de tristesse et de mots creux prononcés à tort et à travers. On prépare sombrement le corps de Kild, on l’enterre en grande pompe, on chante des lamentations et on boit son vin. Freyja n’a même pas le temps de comprendre ce qui se passe que le corps a déjà disparu, à dix pieds sous terre. Agda est partie se réfugier chez sa famille. Les travailleurs de la ferme sont en deuil. De temps en temps, Freyja oublie que Kild est mort, alors elle rentre dans sa chambre pour le réveiller pour brusquement se rappeler qu’il n’est plus là. Son lit n’est toujours pas fait et l’odeur du vieil homme est encore là, faible mais distincte. Son verre de vin pas totalement vide est resté à la cuisine, sa chaise n’est pas rangée et ses chaussures sont encore jetée à côté de la porte. La nuit, Freyja s’allonge et regarde le plafond, tandis que des larmes roulent en silence le long de ses joues blanches. De temps en temps, Pranan vient et lui caresse doucement les cheveux. Elle ne dit rien. Freyja ne parle pas beaucoup, elle contemple souvent le vide en se posant des questions.
Un matin, elle s’installe doucement sur le banc devant la maison et lève les yeux au ciel. Le soleil se lève lentement et quelques nuages le bercent. Des oiseaux chantent. Il n’y a presque aucun mouvement et la jeune femme se sent très seule tandis qu’elle sent son cœur battre la cadence dans sa poitrine douloureuse.
Où est Kild ?
Où est-il parti, sans prévenir, une nuit de printemps alors que les cerisiers étaient encore en fleurs ?
Pourquoi les oiseaux chantent-ils toujours, pourquoi le temps ne s’arrête-t-il pas alors que Kild a été enseveli, alors que Kild n’est plus là ? Savait-il qu’il allait mourir ?
Freyja se mordille la lèvre. La vie est quelque chose de bien mystérieux. Un oiseau passe par-dessus un des nuages, lentement, gracieusement et volatile. Elle sourit doucement et plisse un peu ses yeux tandis qu’elle le suit du regard jusqu’à ce qu’il disparaisse à l’horizon. Elle en est presque jalouse, jalouse de cette liberté, de la vision qu’il doit avoir. La vie doit être belle, vue de loin. Elle soupire et joue avec sa natte entortillée et décoiffée. Peut-être qu’elle devrait faire plus attention à son apparence. Elle a perdu du poids et ses cheveux ne ressemblent à rien. Humia lui aurait sûrement fait la leçon : une femme par-ci, une femme par-là… La jeune femme soupire.
Kild avait voulu qu’elle se marie et qu’elle ait des enfants. Elle ferme les yeux, tandis qu’une larme discrète lui roule le long de sa joue. Elle ne la retient pas. Elle ne fait aucun bruit. La plupart du temps, Freyja ne pleure plus. Elle a seulement un sentiment douloureux, un peu comme si on lui ralentissait le cœur en lui coupant la respiration, tandis que ses pensées tournent autour du thème de la mort et lui montrent des visages cadavériques qui la révulsent au plus profond. Un sentiment de vide, comme un état de choc. Elle sait qu’Allande s’inquiète pour elle. Il a peur que son corps s’arrête de fonctionner. Parce qu’elle ne parle plus beaucoup et qu’elle ne mange pas des masses. Elle sent toujours son regard sur elle à table, lorsqu’elle mordille un demi-morceaux de pain et que ses pensées flottent dans un univers parallèle. Allande s’inquiète aussi cause de son suicide. Il a peut-être peur qu’elle réessaie ? Freyja rouvre les yeux et fronce les sourcils. Pourquoi ? Qu’est-ce qui l’avait amené à vouloir commettre un acte pareil ? Ça ne fait pas sens, comme tout le reste, rien ne fait sens et elle n’a toujours aucune réponse tandis qu’elle reste assise, que le temps passe et le soleil se lève.
Lorsque la jeune femme entend des pas derrière elle, elle se tourne légèrement pour voir arriver Faolàn qui s’assoit à côté d’elle. Il est pâle et cerné, les joues creusées et le regard triste. Elle l’observe sans rien dire et il reste silencieux. Elle observe les cicatrices sur son visage et tente de les comprendre ; elle observe ses yeux bleus clairs et ses longs cils. Il n’est pas si laid que ça. Il a seulement la tête d’un jeune homme durement marqué par la vie. Ses cheveux blonds lui caressent le front et il secoue presque imperceptiblement la tête pour les écarter.
« Comment vas-tu ? », finit-elle par demander doucement, lorsque le silence devient trop pesant. Question idiote. Faolàn tourne sa tête vers elle et sourit un peu, un sourire qui avec les traces de violences sur son visage lui donne un air légèrement grimaçant.
« C’est plutôt à toi que je devrais poser cette question. Cela fait des jours que tu n’es pas toi-même, tu manges peu et tu parles à peine. »
Freyja lève les yeux au ciel pour regarder un autre oiseau passer.
« Ne t’inquiète pas. », murmure-t-elle, « Ça va aller. Il faut juste que j’attende un petit peu. Le temps que mon cœur fasse un peu moins mal. Je n’ai juste pas tellement de chose à dire et je pense à autre chose que la nourriture. »
Le sourire sur le visage de Faolàn se crispe un peu. Freyja a la voix d’une petite fille.
Minuscule et incertaine, assise sur un banc sans savoir comment gérer la mort d’un homme qui était pour elle un père. Il hésite un instant puis lui pose une main réconfortante sur l’épaule. Elle se laisse faire et s’approche même un peu plus de lui, se presse contre son torse.
Elle est gelée, froide et maigre. Quelque chose en Faolàn se resserre. Il a tellement vécu dans la mort et la douleur qu’il ne se souvenait plus de ce que la perte d’un être cher pouvait faire à l’homme. Il entoure Freyja de ses bras, maladroit. Il ne sait pas quoi dire et ne sait pas quoi faire. Réconforter n’est pas quelque chose dont il a l’habitude, il est habituellement de l’autre côté, il est celui qui fait pleurer, celui qui prend plaisir à voir des yeux subitement s’agrandir et s’aggraver pour laisser couler des gouttes salées. Freyja tremble doucement. Il a envie de l’aider, il a envie de trouver les bons mots et les bons gestes. Dans sa tête, il en entendrait presque Kild rire. Courage, mon garçon.
« Tu as raison. Ça va aller. », murmure-t-il, se sentant stupide et il la sent un peu sourire.
« Merci. », répond-t-elle contre lui, « Merci beaucoup. Je n’aurais jamais attendu tellement… tellement de douceur de ta part. Je suis désolée pour toutes ces disputes et toutes ces choses que je t’ai dites. Tu n’es pas du tout l’homme que je croyais et je suis si contente que tu sois là pour me soutenir. Esclave. » Elle ajoute le dernier mot avec malice et Faolàn rit un peu en rougissant intérieurement. Bordel, si tu savais.
La Freyja qu’il tenait dans ses bras a quelque chose d’entièrement différent de la Freyja d’avant. Une fragilité timide enroulée dans une incroyable force et la même langue de vipère. La gamine avait la même langue bien pendue mais avec une pointe de douceur et d’innocence qu’il n’y avait pas avant.
« Oh, ne te fis pas trop à tes impressions, maîtresse, Douceur n’est pas un mot auquel on m’associe beaucoup. »
« Et pourtant tu es là, à me tenir dans tes bras sous le lever du soleil. »
Faolàn lève les yeux au ciel.
« Si tu le dis. », rétorque-t-il simplement, ne sachant pas quoi dire et totalement pris au dépourvu. Freyja semble l’apprécier. Elle apprécie sa présence. Il sent sa gorge se contracter et prie pour qu’elle n’entende pas son cœur accélérer lentement.
« Qu’est-ce que tu fais dehors, d’ailleurs ? », demande-t-elle, intriguée.
A nouveau, le jeune homme ne s’attend pas à cette question. Il grimace intérieurement. Il peut difficilement avouer qu’il était sorti pour apprécier sa présence. Il s’était levé parce qu’il avait soif et l’avait vaguement aperçue par la fenêtre. Il avait eu envie de sortir la voir, regarder les premiers rayons du soleil éclairer sa tignasse chaotique et son visage rougissant. Il avait même prévu d’éventuellement commencer à lui révéler la vérité, doucement, pour ne pas la brusquer et pour profiter des derniers moments d’insouciance qu’elle voulait bien lui accorder.
« Faolàn ? »
Il sursaute et tourne brusquement la tête vers elle.
« Oui ? »
« Tu n’as pas répondu à ma question. »
« Je… »
« Tu t’es enfin décidé à me révéler mon passé ? », murmure-t-elle en levant ses yeux vers lui, pleine d'espoir et d'attente et le jeune homme se fige. Il n’a aucune envie de révéler toutes ces choses maintenant, alors qu’elle est blottie contre lui et que le soleil lui réchauffe le visage, alors que l’ensemble du paysage semble être un putain de portrait de paix simplement teinté par la tristesse dans l’air et enjolivé par des mélodies de piafs qui lui cassent peu à peu les oreilles mais rendent à perfections dans le dessin.
« Peut-être plus tard. », répond-t-il simplement.
« Pourquoi pas maintenant ? Faolàn, je veux savoir. »
« Je sais bien », murmure-t-il, « Mais attend au moins d’aller mieux. Je te l’ai dit : ce que tu vas entendre ne sont pas des souvenirs agréables et je ne veux pas te rendre encore plus triste. Allande et Pranan me tuerait et- »
« Je sais que ce n'est pas joyeux. »
« Tu sais ? »
« Je m’en doute. », Freyja soupire, «Parce que de temps en temps j’ai des images qui me reviennent. Je rêve beaucoup, aussi. Je vois du sang, j’ai mal. Mais … je préfère souffrir que de ne pas savoir. Il n’y a rien de pire que d’avoir un trou noir dans la tête, j’ai l’impression que ma mémoire est une mosaïque gigantesque à laquelle il manque les morceaux essentiels, les morceaux qui donnent sens à l’image dans son entièreté. Alors s’il-te-plaît, Faolàn, dis-moi. »
Le jeune homme laisse tomber sa tête en arrière, tirailler entre le désir de tout révéler et ne rien dire. Avec un peu d’imagination, il pouvait toujours inventer une histoire plausible, lui raconter qu’il la connaissait parce qu’il travaillait chez Kild avant et qu’elle s’était jetée d’une falaise par chagrin d’amour… Non. Il déglutit un peu et son cerveau nerveux continue à chercher désespérément une issue de secours, une échappatoire pour ne pas devoir lui dire la cruelle réalité des faits.
Si seulement Pranan sortait de la maison. S’il se mettait à pleuvoir. Si quelque chose d’autre attirait son attention…
« Faolàn. »
Il soupire.
Il n’avait même pas le choix. Il avait bien été assez crétin pour lui annoncer qu’il connaissait la vérité. En entier. Il savait tous les détails, toutes ces petites choses que Kild n’aurait même pas su lui dire. Qu’il avait tué la voisine, qu’il était la raison même pourquoi sa virginité avait été prise de force. Il pouvait expliquer ses cicatrices, qu’elle avait tué un homme qui voulait faire d’elle sa femme, que lui-même l’avait abandonné pour une femme monstrueuse… Comment était-il censé lui annoncer les atrocités qui lui était arrivées en la tenant dans ses bras ? Il sent ses mains trembler un petit peu. Il ne veut pas qu’elle le regarde différemment, qu’elle s’éloigne de lui, qu’elle le rejette alors qu’il vient à peine de la retrouver.
C’est la première fois depuis longtemps qu’il se sent accepter. Qu’il se sent normal.
Il n’est pas encore prêt à briser l’illusion paisible dans laquelle il flotte…
« Faolàn ! »
La voix de Freyja se fait plus pressante et le tire de sa réflexion. Non, non, non ! Il lève le regard vers le ciel paisible tandis que sa bouche s’ouvre sans prévenir. Un oiseau de plus passe. Il sent son cœur battre nerveusement la chamade.
Il se met à parler sans même réellement comprendre ce qu’il dit, sans même réellement comprendre ce qu’il est en train de faire, ignorant la peur des conséquences qui lui ronge le cœur.
« Par une nuit d’hiver, ton village… »
Freyja le regarde attentivement, pendue à ses lèvres.
Bonjour, bonsoir les cocos !
L'autre jour, je regardais tranquillement mes notifications et j'ai été surprise de voir que Vénus semble avoir un petit succès. Je voulais rapidement vous remercier : quand j’ai commencé à écrire cette histoire, je pensais honnêtement que ça n’allait pas intéresser grand monde et d’un seul coup, BAM, je me retrouve avec des lecteurs qui m’encouragent et me suivent. Bon sang de bordel de bonsoir, je vous aime❤
|Danse de la joie|
Ensuite : je tenais à rajouter que s’il n’y a pas des mises à jour régulièrement, c’est que je travaille sur plusieurs projets, notamment un hors wattpad qui me demande un temps d’écriture absolument phénoménale. Mais ne désespérez pas, j’adore écrire pour Vénus en fleurs et je vais tenter d’y travailler un peu plus. Si quelqu’un lit ou a lu mes autres histoires : j’essaie d’avancer Une étoile est tombée.
+ Petite question : j’avais dit que je ne retravaillerai pas le début de Vénus a froid – mais maintenant, j’hésite. Qu’est-ce que vous en pensez ?
Mais revenons à l'histoire :
ZUT, COMMENT VA REAGIR FREYJA ?
Le suspense est à son comble.
Enfin voilà, des bisous, des bisous,
Blondouille
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