Le temps avec Allande passe doucement. Il lui apprend ce qu'il faut apprendre, dit les mots qu'il faut dire et l'aide comme il peut. Le soir, ils mangent, confortablement assis à sa table en bois - souvent, il essaie d'en savoir plus sur son passé - puis ils vont se coucher. De temps à autre, Freyja pleure en silence, mais lorsque le nouveau jour se lève, ses larmes ont séché. 

Un matin, Allande annonce qu'ils vont aller voir un malade un peu plus loin et Freyja hoche la tête, les cheveux en bataille, les yeux encore un peu gonflés par le sommeil. Elle avale quelque chose à manger puis suit le guérisseur. Le trajet, un peu plus long que d'habitude se déroule dans le silence. Finalement, ils arrivent devant une petite maison et Allande hoche la tête.
"On est arrivé.", dit-il de sa voix calme, "L'homme qui nous attend et l'un de mes plus vieux patients."
Freyja sourit et suit le guérisseur lorsqu'il pénètre à l'intérieur de la maison modeste. Un homme y est allongé dans un lit, les yeux mi-clos, la tête un peu penchée vers le côté, la peau pâle presque transparente et luisante de sueur.
"Allande, tu es enfin là.", dit-il et Freyja sursaute,  ne s'attendant pas à ce qu'il les ai entendu entrer. Il a une voix douce, presque silencieuse et un peu brisée sur les bords. À côté d'elle, Allande sourit et s'approche du malade. La jeune femme le suit timidement.
"Tu n'es pas seul à ce que j'entends.", dit à nouveau le vieil homme, ouvrant d'un coup ses yeux. Le guérisseur tend la main vers Freyja.
"Laisse-moi te présenter -"
"Frigg !", s'exclame brusquement le vieil homme, les yeux exorbités, faisant un bond en avant, "Par tout les Dieux, Frigg !"

Stupéfaite, Freyja pâlit et recule d'un pas. Elle secoue la tête.
"Non... Non, mon prénom est Freyja. "
Le vieil homme continue à la fixer, les pensées défilant derrière ses yeux, puis tout d'un coup, un sourire caresse son visage.
"Bon sang, évidemment.", grommelle-t-il tandis qu' Allande fronce les sourcils.
"Est-ce que c'est la fièvre qui-"
Le vieil homme rit.
"Oh non, Allande, je ne suis pas fou et ce n'est pas ma fièvre qui parle! Dis-moi, ma fille, comment s'appelait tes parents ?"
Freyja fronce les sourcils à son tour, confuse.
"Mon père s'appelait Jorn et ma mère..." Oh. "Ma mère s'appelait Frigg." Les yeux du vieil homme se mettent à briller.
"Bon sang... Bon sang... ", répète-t-il tandis que Freyja grimace intérieurement, de plus en plus mal à l'aise. Qui est cet homme?
"Vous connaissiez mes parents ?"
Il hoche la tête.
"Oh oui ! Nous étions voisins pour des années. Mais la ressemblance que tu as avec ta mère ! C'est incroyable. Et tes frères, comment vont - ils ?"
Freyja sursaute.
"Mes frères ? Je n'en ai qu'un, Tore. Il est parti un matin et n'est plus jamais revenu."
Le vieil homme semble perplexe.
"Mais Frigg a accouché d'un deuxième garçon, pourtant!"
La gorge de la jeune femme se serre.
"Non.", murmure-t-elle, "Elle est morte avant même que l'enfant vienne au monde. C'est ce que mon père m'a toujours dit."
Le visage de l'homme s'adoucit tandis qu'il ferme un instant puis soupire.
"Ma pauvre petite. Jorn... Il aimait sa femme de tout son coeur et tu as bien raison, la pauvre est morte bien trop jeune en donnant la vie. Cependant... L'enfant a pu être sauvé mais Jorn était si attristé par la mort de sa femme qu'il n'a pas voulu de l'enfant qu'il considérait coupable de sa mort. Pauvre homme."

Les mains de Freyja se mettent à trembler tandis que sa mémoire cherche désespérément des preuves aux mots du vieil homme, des preuves dans un passé trop flou et trop loin.
"Mon père n'aurait jamais abandonné un enfant.", murmure-t-elle alors et le malade hoche doucement la tête.
"Bien sûr que non. Une famille d'un village proche l'a adopté."
Freyja ferme les yeux. J'ai un frère ! Elle se passe sa langue sur les lèvres.
"Et Tore ? Sais - tu quelque chose sur lui ?"
Le vieil homme réfléchit un instant.
"Je ne sais pas ce qu'il est advenu de lui. Mais... Je me souviens d'une discussion avec Jorn. La famille ayant accepté d'adopter son fils avait demandé une somme d'argent considérable en échange, somme que ton père n'avait pas. Il avait demandé de l'aide auprès du chef du village qui le lui avait accordé en échange d'un certains nombres de service. Jorn avait accepté et au fur et à mesure, c'est Tore qui allait effectuer les tâches. La dernière fois que je lui ai parlé, Jorn me disait que la dette était presque payé."
Freyja soupire.
"Et ensuite Tore est parti sans être jamais revenu."
Le vieil homme hoche tristement la tête lorsqu'une quinte de toux le secoue brusquement et Allande fait un bon en avant.
"Doucement, doucement, assez parlé de souvenir."

Durant de longues minutes, lui et Freyja prennent soin du viel homme jusqu'à ce qu'il se rallonge, fatigué et qu'il est temps de partir. Lorsque Freyja veut s'éloigner, elle sent sa main étonnement forte la retenir. Le vieil homme lève ses yeux vers elle.
"Ton frère s'appelle... Pranan.  Il a les mêmes yeux que Tore et le même sourire que toi. Retrouve le, petite, et n'en veut pas à ton père pour t'avoir menti. Le brave homme avait le coeur brisé." Freyja hoche doucement la tête.
"Merci.", murmure-t-elle avant de sortir.

~***~

Allande donne le pain à Freyja et l'observe un instant.
"Tu penses à tes frères."
La jeune femme soupire et hoche gravement la tête.
"Je... La disparition de Tore ne fait pas sens. Il n'aurait jamais abandonné père et moi sans raison. Et ce deuxième frère, ce Pranan ? Je suis perturbée. J'ai vécu des années en me le figurant comme un enfant mort et brusquement il prend vie. Je ne sais pas quoi en penser. Le pire c'est que je l'ai peut-être déjà vu sans savoir qu'il s'agissait de mon propre frère !"
Allande lui pose une main réconfortante sur l'épaule.
"Tu n'y peux rien. Nous allons bien finir par le retrouver. "
"Le? Et Tore ?"
Le guérisseur ferme les yeux un instant.
"Nous y voilà.", grommelle-t-il puis regarde Freyja dans les yeux, "Tore... Comment te dire, l'homme auquel ton père avait emprunté de l'argent n'était pas quelqu'un de très tendre. Je ne sais pas ce qu'il a fait faire à ton frère mais après... Celui-ci ne pouvait plus rentrer et était rongé par les remords."

Allande inspire profondément.
"Freyja, Tore s'est pris la vie. Il est mort."
Le temps semble se figer tandis que le morceau de pain glisse des main de la jeune fille et tombe sur la table, sans un bruit.
Non.
Non.
Non!

Les lèvres de Freyja se mettent à trembler tandis que ses doigts s'agrippent entre eux.
"Comment peux-tu savoir... Peut-être que ce n'était pas lui? Tore ne peut pas... Être... Mort... ", sa voix se casse tandis que ses yeux cherche désespérément un indice dans le visage du guérisseur. Dit que ce n'est pas vrai ! Allande soupire.

"C'était lui. J'en avais parlé avec Kild et -"
"Kild savait ?", s'exclame Freyja, les poings tremblant, brusquement enragé. Ils savaient. Ils savaient tous. Et personne ne lui avait dit alors que tout ce qu'elle voulait c'était comprendre et savoir aussi ! Comment osait-il !
"Freyja, calme-toi, tu étais affaibli et Kild ne voulait pas te faire un choc en plus !"
Elle rit durement.
"Mais me faire espérer le retour d'une personne morte était censé m'aider ? Je n'ai plus cinq ans, bon sang ! Tout le monde s'occupe de moi comme une poupée fragile alors que tout ce que je veux c'est cette putain de vérité ! Vous n'en savez rien vous, de ce que ça fait de ne rien savoir de sa propre vie ! J'en ai marre ! "
Allande se lève, sa chaise raclant le sol.
"Peut-être que tout le monde fait ça parce que lorsque tu as appris la vérité une première fois, tu t'es jetée d'une falaise !"
Freyja se fige tandis que la colère s'évapore d'un seul coup.
"Je me suis... Jetée... "
Une larme roule de son oeil et elle recule d'un pas, tentant de garder contenance, un sourire tremblant sur les lèvres.
"Je ne savais pas.", dit-elle d'une voix brisée tandis qu' Allande se passe une main fatiguée dans les cheveux.
"Je suis désolé, je ne voulais pas te jeter ça à la tête comme ça."
Freyja déglutit et secoue un peu la tête.

"Non, non c'est bon, je comprends, je... Je vais aller me coucher, d'accord? Je suis un peu fatiguée, je... D'accord." Allande la regarde sortir sans un mot, le visage pâle. La jeune femme titube jusque dans son lit. Cachant son visage entre les fourrures, son corps est brusquement secoué de sanglots et de spasmes, incapable de s'arrêter. Finalement, elle ferme les yeux et laisse le sommeil la happer.

~***~

Frey-ja.
Frey-ja.
La jeune femme entend une voix et se tourne. Sa mère la regarde et sourit. Elle tient dans ses bras un homme comme un enfant que Freyja semble reconnaître - les yeux de Tore et son sourire à elle.

Pran-an!
Pran-an!
Sa mère rit et Freyja voit à ses pieds Tore, allongé, les yeux vides. Elle ouvre la bouche pour hurler mais pas un son ne sort de sa bouche. Elle sent une main sur son épaule et se retourne brusquement. Kild lui sourit tendrement.
"Tore s'est pris la vie." Il a une voix de femme, Freyja tente de reculer et observe exorbitée lorsqu'il se transforme en femme aux cheveux blonds.
"Tu n'aimes pas ma cuisine?"
Derrière elle, sa mère se met à rire et chantonner tandis que Freyja sent quelque chose de chaud lui couler le long des cuisses. Elle baisse les yeux et crie. Du sang. Partout. Du sang!
"Gamine, gamine, gamine !", dit un autre homme - "Faolàn" . Freyja se met à trembler.
"Laissez-moi ! Laissez-moi!"
Les figures autour d'elle se mettent à tourner en rond, soutenant le corps mort de Tore. Freyja se met à pleurer, tentant de sortir de la ronde...

Impossible !
Impossible.
Faolàn la regarde dans les yeux.
"Ce fut un honneur de t'aimer."
Son corps se courbe et tombe en avant, Freyja a peur.
"Comme une poupée fragile."
La ronde se dissout, elle se met à courir tandis que des bribes de mots continuent à l'assaillir.

Oiseau... Cassé... Frigg... S'envole.

Fao-làn.
Fao-làn.

Le chien pleure et son coeur se brise.

~***~

"Freyja ! Freyja !"
Quelque chose la secoue et la jeune fille sort de sa torpeur avec un cri d'angoisse, trempé de sueur, face à face avec un Allande paniqué.
"Ça va?", répète-t-il plusieurs fois et la jeune femme hoquette, le cauchemar perturbant gravé dans sa mémoire de manière indélébile. Elle hoche la tête et le guérisseur la regarde un instant avant de la prendre dans ses bras, un peu maladroitement. Freyja appuie son visage contre sa poitrine et ferme les yeux, essayant d'oublier les images. 

Finalement, l'oubli à des fois ses avantages.

Bonjour, bonjour !
Ah, enfin un chapitre où on en apprend un peu plus... Mais zut de flûte TOUT EST LIÉ !

Enfin voilà.
Et pour le rêve, ne vous inquiétez pas si vous n'y comprenez rien, pour l'instant il n'y a rien à comprendre mais retenez-le, il sera important plus tard (He. He. He. )

Bon allez, bisous, bisous les cocos,
Blondouille ❤ (au soleil )